Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

167ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen vendredi, 22 mars 2013

Le 167ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. Lorsque j’avais fait les photos des bouteilles il y a une semaine, avant de livrer les vins au restaurant, j’avais trouvé que l’aspect de deux d’entre elles pouvait laisser penser à des problèmes. J’ai donc rajouté deux bouteilles plus une qui sera une sécurité supplémentaire. Les deux bouteilles ont été rajoutées sur le menu, mais pas la troisième dont l’ouverture n’est envisagée qu’en cas de nécessité.

A 17h30, tout a été préparé dans le beau salon Cariatides 1, d’où l’on voit l’Obélisque et son casque d’or au dessus des cimes des arbres du jardin qui conduit directement du restaurant à la Place de la Concorde. A l’ouverture, le bouchon du Carbonnieux blanc 1955 s’émiette. La Tâche 1950 a sur le sommet du bouchon une odeur de terre et le parfum du vin me soucie, comme celui du Macon blanc. Il s’agit des deux bouteilles qui m’inquiétaient la semaine dernière.

Le vin que j’ai un peu rapidement appelé Echézeaux Joseph Drouhin 1947 du fait de lambeaux d’étiquette qui ressemblent aux lambeaux d’étiquettes de plusieurs vins que j’ai en cave de cette maison est difficile à identifier. La capsule indique : Cave du restaurant la Bourgogne. Sur l’étiquette je peux lire que la fin du nom du vin est « …ES ». Deux idées me viennent : Bonnes-Mares, ou Nuits Cailles. J’exclus Pernand-Vergelesses et Auxey-Duresses, à cause de la taille des caractères. Le bouchon est beau et me rappelle ceux des Nuits Cailles 1915. Le nez du vin est magnifique. Je goûte un peu du vin et je serais tenté d’imaginer une très grande année ancienne. Dans mon hypothèse, je conçois bien un Bonnes-Mares 1929. Ça ne restera qu’une ébauche d’idée.

Ayant fini d’ouvrir les bouteilles annoncées aux inscrits et les deux supplémentaires, je pourrais estimer qu’avec treize vins dont deux fatigués, nous avons assez pour dix personnes. Mais j’ai furieusement envie d’ouvrir la bouteille qui ne figure pas sur les menus imprimés par le restaurant. Je compte un, deux, trois et hop, c’est parti et je me félicite car le parfum du vin est absolument diabolique. Ce vin est extraordinaire. J’annonce au sommelier qu’il faudra le faire boire à l’aveugle, pour que la surprise de mes amis n’en soit que plus grande.

Tous les convives sont à l’heure, ce qui est agréable, dont quatre, venant de province, sont largement en avance. L’un d’entre eux a soif et veut commander un champagne. Je lui explique qu’il y a quatorze vins au programme, mais il a envie et commande un Champagne Taittinger Comtes de Champagne 2004. Le champagne est très agréable, déjà joyeux malgré son jeune âge que l’on ne ressent pas. Les amuse-bouches sont absolument délicieux et de grand talent. Une bulle iodée présentée sur une cuiller en bois donne un coup de fouet magistral au champagne qui devient plus rond. Dans les amuse-bouches il y a une nouveauté, une bille noire à la truffe avec un eau iodée. C’est goûteux et original.

Le menu créé par Christian Le Squer est : huître de pleine mer au naturel / oursin au goût iodé / asperges vertes truffées, sauce mousseline / sole de ligne, concentré de sous bois / selle d’agneau de lait grillée au charbon de bois / toast brûlé d’anguille, réduction de jus de raisin / stilton / chocolat noir au lait de caramel.

Le Champagne Dom Ruinart 1990 est très bien mis en valeur par le Taittinger. Il est épanoui, solide, carré et l’huître est peut-être un peu trop goûteuse pour lui, l’excitant bien, malgré sa force. Ce champagne serein est une belle réussite de l’année 1990.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1973 a une personnalité plus affirmée et une complexité plus grande, même si la qualité du vin de base n’égale pas celle du Ruinart. L’oursin est exceptionnellement délicat et l’accord qui se crée est fusionnel. Il y a une vraie continuité entre le champagne et l’oursin. Nous démarrons très fort.

Sur les asperges au goût intense nous aurons trois vins blancs et je fais comprendre à demi-mot que deux d’entre eux sont difficiles.

Le Macon blanc Reine Pédauque 1934 que j’ai daté ainsi en l’absence d’étiquette d’année est plutôt des années 40. Il est fortement madérisé, ce qui serait acceptable s’il avait du charme. Il en manque.

Le Montrachet Robert Gibourg 1992 a une couleur trop ambrée. Le vin est passé, marqué par une oxydation excessive. C’est dommage, car 1992 est une grande année. Mais le plaisir n’est pas là. On aurait pu attendre qu’il se présente un peu comme un vin jaune, mais il ne le veut même pas.

Fort heureusement, le Château Carbonnieux blanc 1955 a tellement de charme qu’il en a pour trois. Sa couleur est d’un jaune citron comme celle d’un vin de dix ans. Et son goût est au même diapason. Le nez est très expressif, profond et le goût est complexe, délié, riche. Les asperges excitent bien les deux blancs de Bourgogne mais c’est inutile d’insister. Le charme est du côté du blanc de bordeaux qui gagne par K.O.

Lorsque j’avais lu « concentré de sous bois » pour le plat de sole, je n’imaginais pas qu’il s’agissait de morilles aussi ai-je peur de l’accord avec les deux bordeaux. Mais en fait cela fonctionne plutôt bien, la sole étant d’une cuisson parfaite. Le nez du Château Mouton-Rothschild 1964 est impérial, conquérant et d’une justesse exemplaire. C’est la promesse d’un vin de première grandeur. Le goût est rassurant, celui d’un Mouton très joyeux, mais n’atteint pas la divine caresse du nez. C’est un très beau vin.

