Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

121ème dîner – les plats vendredi, 11 septembre 2009

Tartare de homard au yuzu et au gingembre

Saint-Pierre clouté au basilic

Risotto d’épeautre aux cèpes de châtaignier

Longe de veau de Corrèze aux girolles

Tourte de canard colvert

Foie gras de canard poêlé

(je n’ai pas pris de photo)

Fourme d’Ambert glacée, marmelade d’oranges amères

Déclinaison d’ananas vanillé (il y avait une autre partie du plat non photographiée. On remarque la couleur extraordinaire du Climens 1943)

Croustillant praliné (et mignardises)

121ème dîner de wine-dinners avec un Constantia 1791 jeudi, 10 septembre 2009

Le 121ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Alors que j’envisageais de profiter des beaux jours de septembre dans le sud, Bipin Desai, célèbre collectionneur américain avec lequel je partage de grandes dégustations m’avait appelé en disant : « je souhaiterais assister à l’un de vos dîners, si possible le 10 septembre, et si possible avec une majorité de vins de Bourgogne ». Dit comme cela, je n’ai pas beaucoup d’options. Alors que je ne fais quasiment jamais de dîners à thèmes, j’ai composé un programme qui a reçu un accueil impressionnant. La demande m’aurait permis de faire plusieurs tables.

J’arrive au restaurant vers 17h30 pour ouvrir les vins. Aucun incident n’est à signaler sauf un petit bout de bouchon tombé dans la bouteille du 1952 que j’avais annoncée basse et qui joue avec moi comme les lots que l’on doit pêcher avec un hameçon impossible à fixer dans les stands de fête foraine. La partie de cache-cache dure de longues minutes. Pendant ce temps, un expert en vins et ami venu livrer quelques achats compulsifs que je lui avais faits regarde mon manège avec intérêt et nous confortions nos analyses des odeurs des vins à la tenue exemplaire. Alors que je m’activais, Alain Solivèrès entre dans la magnifique salle lambrissée du premier étage où se tiendra le dîner. Nous passons en revue le menu et je lui demande comment il envisage le foie gras que j’avais fait ajouter en fin des viandes, position dans le repas qu’aimait particulièrement Jean Hugel. Alain me dit qu’il l’a prévu poêlé avec une figue de Solliès sur un jus de banyuls. Ma grimace est expressive. Après discussion, il est convenu que je demanderai à chaque convive s’il veut une figue, servie sur une assiette séparée.

Après les ouvertures, je me change, mets une belle cravate flashy et les premiers convives arrivent. Le premier est Etienne Hugel, tout excité de me montrer son trésor. Il me laisse le soin d’opérer et j’ouvre la bouteille très caractéristique du Constantia du 18ème siècle. Le bouchon est protégé par une cire noire de poussière mais rouge et bleue à cœur, tendre comme de la pâte à modeler. La cire colle au couteau et sent mauvais. Le goulot est très étroit, de la taille d’un petit auriculaire. Je tire le bouchon qui se casse. Il est de forme tronconique, très resserré à l’endroit de la cassure, ressemblant comme deux gouttes d’eau au bouchon minuscule du Chambertin 1811 qu’un ami avait ouvert, au liège d’une pureté extrême. J’extirpe le reste du bouchon avec une curette sans qu’un morceau ne tombe. Je me rends compte que le goulot est étranglé à la hauteur de la moitié du bouchon ce qui explique qu’il était impossible de tirer le bouchon sans le déchirer. La première odeur est prometteuse. Je verse avec l’accord d’Etienne quelques gouttes dans un verre. Nous sommes trois à sentir et nous partager ces gouttes. Ce liquide, libéré après 218 ans d’emprisonnement dans son flacon est tout simplement divin.

Tout le monde est à l’heure. Nous sommes douze. Le jeune habitué des dîners qui était venu me retrouver dans le sud participe à son 9ème. Un couple de japonais vient pour la troisième fois, ce qui est aussi le cas de Michel Bettane, tandis que Bipin Desai les précède d’au moins cinq ou six dîners. Une jeune femme que j’ai interrogée suite à la défection le jour même d’un convive a réagi quasi instantanément et participera à son deuxième dîner. Un couple de français dont la femme est d’origine chinoise et un ami d’amis partagent avec Etienne Hugel la situation de « nouveaux ». Les femmes sont ravissantes. La chinoise d’origine porte une robe de soie chinoise et la japonaise est vêtue d’un kimono. Ces robes d’une extrême beauté ont illuminé le repas. Chaque repas débute par les consignes pour bien profiter du repas. J’ai innové en les envoyant par mail, pour gagner du temps. Bipin Desai me dit que de telles instructions « dictatoriales » seraient refusées par des amateurs américains. Heureusement, nous sommes en France !

Nous prenons l’apéritif debout, avec des petites gougères. J’explique l’hommage que je veux rendre à Jean Hugel et nous portons un toast avec le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971. Le champagne a une couleur d’un acajou teinté de thé. La bulle est quasi inexistante. On sent que les évocations de fruits d’automne sont rêches. Un petit défaut, une infime trace métallique, limite le plaisir de ce champagne fait de raisins nobles.

