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Dîner de wine-dinners au restaurant le Pré Catelan mardi, 17 janvier 2006

Dîner du 17 janvier 2006 au restaurant  le Pré Catelan

Bulletin 167 – les vins et le menu

Les vins de la collection wine-dinners

Champagne Pâques Gaumont (Trépail) Brut SA (vers 1970 ou avant)

Champagne Dom Pérignon Œnothèque (dégorgé en 2002) 1988

Château Rayas blanc Châteauneuf du Pape 1997

Domaine de Chevalier blanc 1947

Château La Conseillante Pomerol 1947

Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919

Léoville Las Cazes 1979

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1979

Château d’Yquem 1960

Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997

Le menu composé par Frédéric Anton et Olivier Poussier

Chateau La Conseillante 1947

Amuse-bouche, Royale de foie gras

Oursin, fine gelée au paprika, aromates vinaigrés, Zéphyr

Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe »

Os à moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci d’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti

Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits

Chevreuil, poêlé, sauce poivrade « Poivre et Genièvre », pâtes au beurre demi-sel et truffe noire

Fromages bleus

Mangue aux épices

dîner de wine-dinners au Pré Catelan mardi, 17 janvier 2006

Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919, Château La Conseillante Pomerol 1947, Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997, Léoville Las Cazes 1979 et bien d’autres

J’arrive au restaurant du Pré Catelan pour ouvrir les bouteilles du 62ème dîner de wine-dinners. Une chose me trotte dans la tête. Je venais de déjeuner chez Laurent il y a quelques jours et j’y avais rencontré par hasard Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde, conseiller du groupe Lenôtre. Il m’avait dit alors : je vais mettre les deux rouges de 1979 ensemble et les deux anciens ensemble. Surprise, car si je ne l’avais vu par hasard, je ne le saurais pas. Opposer sur un plat un bordeaux et un bourgogne, et ce deux fois de suite, j’accepte, car on apprend de chaque expérience. Ce sera une première. J’en tirerai des leçons. Mais finir le repas sur un Gewurztraminer quand il y a Yquem au programme, là, on ose !!!

Je veux vérifier à l’ouverture si cette innovation se justifie. Le Gewurztraminer est une explosion d’odeurs. Pour moi c’est du litchi alors qu’on lui destine un dessert à la mangue. Voilà qui va encore compliquer les choses. L’Yquem dégage un parfum d’une telle distinction qu’on ne voit pas pourquoi ne pas lui donner le mot de la fin. D’autant qu’un fromage calmerait l’ardeur du tout fou Hugel, quand la mangue irait logiquement au cœur d’Yquem, avec ces arômes de mangue et abricots si rassurants. Comme j’aime les découvertes, les innovations, nous verrons.

La plus belle bouteille, malgré la déchirure de l’étiquette, c’est celle de Domaine de Chevalier blanc 1947. Et les senteurs les plus éblouissantes sont celles de La Conseillante 1947, d’une pureté de ton invraisemblable, et celle du Grand Chambertin, odeur prodigieuse. Ces deux vins seraient à montrer dans les écoles,pour qu’on puisse apprendre ce qu’est une odeur parfaite. Assis devant ces deux flacons d’immédiat après-guerre, La Conseillante 1947 et le Grand Chambertin qui est de 1919 et non de 1929 comme annoncé, je songe : j’ai devant moi ce qui peut se rêver de mieux, si l’on parle de l’odorat. Et ça me suffit. Je n’y trempe pas mes lèvres, ce sera pour ce soir, mais ces senteurs quasi irréelles suffisent à mon bonheur.

Le Henri Jayer attend son heure et n’en révèle pas trop. Le Las Cases lui aussi cache ses cartes (il a un joli bouchon efficace). Le Rayas a déjà le pied sur l’accélérateur.

Frédéric Anton est venu plusieurs fois sentir ces vins magiques et cela me plait qu’un chef s’y intéresse. Ce fut sans doute une des plus belles séances d’ouverture des vins, moment que j’apprécie, car je vois comme chaque vin se présente, dans le simple appareil olfactif de sa sortie de sommeil, et je m’en souviendrai quand il fera son exposé, orateur à la voix posée quand le plat le lui demandera. L’émotion des ouvertures est enrichissante et très forte pour moi.