La couleur du Château Brane-Cantenac 1928 surprend tout le monde tant elle est rouge sang. Le vin de la cave Nicolas est d’un accomplissement exemplaire. Qui dirait qu’il a 85 ans ? C’est le gendre idéal, celui auquel on ne trouve aucun défaut, poli, causeur, charmeur mais aussi profond. C’est un vin plus grand encore que le Mouton.

Sur la selle d’agneau, qui est un parfait accompagnateur, nous avons quatre vins de Bourgogne servis en même temps, l’une des bouteilles étant cachée par une « chaussette ». Le Vosne Romanée Les Beaumonts Charles Noëllat 1961 est un bourgogne de bonheur. Fait par un grand vigneron dans une grande année, il a l’équilibre que l’on demande à un vin de Bourgogne. Il n’est pas très canaille et joue sur son côté rassurant.

Hélas, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950 n’est pas au rendez-vous. Le plat l’aide un peu mais le vin est fade, sans énergie. Quel dommage, car ce devait être la vedette de ce repas.

Heureusement, le vin annoncé comme Echézeaux Joseph Drouhin 1947 et qui est peut-être un Bonnes-Mares 1929 est une merveille. Puissant, beaucoup plus que le 1961, il envahit le palais. Alors, on pense bien sûr qu’il a pu être aidé par des apports de vins du sud. Mais le résultat est concluant. C’est un beau vin, riche, plein en bouche, au final très long. Un beau bourgogne comme on les faisait en ce temps là.

Le suspense de la dégustation à l’aveugle ne dure pas longtemps, et on découvre l’étiquette du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956. Le nez de ce vin est tellement Romanée Conti que c’en est presque la réponse à une question de cours. C’est l’archétype du parfum des vins du domaine. Et en bouche c’est un festival de roses, de sel avec une subtilité et un dosage comme j’en ai rarement rencontrés. Cette année 1956, jugée faible dans les annales, donne ici un vin superlatif, au final inextinguible. Je tombe sous le charme, heureux que les trois bourgognes délicieux compensent La Tâche éteinte.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 est stupéfiante de jeunesse après ces vins anciens, et elle explose sa joie de vivre. Mais ce qui est le plus enthousiasmant, c’est la continuité gustative invraisemblable avec un plat que j’adore, celui de l’anguille. C’est un accord phénoménal puisqu’on ne sait plus qui est le vin et qui est l’anguille. Ce vin montre une performance au dessus de ce qu’on imaginerait d’un 1993.

Ce que le Richebourg offrait dans la suggestion de son parfum, celui de Château Climens Barsac 1949 affirme. Ce nez est digne d’un parfumeur. La richesse de l’abricot des coings confits et autres fruits oranges imprègne les narines. Et le vin est tout simplement glorieux. Quand un sauternes est grand, il est impérial. Le très bon stilton va bien, mais il n’est pas nécessaire, tant le Climens à la robe d’un or noble se suffit à lui-même, insolent de grâce, dans les plus beaux fruits oranges.

Le Banyuls Grand Cru Cuvée du Président Henri Vidal 1956 est un aimable banyuls qui tient bien sa place sur le dessert dans sa simplicité rassurante.

Il est temps de voter. Chacun des dix participants donnera ses quatre préférés. Neuf vins reçoivent des votes, ce qui est une belle diversité et quatre vins ont des places de premier : Brane-Cantenac 1928 et Richebourg 1956 quatre fois chacun, le Carbonnieux 1955 et le Bonnes-Mares 1929 chacun une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Brane-Cantenac 1928, 2 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956, 3 – Château Carbonnieux blanc 1955, 4 – Bonnes-Mares 1929, 5 – Château Climens Barsac 1949.

Mon vote est : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956, 2 – Château Climens Barsac 1949, 3 – Bonnes-Mares 1929, 4 – Château Carbonnieux blanc 1955.

Il y a eu deux accords exceptionnels, tant le plat et le vin ont réagi pour créer une fusion entre eux. C’est l’oursin avec le champagne René Lalou 1973 et l’anguille avec la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993. La cuisine a été de très haut niveau, avec des saveurs d’une justesse rare. Le service a été très attentionné. La bonne humeur régnait autour de la table.

Le meilleur des goûts de ce dîner, c’est celui de r

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Ça y est, le diner de Romanée Conti en « 9″ est lancé mercredi, 9 janvier 2013

Le 21 février 2013 on boira Romanée Conti 1899, 1919, 1959, 1989, 1999 plus quelques autres vins. L’intérêt pour ce dîner est très grand, mais généralement, c’est surtout de la curiosité, car on veut savoir combien ça coûte. Il y a aussi déjà des inscriptions fermes.

Le dîner est maintenant sur orbite. On s’inscrit. C’est le moment !

164ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent samedi, 24 novembre 2012

Le 164ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. La taille du groupe a changé à plusieurs reprises, entraînant le changement du salon du premier étage. Entre le salon chinois, plus petit, et le salon lambrissé, mon cœur balance vers les boiseries élégantes à la française. Quand j’arrive à 17 heures, nous sommes chinois. A 18 heures, grâce à Jean-Marie Ancher, nous sommes lambrissés. Il est des opérations du Saint-Esprit qu’il vaut mieux ne pas discuter.

Selon la tradition, j’ouvre les vins. Le parfum du Pétrus 1979 est d’une rare séduction. Il est plus riche que je ne l’aurais imaginé. En enlevant la capsule du Gazin 1959 je vois l’inscription sur le haut du bouchon : "rebouché en 1998". Il se trouve que je n’aime pas les bouteilles reconditionnées car cette opération, même bien faite, altère le goût originel, mais surtout parce que cette opération est faite sans que l’on donne l’indication du niveau de la bouteille entrante. J’ai acheté cette bouteille parce qu’elle avait un niveau superbe. Comme de l’extérieur il n’y a aucun indication de rebouchage, je suis mécontent. Et bien sûr quand je sens le vin, j’ai un a priori défavorable. La suite montrera que j’ai tort.

