Archives de l’auteur : François Audouze

Déjeuner impromptu dans ma cave mercredi, 10 mars 2021

Un ami vivant en Belgique voulait me voir. Je lui propose que nous déjeunions ensemble dans ma cave. Pensant qu’il repartira en voiture après notre déjeuner, je prends en cave deux champagnes et mon ami choisira l’un des deux. Le champagne est en effet le vin le plus adapté lorsque l’on a de la route à faire – en respectant bien entendu les règles en vigueur.

Ma collaboratrice va acheter des sushis, un camembert et des pâtisseries. Le choix est proposé entre le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 1989 et le Champagne Salon 2004. Après avoir discuté les avantages de chacun des deux, nous nous mettons d’accord sur le 1989.

Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 1989 a une jolie couleur d’un or clair. Le pschitt est dynamique, la bulle est active dans le verre est le parfum est noble, racé. En bouche, ce champagne est extrêmement confortable, direct, facile à comprendre ce qui n’est pas un handicap, au contraire. Ce champagne accompagne toutes les saveurs et on se sent bien.

On se sent si bien que la question arrive bien vite : faut-il ouvrir la deuxième bouteille ? Avec une hypocrisie toute masculine, nous convenons que le deuxième champagne doit être ouvert. Le Champagne Salon 2004 a un bouchon qui vient beaucoup plus facilement que ce que je redoutais et offre un pschitt guerrier. La couleur est clair, le nez est vif, la bulle très belle. Le premier contact avec ce champagne en ayant en bouche la mémoire du précédent est exceptionnel. Le Salon est vif, entreprenant, mais les traces de Veuve Clicquot lui donnent un coup de charme magique.

Sur les gorgées suivantes, il retrouve son caractère tranchant et sa noblesse. C’est un grand champagne qui est déjà agréable à boire. Il a un avenir magnifique devant lui.

On a donc deux champagnes complètement différents. Le Veuve Clicquot est un champagne de consensus, plaisant en toutes circonstances et le Salon est le panache blanc d’Henri IV à Ivry-la-Bataille dont il disait : vous le trouverez toujours au chemin de l’honneur et de la victoire.

Ce déjeuner impromptu, ce petit frichti, est particulièrement agréable. Mon ami m’a fait savoir qu’il était bien rentré chez lui.

247ème repas dans ma cave mercredi, 10 mars 2021

Peu avant le confinement de 2020 un ami m’avait demandé si je pouvais organiser un repas qui permettrait de mieux comprendre le monde de la Romanée Conti. L’idée m’avait plu. J’ai conçu un repas et des amis contactés désiraient y participer. Les conditions semblant réunies pour que le repas ait lieu, ce sera dans ma cave. J’avais annoncé que nous serions huit.

L’un des participants, ami de ma fille aînée, lui parle de ce repas et ma fille m’envoie un SMS : aurais-tu un strapontin pour moi ? Il faut que j’ajoute un vin mais aussi que je tienne compte de la situation pour que tout le monde soit satisfait. Je décide, sans l’annoncer, de remplacer La Tâche 1969 par une Romanée Conti 1969. Il y a évidemment un saut dans l’échelle des renommées.

Le repas aura lieu dans ma cave aussi je fais appel au restaurant Pages pour me proposer un menu « à emporter » qui conviendrait aux vins. Le jour venu, je me lève de bon matin pour être à pied d’œuvre dans la cave et commencer les ouvertures des vins dès 8 heures du matin. Les bouchons des jeunes vins de la Romanée Conti sont incroyablement serrés dans le goulot. Comprimés, ils ne sortent pas facilement et je ne suis pas sûr qu’une compression aussi forte soit un gage de limitation de la part des anges sur des décennies. Le parfum du Montrachet 2004 est une bombe de fragrances. Les nez les plus typés Romanée Conti sont ceux de l’Echézeaux 1995 et du Grands Echézeaux 1962.

Le vin que j’ai ajouté au programme est un Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1992 que j’ai voulu mettre en parallèle avec le Corton Prince de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2009 qui est le premier millésime du Corton Prince de Mérode vinifié par le Domaine de la Romanée Conti depuis qu’il a pris en fermage les trois cortons Prince de Mérode. Les deux nez des deux vins sont d’heureuses surprises, et celui de 1992 est particulièrement engageant.

Lorsqu’il s’agit d’ouvrir la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969 au beau niveau, je prends d’infinies précautions et le bouchon vient entier même s’il se déchire du fait du cylindre du goulot qui comporte des pincements. L’odeur est hélas assez terreuse et le vin aura bien besoin de se reconstruire pendant les cinq à six heures de son aération lente.

Le Lafaurie-Peyraguey 1926 a un niveau un peu bas et une couleur d’un marron-noir opaque. Le parfum est une merveille. Tout se présente bien sauf un petit doute sur la Romanée Conti.

Ma collaboratrice est en train de laver 90 verres et de préparer la mise en place de la table. Je numérote chaque verre de 1 à 10, et je place les verres devant chaque place, en trois rangées selon le schéma 4-3-3, comme au football.