La table de douze est très longue aussi sera-t-il impossible aux convives placés aux extrémités de converser au travers de la table. Et ce d’autant plus que j’ai créé un « barrage » virtuel quasi infranchissable au centre puisqu’en face de moi, j’ai Bipin Desai et Michel Bettane et à mes côtés Etienne Hugel. La somme de connaissances qui ne demande qu’à s’exprimer monopolise le dialogue au centre. Tout un chacun s’émerveille de l’érudition de Michel Bettane.

Le menu conçu par Alain Solivérès est ainsi rédigé : Tartare de homard au yuzu et au gingembre / Saint-Pierre clouté au basilic / Risotto d’épeautre aux cèpes de châtaignier / Longe de veau de Corrèze aux girolles / Tourte de canard colvert / Foie gras de canard poêlé / Fourme d’Ambert glacée, marmelade d’oranges amères / Déclinaison d’ananas vanillé / Croustillant praliné.

Le homard est un plat délicat, la chair crue ayant des accents romantiques qui répondent à la grâce du Champagne Veuve Clicquot Brut 1966. Le champagne forme un contraste fort avec le Mumm tant son charme éclate. De belle couleur ambrée il est heureux de vivre, exprimant la plénitude du millésime 1966. L’accord est vibrant, plat et vin communiant dans des évocations de rose. Ce démarrage est d’une grande délicatesse.

Le poisson était prévu pour le Montrachet, mais Michel Bettane a tenu à nous faire goûter un Meursault Narvaux Leroy 1983. A l’ouverture, ce vin avait le parfum le plus intense qu’on puisse imaginer. A côté de lui, un Montrachet Bouchard Père & Fils 1989. On passe d’un vin à l’autre pour constater combien ils sont à la fois proches, car ils expriment une puissance peu commune et combien ils sont dissemblables dans toutes leurs composantes. Malgré l’intérêt d’un Meursault très pur et très ciselé, mon cœur balance et penche vers le Montrachet très serein, très maîtrisé, à la force tranquille. Contrairement au précédent cet accord est poli, sans créer d’émotion.

J’avais annoncé que l’Echézeaux Emile Chandesais 1952 est d’un niveau bas. Le vin allait-il être acceptable ? Ce qui nous a gênés, c’est beaucoup plus le fait que ce vin est tout sauf Echézeaux. Nous avons paraphrasé les Tontons Flingueurs : « de l’Echezeaux, il y en a, mais il n’y a pas que ça ». Le niveau bas n’a pas endommagé le vin, mais son voisin de verre est trop brillant. Le Gevrey-Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937 est une merveille de précision. Ce vin que j’adore fait partie des messages bourguignons purs. Le risotto est une réussite absolue de dosage. Un tel plat vaut trois étoiles. Ce sont les cèpes qui propulsent le 1937 vers des sommets. L’accord est d’un dogmatisme réjouissant.

Avoir sur sa table un verre de Romanée Conti ne peut laisser personne indifférent. Pour plus de la moitié de la table, c’est une première. La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 est d’une belle couleur intense. Le nez est extrêmement sophistiqué et évoque la rose. Il signe de façon évidente une Romanée-Conti. A ses côtés, un vin que j’adore, le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974. Michel nous raconte à quel point Michel Gaunoux réussit ses Pommard. Ce qui m’impressionne au plus haut point, c’est que la longe de veau est rose, et les deux vins explosent d’arômes de roses. L’accord est délicat, féminin, subtil au-delà de tout. La Romanée Conti 1983 est très Romanée Conti, mais ce n’est pas l’une des plus grandes, alors que le Pommard joue dans la cour des grands. Alors, qu’on le veuille ou non, le cœur penche vers le Pommard, même si la conjonction des deux vins mérite une mention spéciale, tant chacun fait briller l’autre sur le plat.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992 est lui aussi un mythe. Je l’ai associé à un Vosne Romanée Calvet 1947. Michel Bettane nous rappelle que c’est Emile Peynaud qui a aidé Calvet à vinifier ce millésime. On comprend pourquoi il nous plait tant, glorieuse et sereine expression du Vosne Romanée. Comme le vin d’Henri Jayer est un peu attentiste, une nouvelle fois nous avons l’occasion de voir le second rôle nous plaire plus que le jeune premier. La tourte est très riche et convient bien aux deux vins de belles longueurs. L’accord est très bourgeois.

En début de repas, j’ai demandé qui voudrait de la figue au banyuls avec son foie gras. La façon de poser la question impliquait la réponse. Personne n’en voulut. Sur un foie gras délicieux dans sa nudité, le Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1989 était mon chevalier, celui qui devait porter mes couleurs. Beau vin de Bourgogne dans sa belle jeunesse, il est classiquement bon, mais n’entraîne pas l’émotion que j’attendais. En retenue, un peu scolaire, il n’atteint pas son but. Il eût mérité un foie gras poché plutôt que poêlé.

Nous quittons ce voyage en Bourgogne avec des myriades d’étincelles dans les yeux, car nous avons croisé des saveurs authentiquement bourguignonnes, de celles qui prennent aux tripes. La Romanée Conti m’a fait vibrer, car je connais son chant, le Pommard est sublime, le Remoissenet exceptionnel. Nous avons été gâtés.

