Le château Bastor Lamontagne, sauternes délicieux, a eu l’heureuse idée de lancer une invitation à goûter un nouveau sauternes sur des accords audacieux. C’est l’éternelle question de sortir les liquoreux des accords convenus dont celui de "sauternes et foie gras", qui est une anomalie gastronomique, puisque l’on joue gras sur gras. Le programme annoncé est osé, ce qui éveille mon intérêt. Le lieu est le restaurant Le Jaja, situé au fond d’une petite cour d’un immeuble du 4ème arrondissement. Le lieu est sympathique, le personnel est accueillant. Le restaurant a été privatisé pour la circonstance. Le sauternes qui est l’objet de la dégustation est le SO de Bastor Lamontagne 2010, différent du sauternes Bastor Lamontagne classique, et vinifié sur les premières manifestations du botrytis.
Le vin est un très joli sauternes, expressif, avec de délicates notes de fruits confits et une mâche agréable. Il se boit bien à cet âge de bambin. Sur un saumon presque cru, le SO domine et finit sur une mauvaise amertume, mais à la deuxième gorgée, l’amertume disparait. Je remarquerai, au long de ces dégustations, qu’un accord improbable au premier essai se domestique au second, le palais s’accoutumant à l’audace. J’essaie le même saumon avec des algues salées et l’accord est pertinent, car le sel fait apparaître le sucré du sauternes sans l’alourdir.
Dans l’essai avec le céviche à l’orange en zestes, c’est de loin l’orange qui domine. A la première gorgée, le sauternes est effacé. A la deuxième, l’accord devient assez joli. Bien sûr, le vin est transpercé par le zeste mais ça lui va bien. Avec la Ricotta et œufs de saumon, l’accord n’est pas naturel. Il ne se trouve pas.
Arrive alors le Château Bastor Lamontagne 2009, superbe de générosité, promis à un vieillissement magnifique. Même avec cette bête de concours, l’accord ne se trouve pas avec la ricotta. Avec l’aubergine au contraire, le sauternes domine, mais il est mis en valeur. Quelle idée d’avoir flanqué le stilton de légumes fortement vinaigrés ! Il faut goûter le stilton seul, qui produit un accord classique, moins multiplicateur que l’aubergine et surtout que des œufs brouillés à l’oursin, absolument en phase avec le vin. Couleur sur couleur, une fois de plus !
Un canard servi façon gravlax irait bien avec le SO si l’on enlevait la sauce et les herbes vertes qui gâchent le tout. Dans une coque de fruit de la passion, une crème de kiwi et fruit de la passion crée un accord fabuleux avec le 2009. C’est l’accord le plus gourmand. Au contraire, le sorbet à l’orange sanguine ne va pas. Michel Garat, directeur de ce beau château envisage de formaliser un repas au sauternes sur la base de ces accords à affiner encore, mais dans ce bel esprit. Si ceci se met en place, on peut supposer qu’il connaîtra un beau succès et rajeunira l’image du sauternes à table. C’est tant mieux !