Les deux champagnes sont ouverts vers 11 heures. Les deux bouchons se cisaillent lorsque je tourne le haut du bouchon, le Lanson se cisaille au niveau de la lunule du bas alors que celui du Mumm se cisaille juste en dessous du haut du bouchon. Aucun ne fait de pschitt et les parfums sont sympathiques.

Les amis arrivent, l’un d’entre eux ayant pris livraison des plats préparés par le restaurant Pages. Nous visitons la cave et ensuite nous passons à table. Le menu composé par Ken et son équipe est : Carpaccio de daurade grise, façon ceviche, taboulé de Quinoa / Shiitaké farci à la chair de saucisse / Chaud-froid de poularde à la truffe / Langue de bœuf confite, sauce gribiche / Pâté en croûte de Colvert et de foie gras, pistache / Roastbeef galicien au miso, riz assaisonné à l’oignon confit et jus de bœuf / Wagyu au Shui-Koji, ris de sushi, gingembre mariné / Mousse à la mangue.

Je sers en même temps les deux champagnes. Le Champagne Lanson Red Label 1964 a une couleur ambrée mais claire et aucune bulle n’apparaît, ce qui n’empêche pas de sentir un fort pétillant. Le nez du champagne est extrêmement expressif. En bouche il est glorieux. C’est l’expression aboutie d’un champagne solaire à pleine maturité. Il est gourmand et on le mâche comme une gourmandise.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 au contraire offre une bulle généreuse. Sa couleur est très claire, comme celle d’un champagne très jeune. Il est tranchant et vif, offrant une énergie extrême ainsi qu’une grande profondeur. Ces deux champagnes très dissemblables sont passionnants. Il sera difficile de les départager dans les votes. Le carpaccio de daurade est idéal pour ces champagnes. La force du Mumm m’impressionne, comme la maturité joyeuse du Lanson. Il s’agit de deux champagnes de très fortes personnalités.

Pour la saucisse et le champignon, l’envie est grande de boire le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004. Sa couleur est d’un bel or clair, le nez est tonitruant, riche et en bouche le vin est puissant, pur, parfait. On relève des traces sensibles de botrytis qui lui donnent du gras mais n’altèrent pas sa fraîcheur. L’accord avec le plat est magique et le vin représente la gloire du vin blanc de Bourgogne. Il est tout simplement parfait. Nous sommes tous émerveillés par sa largeur et sa présence. Avec le plat c’est un grand moment.

Le Corton Prince de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2009 a un superbe nez, très expressif. Sa vivacité est extrême. A côté de lui, le Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1992 au nez aussi expressif est plus assis, bourgeois. Il a des accents très convaincants, mais nous sommes presque tous plus sensibles au côté tranchant du 2009. Pour un vin jeune et qui n’est que le premier millésime fait par le Domaine, on peut dire qu’il offre beaucoup plus que ce que l’on pouvait attendre. Le 1992 ne fait pas pâle figure et s’il était seul, il serait largement apprécié.

Sur les plats suivants, la poularde, la langue de bœuf et le pâté en croûte nous ferons des allers et retours entre les vins rouges qui suivent et le Montrachet qui est capable de briller sur tous ces plats.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1995 a un nez qui est strictement ce que j’attends d’un vin du Domaine, vif, marqué par du sel. La couleur est clairette et le vin est vif et entraînant. Quelle belle entrée en matière dans le monde de la Romanée Conti.

A côté de lui, la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1992 fait beaucoup plus assise. C’est le sous-préfet au champ. Il a un bel équilibre, mais à côté du vibrionnant Echézeaux, il ne trouve pas le ton qu’il faudrait. Il est grand mais se concevrait seul pour qu’on en découvre toutes les subtilités.

La langue de bœuf ne peut se concevoir avec les vins que si l’on enlève la sauce gribiche, que je n’ai pas goûtée. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1962 est une pure merveille. Si l’on devait montrer ce qu’est l’âme de la Romanée Conti, on choisirait ce vin. Son parfum est de rose et de sel et le vin est d’une élégance rare, dosant ses amertumes et ses fraîcheurs de la plus belle des façons. Quel grand vin qui justifie ce repas et ce voyage. On ne s’y trompera pas car il obtiendra six places de premier sur neuf votes.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969 a perdu toute odeur de terre et se présente avec un parfum solide et avenant. Elle est plus trapue que le Grands Echézeaux, charpentée, cohérente mais n’a pas la flamme intérieure qu’elle devrait avoir, du moins à mon goût. Mes amis, dont la majorité découvrent leur première Romanée-Conti seront plus conquis par cette Romanée Conti que je ne le suis. Et le si sensible Grands Echézeaux ne lui rend pas service tant il est prodigieux.