Qui pourrait trouver un vin que Michel Bettane ne connaît pas ? Je l’ai fait. Le Château Bousclas Barsac 1945 est un bel inconnu. Je lui soupçonnais un léger goût de bouchon mais Michel et Etienne ne l’ont pas confirmé. C’est un très agréable Barsac qui trouve dans la marmelade d’oranges amères un écho magistral. Le Château Climens Barsac 1943 est un beau Climens, avec une belle race. Un vin d’un or pur qui s’est exprimé sur le dessert délicat où l’ananas n’a pas imposé une trace trop prégnante.

Le Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 était très attendu. C’est effectivement une réussite extrême de la maison Hugel où la douceur le dispute à la fraîcheur. Sa longueur quasi infinie signe un très grand vin. Lorsqu’on nous sert le Constantia Afrique du Sud 1791 le silence se fait. Porter à ses lèvres un vin de 218 ans ne peut pas laisser indifférent. Ce vin n’a pas d’âge, il est intemporel, vivant, sans signe de vieillissement. On me dirait qu’il a cinquante ans, je ne le refuserais pas. C’est le raisin qui est le plus évocateur des fruits qui composent le goût. Le vin est naturellement sucré, équilibré, profond et de belle longueur. Ce témoignage de grande pureté est l’un des moments qui marquent la vie d’un amateur. Les convives s’attendaient à boire un 1937 comme plus vieux vin ce soir. Ce coup de curseur de 146 ans donne le tournis.

C’est l’heure des votes de onze votants (la jolie japonaise ne boit pas mais aime voir son mari apprécier) pour quatorze vins. Savoir que dans un repas un Cros Parantoux d’Henri Jayer et un Clos de la Roche d’Armand Rousseau n’obtiennent pas un seul vote indique la hauteur de la compétition. Sept vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, ce qui montre la qualité des vins de ce soir. Le Constantia a eu cinq votes de premier, Le Veuve Clicquot, le Montrachet, la Romanée Conti, le Pommard, le Vosne Romanée 1947 et le Riesling recueillant chacun un vote de premier.

Le vote du consensus est : 1 – Constantia Afrique du Sud 1791, 2 – Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, 3 – Vosne Romanée Calvet 1947, 4 – Gevrey-Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937.

Mon vote est : 1 – Constantia Afrique du Sud 1791, 2 – Vosne Romanée Calvet 1947, 3 – Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, 4 – Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976.

Alain Solivérès venu nous saluer avec son équipe nous a apporté une grande assiette de figues, petit clin d’œil amical qui montre qu’il a le sens de l’humour. Il fut applaudi, car les accords de ce soir ont été dosés de façon exemplaire. Ce repas où l’émotion, la tendresse et l’affection étaient au rendez-vous, auquel un vin de 1791 a donné un lustre particulier, fut l’un des plus émouvants que j’aie pu vivre.

121ème dîner – les vins jeudi, 10 septembre 2009

Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971 (la bouteille est magnifique)

Champagne Veuve Clicquot Brut 1966 (c’est amusant de constater que c’est une bouteille d’un importateur italien)

Meursault Leroy 1983 (cadeau Michel Bettane). C’est la cave de Michel qui rend les étiquettes illisibles. L’année est impossible à voir

Montrachet Bouchard Père & Fils 1989

Echézeaux Emile Chandesais 1952 (c’est amusant de lire "vin spécialement recommandé")

Gevrey Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937 (le niveau est particulièrement beau)

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992

.

.

Vosne Romanée Calvet 1947 (très belle)

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1989

Château Bousclas Barsac 1945 (c’est amusant de constater que ce château a fait imprimer des étiquettes sans années, avec seulement "19 ". Seul le bouchon indique le millésime)

Château Climens Barsac 1943

Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 (cadeau Etienne Hugel)

Constantia Afrique du Sud 1791 (cadeau Etienne Hugel)

(photos sur un autre message)

121ème dîner – les participants jeudi, 10 septembre 2009

Je ne mets sur le blog pratiquement jamais les photos des participants, pour préserver leur vie privée. Ce dîner fut tellement grand qu’on me pardonnera de mettre ces photos.

Etienne Hugel m’a pris en photo avec la Remoissenet 1937

des convives

une autre vue, au moment où l’on boit le Constantia 1791

les verres en fin de repas

120ème dîner – les vins jeudi, 11 juin 2009

Champagne Salon 1985 (en utilisant la lumière, j’ai réussi à "écrire" un dollar)

Champagne Krug Vintage 1982

Château Haut-Brion blanc 1980

Château Beychevelle magnum 1928, cadeau de Bernard Pivot. La capsule suggère un habillage récent et l’on suppose un recollage de l’étiquette. L’ouverture montrera qu’il s’agit d’un bouchon très ancien, peut-être d’origine. Cette bouteille provenait directement du château, jusqu’à la cave de Bernard Pivot.

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976

Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 (année déchirée, mais c’est bien 1928)

Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1989

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Anjou Caves Prunier Rablay 1928

Château Climens Sauternes Barsac 1928

Belem’s Malvoisie Vin de Madère 1934

 

120ème dîner – le jeu de une erreur ! jeudi, 11 juin 2009

Regardez bien cette photo. L’une des bouteilles ne sera pas bue lors du dîner.

Laquelle ?

Oui, vous avez gagné, c’est celle de Colibri, bue avec une paille par le fils de Georges Menut, le propriétaire du restaurant de la Grande Cascade.

