Je dois organiser un dîner un peu particulier pour un ami : il veut que ce soit avec ses vins (je ne fais pas ici d’avis aux amateurs, car mes dîners sont plus volontiers à base de mes vins). Il fallait que je comprenne ses intentions. Comme le Général de Gaulle en son temps, je les ai comprises. Ce sera à l’Ecu de France, car ma description du lieu lui avait plu. Je viens livrer sur place les vins en donnant des instructions de stockage. Comme l’insecte nocturne attiré par la lumière, je demande à me remémorer la carte des vins. Telle la pieuvre impardonnable celle-ci me happe. Je demande qu’on me prépare trois bouteilles pour le lendemain. Le piège redoutable de cet endroit qui était mon étape secrète avait de nouveau fonctionné.
J’arrive à l’Ecu de France avec ma fille cadette et son mari. Le Meursault Genévrières Comtes Lafon 1989 carafé depuis plus d’une heure a une belle couleur, presque un peu trop dorée. Le nez est majestueux, mais en bouche c’est la surprise : l’attaque est franche, puis le vin s’évanouit en un final bancal. Je fais goûter au sommelier qui confirme cette platitude. Je fais ouvrir pour le remplacer un Château Haut-Brion blanc 1975 qui met quelques secondes à s’ébrouer puis nous gratifie de toute sa belle race. Il aura des moments de pur bonheur par la précision légendaire de sa construction, mais lui aussi semble donner son message au travers d’une cellophane de protection. Le Musigny G. Roumier 1990 a depuis l’ouverture, selon ce qui m’est dit, caché son nez qui reste timide. En bouche on imagine la grandeur d’un beau Musigny mais on imagine seulement. Le vin reste coincé. Et on aura la même discrétion pour l’Hermitage de Chave 1990 à qui j’offrais une occasion de revanche. Beau nez, mais bouche partielle. Pourquoi aucun de ces vins ne s’est-il livré comme il eût dû ? J’ai pensé à la cave, mais une visite après le dîner me confirma qu’elle est bien saine et a traversé le froid actuel sans dommage. Est-ce mon palais qui serait embrumé ? Non, puisque le sommelier et Monsieur Brousse confirmèrent mes avis. Je hasarderais volontiers que les vins n’aiment pas cette période prolongée de neige et qu’ils ont voulu bouder. Est-ce cela ? La compensation vint fort heureusement de la cuisine, car la tarte aux truffes abondantes, la sole parfaitement cuite et l’agneau de lait au romarin très goûteux comblèrent notre palais. Trois Rhums Neisson goûtés à l’aveugle et fort bons ne firent pas oublier que des vins que je révère ne furent pas, ce soir là, au rendez-vous qu’ils avaient.