Le nez du chambertin 1959 est magnifiquement bourguignon. Le bouchon de la Romanée Saint-Vivant du domaine de la Romanée Conti 1983 me résiste longtemps, tant il est comprimé dans le goulot. Son parfum est extraordinaire. Patatras, le nez du Richebourg du domaine de la Romanée Conti 1959 est plus que désagréable et l’odeur du bouchon imbibé et sorti en brisures est horrible. Même si je suis souvent le témoin de résurrections, j’ai bien peur que ce vin ne se réveillera pas. Aussi, j’ouvre une bouteille de réserve, un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Réservée 1989. Son nez est généreux et ce qui me fait plaisir, c’est que sa puissance est contenue, ce qui lui permettra de cohabiter avec les bourgognes. Patatras à nouveau, le nez de l’Yquem 1941, d’une très belle bouteille, se présente sous des fragrances que je n’ai jamais rencontrées. Il est camphré, odieusement chimique. Le diagnostic vital est d’une triste clarté : celui-ci ne reviendra jamais à la vie. Une nouvelle fois grâce à Jean-Marie Ancher, je prélève dans la cave du restaurant un Château de Rayne-Vigneau 1914 à la jolie couleur dorée et au nez de sauternes.

Une conjonction de bouteilles abîmées aussi importante ne s’est jamais produite jusqu’alors dans mes dîners. Nous sommes sept à la table, dont un convive qui ne boit pas. J’avais prévu sept bouteilles. J’en avais rajouté une sans le dire, la Romanée Saint-Vivant, car il y a quelques jours, c’était l’anniversaire de l’amateur chinois fidèle de mes dîners qui m’a demandé d’organiser cette soirée pour honorer des amis, et j’ai ajouté deux vins, ce qui porte à dix les vins du programme.

Sur les sept personnes autour de la table il y a la responsable du marketing hôtelier d’un grand groupe de luxe, un anthropologue qui dirige une mission Chine-Europe sur des sujets artistiques et culturels, un tailleur italien, mon ami chinois, un expert en vin londonien et un écrivain britannique. Comme nous en sommes à étrenner des "premières" lors de ce dîner, c’est la première fois qu’un convive demande un menu différent des autres, sans viande ni abats, qu’il va accompagner sous nos rires et nos yeux ébahis de Coca Light, zéro sucre. Inutile de dire que cela fait tout drôle. Son humour très britannique a permis qu’il ne soit pas le mouton noir de ce repas.

Le menu composé par Alain Solivérès est : gougères et petits toasts au foie gras / tartare de bar de ligne à l’huile d’olive / foie gras de canard poêlé, jus à la Rossini / chausson de lapin de garenne au romarin / mignon de veau du limousin doré, légumes racines au jus / perdreau patte grise rôti au genièvre/ saint-nectaire / entremets à la mangue.

Le Champagne Pommery 1947 n’a plus de bulle. Il y a un peu de poussière dans son parfum, mais en bouche, ce qui frappe immédiatement, c’est sa grâce. Il allie grâce et fraîcheur. Les gougères gomment tout signe de vieillesse de ce champagne plaisant. Quelque deux heures plus tard, lorsqu’avec Desmond nous avons senti nos verres de Pommery 1947, celui de Desmond avait une pureté exprimant la grandeur du champagne, alors que le mien, un peu plus rempli, avait encore des traces de poussières.

Le Champagne Salon 1985 fait un contraste très fort. Il apparaît plus jeune en passant après le Pommery. Le parfum est intense, le vin est très vineux et ce champagne est aujourd’hui en pleine possession de ses moyens. Il faudrait boire tous les Salon à 27 ans ! Il a de jolis fruits compotés et la légère acidité du plat de poisson lui donne un coup de fouet de plaisir et une tension extrême. C’est un grand champagne, racé, presque opulent.

Le nez du Pétrus 1979 est d’une séduction folle. Le foie gras et sa sauce sont divins et propulsent le Pétrus avec bonheur. Il y gagne en velouté. Il est bien sûr truffe, mais de façon parfaitement dosée. Ce qui est intéressant, c’est que ce Pétrus, plus puissant que je ne l’imaginais, est extrêmement lisible. Pour plusieurs convives, c’était leur premier Pétrus et c’est une chance de découvrir Pétrus avec un vin aussi facile à vivre, joyeux, velouté, subtil et charmant.

Le Château Gazin 1959 a un nez un peu retenu mais noble. Vexé d’avoir acheté un vin rebouché, je cherche à lui trouver des défauts, alors que mes convives le jugent très bon. Et c’est vrai qu’il est bon, servi à merveille par un chausson de lapin particulièrement viril. Et ce qui est le plus satisfaisant, c’est que le Gazin tient parfaitement le choc de ce plat envahissant les papilles. Il profite à plein de son année merveilleuse. Cette association est d’un grand bonheur.

Le Chambertin Jaboulet-Vercherre 1959 est une heureuse et bonne surprise. Il est très bourguignon, tant au nez qu’en bouche. Long, prenant bien toute sa place dans le palais, il est épanoui, charmant, naturel et d’une précision supérieure à ce que j’attendais. C’est un vin très agréable à boire, de belle sérénité.

Servi en même temps, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1959 n’est pas foncièrement désagréable, et certains n’approuvent pas mes fortes critiques, mais le vin est cuit, brûlé, comme s’il avait eu un trop fort coup de chaud avant qu’il n’atteigne ma cave. C’est une grosse déception car un vin du domaine dans une année aussi belle aurait dû nous donner d’infinis plaisirs.

Mais son cousin plus jeune, la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 fait tout pour rattraper la déception du Richebourg. Son nez est à se damner. C’était d’ailleurs la plus grande impression olfactive il y a quelques heures lors des ouvertures. Le vin est racé, brillant, d’une complexité extrême. C’est le contraire du Pétrus qui se faisait lisible. Il se drape dans ses voiles de séduction qui flottent sur la nuque en disant : "suivez-moi jeune homme". C’est une expression des vins du domaine très romantique et d’une année qui me plait de plus en plus. La rose et le sel sont là, déclinés de la plus heureuse façon.