Son fils, jugeant sans doute que la table où j’officiais était très sale a estimé qu’on pouvait y jeter la bouteille vide du délicieux soda qu’il venait de finir. J’ai trouvé sa décontraction  charmante.

 

120ème dîner – ouverture des vins jeudi, 11 juin 2009

photos de groupe

les bouchons (on voit le petit treillis qui enveloppe la bouteille de La Mouline, que j’ai chiffonné)

Le bouchon du Beychevelle 1928 est très noir, mais ne s’est pas déformé

Ce qui est assez fou, c’est que le bouchon de l’Anjou 1928 porte l’adresse de Prunier avenue Voctor Hugo alors que l’étiquette porte l’adresse de Prunier rue Duphot ! Le Giroud 1928 est plus discret !

bouchon du Climens

le groupe des bouchons, qui, pour une fois, sont très peu abîmés

 

120ème dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade jeudi, 11 juin 2009

Le 120ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de la Grande Cascade. Les vins ont été apportés il y a une semaine, et quand j’arrive à 17 heures pour les ouvrir, la place bruisse de mille mises en place, mais de sommelier point. C’est Dominique Beauvais qui me fait porter la caisse jaune où les vins ont été mis debout depuis la veille. C’est une attention appréciée. Les bouchons s’extirpent avec une facilité déconcertante, aucun ne se brisant. En moins d’une heure l’opération est terminée. L’odeur la plus envoûtante est celle du madère, la plus excitante est celle de la Romanée Saint-Vivant. La plus incertaine est celle du vin d’Anjou. Pendant que j’officie, un jeune garçon entre dans les lieux avec assurance. Son visage ne porte à aucune confusion : c’est le fils de Georges Menut. Il touche aux bouteilles, ce qui me fait trembler, pose de bonnes questions, et voyant que l’espace où j’officie est un vrai chantier, il y dépose nonchalamment la bouteille de soda vide qu’il venait de siroter. J’ai fait une photo de cet apport inattendu aux bouteilles de ce soir.

Dans mes dîners, j’évite les apports de vins des convives car ce pourrait être embarrassant qu’un vin se présente anormalement fatigué. Une exception est faite ce soir car ayant invité depuis des mois et des mois Bernard Pivot pour le remercier de sa gentillesse lorsqu’il m’a cité dans son dictionnaire amoureux du vin, il a eu l’envie d’offrir un magnum de Beychevelle 1928. Un tel cadeau ne se refuse pas. Quand j’ai retiré le bouchon tout noir, à l’odeur de terre humide intense, j’aurais aimé que Bernard fût là pour constater l’extrême désagrément de ce parfum difficilement supportable. C’est le seul vin que je goûte lors de l’opération d’ouverture en vue de prévenir à temps Bernard d’une éventuelle défaillance. Le goût un peu poussiéreux m’indique que le retour à la vie se passera bien.

Un détail m’a plu. Alors que j’officiais, Georges Menut s’approche et me dit que le dessert ne pourra pas convenir au Climens. Je lui avoue que cette anomalie m’a échappé. Nous essayons avec les chefs de trouver une solution, ce qui donne l’occasion d’un examen utile de l’ensemble du menu. Cette volonté d’excellence est plaisante.

Nous sommes dix, dont les trois plus fidèles convives des dîners des récentes années, un couple qui devient fidèle accompagné d’un de leurs fils, Bernard Pivot et deux nouveaux inscrits. Il y a quatre nouveaux et six habitués.

Nous passons à table pour goûter en apéritif le Champagne Salon 1985. Je viens de boire ce champagne il y a moins d’une semaine, et les saveurs sont identiques. D’une belle couleur d’un or ambré le champagne a un parfum envahissant tant il est fort. La bulle est très active et le vin conquérant. Viril, vineux, il prend possession du palais qu’il ne lâche plus tant sa persistance est infinie. Le foie gras dont la gelée est dardée de petits grains de fruits de la passion l’apaise un peu en l’élargissant. L’ananas confit au contraire affute son côté tranchant alors que la brioche reste d’une neutralité de soir d’élections.

Le menu composé par Frédéric Robert est ainsi rédigé : Homard bleu aux pêches, pointes de sucrine à la vanille / Macaroni farcis aux truffes noires et foie gras, gratinés au parmesan, jus truffé / Thon rouge croustillant poivre et sel, charlottes et oignons des sables laqués / Pigeonneau rôti au sautoir, la cuisse en cromesquis "à la diable", mousseline de fève / Comté millésimé et pain blanc toasté au curry de Madras / Coussin coco-citron piña colada / Mignardises chocolat.

Ayant envie d’essayer des pistes nouvelles j’ai associé au homard un champagne et un vin, pour voir ce qui se passe. On constate sur cet essai comme sur un autre qui suivra que la température de service est cruciale pour la réussite d’expériences osées. Les armoires froides des cuisines sont très froides. De peur que les champagnes y résident trop longtemps nous avons été excessivement prudents en les laissant à température de pièce.