Le menu mis au point par Frédéric Anton et Olivier Poussier est le suivant : Amuse-bouche, Royale de foie gras / Oursin, finegeléeaupaprika, aromates vinaigrés, Zéphyr / Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe » / Osàmoelle, l’unparfumédepoivrenoiretgrilléencoque, l’autrefarcid’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti / Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits / Chevreuil, poêlé, saucepoivrade « PoivreetGenièvre », pâtes au beurre demi-sel ettruffe noire / Fromages bleus / Mangue aux épices. C’est une très large palette des talents de Frédéric Anton.

L’assemblée est composée d’un couple de luxembourgeois amateurs de vins, d’un ami grec et armateur, ce qui est presque un pléonasme, accompagné d’un autre armateur mais canadien, une journaliste qui travaille pour une revue américaine de luxe, la plus fidèle participante de ces dîners arrivée la première pour une fois (incroyable) et son ami qui accueillaient un autre couple. A part mon amie, huit novices de ces dîners ont repoussé de très loin l’année du plus vieux vin qu’ils aient jamais bu.

 

diner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meurice n° 61 jeudi, 15 décembre 2005

Le soixante-et-unième dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Meurice. Les bouteilles ont été apportées il y a une semaine, mises debout par Nicolas, cet intelligent sommelier, depuis deux jours, et je vais les ouvrir bien seul, car Nicolas a une réunion de direction. Mais ce lieu a tant de ressources que je me sens épaulé. Le journaliste qui était venu m’interviewer lors de l’ouverture des vins il y a un mois au restaurant Apicius a fait un article dithyrambique qui doit paraître dans Bloomberg News et ce journal m’a envoyé un photographe pour me mitrailler pendant que j’officie. Il déploie son impressionnant matériel pendant que je déploie mes outils. Les bouchons viennent sans grande difficulté. Tous les vins ont des senteurs éblouissantes, surtout les trois bourgognes et surtout parmi eux La Tâche, qui a ce parfum canaille des bourgognes de séduction. La vraie question à l’ouverture est celle du Chambertin 1911. Je pressentais qu’il serait bon, et je m’en étais ouvert, en m’avançant bien sûr, à ceux qui s’inscrivaient. Il a tenu sa promesse. Ouverture éblouissante de séduction. J’avais appelé le jour même un descendant de la famille Audiffred pour lui dire que j’ouvrirais un 1911. J’ai senti au téléphone l’intense émotion qu’il ressentait de savoir qu’on allait déguster entre amateurs ce nectar.
La seule déception à l’ouverture vient du bordeaux de mon année. Je l’annonce comme mort aux convives qui arrivent au bar où je les attends. Je fais mes recommandations d’usage comme l’hôtesse de l’air qui explique les consignes de sécurité. Je n’ai pas souvent révélé l’identité de mes convives, car je respecte cette participation à mes dîners qui est une décision privée, mais je ne peux pas m’empêcher de vous faire partager ma joie d’avoir accueilli Pierre Lurton et son épouse Carole qui se sont inscrits. Avec Pierre, dès que nous nous sommes rencontrés, nous aurions pu sauver l’endettement d’EDF et lui éviter de devoir investir dans des centrales nucléaires, tant le courant est passé entre nous. Au salon des grands vins, il m’avait fait l’honneur de m’associer à la présentation des deux immenses vins qu’il produit, Cheval Blanc et Yquem. Et l’idée d’un dîner a pris corps, dans l’esprit – c’est ce qu’il voulait – de mes dîners, sans qu’on y change rien. Autour de la table des amis de toujours, fidèles enthousiastes de ces dîners, un inconnu avec lequel la sympathie est immédiatement née, et un groupe de solides amateurs, connaisseurs de bons vins, avec lesquels aussi un seul contact avait suffi pour que l’osmose se fasse. C’est dire si la table fut joyeuse, Pierre Lurton au torse rayé d’un récent trait bleu fort méritoire, d’une belle humeur, racontant de belles anecdotes.
Un détail m’avait plu. Nous buvions au bar en attendant des convives un champagne que je trouvais assez léger et un peu court. Pierre Lurton le trouva bon, alors que dans le groupe auquel il appartient, il y a de solides valeurs. Cette simplicité présageait que nous partagerions de bons et grands moments.
Le menu composé par Yannick Alleno, d’une homogénéité de ton remarquable est d’une élégance rare : Velouté de Châtaignes aux copeaux de truffes blanches / Dos de Bar étuvé aux coquilles Saint-Jacques, émulsion de coques, mousseline de pomme de terre rate, beurre végétal / Ormeaux cuisinés au beurre salé, ragoût de haricots de Paimpol / Filet et côtes d’agneau de lait des Pyrénées, Bayaldi d’aubergines aux aromates, et aux oignons croustillants / Volaille de Bresse au foie gras et aux truffes noires / Ravioles transparentes de mandarine, émulsion au basilic / Croquant au chocolat blanc et pralin, Glace à l’essence de truffe blanche.

