La deuxième journée du Grand Tasting commence par la plus prestigieuse Masterclass appelée traditionnellement « Le Génie du Vin ». Les vins sont présentés par les propriétaires ou les maîtres de chais. La présentation générale et les commentaires sont faits par Michel Bettane et Thierry Desseauve et je suis toujours subjugué par l’étendue de leurs connaissances.
Le Champagne Deutz Amour de Deutz 2002 est présenté par Michel Davesne et Caroline Latrive, deux maîtres de chais dont l’une succèdera à l’un. C’est le septième millésime de ce vin créé en 1993. Il vieillit dix ans sur lattes. Le nez est élégant. Le vin est gourmand, de belle maturité. Il est très agréable à boire, de belle énergie. Il a été dégorgé à la mise sur le marché en 2012. Il est souple et gastronomique cumulant fruits et fleurs en une structure soyeuse.
Le Corton Charlemagne Maison Champy 2003 est présenté par Dimitri Bazas. Il est fait par moitié de grappes du domaine et d’achats de raisins. La Maison Champy est la seule de la Bourgogne à avoir été nommée entreprise du patrimoine vivant.
Le nez est d’une force percutante. L’attaque est belle, souple mais puissante. Le vin est racé, vif, combinant douceur et élégance avec une belle râpe bourguignonne, que l’on voit surtout avec les vins rouges. Michel Bettane parle de luminosité car il voit du vert dans la couleur du vin. C’est un vin magnifique de grande élégance. Réchauffé dans le verre, il est d’une grande cohésion gourmande.
Jean-Louis Chave ne pouvant pas présenter son vin, c’est Guillaume Puzo, grand dégustateur de l’équipe des organisateurs qui présente avec brio l’Hermitage Jean-Louis Chave rouge 1999. Le nez est d’une rare subtilité. C’est assez difficile de le boire après le Corton Charlemagne mais il me convainc par un beau fruit. Il devient de plus en plus élégant et gourmand. C’est un vin de grande gastronomie. Il est très cohérent et agréable à boire.
Le Château Léoville Las Cases 1996 est présenté par Jean-Guillaume Prats qui évoque la résilience d’une famille soudée et unie, celle de Jean-Hubert Delon. Le vin est de cabernet-sauvignon. Le nez est très bordelais, riche de truffe et noble. La bouche est fraîche et douce, avec une belle amertume, des épices et du cigare. C’est un vin magique qui va continuer à s’élargir au fil des années. Il est large et généreux, très noble à boire.
Le Château Cos d’Estournel 1990 est présenté par Dominique Arangoïts directeur technique qui rappelle que Cos veut dire colline de cailloux. Jean-Guillaume Prats connait bien ce vin qu’il a dirigé et dont sa famille a été propriétaire. Le nez est élégant, l’attaque est superbe, le vin est fluide, plein et subtil. C’est un vin précieux. Son finale est gourmand. Son fruit noir est acide et très beau. C’est un vin sans concession, puissant, fait pour la gastronomie et pour une longue garde.
Don Pablo Alvarez propriétaire de Bodegas Vega Sicilia est venu présenter le Vega Sicilia Unico 2010, mais il laissera s’exprimer Gonzalo Iturriaga directeur technique de tous les vignobles du groupe. Gonzalo parle de ce vin comme d’un vin éternel. Le nez est magique de joli fruit entre cassis, menthe, anis. Ce nez est d’une folle complexité. La bouche est douce et puissante, un bouquet de fleurs et de fruits. Le vin est gourmand et soyeux. C’est un rêve absolu avec une myriade de goûts qui vous assaillent. Il est d’une jeunesse folle miraculeuse. C’est un kaléidoscope de saveurs combinant fraîcheur, richesse et complexité. Ce qui est amusant, c’est qu’il met en valeur le fond de verre de l’Hermitage Chave 1999. Ce vin est fou.
Le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Maison Hugel 1989 est présenté par Jean-Frédéric Hugel qui dirige la maison Hugel. La robe est dorée. Son nez est un feu d’artifice. Tout en ce vin est parfait et intense. C’est un vin miraculeux. Le botrytis est superbe. Ce vin tellement gourmand est une réussite absolue. Il est frais, aérien et d’une densité folle. Une merveille qui sera le vainqueur de cette Masterclass mais aussi des deux jours de Grand Tasting. Jean-Frédéric dit que ce vin est arrogant de jeunesse. Il a raison.
