Départ aux Etats-Unis pour retrouver un ami collectionneur. Le voyage débute dès Roissy, où l’on peut prendre la mesure des effets du gigantisme. Dès que l’on est enregistré après avoir serpenté dans les files d’attente, ce ne sont pas moins de huit contrôleurs qui vérifieront successivement que nous sommes bien porteurs de titres de voyage et de papiers d’identité conformes au chemin que nous suivons. Autre signe : lorsque les portes de l’avion se ferment après vérification de la présence de tous les voyageurs, il nous faudra une demi-heure avant que les roues de notre avion ne quittent le macadam. L’humanité reprendra le dessus avec notre steward, jovial, drôle même, qui égaye notre voyage par des remarques souriantes, naïves parfois mais d’une grande gentillesse. Les repas qui sont servis dans le ciel, au lieu de prendre de la hauteur, sont d’un morne horizon. Et les vins que l’on propose, qui ont peut-être plu à l’acheteur de la compagnie aérienne pour leurs prix attractifs, sont un rempart contre la propagation de l’alcoolisme, car on n’y touche pas. Faut-il absolument manger cantine quand on est transporté par une compagnie française ?
Les formalités douanières sont conformes à leur réputation, pour montrer que l’entrée dans le paradis du Far West se mérite. L’arrivée sur San Francisco en taxi est riche d’impressions et d’évocations. Nous entrons à l’hôtel Mandarin Oriental où le chef concierge s’adresse à moi comme si j’étais l’empereur de Chine. Il risque quelques mots en français, du meilleur chic, et tout dans l’accueil est ici feutré, policé, motivé et concerné. Notre chambre d’angle, au 39ème étage a deux fenêtres qui regardent vers le centre ville et une autre qui offre en spectacle le Golden Gate Bridge ainsi que la baie de San Francisco et Alcatras. Le luxe fait du bien.
Il faut du temps pour accorder l’heure biologique à l’heure locale. Et nous ne sommes pas aidés par une alerte au feu qui se déclenche vers 3 heures du matin. Quand on est au 39ème étage, les réflexions ne sont pas les mêmes, et l’on ne peut s’empêcher de penser au 11 septembre. Le temps de trouver ce que j’emporterais avec moi, je me retrouve dans le couloir quand l’on annonce fausse alerte. Si l’alerte avait été réelle et avait entraîné une panique, ma lenteur aurait conduit à graver mon nom sur un mémorial.
Golden Gate, Japanese Tea garden, Union Street shops, Lombard Street et ses rues serpentines, Union Square où l’on prend un café, et soudain, le ciel vrombit. Pendant trois heures, tous les avions les plus rapides de l’armée de l’air, et les antiques avions de voltige vont sillonner le ciel dans un vacarme étourdissant. Revenus dans notre chambre nous assistons à des exercices de voltige extraordinaires, en préparation d’une grande parade qui aura lieu dans quelques jours. Nous sommes aux premières loges pour contempler ce spectacle frissonnant. Voir des simulacres d’attaques de buildings pourrait paraître de mauvais goût, mais l’Amérique est ainsi faite.
Nos amis arrivent au même hôtel, où ils séjourneront avec nous, bien qu’ils habitent dans le voisinage. C’est une preuve certaine d’amitié, et une sage précaution en prévision de ce que l’on va boire.
Nous invitons nos amis à dîner au restaurant de l’hôtel Mandarin Oriental. C’est ici même que nous avions dîné il y a un peu plus d’un an avec cet ami, sur Cristal Roederer 1949 et Mouton-Rothschild 1926. Le jeune chef avait fait alors un repas admirable. Celui de ce soir marque une baisse sensible de qualité. Une huître perd son âme sur une mousse trop épicée, des coquilles Saint-Jacques sont en procédure de divorce avec la garniture trop épicée à base d’avocat (seared scallop, crab carbonara, smoked avocado). Le bœuf de Kobe japonais, traité de façon classique (Japanese Kobe beef skirt steak, sunchoke puree), est parfait. Le dessert (pear cake, buttermilk panna cotta, shiso green apple sorbet) crée une rupture gustative qui tue les vins. Et l’après dessert à base de chocolat chaud et de bière brune fait crier au secours un palais chaviré.
J’ai manqué de réactivité en ne renvoyant pas un champagne Krug Grande Cuvée trop amer et acide. Je m’en ouvris trop tard au chef sommelier qui visiblement n’avait pas envie de reprendre ce vin. Les deux grands moments furent d’une part le Corton-Charlemagne Vincent Girardin 2003 absolument délicieux, goûteux, expressif, d’une belle définition et d’une longueur appréciable. Ce vin élégant a beaucoup de qualités. L’autre fut le Clos de Vougeot Grand Cru domaine Méo Camuzet 2002, bourgogne d’un charme particulier et d’une authenticité remarquable. Ce vin accompagne le bœuf avec une fidélité exemplaire. Au moment des retrouvailles après nos agapes d’il y a cinq mois, marquées par un Mouton 1945 et un Pol Roger 1921, on ne retiendra que ces deux vins, le blanc et le rouge, au plaisir certain.