Jeremy Seysses du domaine Dujac m’avait parlé depuis plusieurs mois de la volonté de sa famille de faire une verticale du Clos Saint Denis. Les Seysses sont propriétaires du domaine depuis 1968 et leur premier millésime est le 1969. La parcelle du Clos Saint Denis est de 1,45 hectare, avec des vignes plantées à diverses périodes, d’un âge moyen de 45 ans. Les invités à cette dégustation sont Clive Coates, dégustateur réputé des vins de Bourgogne et écrivain, Jean-Emmanuel Simond journaliste et organisateur d’événements autour du vin, et moi, en plus de Jacques, Jeremy et Alec Seysses. Nous serons rejoints en cours de route par Michel Magnien et Guillaume d’Angerville, deux vignerons amis des Seysses. Nous sommes installés dans le salon de la maison de Jacques et de temps à autre, Rose et Diana, épouses du père et de l’aîné des deux fils viendront nous encourager.
Mes notes sont prises à la volée et comme je le fais chaque fois, je n’en changerai rien, même s’il est apparu par la suite, du fait du réchauffement dans le verre, que le commentaire mériterait d’être nettement plus laudatif.
La première série comporte les Clos Saint Denis Dujac 2009, 2008, 2007, 2006.
Le vin le plus foncé est le 2009, le plus clair étant le 2007. Au nez, le 2009 est très riche, le 2008 est plus marqué par le soufre, le 2007 est plus bourguignon et le 2006 est plus calme et élégant.
En bouche, le 2009 est gourmand, précis, chaleureux. Un vin que l’on a envie de boire. Il est marqué par la cerise rose, le final est de feuille verte. C’est un très joli vin. Le 2008 est plus incertain, plus rêche, moins joyeux. J’y vois du tabac et des fruits secs. Le 2007 est un joli vin dans sa fraîcheur. J’aime. Il est quetsche, cerise marinée, et son final est profond. Le 2006 est plus neutre, plus fermé, à attendre, car il va bien évoluer.
A ce stade, je classe : 2009, 2007, 2006 et 2008, mais cela va changer avec le temps, car je trouve que le 2006 a un final diablement prometteur.
Au deuxième examen, le 2009 est un très grand vin qui promet. J’écris « impérial ». Le 2007 est un vin de fraîcheur, très différent mais très plaisant, à boire comme un vin de plaisir. Le 2006 est carré, on le sent prêt à bondir dès qu’il aura sa maturité. Le 2006 a un final superbe. Le 2008 s’améliore, mais son final soufré qui disparaîtra est aujourd’hui ingrat. Je classe : 2009, 2006, 2007 et 2008. Jacques et Clive aiment beaucoup le 2008. Le 2009 est un vin de gourmandise à ce stade de sa vie.
La série suivante est Clos Saint Denis Dujac 2005, 2002, 1999 et 1998
La couleur la plus profonde est celle du 2005, les 1998 et 2002 sont les plus clairs. Le nez du 2005 est superbe et riche en alcool. Le 2002 a un nez qui n’est pas très structuré. L’alcool ressort. Le 1999 a un nez superbe de vin élégant. Il y a dans le 1998 un peu de gibier.
En bouche, le 2005 est assez gourmand, velouté. Il n’est pas encore totalement assemblé, mais le final est joli. C’est un grand vin. Le 2002 a une bouche légère, fluide, très agréable. Il se boit bien. C’est un vin plus simple mais charmant. Il ne faut pas en attendre une grande longévité et profiter de son final très bourguignon. Le 1999 est un vin de belle structure épanoui et serein. Il ne s’impose, pas, il est là. C’est l’archétype du grand vin serein au final très précis. A ce stade, il partage la vedette avec le 2009. Le 1998 est très fruité, joyeux, gourmand. J’aime beaucoup. La différence avec le 1999 se fait sur le final plus précis pour le plus jeune. A ce stade et sur ce que je bois, je classe 1999, 1998, 2005, 2002.
Au deuxième passage, le 2005 montre qu’il sera dans le futur un grand vin car le final est très prometteur mais il n’a pas en ce moment l’ampleur qu’il promet. Le 1999 n’atteindra peut-être pas le niveau du 2005 dans vingt ans, mais il a pour moi aujourd’hui le charme des vins anciens. Le 1998 est gourmand. Il faut en jouir maintenant. C’est une belle surprise. Le 2002 est un vin plaisant, moins complexe, mais très agréable aujourd’hui. Mon classement final est 2005, 1999, 1998 et 2002.
Nous faisons un point rapide à ce stade et le 2006 que j’ai aimé est moins aimé par d’autres et Jacques Seysses le défend. Le 1999 est jugé un peu sec par certains, alors que c’est un grand vin, confirmé par tous.
La troisième série est : Clos Saint Denis Dujac 1996, 1995, 1993, 1991.