Le Porto Fonseca Vintage 1997 a bien du mal à passer après le vin de Hugel. Il a une robe brune et une jolie attaque de vin fluide et léger. Il y a de la cerise, du tabac et un peu de café. Il a des accents d’alcool, de marc, parfois un peu appuyés. Il est gourmand mais le souvenir du Hugel est trop fort.
Mon classement de cette Masterclass sera : 1 – Gewurztraminer Hugel 1989, 2 – Vega Sicilia Unico 2010, 3 – Hermitage Chave 1999, 4 – Corton Charlemagne Champy 2003, 5 – Amour de Deutz 2002.
Une Masterclass de grande qualité avec des commentaires brillants des organisateurs. A juste titre Michel Bettane a mis en valeur l’extrême pertinence de la température de service de chaque vin. On l’a ressenti.
Après la très belle présentation du « Génie du Vin », je me promène dans les allées. Je m’arrête au stand Penfolds. Je demande à la charmante personne : « avez-vous Penfolds Grange ? ». Elle me regarde et me pose des questions. Apparemment je passe avec succès cet examen car elle cherche derrière une tenture une bouteille de Penfolds Grange 2018 dont elle me sert un verre en cachette. Ce vin n’est évidemment pas présenté au stand. Dès la première gorgée, mon amour pour ce vin splendide est récompensé. Quelle générosité, quelle structure. Ce vin, comme Vega Sicilia Unico, combine richesse, puissance et fraîcheur mentholée. Un régal.
Lors de mes pérégrinations je suis arrêté par un petit groupe de quatre personnes dont un jeune chinois de haute taille qui me dit qu’en Chine je suis considéré comme une idole. Il ajoute que des milliers de mails s’échangent au sujet de ce que je raconte sur Instagram. Il ajoute qu’il serait honoré si je buvais le vin qu’il fait. Ceci se réalisera quelques heures plus tard lorsque je croiserai à nouveau leur groupe. Nous allons dans la salle où Frank Ramage gère la préparation des Masterclass. Le jeune chinois ouvre sa bouteille fermée par une capsule métallique et c’est un vin effervescent clairet qui est versé dans nos verres. Il explique que c’est un « champagne » fait sur une base de riesling. Frédéric Panaïotis, le maître de chais et directeur de la Maison Ruinart goûte avec moi et confirme le riesling. Comme moi il trouve le vin très pur et précis. Mais ce Domaine le Moodie Ba-Zing-Gaa ! Chine 2022 est tellement jeune qu’il manque de complexité. Elle n’apparaîtra que lorsque ses vignes auront vieilli.
Ce qui m’a plu, c’est l’enthousiasme de ce jeune vigneron chinois qui rêve de me recevoir en Chine.
Dans mes promenades, j’ai bavardé avec la nouvelle propriétaire du Château de Poncié qui appartenait auparavant à Bouchard Père & Fils et dont j’ai bu des millésimes canoniques dont un du 19ème siècle.
Je suis allé saluer le propriétaire de Chante Cocotte, un vin du Pays d’Oc. Cet homme très actif sur Instagram est d’une très grande érudition, d’un humour joyeux et communicatif et, ce qui ne gâte rien, ses vins sont de grande qualité, dont son Chante Cocotte vin du Pays d’Oc 2018 très subtil.
La Masterclass qui suit s’appelle « Le roi chambertin du domaine Trapet : le lieu, le style, le climat ». Jean-Louis Trapet est venu avec sa femme et ses deux fils. Il a apporté tellement de notes sur des sujets historiques qu’il a du mal à trouver ses feuilles et il pourrait raconter mille histoires s’il n’était freiné par l’horaire à respecter.
Jean-Louis dit que toute l’histoire depuis 1860 est un travail de famille. Il raconte les choix qui ont dû être faits à l’occasion du phylloxéra et rappelle que le 1893, d’un millésime très chaud, fut un éclatant succès.
Le Chambertin domaine Trapet 2020 a un nez très subtil et pur. En bouche il y a une belle attaque fruitée, toute en suggestion. Le fruit est beau et le vin est subtil. Il est encore en éclosion, mais il est plutôt ouvert pour un vin si jeune avec une belle intensité de fruits rouges.