Le Champagne Krug Vintage 1982 fait un contraste saisissant avec le Salon. Au guerrier des Saintes Croisades succède la Princesse de Clèves, référence sarkozienne s’il en est. Le côté floral du Krug est délicat et plein de charme. Sa couleur merveilleuse est mise en valeur par un rayon de soleil couchant qui atteint notre table. Le Château Haut-Brion blanc 1980 est d’un jaune citron de pleine jeunesse. Ce vin est généreux, chatoyant, et joue son rôle d’accompagnateur du homard sans se poser de question. Il se marie bien à la pince tandis que le Krug répond mieux à la chair plus dense de la queue. Aucun des deux cependant ne crée de réelle vibration avec l’excellent homard. Je préfère le Graves sur le plat alors que Bernard préfère le Krug. La diversité des goûts est habituelle.

Tout de go Bernard Pivot me dit qu’il attend avec impatience de lire le compte-rendu de ce dîner, car il est différent de lire les aventures que l’on vit. J’écris donc ce texte avec l’angoisse d’être jugé par celui qui a côtoyé tout ce que la littérature a produit de meilleur. Bernard est étonné que je ne prenne aucune note. Nous abordons maintenant son vin, le Château Beychevelle en magnum 1928. La couleur est belle, d’un rouge de grande jeunesse. Le vin est à peine trouble. Etant servi en premier, je suis sensible à une petite acidité dont j’espère que chacun s’accommodera pour ne pas passer à côté du beau message. Le vin est velouté, rond et joyeux, et l’accord avec le lourd jus truffé est gourmand. L’acidité disparaît vite. Bernard qui n’est pas familier des vins de cet âge constate que son vin n’est pas bu « post mortem » mais bien vivant. La pureté du chatoiement du vin est un plaisir que je prolonge en buvant la lie.

Le thon rouge est un plat osé pour les deux bourgognes, surtout lorsqu’il est bardé dans une chevelure d’or croquante. Il faut ne prendre que la chair pour profiter de la pertinence de l’accord. Un des nouveaux convives qui a lu beaucoup d’épisodes de mon blog sourit de me voir fondre de joie en humant la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976. Le parfum est tellement évocateur de la Romanée Conti que je succombe. En bouche, la salinité délicate me comble d’aise. A côté, le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 surprend Bernard Pivot. Car une couleur aussi jeune ne paraît pas possible pour un vin de 81 ans. Un ami suggère que le vin a été hermitagé, par une ajoute de Rhône ou d’Algérie et Bernard découvre ce mot qui exprime joliment les coupages qui se faisaient à l’époque. La Romanée Saint-Vivant est forte, puissante, saline et subtile. Le Nuits-Saint-Georges est calme et velouté. Les deux se complètent bien sans se nuire. C’est un joli passage bourguignon sur une chair tendre qu’aucun des vins n’émeut réellement.

Au moment où je m’y attends le moins, alors que nous parlons de sujets divers, Bernard Pivot me pose la question finale de Bouillon de Culture : « si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise au moment où vous le rencontrerez ? ». Je suis pris de court et ma réponse entraîne un « peut mieux faire » du professeur attristé par son cancre d’élève. Je lui explique alors que je ne pourrai sans doute jamais répondre à la question car pour moi, si Dieu existe, il est transcendant et la possibilité qu’il me parle n’existe pas. Toute réponse ne serait que pirouette. Nous lui demandons quelle réponse à cette question l’a impressionné. Il nous répond qu’un écrivain, Jean-Claude Brisville je crois, lui a répondu : Dieu me dirait : « pardon ». C’est d’une puissance extrême.

Sur le pigeon, nous allons faire un autre essai, d’associer la chair rose à un fort vin du Rhône et à un champagne rosé. Cette expérience me tente. La Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1989 est divine. Je crois n’avoir jamais ressenti autant de grâce dans ce vin. Il est habituellement impérial, pompéien, et voici qu’il nous joue, sur ce millésime, la jeune Tarentine. Sous une trame d’une solidité à toute épreuve, ce vin se permet d’être fragile, gracile comme une nymphe dansant sur les fleurs des champs.

Je persiste et signe, la cohabitation du pigeon avec le Guigal et avec le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 est possible. Mais le champagne est beaucoup trop froid et sera fini avant qu’il n’ait atteint la température qui permettrait de profiter de l’expérience osée à laquelle je crois. Le champagne est bon mais castré par sa température. Le pigeon est délicieux et ne trouvera d’écho qu’avec la Côte Rôtie alors que j’attendais deux échos.

Le Comté est absolument parfait, ferme, goûteux, sans excès d’affinage. Et l’Anjou Caves Prunier Rablay 1928 que je trouve fatigué et giboyeux est nettement mieux ressenti par mes convives qui ne s’arrêtent pas aux défauts que je vois. Lorsqu’il s’épanouit dans le verre, le vin perd le gibier, gagne en rondeur et en douceur et l’accord vaut bien une messe.

Le Château Climens Barsac 1928 est un liquoreux discret qui a légèrement chassé son sucre. C’est un vin raffiné, de grande classe, mais dont la bonne éducation se transforme en discrétion. Malgré le remplacement du dessert du menu par une surprise à la fraise des bois au goût citronné, l’accord est impossible. Le Barsac doit donc trouver sa voie tout seul, frêle, menu, mais d’un grand raffinement tout de même. Ce n’est pas l’explosion aromatique que trois d’entre nous avions connue avec le Climens 1929, mais c’est un très bon vin.