Les couleurs sont très proches, les nuances dépendant – comme souvent – du niveau de remplissage du verre. Le nez du 1996 est absolument superbe. Celui du 1995 est joli, les nez des 1993 et 1991 sont plus discrets mais délicats.
En bouche, le 1996 est très doux, charmeur, délicat. C’est un vin de jouissance au final un peu rêche. Il est très bourguignon. C’est un vrai velours. Le 1995 est dans la même ligne, un peu plus strict et moins gourmand mais joli aussi et très bourguignon. Il a un très joli final boisé. Contrairement à mes compères, je décroche assez nettement avec les 1993 et 1991, plus faibles et plus évolués. Mon classement est : 1996, 1995, 1991 et 1993.
Au deuxième tour, les 1995 et 1996 sont très proches en termes de plaisir aussi fais-je passer le 1995 devant, le classement final étant : 1995, 1996, 1991 et 1993. Jacques Seysses défend son 1991 qui a demandé de sa part des trésors d’ingéniosité, dont une cueillette grain par grain pour certaines parcelles, pour sauver cette année climatiquement difficile.
La quatrième série est composée de grands millésimes : Clos Saint Denis Dujac 1990, 1985, 1980 et 1978.
Les vins sont plus clairs et légèrement tuilés. Ils sont d’un beau rouge clair. Le nez du 1990 sent le soufre. Celui du 1985 est un peu trop évolué. Celui du 1980 combine le nez des deux précédents et c’est le 1978 qui a le nez le plus charmant et le plus bourguignon.
En bouche le 1990 est assez strict et peu expansif. Je suis plutôt déçu par rapport à mon attente. Il est trop strict par rapport à de belles promesses que l’on sent dans le final qui est velouté. Le 1985 est meilleur en bouche. J’adore son côté déjà évolué. Il n’est peut-être pas le plus Dujac des Clos Saint-Denis que nous buvons, mais il est grand. Le final est moins tonitruant, avec des accents d’alcool que le milieu de bouche et cela altère un peu le compliment que je lui ferais. Le 1980 est un joli vin classique, montrant plus d’âge que son millésime. Le final est agréable. Le 1978 en première approche ne me paraît pas assez précis. C’est un beau vin mais certains aspects de gibier me dérangent. Un deuxième 1985 est ouvert, plus pur, plus précis, de belle matière, qui expose du fruit dans le final.
Je m’amuse à faire un saut historique en goûtant le 2005 qui donne après le 1985 le plaisir d’un vin joyeux. Et avec le 2009, on atteint le grandiose. Et, pour faire bonne mesure, je refais le chemin inverse en goûtant le 1978 qui devient encore plus grand qu’au premier contact, avec des fruits bruns bien exprimés et une rare longueur. Mon classement est : 1978, 1985, 1990 et 1980.
Le 1990 est grand, et deviendra grand mais à ce jour il est coincé. Sans doute à boire dans vingt ans, ce dont tous mes compères, notamment les vignerons, ne sont pas convaincus. Le 1985 est gourmand mais au final strict maintenant. Le 1978 est un vin noble, raffiné, au final beaucoup plus racé.
Que conclure de cette dégustation ? D’abord le Clos Saint Denis Dujac est un grand vin. Ensuite, il vit à plein l’effet millésime, la variation entre les années étant sensible, ce qui ne me déplait pas. On note que les vins les plus récents sont gourmands, précis, de belle facture. Des années comme 2005 et 2009 dans les vins récents sont de véritables pépites. Mais les 1996, 1995, 1985, 1978 sont des vins remarquables.
En ayant ainsi une vision instantanée de seize millésimes, on sent l’âme du Clos saint Denis qui est une âme très pure et très sincère. C’est assurément un grand vin, à suivre aussi bien dans les années récentes que dans les beaux millésimes du passé. Alors que mon palais est habitué aux vins anciens, je donnerais quand même la palme aux vins les plus récents.
Pour nous refaire le palais, un champagne Pol Roger 1996 est le bienvenu. Le juger n’aurait pas de sens tant notre palais a été sollicité, mais il se boit avec grande envie et grande soif. Nous passons à table où un déjeuner superbe conçu par un chef dijonnais talentueux (quelle viande !) nous permet de boire à table les vins que nous avons dégustés en salle. Et on s’aperçoit que le saut gustatif est colossal quand ces vins sont bus avec de beaux mets. Et le clou, c’est le Clos de la Roche Dujac 1969, un vin sublime, tout-à-fait bourguignon, tellement beau et tellement séduisant dans son approche surprenante et envoûtante que j’y succombe par pure gourmandise.
Dans une ambiance familiale, avec une organisation en douceur où rien ne nous a été imposé ou suggéré, nous avons pu faire le point sur un grand vin, attachant dans les petites années, et superbe dans les grandes années. Merci à la famille Seysses de réussir de beaux vins.