Le Chambertin domaine Trapet 2015 a un nez de vin plus concentré. Il a beaucoup de rondeur et de cohérence. C’est un vin de douceur et d’élégance. Son finale est d’une grande finesse.
Le Chambertin domaine Trapet 2005 a un nez très élégant et pur. La bouche est large et gourmande. C’est un grand vin ensoleillé. Il a fluidité, charme et fraîcheur.
Le Chambertin domaine Trapet 1985 est servi en magnum. Normalement les vins sont vérifiés par le vigneron lui-même et par l’équipe de préparation de la dégustation. Le verre qu’on me donne a une fatigue qui est tout-à-fait anormale pour un 1985. Je veux aller voir en coulisse s’il existe un verre d’un meilleur magnum, mais dans ma précipitation je m’étale de tout mon long car j’ai ignoré une marche pour accéder à l’estrade. Rien de cassé heureusement. La femme de Frank Ramage me tend un verre en me disant qu’il est pire, mais je le trouve plutôt meilleur. Je dirai en fin de dégustation à Jean-Louis Trapet que je connais assez pour lui en faire la remarque que cette fatigue excessive est un problème de cave. Il en conviendra.
C’est dommage de ne pas avoir bu un grand 1985 mais cela n’enlève en rien à la dégustation des 2020, 2015 et 2005 qui montre à quel point le chambertin conçu par Trapet est un des plus subtils et émouvants qui existent.
Le Grand Tasting se termine toujours par une mise en valeur des brillants liquoreux de Bordeaux. La Masterclass s’appelle « Grands Crus classés de Sauternes et Barsac en 1855, dans les années solaires ». Ce qui est intéressant à signaler c’est que les six maisons représentées se sentent solidaires pour assurer la promotion de leurs vins que les jeunes boivent de moins en moins et leurs efforts ont dû payer, puisqu’ils annoncent que la demande est très forte et les prix en sensible hausse. Tant mieux pour ces vins de si grand plaisir.
Le Château Rayne-Vigneau 2016 présenté par Amélie Flé-Schultz a un nez parfait, une belle attaque saline. Le vin est d’un or clair limpide. La bouche est fraîche et d’un équilibre absolu.
Le Château Lafaurie Peyraguey 2015 présenté par Vincent Cruège est beau, mais moins cohérent que Rayne-Vigneau.
Le Château Coutet 2010 est un Barsac dont la famille Lur-Saluces a été propriétaire pendant deux siècles. Il a une bouche charmante marquée par la fraîcheur. Son style est tranchant et on sent du gingembre en fin de bouche. C’est un vin agréable et frais.
Le Château Doisy-Daëne 2009 présenté par Jean-Jacques Dubourdieu a un nez vif et clair. Très frais et fluide ce vin est très grand, gourmand et parfait.
Le Château Suduiraut 2005 présenté par Pierre Montégut a une couleur divine. Il est beaucoup plus foncé, d’un or doré (si l’on peut dire). L’attaque est d’une grande fraîcheur. Le vin est élégant et superbe, très riche et puissant.
Le Château Guiraud 2003 est présenté par Sandrine Garbaye qui vient juste d’entrer en ce château après tant d’années de réussite au château d’Yquem. Le nez est franc et discret. C’est le plus gras de tous, épais et solide mais s’adoucit à la dégustation.
Les plus frais et agréables à boire sont pour moi les 2016, 2010 et 2005, mais les six sont absolument superbes. Ce sont tous des vins extrêmement plaisants et gourmands, que l’on devrait trouver plus souvent sur les tables, à l’instar de ce que je fais dans mes dîners, puisqu’il y a toujours deux liquoreux en fin de repas.
Que dire de ce Grand Tasting ? C’est un rendez-vous incontournable pour les amateurs de vins, pour avoir accès à des vins qui se trouvent rarement dans les commerces de proximité. Les Masterclass sont intelligentes et bien organisées avec des commentaires pertinents. Les deux vins les plus mémorables que j’ai bus sont le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 en magnum, champagne magique et le spectaculaire Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Maison Hugel 1989. Mais j’ajouterai aussi le Champagne Dom Pérignon 2008 rosé, l’immense Vega Sicilia Unico 2010 et le Penfolds Grange 2018, trois belles émotions. Vive le Grand Tasting.
la Masterclass « le Génie du Vin »
le jeune vigneron chinois
la Masterclass domaine Trapet