Sur le perdreau, je fais servir avec un léger décalage le Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Cuvée Réservée 1989. Le vin est solide, très Châteauneuf mais avec une subtilité particulière. Il est puissant tout en étant retenu, fruité de belle façon. Il a l’art et la manière. Mais nous avons tellement envie de profiter de la Romanée Saint-Vivant que je demande qu’on nous serve un saint-nectaire, pour que l’on profite du Pégau sans subir la comparaison avec le vin bourguignon exceptionnel de subtilité. Et le 1989 bu seul sur le fromage est d’un grand plaisir avec une intense joie de vivre.

Jamais je n’ai eu à rencontrer une déviation gustative comme celle de ce Château d’Yquem 1941. On dirait qu’on a versé dans la bouteille du sauternes un liquide qui est sert à laver les vitres. Je ne fais même pas servir l’Yquem aux convives, car le goûter abîmerait nos palais. Le Château de Rayne-Vigneau 1914 est servi instantanément sur le dessert. Son or est raffiné, son nez est de jolis agrumes, et en bouche, c’est un beau et plaisant sauternes, peu explosif et relativement peu expansif, mais suffisamment plaisant pour terminer le repas de belle façon.

Le restaurant Taillevent, perfide, nous fait servir un délicieux cognac sur des mignardises, qui plombent nos volontés.

Nous sommes six à voter pour quatre vins chacun. Huit vins figurent au moins une fois dans les votes, les deux oubliés étant les vins morts. Trois vins ont reçu au moins un vote de premier, la Romanée Saint-Vivant trois fois, le chambertin deux fois et le Pommery 1947 une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Chambertin Jaboulet-Vercherre 1959, 3 – Pétrus 1979, 4 – Champagne Salon 1985, 5 – Château Gazin 1959.

Mon vote est : 1 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Pétrus 1979, 3 – Chambertin Jaboulet-Vercherre 1959, 4 – Champagne Salon 1985.

La cuisine d’Alain Solivérès a été brillante. Deux plats sont exceptionnels, le foie gras et le chausson de lapin de garenne. Le service est toujours d’une rare efficacité et d’une capacité de réaction remarquable. La salle du premier étage est toujours aussi belle. Les discussions ont été passionnantes, tenues en anglais, sur des sujets allant dans toutes les directions. Nous avons passé une excellente soirée, avec bien sûr pour moi le regret que des vins ne soient pas parfaits. Les rajoutes heureuses ont permis que ce repas nous procure une brassée de beaux souvenirs.

Une première dans mes dîners !!!!!!

163ème dîner de wine-dinners au restaurant Lasserre vendredi, 26 octobre 2012

Le 163ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Lasserre. Ce sera la première fois qu’un de mes dîners se tient en ce lieu et l’envie de revoir Antoine Pétrus, sympathique et brillant sommelier a pesé beaucoup. J’étais venu déjeuner en "repérage" il y a quelques jours en ce lieu riche de souvenirs de jeunesse. Antoine m’accueille à 17 heures, je fais la photo des vins et commence alors la cérémonie d’ouverture. L’Y d’Yquem 1988 a un parfum à se damner. Il est conquérant. Pour voir si le lien de famille se fait, j’ouvre l’Yquem 1955 au nez moins envahissant mais d’une rare subtilité. Et l’on peut imaginer un petit lien de famille. Le nez du Laville Haut-Brion 1951 a en rigueur ce que l’Y a en joie de vivre. Mais ce parfum distingué me plait. Le Vray canon Boyer 1947 explose de truffe, alors que le nez du Latour 1946, plus retenu, est plus distingué. Les parfums des deux bourgognes, les vedettes attendues de ce repas sont exactement ce qu’ils doivent être : le Cros Parantoux d’Henri Jayer 1993 est d’une pureté dogmatique et le nez de la Romanée Conti 1983 a l’ADN de la Romanée Conti, le sel et la rose. Je le répète souvent, mais c’est tellement vrai. Comme à son habitude, le haut du bouchon de ce vin sent la terre de la cave de la Romanée Conti, sans que cette odeur ne se retrouve nulle part. Le Muscat de la Collection Massandra 1928 a un nez qui m’étonne. Très strict, il évoque fortement la réglisse. Alors, auprès de Claire, la chef pâtissière, j’essaie de plaider la cause d’un coulis à la réglisse, à côté des madeleines prévues. Mais la chef n’est pas facilement influençable.

Nous sommes huit dont trois nouveaux et de solides habitués. La parité n’est pas franchement en marche, les mâles trustant sept sièges. Plusieurs présents fêtent un anniversaire.

Le menu mis au point par Christophe Moret avec Antoine Pétrus est : toasts de foie gras / laitue en délicate royale, caviar osciètre, émulsion légèrement citronnée / cèpes rôtis de la tête aux pieds / colvert façon Rossini / noix de veau de lait / une assiette autour de la mangue / madeleine. L’exécution de ce repas a été en tous points remarquable.

Le Champagne Alfred Rothschild 1966 est d’une couleur étonnamment jeune, ne montrant aucun ambre. La bulle est très active. C’est vraiment un "jeune" champagne qui est très séduisant. Rond, complexe, charmeur et de belle longueur il se boit avec bonheur et l’excellent foie gras lui convient à merveille.

Quel étonnement lorsqu’on voit la couleur du Champagne Bollinger Grande Année 1990 ! L’ambre que son aîné n’a pas se retrouve dans ce champagne dont la maturité est surprenante. J’attendais un gamin et c’est un adulte qui se présente à nous. La laitue était prévue pour un champagne jeune et pas pour celui-ci. Le caviar lui convient et l’excite bien. Le champagne a une belle complexité, une race plus grande que celle du précédent champagne, mais son évolution inattendue limite le plaisir.