J’assure le service de tous les vins et absorbé par cette tâche, je ne consulte pas le menu aussi il apparaît que nous avons fini les vins rouges alors qu’il reste à venir le roastbeef et le Wagyu. Je suis contrarié et perplexe, car quel vin rouge pourrait suivre après ces si beaux vins. J’envisagerais bien de ne pas servir les viandes, pour que l’harmonie du repas subsiste, mais mes amis ont de solides appétits. Alors je vais chercher un Magnum Vega Sicilia Unico 1998 que j’ouvre sur l’instant et ne sera pas noté dans les votes, car cela n’aurait aucune signification de le comparer avec les vins du Domaine.

Le vin espagnol est absolument délicieux, riche et spontané, avec ce finale mentholé que j’adore. Il accompagne idéalement les deux viandes servies froides. C’est un grand vin mais qui est en dehors de la logique des vins de la Romanée Conti.

Le Château Lafaurie-Peyraguey 1926 a une couleur incroyablement foncée. Son nez est riche et complexe et en bouche ce vin est un bijou. Quel bonheur, quel délice, et on voit qu’avec le Montrachet, les vins blancs, qu’ils soient secs ou liquoreux, quand ils sont au sommet de leur art sont des vins parfaits. Le gâteau à la mangue, si frais et fluide est idéal.

Le vote est difficile. Tous les vins sauf celui du Prince de Mérode 1992 ont eu des votes, soit neuf sur dix. Le Grands Echézeaux 1962 a six votes de premier et figure dans tous les votes. La Romanée Conti 1969 a deux votes de premier et figure dans huit votes sur neuf. Le Montrachet 2004 a une place de premier et figure aussi sur huit votes.

Le classement du consensus serait : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004, 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1995, 5 – Château Lafaurie-Peyraguey 1926, 6 – Corton Prince de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2009.

Mon vote est : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004, 3 – Château Lafaurie-Peyraguey 1926, 4 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969, 5 – Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979.

Nous étions évidemment seuls dans la pièce aussi les rires et les plaisanteries ont fusé de toutes parts. Jamais un repas n’a été aussi joyeux. Il faut dire que le programme avait de quoi susciter notre bonne humeur. L’un des participants est venu avec un Cognac Martell 1979 mis en carafe en décembre 2017 titrant 50°. La jolie bouteille de La Distillerie Générale, de 35 cl est arrivée très facilement à marée basse. L’alcool est classique, précis et facile à boire. Un beau plaisir.

Les accords mets et vins ont été réussis. La saucisse et le Montrachet est une merveille, comme le dessert si léger à la mangue avec le Lafaurie-Peyraguey. La poularde extrêmement tendre a épousé avec plaisir les deux Corton. Trois ou quatre vins de la Romanée Conti se sont montrés exceptionnels. Cette introduction au monde de la Romanée Conti qui constitue le 247ème de mes repas est une belle réussite.


les vins prévus avec La Tache 1969 et ci-dessous avec la Romanée Conti 1969 et avec un Corton 1992

on reconnait le Grands Echézeaux par le « X » visible

le Vega Sicilia Unico ouvert en cours de repas

les verres sur table

le cognac apporté par un ami

les votes


Krug 1982 lundi, 1 mars 2021

Cela fait un mois que j’ai quitté le sud pour m’occuper en région parisienne de sujets que l’on ne peut pas traiter à distance. Ma femme est restée dans le sud où l’hiver est moins rigoureux. Après le déjeuner réussi avec des amis dans ma cave, j’ai envie de faire la surprise à ma femme en la rejoignant le lendemain sans lui dire.

Dans ma précipitation je ne trouve pas les clefs de la maison du sud. Je serai donc obligé d’annoncer ma venue puisque je me présenterai à l’huis sans doute vers 22 heures. Le voyage est sans histoire mais traversant Lyon aux alentours de 18 heures un vendredi je peux constater les conséquences du couvre-feu à 18 heures : des encombrements spectaculaires vers certaines directions comme celle de Vienne.

A la sortie de Toulon, je suis les indications de mon GPS et je suis arrêté à un poste de contrôle par des gendarmes du respect du couvre-feu. Une jolie gendarmette (ou gendarme.e si l’on veut être inclusif) me demande mon attestation de dérogation de déplacement. Je lui avoue que je n’en ai pas mais que je viens de faire 800 kilomètres pour rejoindre ma femme et que je peux le prouver. Décontenancée, la gendarmette hésite, puis me dit : « bon, allez-y », ce qui prouve que les sentiments humains ne sont pas morts.

Le lendemain il faut célébrer nos retrouvailles et j’ai envie de le faire bien. Mon choix est d’un Champagne Krug 1982, champagne que j’adore d’une année que j’adore.

Nous mangeons un foie gras de canard délicieux et le Champagne Krug 1982 montre un épanouissement exceptionnel avec une noblesse rare. C’est l’aristocratie absolue du champagne. J’i un amour particulier pour les champagnes de 1982, dont Krug, Salon et Dom Pérignon sont des merveilles. Des linguines aux dés de saumon sont gourmands mais moins pertinents que le foie gras. Qu’importe, ce champagne est un amour.

