Mon fils vivant à Miami gère les sociétés que j’ai dû ne plus gérer lorsque j’ai pris ma retraite. Il arrive à Paris. Nous dînerons tous les deux seuls à la maison. J’ai envie d’ouvrir un vin du domaine de La Romanée Conti et je jette mon dévolu sur un Grands Echézeaux 1983. Au début du repas ou plutôt du grignotage, nous avons le choix entre quatre champagnes mis au frais. Ce sera un Dom Pérignon 1996.
Le Champagne Dom Pérignon 1996 a un superbe bouchon de grande qualité. La bulle est active. La couleur n’a pas de signe d’âge. Le nez est tellement actif qu’il plante le décor : on est dans la noblesse et l’intensité. Et la bouche confirme. La première impression est celle d’une race immense. Le vin est vif, avec des fruits romantiques et une jolie intensité qui fait claquer le champagne en bouche. C’est un grand champagne totalement assumé : il joue juste et il le sait.
Comme nous sommes deux sans cuisiner, on n’opposera au champagne que du jambon italien en fines tranches, du foie gras et un saucisson sec. Mais en fait, l’accord se trouve sur du pain avec du beurre, car le gras du beurre excite le pétillant du champagne.
Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1983 me surprend car jamais je n’aurais attendu autant de fruit dans le parfum de ce vin. Alors que 1983 n’est pas une année puissante, ce vin est tonitruant, ce que je n’attendais pas. Je retrouve dans ce parfum le côté salin que j’aime tant dans les vins du domaine de la Romanée Conti.
En bouche, tout est parcheminé. Il y a des évocations d’armoires anciennes, qui inondent les narines dès qu’on ouvre la porte, mais il y a aussi de la puissance, une force vinique rare, et un côté patiné plein du charme des vins anciens. Boire ce vin, c’est voyager dans l’irréel, dans les sensations rares où les bois exotiques abondent. Jamais je n’aurais vu ce 1983 aussi expressif. Il est essayé avec des fromages de chèvres, de brebis et de vaches, mais c’est vraiment seul qu’il délivre la beauté de son message fait d’énigmes en couches successives tant il joue sur des registres inatteignables de bois exotiques et de salinités subtiles. Encore une fois, jamais je n’aurais imaginé ce vin à ce niveau de complexité.
Nos discussions n’en finissent pas aussi fait-il un peu soif. J’ouvre un Champagne Cristal Roederer 1983, de l’année du Grands Echézeaux. C’est amusant qu’il y ait des synonymies entre les deux 1983. Car il y a des aspects de bois flottés dans le Cristal. C’est un grand champagne, beaucoup moins charmeur et flatteur que le Dom Pérignon 1996, mais très racé, claquant en bouche, avec des évocations de bois marins. C’est un champagne vif. Grignoter ainsi avec mon fils en recréant le monde, que demander de mieux ?