Le magnum de champagne Pommery 1988 servi à table montre immédiatement – merci champagne inconnu qui l’a mis autant en valeur – une richesse de ton, une longueur et un charme impressionnants. J’avais ouvert ce champagne il y a deux ans en format de six litres qui l’avait haussé à un niveau assez exceptionnel. Ce magnum est aussi de grande valeur. C’est la truffe blanche extrêmement expressive qui propulse ce champagne à des hauteurs gustatives rares.
Sur le bar, particulièrement émouvant, deux vins. Le Chassagne-Montrachet Louis Latour 1979 a une couleur soutenue, un nez intense, mais j’ai peur qu’il paraisse un peu faible à coté du jeune et bouillonnant Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997. Avec le plus jeune, il y a des bouquets d’épices qui partent dans toutes les directions. Mais le Chassagne, plus constant, plus tenace, d’une trace plus marquée va séduire toute la table. Pas un convive ne signalera je ne sais quelle fatigue liée à l’âge car il n’y en a pas. Les deux vins sont opposés mais se justifient chacun dans son rôle, le plus jeune et le plus mûr. Lors de ce repas le cœur pencha plutôt pour l’ancien. Un signe qui ne trompe pas, on pouvait passer d’un vin à l’autre sans la moindre difficulté.

Ayant annoncé que le Château Pontet-Clauzure, saint-émilion 1943 était mort, nous eûmes plutôt une agréable surprise. Un des convives l’imagea en disant que le comateux respirait encore, mais il ne faisait que cela. Le vin n’était pas sauvable, même si le témoignage n’était pas totalement perdu. De toute façon, nous n’avions aucun mal à l’oublier, car le Château Palmer 1959 fait partie de ces bouteilles qui chantent la gloire du bordelais. Pierre Lurton qui venait de boire il y a deux jours Cheval Blanc 1959 penchait naturellement vers son poulain, mais ce Palmer est un immense vin, meilleur, car on est en situation de repas, que celui bu à l’académie des vins anciens (bulletin 155). Le nez est élégant, raffiné, et en bouche, le vin est chaleureux, puissant sans être imposant, avec une longueur qui n’appartient qu’aux grands vins. Je ne suis pas un spécialiste des ormeaux, et l’un des convives signala qu’ils n’avaient pas été assez battus, ce qui les aurait rendus plus souples en bouche. C’est certain qu’ils étaient fermes. Mais le goût intense était une merveille sur le Palmer. J’avais évidemment voulu faire un petit clin d’œil en ajoutant une demi-bouteille de Château Cheval Blanc 1960. Ayant abondamment parlé de mes méthodes d’ouverture des vins, ce 1960 d’un épanouissement rare étonna Pierre Lurton qui ne s’attendait pas à ce que cette année que peu de gens ouvrent, et en plus en demi-bouteille, puisse atteindre ce niveau.
L’agneau, quand il est traité de cette belle façon, met admirablement en valeur les qualités de la Bourgogne. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1981 est d’un charme dense. En attendant mes convives au bar, j’avais croqué quelques olives vertes. Ayant en tête les parfums des trois bourgognes, j’eus soudain cette image : le charme déroutant d’un bourgogne, c’est un peu comme l’approche gustative d’une olive que l’on croque, qui vous trouble par le sel, l’amer qui se fondent pour produire paradoxalement un effet plaisant. Les goûts ne sont évidemment pas les mêmes, ce sont les sensations qui se ressemblent. La Tâche est très beau, solide message de sérénité. Le Chambertin Domaine Audiffred fournisseur de SM Napoléeon III, 1911 est absolument émouvant. Ce vin de 94 ans n’a pas une ride. Il déroule son charme comme doit le faire un grand chambertin. Et cela paraît si naturel, si facile. On a un témoignage qui n’a pas une trace de vieillissement, un vin qui remplit la bouche joyeusement avec une longueur extrême. Et tout s’est joliment intégré.
Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974 nous grise encore plus. C’est un vin qui déroule encore plus de subtilité. Plus délicat, plus en dentelle, il est diablement charmeur. Ce vin que j’ai bu souvent, dont au dernier dîner (le 50ème) au même Meurice, et que j’ai bu avec émotion dans sa version 1926, est un vin éblouissant. Nous avions trois expressions très complémentaires de la Bourgogne, une institution avec La Tâche, une permanence historique avec un fringant chambertin, et un charme redoutable avec un Pommard d’une superbe facture. Nous étions comblés.