Ce qui manquait de trompette au Climens se trouve à la puissance cent avec le Belem’s Malvoisie Vin de Madère 1934. Je suis fou de ces vins là, car seul un âge canonique peut révéler des saveurs inconnues, à la sensualité unique. Il y a du poivre, de la griotte, du café, de la réglisse, et ce supplément d’âme qu’apporte la rondeur de trois quarts de siècle. J’étais intervenu pour qu’on ajoute un peu de café aux mignardises au chocolat. Ceci créa le plus bel accord de la soirée.

Il faudra que j’apprenne à compter car je n’ai cessé de penser que nous avions trois vins de 1928 alors que nous en avons eu quatre : le Beychevelle, le Nuits-Saint-Georges, l’Anjou et le Climens. Je crois bien que c’est une première. Il est temps maintenant de voter et ce n’est pas facile. Neuf vins sur onze ont eu des votes, ce qui est plaisant et six ont eu un vote de premier, ce qui montre bien la diversité des goûts. Le Salon 1985, le Beychevelle 1928, la Romanée Saint-Vivant 1976, le Climens 1928 ont eu chacun deux votes de premier et le Krug 1982 et le Madère 1934 ont eu un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976, 2 – Château Beychevelle magnum 1928, 3 – Château Climens Barsac 1928, 4 – Champagne Salon 1985.

Mon vote est : 1 – Belem’s Malvoisie Vin de Madère 1934, 2 – Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1989, 3 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976, 4 – Château Climens Barsac 1928.

Je suis fautif de ne pas avoir prêté plus d’attention à la mise au point du menu pour que les accords soient plus pertinents. La température de certains vins, trop chauds ou trop froids a gêné l’éclosion de plusieurs accords. Certains plats furent splendides, le service attentionné et l’atmosphère chaleureuse, illuminée par la gentillesse et l’étonnement de Bernard Pivot. Quelques amis ne voulaient plus quitter la table. L’un d’entre eux offrit un Champagne Egly-Ouriet qui, lui – c’est rageant – apparut à la température idéale. Oublions les petits détails imparfaits pour ne retenir que l’amitié, la générosité et l’intensité de ce beau dîner.

Amuse-bouche : foie gras de canard, passion, ananas

Homard bleu aux pêches, pointes de sucrine à la vanille (j’ai oublié de photographier)

Macaroni farcis aux truffes noires et foie gras, gratinés au parmesan, jus truffé

Thon rouge croustillant poivre et sel, charlottes et oignons des sables laqués

Pigeonneau rôti au sautoir, la cuisse en cromesquis "à la diable", mousseline de fève

Comté millésimé et pain blanc toasté au curry de Madras

Coussin coco-citron piña colada (remplacé par une surprise à la fraise des bois)

Mignardises chocolat

la table en fin de repas

119ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 28 mai 2009

Le 119ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. J’avais annoncé dans la liste des vins une bouteille de La Tâche 1969 basse. De ce fait j’avais ajouté un vin aux dix habituels prévus pour dix convives. En préparant les vins il y a une semaine pour les livrer au restaurant, la couleur du Bienvenue Bâtard Montrachet 1960 m’est apparue peu sympathique, aussi ai-je ajouté un Chablis. Au moment de l’ouverture, les bouchons brisés ou émiettés sont particulièrement nombreux. Une anecdote mérite d’être signalée. La seule bouteille qui a été reconditionnée est celle du Guiraud 1893, exactement comme celle du même vin ouvert à Pékin. Mais l’opération de toilettage pour le vin de ce soir a dû être faite plusieurs années auparavant, car il m’est impossible de lire le millésime du rebouchage, une légère pellicule collée au bouchon masquant le marquage. Le flacon est d’origine, et après avoir bataillé pour lever le bouchon, celui-ci se brise et je constate que la partie de bouchon sortie est boursouflée. Ceci est dû au fait que le verre a une surépaisseur en haut de la bouteille, mais au lieu qu’elle soit à l’extérieur, elle est à l’intérieur. Elle bloque donc la remontée de la partie restante du bouchon qui tombe dans le liquide. L’obstacle sera logiquement aussi insurmontable à la remontée des morceaux. J’appelle à l’aide les deux sommeliers mais ils sont occupés ailleurs. Je bataille et par un coup de curette ressemblant à une sortie de bunker par Tiger Woods, je réussis à extirper l’ensemble du bouchon de ce piège inattendu.

L’odeur du Bienvenue Bâtard Montrachet indique une mort quasi certaine et celle de La Tâche commence par être encourageante pour Frédéric et Vincent, les deux sympathiques sommeliers, et pour moi. Mais une demi-heure plus tard, le vin n’a pas pris la tendance attendue d’une guérison heureuse. Sentant l’ensemble des vins, j’estime prudent d’ouvrir un vin de plus et je prélève de la cave du restaurant un Corton rouge de Bonneau du Martray.

Les vins que je prévois pour les dîners de wine-dinners sont comme mes enfants. Même si je remplace ou complète pour tenir compte des faiblesses des vins, je suis triste quand un vin ne se présente pas au mieux. Pour La Tâche, je savais qu’un niveau bas est à risque, mais il y a eu tellement de belles surprises que j’ai un espoir. L’odeur la plus belle est celle du Château de Malle 1961, suivie par celle du Chablis Louis Latour 1979. Celle du Cheval Blanc 1962 me plait beaucoup.