Le parfum du Y d’Yquem 1988 est une bombe. Ce vin est un guerrier, mais un guerrier chantant. Il a des accents de douceur, et emplit la bouche de mille évocations de fleurs et fruits jaunes. Avec les cèpes l’accord est extraordinaire. Antoine a fait découper sur la galette de cèpes de fines lamelles de cèpes crus. Et c’est avec le Château Laville Haut-Brion 1951 que l’accord se crée mieux sur le cèpe cru. Alors que l’année 1951 n’a rien produit de grandiose, j’avais choisi ce vin en cave pour sa couleur dorée. Dans le verre c’est un or jeune. Le parfum est moins expansif que celui de l’Y mais tout aussi raffiné. Le Laville est plus strict, plus sérieux, alors que l’Y est un jeune fou bondissant. Ces deux blancs sont superbes et montrent l’intérêt des vins blancs bordelais. Très dissemblables, ils ont chacun leurs charmes.

La surprise est immense lorsque le Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, à la belle étiquette dorée et doté d’une contre-étiquette de la maison Bichot, est versé dans les verres. Car sa couleur est d’un rubis de sang noble d’une invraisemblable jeunesse. Et en bouche ce vin, qui m’évoque la truffe et pour d’autres le poivron vert ou le cacao, est d’une vivacité que l’on n’attendrait jamais d’un Canon Fronsac. Il claque sur la langue et son final est d’une longueur rare.

La couleur du Château Latour 1946 n’a pas de traces orangées, mais elle paraît moins jeune que celle du 1947. Elle aussi un peu trouble. Le nez est racé et délicat, moins expansif que celui du 1947. En bouche, ce vin est velouté, noble, délicat, mais il joue un peu en dedans alors que le Vray Canon Boyer "se lâche" et joue d’instinct. Certains convives préfèrent le Latour, mais une large majorité préfère le Vray Canon Boyer, magnifique et généreuse surprise. Le colvert est goûteux et subtil. Il crée un accord plus que pertinent avec les deux vins.

Les deux vins bourguignons qui vont suivre sont normalement les vedettes de ce repas. Vont-elles honorer leur rang ? Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993 est d’une belle couleur d’un rouge prononcé. Le parfum est d’une rare pureté et c’est ce mot qui caractérise aussi le goût de ce grand vin. Doctrinal, pur, emblématique, ce vin est une expression aboutie du travail d’un grand vigneron. Bien que l’année ne soit pas une année remarquée, c’est un des plus beaux Cros Parantoux d’Henri Jayer que j’aie bus. Pureté, précision, raffinement, mais aussi grand plaisir.

Lorsqu’on me sert en premier la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, je ne peux masquer le sourire qui barre mon visage. Car le parfum est exactement ce que j’attendais. Si l’année 1983 n’est pas référencée dans les meilleures à la Romanée Conti, il va falloir la faire remonter de plusieurs places. Car cette Romanée Conti est d’une élégance infinie. J’aime la Romanée Conti comme cela. Elle suggère, elle parle à voix basse, mais on la comprend. Elle a bien sûr le sel et la rose qui sont sa signature, mais elle y ajoute du charme de l’élégance. Elle virevolte et c’est notre plaisir. Les votes la consacreront.

Le Château d’Yquem 1955 a une belle couleur foncée. Son nez est percutant, riche de fruits lourds. Alors que 1955 est une réussite de première grandeur à Yquem, et alors que ce vin opulent dégage une force conquérante, je suis gêné car le vin est servi trop chaud. C’est ma faute, car j’avais dit à Antoine que l’on serve l’Yquem à la température d’un vin rouge mais en l’occurrence, c’est une erreur et c’est dommage de ne pas avoir profité au mieux d’un des grands Yquem de l’histoire. Inutile de dire qu’il est quand même sacrément bon. Le dessert à la mangue n’a pas créé l’accord escompté.

A l’ouverture, le White Muscat Livadia Massandra Collection 1928 m’était apparu beaucoup plus strict que ce que j’attendais. Ce n’est plus le cas maintenant. Le vin est chaleureux, doucereux, séducteur. Il est très muscat mais aussi rappelle des vins de paille. Ce sont les pruneaux, les prunes et les fruits bruns qui dominent dans un goût merveilleux qu’embellit l’âge. Avec des madeleines et un soupçon de vinaigre balsamique, c’est un péché de gourmandise que ce vin aux langueurs orientales, fou de sex-appeal.

Nous sommes huit à voter. Sur les dix vins, neuf figurent dans au moins un vote, ce qui est toujours sympathique à constater. La Romanée Conti a été votée sept fois première et le Cros Parantoux une fois.

Le vote du consensus est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993, 3 – Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, 4 – White Muscat Livadia Massandra Collection 1928, 5 – Champagne Alfred Rothschild 1966.

Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – White Muscat Livadia Massandra Collection 1928, 3 – Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, 4 – Y d’Yquem 1988.

Dans la belle salle à la décoration un peu surannée, le toit ouvrant est toujours une attraction. Les volutes des fumées de cigares ne s’en échappent plus. Le service en habit est élégant et d’une grande précision. Les plats se sont montrés brillants, de grande justesse. Les accords les plus percutants ont été celui des cèpes avec l’Y d’Yquem, le colvert avec les deux bordeaux et les madeleines avec le muscat de 1928. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître.

Bouchons dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas : Romanée Conti, Cros Parantoux, Massandra, Vray Canon Boyer, Latour, Y, Yquem et Laville

le célèbre toit ouvrant du restaurant

les verres sur table en fin de repas

163ème dîner de wine-dinners – les vins dimanche, 21 octobre 2012

Champagne Alfred Rothschild 1966

Champagne Bollinger Grande Année 1990

Y d’Yquem 1988

Château Laville Haut-Brion 1951

Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947

Château Latour 1946

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Château d’Yquem 1955

White Muscat Livadia Massandra Collection 1928

162ème dîner – les vins samedi, 13 octobre 2012

Champagne
Henriot réserve de Philippe de Rothschild 1973

Champagne
Dom Pérignon 1964 (la finesse de la cape est assez irréelle)

Château
Haut-Brion blanc 1966

Pétrus
1967

Château
Trottevieille Saint-Emilion 1967

Château
Mouton-Rothschild 1982

Vosne-Romanée
Mugneret-Gibourg 1972

La
Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983

Ridge
Monte Bello Cabernet Sauvignon 1973

Château
Loubens Sainte-Croix-du-Mont 1990

Château
d’Yquem 1985

Liqueur
du Mézenc milieu 19è siècle (on voit le dépôt de sucre au fond de la bouteille)

162ème dîner de wine-dinners au restaurant les Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon vendredi, 12 octobre 2012

Le 162ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant les Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon. Ayant beaucoup d’estime pour la cuisine du talentueux chef Christopher Hache, il était impérieux de faire un nouveau dîner en ce lieu avant une fermeture qui pourrait durer deux ans, pour la rénovation de l’hôtel. J’étais venu il y a peu de jours mettre au point le menu et régler les détails de l’organisation.