246ème repas de wine-dinners dimanche, 28 février 2021

Un ami fidèle de mes dîners veut faire plaisir à deux de ses amis dont un que je ne connais pas. L’autre invité a participé à plusieurs dîners. Mon ami m’a signalé que l’un d’eux adore les vins du Jura et que l’autre adore les Vega Sicilia Unico anciens. Mon programme en tiendra compte.

L’organisateur de cette rencontre qui sera le 246ème de mes repas, a fait élaborer un menu par David Toutain, du restaurant éponyme, dont les repas à emporter jouissent d’une belle renommée dans le Paris gastronomique. Ce menu est ainsi conçu : pomme de terre en robe des champs – crème au genévrier – caviar Daurenki / carpaccio de Saint-Jacques, choux fleur & truffe noire / carpaccio de chevreuil, sauce aigre doux & croustillants / raviole de topinambour & jaune d’œuf, sauce pain grillé / Parmentier de lièvre, salade de mâche / Comté grande garde de Bernard Antony / tartelette.

De très bon matin, vers 8 heures, je commence à ouvrir les vins. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988 a un bouchon qui vient facilement, même si le goulot n’est pas parfaitement cylindrique. Le parfum est discret mais évoque déjà les subtilités du vin.

Le Vega Sicilia Unico 1966 a un bouchon qui se brise en trois morceaux mais sort entier. Le parfum est puissant, d’une folle énergie et d’un charme extrême. Le Château Chalon Jean Bourdy 1945 a un bouchon que je soupçonne d’avoir été habité par un petit asticot qui n’a pas dû aller très loin. Le nez de noisette est très pur.

Le bouchon du Château de Fargues 1967 vient entier comme c’est très souvent le cas pour les sauternes, son parfum est d’une rare distinction.

Le programme du menu comportant des entrées plus adaptées aux champagnes et vins blancs qu’aux rouges, j’ajoute au programme que j’avais annoncé un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998 que j’ouvre tout de suite après les vins. Le bouchon est superbe et le pschitt est bien là. Le nez est engageant et conforme à ce que j’attendais. Pour extirper le bouchon du Champagne Salon 1985, j’utilise un casse-noix qui permet de décoller le bouchon serré du goulot. Le parfum est intense et le pschitt brillant.

Ma collaboratrice prépare la table qui jusqu’alors n’a servi qu’à des repas sur le pouce. Aujourd’hui, le décorum s’impose. Les trois convives arrivent ensemble et l’organisateur apporte les mets du repas. Pendant que tout se prépare, nous faisons la visite de cave puis nous remontons pour l’apéritif.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998 a gagné en largeur en prenant quelques années de plus. Sa maturité croissante lui va bien. C’est un champagne rassurant, subtil et confortable, grand ami de la gastronomie. Je sers le Champagne Salon 1985 en même temps et on se rend compte que ce sont les pommes de terre qui conviennent le mieux aux deux champagnes. La vivacité du Salon 1985 est enthousiasmante. Quel grand champagne. J’attendais le caviar sur les deux champagnes, surtout le Salon, mais c’est la pomme de terre qui reçoit nos compliments.

David Toutain a rajouté au menu des oursins superbes avec le Salon, qui montre une tension idéale. Le chou-fleur est idéal pour les deux champagnes.

Alors que le Château Chalon Jean Bourdy 1945 était normalement prévu sur le comté, j’ai voulu qu’il puisse jouer la partition des champagnes, dont il est un compagnon aux atouts complémentaires. Il est grand et solide et sa noix n’est pas tonitruante. Il n’a pas d’âge car les vins jaunes sont éternels. Idéal sur l’oursin, il brille sur le caviar.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988 a un nez raffiné qui laisse entrevoir un sel subtil. En bouche il montre la solidité de son caractère mais il ne se met pas en avant. Il préfère suggérer qu’imposer. Le carpaccio est superbe et intense et ce sont les petits croûtons qui créent un lien naturel avec le vin. Je l’aime beaucoup mais il joue un peu trop la discrétion alors qu’il a été ouvert il y a près de cinq heures.

La raviole de topinambour convient au Château Chalon.

Le Vega Sicilia Unico 1966 a un parfum qui explose de fruits. Il est d’une jeunesse étonnante. En bouche, c’est du plaisir pur, gourmand, juteux, au finale mentholé tonitruant. Sur le Parmentier de lièvre, il est glorieux.

Le comté a un affinage idéal, c’est-à-dire pas trop ancien. Le vin du Jura prend des forces à son contact. Nous nous apercevons qu’à tout moment il y a eu au moins un vin qui créait un accord idéal sur cette belle cuisine d’un des chefs les plus talentueux de Paris.

Le Château de Fargues 1967 est d’une belle élégance, avec très peu de gras et une belle longueur. Il joue sur la finesse plus que sur l’affirmation. La tartelette me donne alors l’occasion de faire une surprise à mes amis. Le Madère vers 1740 est toujours aussi brillant, riche gras, opulent et indestructible. C’est avec ces convives qu’il aura donné ses dernières gouttes. Il aura marqué de nombreux repas de sa perfection. Pour mes amis, c’est un choc car n’étant pas prévenus, boire un vin de 280 ans, cela bouscule toutes les idées reçues. Que de vérités sont remises en cause par la jeunesse et la complexité de ce vin irréel.