Les convives arrivent ‘presque’ tous à l’heure. Il y a trois journalistes dont deux pionniers de grands magazines français, il y a trois chefs d’entreprises qui militent chacun à des degrés divers dans des organisations patronales, et au sein de notre groupe de dix, il y a trois des quatre plus fidèles de mes dîners, chacun ayant eu la palme de la fidélité à l’une ou l’autre période des neuf années de dîners. 

Le menu conçu par Christian Le Squer est ainsi présenté : Caviar de Sologne givré à l’eau de mer / Daurade Royale à cru, fine gelée de cotriade / Morilles en croûte de pain virtuelle / Rouget snacké aux mousserons / Pigeonneau: cru et cuit à la graine de sésame / Foie de veau en persillade et oignons frits / Stilton / Variation autour de la Mangue.

Les petits amuse-bouche sont une introduction au monde culinaire de Christian Le Squer. Sur une évocation d’anguille dans un macaron, le Champagne Dom Pérignon 1976 est très à l’aise. De couleur claire malgré ses 33 ans, ce champagne à la bulle très fine est d’un grand raffinement. Il est prévu sur la première entrée, et l’émulsion qui entoure le caviar est très originale. Mais c’est le caviar seul, très dense et profond, qui est destiné à mettre le Dom Pérignon en valeur, dans un accouplement qui ne souffre pas des tares de la consanguinité. Un ami présent dit : « si les choses commencent aussi fort, la suite du repas aura-t-elle la capacité de tenir ce niveau ? ».

Un démenti est immédiatement apporté à son interrogation par un accord qui représente pour moi un sommet absolu. La sensation est physique. C’est la même que celle d’être arrivé à gravir une montagne de plus de 8000 mètres : tout-à-coup, la fatigue n’existe plus. C’est celle d’avoir gagné la balle de match : on trottine en décontraction totale vers le filet pour serrer la main du vaincu. Il y a de cela entre le Champagne Krug 1982  et la daurade. Le champagne est d’une classe infinie. C’est un aboutissement de la complexité idéale du champagne. Et la daurade a un je ne sais quoi qui, comme Madame Arthur, fera parler d’elle longtemps. Elle sait capter le génie du vin. Sur ma chaise, j’ai les remuements et les signes que quelque chose de grand se passe. On touche quasiment au divin.

Les morilles sont merveilleusement délicieuses. Vont-elles ressusciter le Bienvenue Bâtard Montrachet Tasteviné Bouchard Père & Fils 1960 ? On pourrait le croire, car le vin donne le change pendant trois secondes en bouche. L’attaque ne révèle aucun vice. Mais c’est le final qui est mortel. Le vin est mort, définitivement mort, même s’il peut être bu sans aucune grimace. Il sert à mettre en valeur le Chablis Premier Cru Louis Latour 1979 qui est délicieux. Il est impossible de lui donner un âge et c’est presque incompréhensible qu’il puisse avoir trente ans, tant sa couleur est d’un jaune citronné et son goût d’une fraîcheur juvénile. L’accord entre la morille et le chablis est plus que pertinent.

J’ai un amour certain pour le Château Cheval Blanc 1962 que j’ai bu plusieurs fois. Celui-ci est bon, comme l’annonçait son parfum à l’ouverture, mais je le ressens sous un voile de poussière. Comme j’ai l’habitude de boire les dernières gouttes de la lie, la noblesse du vin m’est réapparue sur le concentré final d’un vin d’une grande finesse. Et c’est réellement réconfortant de savoir qu’il est au rendez-vous, même fugacement. En fait peu d’entre nous s’intéressent à ce vin, car la vedette dévorante, qui accapare tous les esprits, c’est le Château Haut-Brion 1923 que je n’aurais pas attendu à un niveau aussi exceptionnel. Je dis à un ami : « rien que ce vin justifie à lui tout seul le voyage que nous faisons dans le monde des vins anciens ». Car ce vin a tout pour lui. Il est généreux, velouté, chamarré des reps les plus lourds et décoré de cistes de Cybèle. C’est un plaisir rare que goûte particulièrement l’un des journalistes, membre du Club des Cents, et adorateur de ce Château. Le rouget présenté plus cuisiné que dans sa pureté réagit moins aux deux bordeaux, même si l’accord se trouve.

On me sert en premier La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969 et j’interromps les discussions animées pour déclarer que contrairement à mes avertissements, ce vin n’est pas malade. J’en profite quelques instants, mais je remarque que l’on gronde autour de moi au fur et à mesure que le vin est servi. Certains amis se plaignent de son odeur. Or dans mon verre servi des premières gouttes, je ne sens toujours rien. On me demande comment n’ai-je rien remarqué et par un phénomène étrange, ce vin qui n’avait aucun signe de bouchon et aucun goût de bouchon va développer tardivement dans mon verre une forte odeur de bouchon, non perceptible en bouche. Pourquoi l’apparition de cette odeur a-t-elle été cachée pendant plusieurs minutes, c’est une énigme pour moi. Le vin, même s’il suggère ce que pourrait être la signature du Domaine de la Romanée Conti ne présente aucun réel intérêt. Là aussi, par un effet de compensation, le Clos Vougeot Paul Dargent 1928  va n’en paraître que plus beau. On a en ce vin tout le charme et l’opulence de l’année 1928. Ce qui est appréciable, c’est la pureté du message. On ne se trouve pas en présence d’un bourgogne parmi les plus complexes. Mais il y a une générosité, une clarté de voix qui n’appartient qu’à des vins de race ou à des vins d’une immense année. La couleur encore sur le rubis, comme celle aussi jeune du Haut-Brion 1923, est un petit bonheur. Ce qui me frappe, c’est l’équilibre de ce beau vin, moins racé que le Haut-Brion mais très chaleureux. Le pigeon en trouble plus d’un, car il est assez peu fréquent qu’une des aiguillettes soit servie crue. Si l’on accepte le voyage en terre inconnue, c’est d’un beau dépaysement.

