Il y a longtemps que nous n’avions pas fait de Casual Friday. C’était surtout avec Gérard Besson que nous en faisions car sa connaissance des vins permettait de choisir un menu pertinent, tenant compte des apports variés des convives.
Je contacte quelques amis et une table se forme. La surenchère des générosités fait qu’un des amis pense raisonnable que nous fassions deux repas avec ce qui est proposé. Nous déciderons sur place.
J’arrive un peu avant 11 heures du matin au restaurant Maison Rostang pour ouvrir les vins que chacun a apporté la veille et ouvrir les miens.
Je commence par ouvrir le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1967 qui a un niveau assez bas. Le bouchon est très abîmé. Les odeurs sont assez incertaines mais le vin peut s’améliorer.
Le Chambertin 1966 de Louis Latour qui n’a qu’un an d’écart avec le Richebourg montre un bouchon extrêmement sain et un parfum brillant. Quel contraste entre les deux.
Le Chablis Montée de Tonnerre 1989 a un parfum magnifique et intense. La Côte Rôtie La Mouline 1980 a un parfum plus discret mais prometteur. J’ouvre ensuite le Krug Private Cuvée des années 1960 et à ma grande surprise le bouchon m’a presque échappé des mains tant le pschitt m’a montré sa puissance. Le bouchon était d’une forte noirceur de saleté, mais une fois essuyé, le parfum est apparu remarquable.
Le parfum de l’Yquem 1962 est tonitruant.
Jérémy le sommelier fidèle qui a fait tant de dîners avec moi ouvre un magnum de Veuve Clicquot. Le nez est frais et cinglant.
Les amis arrivent, l’un d’entre eux ayant prévenu qu’il serait en retard. Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1990 est d’une vigueur extrême, tranchant comme un sabre japonais. Il a encore beaucoup de signes de jeunesse et donnerait envie qu’on le garde encore en cave. Il est très grand.
Le Champagne Krug Private Cuvée années 60 est sur un tout autre registre. Tout en lui est rond, charmeur, délicieux. Quel charme, quelle noblesse. Ce champagne est d’un plaisir infini.
Il est servi sur des coquilles Saint-Jacques à peine poêlées en même temps que le Chablis Montée de Tonnerre Premier Cru Jean-Marie Raveneau 1989. Sa puissance est extrême ainsi que sa noblesse. Il s’exprime beaucoup plus en grand cru qu’en premier cru. C’est le chablis parfait.
Nous avons maintenant des quenelles de brochet et ce ne serait pas opportun de les associer à un bourgogne. Jérémy ouvre le Pétrus 1996 d’un des amis et nous sommes ravis. Il est dans un état de maturité idéal car il est fringant comme un jeune gamin tout en ayant acquis une belle opulence. C’est manifestement la belle expression d’un Pétrus jeune de 27 ans.
Trois vins sont servis ensemble, un Richebourg, un Chambertin et une Côte Rôtie. Je suis face à une situation étonnante. Alors que je suis très sensible au nez de bouchon que je détecte aisément, je ne sens aucun nez de bouchon de la part du Richebourg, alors que tous mes voisins de table l’ont détecté. J’essaie de le trouver puisque mes amis insistent, mais je ne le ressens pas. Comment est-ce possible ? La seule solution serait qu’ayant tellement envie que le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1967 brille, je cherchais tous les indices positifs en omettant tout ce qui gênerait ma découverte. Il est vrai que ce Richebourg est fatigué. J’ai reconnu quelques émotions typiques, mais pas de quoi m’émerveiller. Pourquoi n’ai-je pas ressenti le nez de bouchon, ni en bouche, mystère.
Le Chambertin Cuvée Héritiers Latour Louis Latour 1966 est d’une grande élégance, fluide et délicat. Sa fraîcheur est celle d’un chambertin plus jeune de trente ans. C’est un plaisir de le boire sur un lièvre à la royale que beaucoup autour de cette table considèrent comme l’un des plus grands qu’ils aient mangé. Alors que le lièvre est puissant sans être marqué par un goût de gibier, l’association avec le vin subtil est très agréable.
La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1980 est une superbe Mouline tempérée, intense mais sans excès. J’ai ressenti un finale qui n’est pas très précis que mes amis n’ont pas détecté. Nos palais n’étaient pas au même diapason pour deux vins. La Mouline est grande et probablement la plus adaptée à la puissance du lièvre. Un régal.
Piqué au vif par la contreperformance du Richebourg, j’ouvre impromptu un Châteauneuf-du-Pape Réserve des Chartes Léopold Ranc 1947. Tout le monde me taquine pour ma religion de l’oxydation lente car ce vin ouvert à la dernière minute est absolument exceptionnel, encore plus adapté que les autres au lièvre et aux fromages. Bien évidemment des vins ont d’emblée un équilibre royal et l’oxygénation lente est justifiée pour ressusciter des vins au réveil lent. Ce vin est d’un charme fou et d’un équilibre rare, suave, charmeur et velouté. L’année 1947 est exceptionnelle pour beaucoup de région dont les vins de Châteauneuf. L’époisses est divin avec ce vin.
Pour le Château d’Yquem 1962 à la belle couleur encore peu ambrée il y aura deux fromages à la pâte bleue, un irlandais et un français. La maturité de ce liquoreux est parfaite. On dirait volontiers que c’est le gendre idéal.
Le soufflé au Grand Marnier est associé à un Champagne Dom Ruinart rosé magnum 2007. Ce champagne est idéal pour le dessert et pour éviter d’être poignardé par l’alcool qui noie généreusement le dessert. C’est un rosé très subtil et de grande personnalité promis à un bel avenir.
Nous avions dit au début du repas que nos apports méritaient d’être répartis sur deux repas plutôt qu’un. Comme nous avons bu l’équivalent de douze bouteilles pour six convives, il va falloir regarnir les réserves pour le prochain Casual Friday de janvier.
Si j’utilise la notation PIME PAME PUME (performs inside my expectation or above or under) je dirais que les PAME, surprises au-dessus de mes attentes sont, sans ordre : Krug Private Cuvée, Chablis Montée de Tonnerre 1989, Pétrus 1996, Chambertin 1966 et Châteauneuf 1947. Cela fait beaucoup de belles surprises, qui n’excluent pas les belles performances plus attendues d’autres vins.
Dans une ambiance joyeuse, nous avons lancé un beau coup d’envoi aux réjouissances de Noël.