Mon deuxième cadeau de fin de repas est le fameux calvados dont je suis amoureux fou. L’un des amis est féru de calvados. Il n’en revient pas de constater que ce calvados puisse être aussi bon, aérien tout en offrant une belle puissance. Un alcool époustouflant.

Nous sommes quatre à voter pour les six vins et les deux alcools. Les alcools vont fausser la donne car mes trois amis mettent le Madère 1740 premier de leurs votes. Je ne le mets pas premier car je persiste à être envoûté par le calvados.

Le vote du consensus est : 1 – Madère vers 1740, 2 – Calvados inconnu, 3 – Château Chalon Jean Bourdy 1945, 4 – Vega Sicilia Unico 1966, 5 – Champagne Salon 1985.

Mon vote est : 1 – Calvados inconnu, 2 – Madère 1740, 3 – Vega Sicilia Unico, 4 – Champagne Salon 1985, 5 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988.

De beaux accords ont illuminé ce repas amical à quatre. Tous les vins ont brillé et le feu d’artifice fut tiré par les deux alcools finaux. Ce fut un grand repas.


Programme initial

programme modifié par l’ajout du Henriot

j’ai oublié de photographier l’oursin avant de le manger !

Déjeuner chez des amis samedi, 27 février 2021

Je suis invité chez des amis de longue date, de plus de quarante ans. Sur de délicieuses gougères cuites à la perfection par le maître de maison nous buvons un Champagne Le Mesnil Grand Cru Prestige 2006 élaboré par l’union des propriétaires récoltants du Mesnil-sur-Oger. Mon ami me rappelle que c’est grâce à mes récits qu’il est allé se procurer ce champagne, car lors d’une invitation à la Saint-Vincent des vignerons du Mesnil, j’avais été impressionné par ce champagne de coopérative. Et c’est vrai que ce 2006 est particulièrement bon, vif, précis, cinglant. Un grand champagne de plaisir. Il faut dire que mon palais est particulièrement réceptif au charme des champagnes du Mesnil.

Le plat principal est de joue et queue de bœuf aux légumes. J’ai apporté un Château Tertre Daugay Saint-Emilion 1961. Il est particulièrement brillant, d’une grande densité et d’une cohérence impressionnante. Avec ce vin on sent que l’on boit « du grand » et cela tient aussi au millésime exceptionnel. On remarque au passage qu’un vin de soixante ans peut paraître d’une jeunesse folle. C’est la magie du vin.

De son côté, mon ami a ouvert au dernier moment un Châteauneuf-du-Pape Domaine de la Petite Gardiole 1972. Si le premier verre est un peu imprécis, je suis très impressionné par la rapidité avec laquelle ce vin s’améliore et devient d’un charme sensuel très extraverti. C’est un vin de bonheur, quand le 1961 est un vin de grandeur. Et les deux cohabitent parfaitement.

Pour le dessert sophistiqué à base de chocolat, nous aurons deux vins que tout sépare, un Banyuls Grand Cru Castell des Hospices 1982 de Domaines et Chateaux du Roussillon, agréable et souple, et un Champagne Reflet de Terre de J.M. Tissier sans année de Chavot-Courcourt qui n’apporte pas l’émotion du blanc de blancs du début.

J’ai pu profiter de la chaleureuse amitié de ces amis de longue date. Les deux rouges et le champagne du Mesnil ont été superbes.

Mon coach et sa fille samedi, 27 février 2021

J’ai la chance de bénéficier des bons services d’un coach qui me rend visite trois fois par semaine depuis l’apparition du Covid-19 car mon agenda n’est pas en surchauffe dans ces périodes de confinement. Nous avions commencé les séances il y a 22 ans à un rythme de deux par semaine. Il se trouve que le premier rendez-vous que nous avons pris pour savoir si nous travaillerions ensemble est le jour où sa fille est née. Il a abandonné femme et enfant pour me rejoindre à la terrasse du Fouquet’s. A certaines occasions, j’ai fait des petits cadeaux à sa fille, mais je ne l’avais jamais rencontrée. Père et fille sont invités dans ma cave pour déjeuner. Il y aura des sushis et autres petites choses légères.

En cave j’ai choisi un champagne de l’année de Gisèle, un Champagne William Deutz 1999. Ce champagne est agréable, simple à comprendre et franc. C’est un compagnon idéal pour un déjeuner de sushis. En faisant les courses, le dessert avait été oublié. J’ai, par hasard, un Kouign-Amann qui se trouvait là. Toute l’absence de calories excessives des sushis est plus que compensée par ce délicieux dessert breton. Le champagne a su l’adopter.

Gisèle a de beaux projets qu’elle nous a racontés. Ce déjeuner impromptu m’a ravi.