 A 17 heures, j’aligne les bouteilles pour la traditionnelle photo de famille des vins du dîner et Jérôme Moreau, le chef sommelier est admiratif des niveaux qui pour toutes les bouteilles sauf une sont dans le goulot. Les parfums des vins sont engageants, sauf celui du Vosne Romanée qui est incertain. Lorsque j’ouvre le Ridge Montebello 1973 juste après avoir ouvert La Tâche 1983, j’appelle Jérôme pour prendre une décision concernant le programme prévu. Dans mon idée initiale, La Tâche devait être le point
culminant de cinq vins rouges. Or un californien qui s’est inscrit à ce dîner a tenu à ce que soit inclus le Ridge Montebello qui avait été l’un des gagnants du jugement de Paris qui avait fait tant de bruit il y a trente six ans, quand des vins californiens s’étaient classés à de meilleures places que les plus prestigieux de nos bordeaux. Dans mes dîners, j’aime les juxtapositions de vins qui permettent des comparaisons utiles et j’évite les chocs frontaux. Mettre le Ridge à côté de La Tâche me paraît une  confrontation dangereuse, car la force alcoolique est du côté du Ridge alors que la finesse est du côté de La Tâche. Faudrait-il un plat de plus pour le Ridge ? Difficile après la tourte. La solution choisie est que le Ridge soit servi seul, sans plat, après La Tâche, pour éviter une compétition qui pourrait donner lieu à des contresens.

 

Vers 18 heures, je suis rejoint par une ravissante néo-zélandaise, journaliste à Londres qui vient participer au dîner et m’interviewe pour l’un des sites internet les plus actifs de la planète du vin. J’ai un moment de stupeur lorsqu’elle me demande comment on écrit Romanée Conti ! Comment peut-on faire un reportage sur les vins et notamment sur mes dîners de vins anciens si l’on est au degré zéro de la connaissance ? Elle a fait
honneur aux plats et aux vins. On verra ce que cela donnera en lisant son compte-rendu.  Nous sommes neuf, car la dixième place à table s’est jouée, comme au théâtre de boulevard où les portes s’ouvrent et se ferment, entre un habitant de l’île Maurice qui a dit oui puis non, un français vivant au Brésil qui a dit oui puis non et un parisien dont le oui est arrivé le matin même, alors que le casting du dîner venait juste d’être bouclé. Les femmes sont majoritaires, cinq contre quatre et nous avons parlé anglais
puisque la journaliste et un couple de californiens ne connaissent pas notre langue. Notre table est belle dans la salle à manger légendaire, aux décors marbrés de couleurs d’or et de moutarde.

 Le menu créé par Christopher Hache : bâtonnet de feuilleté gratiné au vieux parmesan, l’huître fine en gelée de pomme verte, copeaux de parmesan / la raviole de langoustine pochée dans un bouillon à la citronnelle / le rouget barbet à la râpée de noix de
macadamia, céleri étuvé / le cèpe de nos régions, farci et gratiné aux noix / la
tourte de gibier /fromage stilton / l’ile flottante, gaspacho ananas, mangue et
passion. Ce fut un festival. 

Le Champagne Henriot réserve de Philippe de Rothschild 1973 a une couleur ambrée. Ce qui me gêne, c’est une certaine amertume au premier contact. Elle va s’amenuiser au point que ce champagne sera plus adapté à l’huître que le Champagne Dom Pérignon 1964 absolument magistral, doté d’un équilibre fruité assez exceptionnel. Ce qui frappe dans ce champagne, c’est la générosité du fruit, la rondeur, une acidité sur base de fruits rouges, et une longueur remarquable. Avec le parmesan, le Dom Pérignon est à se damner. Le feuilleté du bâtonnet est trop fort pour les deux champagnes.

Le Château Haut-Brion blanc 1966 est d’une belle couleur, plus jeune encore que celle du Dom Pérignon. Il est associé à un plat exceptionnel car la raviole respire la mer à plein poumons. Et l’accord se trouve sur l’iode et le vent marin. Le Haut-Brion est grand, solide, avec une belle longueur. Il a un peu moins de complexité que le Dom Pérignon, mais c’est un grand blanc. J’aime son acidité citronnée d’un dosage raffiné.

On le sait, associer Pétrus et rouget est une de mes coquetteries. Le rouget a une chair merveilleuse. C’est la mâche qui crée le bonheur. Le Pétrus 1967 se distingue d’emblée par un parfum envoûtant, profond, truffé. En bouche, le vin est inimaginable de perfection. Qui dirait que 1967 peut donner un vin de cette force ? Tout le monde communie avec ce vin absolument exceptionnel.

 Sur les cèpes magnifiques, nous avons deux vins. Le Château
Trottevieille Saint-Emilion 1967
donne strictement la même surprise
que le Pétrus qui est son conscrit. Il est totalement inattendu à ce niveau,
avec une richesse truffée extrême et une longueur que personne ne pourrait
imaginer. Le goût fait des ricochets dans le palais pour ne jamais finir de
s’exprimer.

