Le guide Michelin a frappé très fort. Il reprend la main. Juger le guide serait faire preuve de tout ce que je reproche aux amateurs de vins qui se sentent investis d’une mission : juger les vins, et de surcroît, juger les juges. Si Robert Parker a osé donner 97 à un vin qui ne le mérite pas, aux yeux de notre amateur qui se croit compétent, si Michel Bettane a osé oublier un vin absolument sublime, ils sont voués aux gémonies.
Je ne tomberai pas dans ce travers, car le guide Michelin est une œuvre humaine. Et je ne peux pas prétendre que mon goût est universel et serait supérieur à celui du guide. Tout au plus puis-je dire que le goût du guide correspond ou ne correspond pas à mon goût dans certains cas.
Je remarque une chose qui mérite l’intérêt. Les restaurants parisiens où se trouvent les trois plus brillants directeurs de salle ont perdu une étoile.
– Jean-Claude Vrinat est « le » directeur de salle (qu’il soit aussi propriétaire ne change rien) exemplaire. D’un accueil distingué, il a l’œil sur tout et fait de sa maison le modèle absolu du service.
– Philippe Bourguignon a un charme inégalable, une intuition parfaite, et considère chaque table comme la table de ses amis. Il donne à la salle une atmosphère unique.
– Eric Beaumard, le plus fantasque des trois, conteur truculent, qui vous raconte un vin à la Frédéric Dard, ensoleille une salle aux ors pesants.
Si l’on se souvient de Claude Terrail, le directeur de salle aussi célèbre dans le monde entier que la Tour Eiffel, on voit que le guide n’aime pas beaucoup les restaurants où le directeur de salle « fait » la personnalité du lieu. Ce n’est certainement pas un hasard.
Est-ce à dire que la cuisine y serait malmenée ? C’est à chacun des clients de ces lieux de se faire son opinion. Je crois en avoir une certaine expérience, mais mon goût est le mien. Une chose est sûre, c’est que la perte de l’étoile n’est pas « que » le fait du chef. La dernière des erreurs serait que la décision du guide divise les équipes. Elle doit au contraire les souder. « On ne change pas les équipes qui perdent » quand ce n’est pas une vraie perte. On réfléchit, et on reprend calmement le sujet.
Il se trouve que j’ai fréquenté récemment des tables comme l’auberge les Morainières à Jongieux, le Bec Fin à Dôle, l’hôtel des Roches à Aiguebelle. Dans chacun de ces lieux, un jeune chef plein de talent mérite une étoile. Il l’a eue, et je l’avais souhaitée dans mes bulletins. Tant mieux.
Mais les retrouver au même niveau que Laurent, non. Ce « non » n’est pas une critique du guide, mais l’impression d’une limite. Il manque une nuance.
Des jeunes qui montent, inventifs, doivent être encouragés. Mais les mettre tout de suite au niveau de Laurent, Patrick Pignol ou Gérard Besson ? Je ne crois pas que cela représente une réalité.
Une autre remarque concerne des chefs dont j’ai souvent dit dans mes propos : « avec tel plat, il vaut trois étoiles ». Je les apprécie, je vante leur talent. Mais que reste-t-il à Yannick Alléno et Frédéric Anton si on leur donne déjà la Grand Croix de la Légion d’Honneur ? Quand, à cet âge, le seul horizon possible n’est que de descendre, puisqu’on est au sommet, quelle frustration après la légitime fierté !
Dernière remarque : c’est la perte d’une étoile qui m’a attaché à Gérard Besson en qui j’ai trouvé un chef amoureux des vins anciens et raffiné. Même chose pour Jacques Le Divellec au cœur gros comme ça. Mon attachement à un restaurant reste fondé sur mon appréciation plus que sur celle d’un guide.
Mais le guide Michelin est une institution irremplaçable, qui a bien fait de créer l’événement par des choix audacieux. Que chacun continue de faire ce qu’il doit.