Nouveau déjeuner dans ma cave samedi, 27 février 2021

Le lendemain du déjeuner avec mon ami, je reçois à nouveau l’écrivain du vin car il nous restait des sujets à aborder. Il reste suffisamment de chaque vin pour égayer un repas simple fait d’un carpaccio de viande de bœuf, d’un délicieux foie gras de canard et d’un camembert.

Le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937 est aussi vif que la veille, avec une belle plénitude que donne l’âge, et je pense qu’il s’est élargi par rapport à ce qu’il offrait hier.

La Roussette de Savoie Marestel Altesses Dupasquier 2002 est encore plus glorieuse qu’hier. Je n’en reviens pas de voir ce vin aussi puissant, large et conquérant. C’est un vin de force et de charme, à la longueur infinie.

Les deux Bordeaux rouges vers 1880 sont tout aussi brillants que la veille et ce qui m’étonne c’est que le plus fragile des deux, moins brillant hier et au niveau plus bas dans la bouteille paraît aujourd’hui plus fringant. Mon hôte prend conscience que des vins de 140 ans peuvent avoir une vivacité insoupçonnée et je me rends compte que pour des déjeuners dans ma cave je pourrais ouvrir les bouteilles la veille puisque l’effet de l’oxygénation lente perdure beaucoup plus longtemps que les quatre heures que je m’impose.

Mon nouvel ami avait apporté des pâtisseries tellement gavées de sucre qu’aucun vin ne pouvait les accompagner.

Repas d’amis dans ma cave dimanche, 21 février 2021

Pendant le semi-confinement que s’imposent les gens de mon âge, les occasions de revoir des amis sont rares. Il faut bousculer les barrières. J’invite à déjeuner un ami amateur de vin en faisant un partage des responsabilités : il prend en charge le menu et je fournis les vins.

Mon ami fait appel à Hideki Nishi, le chef étoilé du restaurant Neige d’Été. M’attendant à un repas qui ne serait pas forcément orienté vers les vins, je cherche en cave ce qui sera ouvert, en suivant mon instinct. En errant dans les allées, je vois une bouteille de champagne Mumm Cordon Rouge 1937 qui me semble un bon début. Le niveau n’étant pas parfait, une bouteille de sécurité s’impose. Ce sera un Krug.

Connaissant l’ouverture d’esprit de mon ami, j’ai envie d’ouvrir une bouteille de Roussette de Savoie, car les vins de Dupasquier m’avaient fait il y a quelques années une très forte impression. Va pour un 2002.

Il y a dans ma cave plusieurs zones de bouteilles illisibles dont une case d’une trentaine de bouteilles soufflées et de formes diverses. Je choisis quatre bouteilles dont deux ont des niveaux très bas et des couleurs de vin très pâles, comme si le vin était dépigmenté et deux bouteilles au niveau très haut et à la couleur riche et intense. J’en choisirai deux sur les quatre. Ce sera un saut dans l’inconnu.

Il se trouve qu’un grand nombre de bouteilles de cette case ont autour du goulot une écharpe de papier adhésif avec des photos de chiens d’aveugles et cette mention :  »les Amis des Aveugles ». Et ce qui m’agace, c’est que je n’arrive pas à me souvenir d’où proviennent ces bouteilles. Et la référence aux aveugles ne me dit rien non plus.

Pour les vins de dessert, nous verrons plus tard. Je reçois le menu après avoir fait ces choix : pomme Dauphine / croquemonsieur à la truffe / carpaccio de langoustine et caviar osciètre / tataki de sériole au caviar / kama de sériole / pâté en croûte de ris de veau, foie gras et canard de Challans / Menchi-katsu avec la sauce demi-glace / poulette en demi-deuil, sauce cancoillotte au vin jaune et à la truffe, légumes de saison / baba au rhum au chocolat, compotée de banane, chantilly de chocolat.

A la lecture c’est surtout le dessert qui m’a fait sursauter, mais nous nous adapterons.

Alors que d’habitude je ne rejoins mon bureau dans l’immeuble où il y a ma cave que vers 10 heures, pour éviter les heures de pointe, c’est à 7h30 que je suis déjà sur place pour ouvrir les vins. Parmi les quatre bouteilles anciennes sélectionnées j’en choisis deux opposées, une au niveau bas et au vin clairet et une au très beau niveau et au vin sombre.

La bouteille basse a un bouchon dont le haut est dur comme du béton. Le bouchon se déchire, ce qui arrive presque toujours avec les bouteilles soufflées dont le goulot n’a pas un cylindre parfait. Quel n’est pas mon étonnement de sentir que le vin est prometteur. Alors que j’étais prêt à ne pas retenir cette bouteille à risque, voilà que son parfum annonce un vin probablement intéressant. Je sens des petits fruits rouges sympathiques.