A côté de lui, la vedette attendue est évidemment le Château Mouton-Rothschild 1982.Ce qui me plait, c’est que les deux vins ne se nuisent pas. J’aurais pu choisir de mettre le Trottevieille avec le Pétrus de la même année, mais le Pétrus eût dominé. Alors qu’ici, les deux vins cohabitent car ils sont différents. Le Mouton est d’une force de colosse qui retient sa puissance. L’image qui me vient est Arnold Schwarzenegger jeune, qui se serait caché sous un épais manteau. Qui verrait sa musculature ? Ou bien,
c’est une voiture puissante qui roule en première vitesse. On sent que le
Mouton a un gigantesque potentiel, et qu’il lui faudrait bien vingt ans de plus
pour qu’il s’exprime totalement. Bien sûr, quand on va vers lui, on admire sa
richesse, sa plénitude, sa solidité de roc. Tout en lui est cohérent, tramé,
avec des suggestions innombrables. On regrette qu’il ait mis le frein à main,
mais on est en grand plaisir. C’est le Trottevieille qui se marie le mieux avec
les cèpes.

 A l’œil, la tourte de gibier fait peur, car on se demande si l’on ne va pas
succomber à la gourmandise de tant de richesses. Mais en fait elle est goûteuse
et particulièrement légère. Le Vosne-Romanée Mugneret-Gibourg 1972 est hélas
bouchonné. Quelques minutes plus tard, cette sensation aura disparu au nez mais
elle est encore présente en bouche. Nous n’insisterons pas. Nos papilles sont
donc monopolisées par La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983. Le nez
est une merveille, possédant l’ADN des vins du domaine, fait de sel et de roses
que certains amis qualifient de fanées, ce qui n’est pas mon cas. Le vin est
tout en finesse, délicatesse et élégance. Alors que 1983 est une année plutôt
discrète et fragile, je suis stupéfait que ce vin ait autant de personnalité
affirmée, comme Pétrus l’avait tout à l’heure. C’est une leçon importante que
de constater que 1967 nous a donné deux vins brillants de la rive droite, et
que 1983 nous donne une Tâche très au dessus de ce qu’on attendrait. Alors que
la tourte au gibier, dont de la grouse, serait sur le papier inappropriée pour
La Tâche, sa légèreté et sa finesse en ont fait un très bon compagnon de ce
bourgogne hypercomplexe, qui pianote des myriades de saveurs irréelles et
infinies.

Sans attendre que nous ayons fini la tourte, je fais servir le Ridge Monte Bello Cabernet Sauvignon 1973. Ce vin avait été l’un des gagnants du jugement de Paris en 1976 dans le millésime 1971. Son nez à l’ouverture me paraissait très puissant et aurait fait de l’ombre à La Tâche. Je le goûte maintenant. C’est manifestement un grand vin, avec une belle charge alcoolique, mais au lieu de faire ombrage à La Tâche, le
bourguignon fait apparaître la faible complexité de ce vin riche, goûteux mais
simple. Il est alors intéressant de le comparer au Mouton 1982. Et, est-ce dû
au fait que j’ai mis mon béret et une baguette sous mon bras, mais je trouve le
Mouton infiniment plus riche et complexe que le Ridge. Ma fibre patriotique gonfle mes narines du fort sentiment que le californien n’aura non pas ni l’Alsace ni la Lorraine, car il s’agissait d’autres circonstances, mais ni la Bourgogne ni le Bordeaux. Ouf ! Mais je trouve au contraire injuste que le Ridge fera partie des trois vins qui n’auront aucun vote. Ce n’est pas raisonnable, car c’est un grand vin. C’est la dure loi du sport.

 Au moment des ouvertures, le nez du Château Loubens Sainte-Croix-du-Mont 1990 me paraissait capable de concourir avec celui de l’Yquem. Sur le stilton, le riche liquoreux, épanoui et de belle aisance, se marie bien. Trois convives ayant demandé du comté ont prétendu que le comté allait mieux que le stilton. Les hérétiques ! Le jugement est sans appel : c’est le stilton qui convient.

 Le Château d’Yquem 1985 est d’une folle jeunesse. Ce qui est fascinant, c’est qu’il combine puissance et fraîcheur. Bien sûr, il est beaucoup plus grand que le Loubens, mais exactement comme le Mouton ne faisait pas d’ombre au Trottevieille, l’Yquem ne fait pas d’ombre au Loubens. C’est d’ailleurs ce que je recherche dans mes dîners pour que chaque vin ait une chance de briller. Et le seul qui aura souffert d’une comparaison, c’est le vin rajouté, le californien.

  Pour expliquer la présence de l’alcool qui va être servi maintenant, il convient de raconter son origine. Un ami sommelier m’avait dit que la distillerie Cabanel à Carcassonne avait décidé de mettre en bouteilles le fût d’une liqueur datant du milieu du 19ème siècle. L’ami l’avait bue et m’a dit : il faut que tu en acquières. J’ai acheté chat en poche, et quand j’ai reçu les fioles toutes neuves avec des capsules à vis, je me sentais humilié, car plus laid, il n’y a pas. Rangeant maintenant ma cave, je me suis dit
que cette liqueur n’avait pas de raison de subir mon courroux, aussi est-ce la
première que j’ouvre. La Liqueur du Mézenc milieu 19è siècle a un substantiel dépôt de cristaux blancs au fond de la bouteille. Au nez et au premier contact, c’est assurément très vieux. Il y a des accents de Chartreuse, avec des fraîcheurs de menthe, d’anis et de mille autres plantes. Mais le caractère sucré est beaucoup plus fort que celui d’une Chartreuse. C’est original mais pas beaucoup plus que cela.

En sirotant cette douceur, nous avons procédé aux votes. Nous sommes neuf à voter et huit vins ont figuré au moins une fois dans nos quintés. La Tâche a eu cinq votes de premier, Pétrus trois votes de premier et l’Yquem un. Le Trottevieille figure dans cinq votes ce qui me plait et le Loubens dans quatre votes. Bravo quand on sait qu’il y avait des vins emblématiques.