J’ai stoppé Vincent qui voulait servir en même temps le Corton Bonneau du Martray rouge 1999 et j’ai bien fait. Nous le buvons en ‘entre-deux’, comme un trou normand. Il nous fait prendre conscience de l’éloignement considérable des deux mondes, celui des vins anciens et celui des vins récents. Car cet excellent Corton dont on jouirait autrement avec bonheur fait ici simplifié, ébauche, silex non taillé. Il n’eût pas été nécessaire d’ouvrir un vin de plus. Mais j’avais été anxieux lorsque j’ai ouvert des vins incertains.

Le Fleurie Remoissenet Père & Fils 1967 est une belle curiosité. Son parfum d’ouverture était sympathique. Comme pour le Cheval Blanc 1962 je ressens un voile de poussière. Le vin n’est pas grandiose mais il méritait d’être essayé. On s’intéresse surtout au Chateauneuf-du-Pape Réserve des Chartres 1947 dont je tombe amoureux. Les vins du Rhône, quand ils atteignent ces âges, prennent une sérénité, une simplicité de ton qui m’évoque la calligraphie chinoise ou la justesse des traits des dessins de Picasso. On dirait que le Rhône joue à l’économie de moyens pour ne délivrer que l’essentiel, mais quel essentiel !

Sur un Stilton parfait, le Château de Malle Sauternes 1961 se montre éblouissant. Il joue, sur cette année, dans la cour des grands, embouchant une trompette alto en mi-bémol. Chaud, caressant, puissant, il n’a pas une extrême profondeur, mais il se rattrape par sa joie de vivre, que lui communique abondamment le fromage.

Le Château Guiraud Sauternes 1893 est un seigneur. Vivant, noble, serein, subtil, il est précieux et délicat. On ne peut que l’aimer, la mangue lui convenant parfaitement, sa couleur évoquant les mangues bien mures.

Il était déjà fort tard quand il a fallu cesser les échanges animés pour se concentrer sur les votes. L’un des journalistes ayant dû s’éclipser, c’est son voisin de table qui vota pour lui en se fiant aux commentaires qu’il lui avait faits en cours de repas. Quatre vins n’ont pas eu de vote, le Cheval Blanc, le Bienvenue Bâtard, La Tâche et le Fleurie. C’est très logique si l’on considère les performances qu’ils ont eues ce soir, mais cela veut dire aussi que neuf vins ont figuré dans les votes, ce qui me console. Cinq vins ont été nommés premiers, ce qui est bien quand on sait que le Haut-Brion 1923 est élu au premier tour, avec cinq votes de premier, remarquable performance. Le Guiraud obtient deux votes de premier et les trois autres vins qui ont eu un vote de premier sont le Krug, le Chateauneuf-du-Pape et le Malle.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Haut-Brion 1923, 2 – Château Guiraud Sauternes 1893, 3 – Chateauneuf-du-Pape Réserve des Chartres 1947, 4 – Champagne Krug 1982.

Mon vote est : 1 – Champagne Krug 1982, 2 – Chateauneuf-du-Pape Réserve des Chartres 1947, 3 – Château Haut-Brion 1923, 4 – Clos Vougeot Paul Dargent 1928. La place de premier accordée par le consensus est plus logique que celle que j’ai donnée, mais c’est l’accord sublime qui a influencé mon choix.

La cuisine de Christian Le Squer a été particulièrement inspirée. Les accords se sont bien développés. Le service a été une nouvelle fois exemplaire. Personne ne voulait quitter la table, chacun prolongeant le confort moelleux d’avoir vécu une belle aventure. Les moments intenses furent nombreux au cours de ce grand dîner. Apparemment comme me l’a fait remarquer Patrick Simiand, je porte chance au restaurant puisque chaque fois que j’y fais un dîner, tous les salons sont occupés, la cuisine ayant servi ce soir plus de trois cents repas.

Alors, revenons vite …

119ème dîner le 28 mai 2009 – les vins jeudi, 28 mai 2009

Champagne Dom Pérignon 1976

Champagne Krug 1982

Bienvenue Bâtard Montrachet Tasteviné Bouchard Père & Fils 1962

Château Cheval Blanc 1962

Château Haut-Brion 1923

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969 (basse)

Clos Vougeot Paul Dargent 1928

Fleurie Remoissenet Père & Fils 1967

Chateauneuf-du-Pape Réserve des Chartes 1947

Château de Malle Sauternes 1961

Château Guiraud Sauternes 1893 (reconditionné au château en 2000)

Chablis 1er cru Louis Latour 1979 (en réserve)