La bouteille de haut niveau a un bouchon qui vient encore plus en charpie que le premier. Le parfum est une magnifique promesse. De ce que je ressens de la forme des bouteilles, des bouchons, des odeurs, il me semble que ces deux vins de Bordeaux pourraient être de Pauillac et d’une année autour de 1880. Et il me semble que ces vins sont parmi les plus grands de l’appellation, du moins le meilleur des deux vins. La Roussette de Savoie Marestel Altesses Dupasquier 2002 a un bouchon qui vient sans problème. Son parfum est explosif de puissance et richesse aromatique tendue. Il m’impressionne.

Les vins étant ouverts, je dresse la table pour le déjeuner et vers midi trente, j’ouvre le champagne. Le haut du bouchon se cisaille à la torsion et le bas du bouchon est sorti au tirebouchon. Le champagne est âgé évidemment, mais ses fragrances sont encourageantes.

Mon ami arrive chargé de nombreux paquets, car tous les plats sont intelligemment présentés, prêts à être dressés. Je verse le champagne pour que nous trinquions. La couleur est ambrée et le parfum est intense et puissant. Il annonce de belles complexités. Le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937 montre à la première gorgée une forte amertume mais je préviens mon ami : dès que l’on aura mangé un amuse-bouche cette amertume disparaîtra. Les amuse-bouches de l’apéritif sont d’un grand raffinement. On sent que le chef a du talent. Et comme par miracle, il n’y a plus de traces d’amertume. Le champagne ne peut trahir son âge mais il est très agréable et surtout d’une belle complexité. C’est un beau champagne âgé, joliment ambré, c’est-à-dire peu. Et il montre ses qualités gastronomiques sur les saveurs délicieuses et variées des premières bouchées d’apéritif. Le carpaccio de langoustine est superbe.

Sur la sériole crue, j’ai envie que nous passions à la Roussette de Savoie Marestel Altesses Dupasquier 2002. Quelle divine surprise. Le vin est impérial. Il est vif, cinglant, avec des notes minérales et citronnées et il pourrait jouer dans la cour de plus grands rieslings. Je suis sous le charme de ce vin à l’empreinte forte. Son amplitude mérite le respect. Ce qui est intéressant, c’est que le caviar ne s’impose pas dans le duo avec la sériole. Il apporte son sel mais ne vole pas la vedette au délicieux poisson. Et le vin est idéal.

Nous l’essayons aussi sur la tête de sériole présentée cuite, à la chair gourmande. L’accord est là aussi parfait.

Pour le pâté en croûte, le moment est venu de boire les rouges. Le premier Bordeaux rouge vers 1880 est clairet et sa couleur est plus jolie que ce que je redoutais. Le nez est agréable, discret et finit pas une belle évocation de fruits rouges. En bouche, il ne montre aucun défaut. Il n’est pas très expressif mais il se boit bien, avec un joli finale de fruits rouges. Jamais je n’aurais imaginé qu’il se présenterait aussi bien et c’est celui des deux qui s’accordera le mieux au pâté en croûte.

Le second Bordeaux rouge probablement Pauillac vers 1880 a une couleur nettement plus foncée, sans aucun tuilé. Il y a même un beau rouge sang sur le bord du disque. Le parfum intense est noble. On sent un grand vin et l’hypothèse Pauillac est plausible. Le vin est riche, d’un grand équilibre. Il est serein et noble. Et ce vin n’a pas d’âge. Si on disait qu’il est de 1961, personne ne pourrait le contredire. Cela prouve une fois de plus le pouvoir de l’oxygénation lente pour régénérer des vins très anciens. Les deux vins rouges se comportent avec une belle flexibilité pour accompagner les saveurs pertinentes de tous les plats et des fromages ajoutés par mon ami. Il y a un fort écart entre les deux rouges mais ils sont adaptés tous les deux.

Pour les dessert au chocolat, le vin qui s’impose est le Madère vers 1740 toujours aussi magistral et d’une rare richesse. Et je fais goûter à mon ami le calvados distillé par le père d’un des chauffeurs de camion de ma société, qui bénéficiait du privilège de bouilleur de crus. Il est à se damner.

Nous votons et mon ami classe ainsi : 1 – le plus sombre des Bordeaux vers 1880, 2 – Madère vers 1740, 3 – Marestel Dupasquier 2002.

Mon vote est : 1 – le calvados qui me rend fou, 2 – Marestel Dupasquier 2002, 3 – le plus sombre des Bordeaux vers 1880.

Bien que le menu ait été connu après mon choix de vins, nous avons réussi à ce que tous les accords soient superbes. Les plus beaux sont pour moi le Marestel 2002 avec la sériole crue au caviar et le carpaccio de langoustine avec le Mumm 1937.

Des repas d’amitié comme celui-ci sont de véritables trésors.


les vins sont choisis dans ces cases non inventoriées

le beau repas

les belles couleurs

Saint-Valentin par procuration mercredi, 17 février 2021

Les hasards du calendrier font que ma femme et moi ne serons pas ensemble pour la Saint-Valentin. Nous utiliserons les liaisons téléphoniques ou internet pour nous souhaiter tout le bonheur possible. Seul pour respecter ce rite, je choisis un champagne que je considère promis au plus grand avenir, Dom Pérignon 2008. Et rien ne pourrait mieux l’accompagner que du caviar osciètre prestige Kaviari, associé à deux éléments essentiels, une baguette croustillante et du beurre. Ensuite il y aura le sacrosaint gâteau en forme de cœur, aux tons de fruits rouges comme le sang du cœur.