Le classement du consensus serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Pétrus 1967, 3 – Château d’Yquem 1985, 4 – Château Mouton-Rothschild
1982, 5 – Château Trottevieille Saint-Emilion 1967, 6 – Château Loubens 1990
.

Mon classement est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Pétrus 1967, 3 – Château Trottevieille Saint-Emilion 1967, 4 – Champagne Dom Pérignon 1964, 5 – Château Mouton-Rothschild 1982.

 Beaucoup de vins se sont montrés au dessus de ce que les livres diraient. Le Mouton a un potentiel pour devenir l’un des plus grands Mouton et l’idée qui vient forcément est : pourquoi pas un égal de Mouton 1945 ? J’espère pouvoir le vérifier.

 

Christopher Hache a fait une cuisine inspirée, avec des plats de très haut niveau. La raviole, le rouget et la tourte sont des modèles. Il a été chaudement félicité quand il est venu saluer notre table en fin de repas. Le service de table et le service des vins ont été exemplaires et c’est d’autant plus remarquable qu’avoir une telle implication
quand on sait que l’horloge du Crillon va s’arrêter en fin d’année, c’est à signaler. Chapeau les équipes. Notre table était enjouée. La jolie journaliste a découvert un monde de saveurs qu’elle n’avait jamais imaginé. J’ai senti qu’elle avait compris. Pour les autres convives chevronnés le plaisir fut grand. Ce fut un grand repas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

déjeuner souvenir au restaurant Lasserre vendredi, 12 octobre 2012

Devant faire pour la première fois un dîner de wine-dinners au restaurant Lasserre, j’ai envie de découvrir la cuisine de Christophe Moret. Lasserre fait partie de mon histoire. Il y a 45 ans (eh oui !), c’est là que j’ai fêté avec mon épouse notre premier anniversaire de mariage. Je voulais que ce soit dans le trois étoiles qui jouissait à l’époque de la meilleure réputation. Nous y sommes revenus pour croiser Salvador Dali avec Amanda Lear et d’autres personnages renommés. Accueillis par monsieur Louis, l’emblème de la vénérable institution, nous ne manquions pas d’admirer les geysers de fumées de cigares qui fusaient dans l’espace dès que le toit ouvrant de la salle les libérait. Lorsque la rumeur sur ce restaurant est devenue incertaine, il n’est plus devenu une station de mon chemin de plaisir. Cela ne pouvait pas durer longtemps.

L’accueil est toujours stylé et sympathique. Je suis reconnu ce qui n’est pas désagréable et oh surprise, monsieur Louis déjeune à une table peu distante. Nous nous saluons avec chaleur. La carte des vins est intelligemment composée mais hélas à des prix dissuasifs. Pourquoi payer 2.200 € un magnum que j’ai payé à 300 € il y a moins de deux ans ? La salle est d’un confort cossu, un confort de club. On imagine volontiers que les gens qui déjeunent sont des habitués.

Le Champagne de Vieilles Vignes de Cramant Larmandier Bernier 2005 extra-brut est magnifique d’équilibre. Il est presque doctrinal dans sa rectitude. Et on ne sent pratiquement pas que c’est un extra-brut tant son homogénéité est rassurante. Il accompagne un amuse-bouche où une gelée de légume vert se mêle à du caviar. L’accord est magique. L’entrée est faite de cèpes de châtaignier de la tête au pied en fine pâte craquante de sarrasin. Le cèpe est goûteux mais gagnerait à être plus croquant. Le pigeon André Malraux allume tous les souvenirs de la cuisine bourgeoise d’il y a cinquante ans. Le pigeon est d’une chair intense et goûteuse. Il est un peu alourdi par la farce dominante. Au dessert, le maître d’hôtel m’offre une coupe de Champagne Louis Roederer rosé 2007 que je trouve fort plaisant. Ce restaurant perpétue une cuisine traditionnelle bourgeoise. Dans ce cadre magnifique de l’endroit, c’est agréable d’arrêter les aiguilles du temps.

déjeuner aux Ambassadeurs du Crillon avec un beau Riesling jeudi, 4 octobre 2012

Le prochain dîner de wine-dinners devant se
tenir aux Ambassadeurs
du Crillon
, je vais y déjeuner pour faire les dernières mises au
point avec Christopher
Hache
, très motivé par ces expériences d’accords subtils mets et
vins. Etant seul, j’hésite à boire et je demande à Jérôme Moreau, le chef sommelier
du lieu s’il a un vin un peu inhabituel. Sa suggestion est le Riesling Cuvée
Frédéric Emile domaine Trimbach 1976
et j’applaudis des deux mains.
Le vin a une couleur de miel doré et son nez est aussi de miel et de confiture
de fruits jaunes. En bouche, je m’émerveille de la fraîcheur, de la cohérence
et de la délicatesse de ce riesling. Il a une belle acidité qui évoque les
zestes de citron. On sent aussi des épices douces. Sa longueur est belle. C’est
un grand vin évolué mais épanoui. Il est d’un équilibre ensoleillé. L’accord
qui me vient à l’esprit pour un tel vin est le veau basse température ou le ris
de veau. Aussi, Christopher Hache avec qui je goûte le vin fait ajouter un ris
de veau à mon menu. Sur un saumon en gros pavé d’une tendreté rare, le Trimbach
est superbe. Sur le cabillaud l’accord est moins facile. Sur le ris de veau,
plus sur la chair seule qu’avec la sauce, le riesling est merveilleux. Ce vin
lisible, franc, est un vin de pur bonheur.

Ayant reconnu les occupants de la table
voisine de la mienne, je leur ai offert ce que je n’avais pas bu de ma
bouteille. Je n’avais hélas pas le temps de recueillir leurs commentaires sur
ce beau riesling.

L’hôtel de Crillon va fermer ses portes
pour au moins deux ans de travaux. Christopher va étudier des cuisines
nouvelles et Jérôme va visiter un plus grand nombre de vignerons. Dans cette
période incertaine, la tenue du lieu et l’humeur des équipes est toujours aussi
impeccable. Bravo.