Le Champagne Dom Pérignon 2008 est absolument fantastique. L’image qui me vient est celle de d’Artagnan impulsif et courageux. Car ce champagne est vif et entraînant. Il a une énergie farouche. Mais comme d’Artagnan à la Cour, le champagne sait aussi être raffiné et galant.

La deuxième image qui me vient est celle de Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe, qui est sauvage et séducteur. Ce champagne qui deviendra une référence absolue est déjà un champagne accompli, comme l’a été le Château d’Yquem 2001, merveilleux dès les premiers jours.

Le sel bien dosé du caviar excite le champagne qui pétille de joie. Le gâteau est très conventionnel, mais il faut jouer le jeu. Il me semble que nous aurons à faire un dîner d’amoureux pour rattraper cet éloignement inopportun.

Déjeuner dans mon petit musée vendredi, 12 février 2021

Un ami journaliste m’a suggéré de rencontrer une personne qui a écrit sur le vin dans une perspective historique. L’idée me vient de l’inviter à déjeuner dans le local où se trouve ma cave principale et la grande salle où reposent les plus belles bouteilles que j’ai bues. Il y a de quoi parler d’histoire.

En consultant sa fiche Wikipédia, je peux lire qu’il est né en 1948. Ayant envie de faire un repas avec des sushis, car mes capacités culinaires voisinent le zéro absolu, je cherche un vin de 1948 qui pourrait s’accorder avec les mets prévus. Un Vin Jaune d’Arbois 1948 pourrait faire l’affaire. Pour avoir une autre solution, je cherche dans mes fichiers un champagne de 1948 mais il n’y en a pas. Ce doit être une année difficile à trouver et je n’ai bu que deux champagnes de ce millésime. Je me porte vers l’année 1949 et je choisis un Champagne Pommery 1949.

Mon invité arrive vers midi et nous commençons par une visite de cave. Nous allons ensuite dans la salle musée si on peut l’appeler comme cela, où nous allons déjeuner. Le menu sera : tarama à la poutargue / dos de saumon fumé / sashimi de thon / sashimi de thon épicé / riz / camembert / tarte aux pommes. Je propose de choisir le vin et nous concluons rapidement que ce sera le champagne.

Le Champagne Pommery 1949 est ouvert au dernier moment. A mon grand étonnement le bouchon en s’extirpant délivre un joli pschitt montrant que le vin a du gaz. La couleur est joliment ambrée d’un ambre clair. Le parfum est pur. En bouche, il y a une légère amertume, ce qui est normal, qui va disparaître avec le temps mais surtout avec les mets.

L’accord avec le tarama est superbe, car mets et vin se complètent, l’insistance de la poutargue rendant le champagne très vif. Le champagne n’est pas le meilleur ami du saumon qui aurait mieux profité du vin d’Arbois. L’accord avec le thon est entraînant. Le champagne est un peu strict, droit et il nous séduit par ses complexités. On voit que le champagne ancien développe une palette gustative infinie et plus riche qu’un champagne jeune.

Nous parlons, nous parlons et il faut se rendre à l’évidence, il faut ouvrir autre chose. Comme la suite est un camembert, il faut un champagne plus jeune. Je vais chercher en cave un Champagne Dom Pérignon 1985. Ce qui m’étonne c’est que le 1985 est d’un ambre presque aussi prononcé que celui du 1949. Je ne m’y attendais pas. La bulle est belle et le Dom Pérignon est manifestement plus expressif que le Pommery. Il est aussi beaucoup plus ensoleillé et joyeux. Masculin et affirmé, il rayonne. Avec le camembert qu’il faut prendre sans pain, l’accord est idéal.

Le 1985 cohabite bien avec la tarte aux pommes. Et j’ai envie que mon hôte goûte un peu du Madère vers 1740 que j’ai déjà ouvert il y a quelques mois. La couleur est magique, si vive et brillante avec des notes de pierres précieuses marron comme l’agate. En bouche ce vin est un miracle, porteur d’éternité. Complexe, joyeux, solide et indestructible, c’est un moment de pur bonheur.

Ce repas fut un moment précieux et pour moi une libération. Depuis un an j’ai vécu une sorte de confinement avec bien sûr des moments de joie et de partage, mais aussi le sentiment du danger. Il doit être possible d’utiliser cet endroit pour organiser des repas aussi joyeux et gratifiants. Un détail amusant. J’ai publié des photos des vins sur Instagram et un lecteur attentif a constaté que la bouteille de Pommery 1949 a été habillée d’une couronne princière pour célébrer le mariage du Prince Rainier et de Grace Kelly le 19 avril 1956. Je ne l’avais même pas remarqué !