Sur le délicieux dessert, le Château d’Yquem 1962 brilla des feux de sa couleur dorée, des parfums que la bouteille et les verres dégageaient à l’envi, et de cette trace en bouche à la puissance inimitable. Comment placer cet Yquem dans une perspective historique ? Il est moins typé que certaines grandes années, mais sa solidité sereine le place dans la lignée des solides Yquem au goût d’Yquem.
Le vin de paille Jean Bourdy 1947 me bouscula. Je ne suis pas très fanatique des vins de paille, aussi le charme et surtout la complexité de ce vin me bouleversèrent. Sur le dessert marqué de truffe blanche, ce fut absolument divin. Le jurassique enfant brilla comme une star.
Au moment des votes, ce qui est amusant c’est que la mémoire se porte plus volontiers sur les vins les plus récents, les derniers du repas. Le vin de paille obtint quatre places de premier et neuf votes, le château d’Yquem obtint trois places de premier et huit votes, le Pommard, le Cheval Blanc et le Palmer eurent chacun un vote de premier. Le consensus serait : vin de paille, Yquem, Chambertin, La Tâche et Pommard. Mon vote fut dans l’ordre : vin de paille Jean Bourdy 1947, Pommard Michel Gaunoux 1974, Chambertin Audiffred 1911 et Château Palmer 1959.
La salle de restaurant de l’hôtel Meurice est pleine de charme. La cuisine de Yannick Alléno est de plus en plus affirmée et d’une sensibilité talentueuse, le service est absolument impeccable et motivé. Mes vins étaient, comme Laure Manaudou, présents au bon rendez-vous. Ce fut, pour le dernier dîner wine-dinners de 2005, un grand dîner.

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meurice jeudi, 15 décembre 2005

Dîner de wine-dinners du 15 décembre 2005 au restaurant de l’hôtel Meurice
Bulletin 163

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Pommery 1988
Chassagne-Montrachet Louis Latour 1979
Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997
Château Palmer 1959
Château Pontet-Clauzure, saint-émilion 1943
½ b Château Cheval Blanc 1960
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1981
Chambertin Domaine Audiffred fournisseur de SM Napoléeon III, 1911
Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974
Château d’Yquem 1962
Vin de paille Jean Bourdy 1947

Le menu composé par Yannick Alleno

Velouté de Châtaignes aux copeaux de truffes blanches
Dos de Bar étuvé aux coquilles Saint-Jacques, émulsion de coques, mousseline de pomme de terre rate, beurre végétal
Ormeaux cuisinés au beurre salé, ragoût de haricots de Paimpol
Filet et côtes d’agneau de lait des Pyrénées, Bayaldi d’aubergines aux aromates, et aux oignons croustillants
Volaille de Bresse au foie gras et aux truffes noires
Ravioles transparentes de mandarine, Emulsion au basilic
Croquant au chocolat blanc et pralin, Glace à l’essence de truffe blanche

Dîner de wine-dinners au restaurant Apicius vendredi, 18 novembre 2005

Dîner de wine-dinners du 18 novembre 2005 au restaurant Apicius
Bulletin 160

Les vins de la collection wine-dinners
Chablis Grand Cru Blanchots Domaine Vocoret 1996
Maury Mas Amiel 1974
Riesling Cuvée Frédéric Emile, Vendanges Tardives, Trimbach 1990
Château Mouton Rothschild 1962
Château Paveil de Luze Haut Médoc 1937
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1957
Château Chalon Jean Bourdy 1947
Château d’Yquem 1984
Madère vieux, mis en bouteille en 1893

Le menu composé par Jean Pierre Vigato

Cuillers « dégustation »
Foie gras de canard poêlé au chocolat noir et poudre d’orange
Homard cuit-cru à la citronnelle
Petit pâté chaud d’oiseaux….
Râble de lièvre à la broche et compote, « comme à la Royale »
Vieux Comté et pommes de terre aux noix
Pommes en feuille à feuille, miel de cassonade à l’orange
Mignardises

dîner de wine-dinners au restaurant Apicius 60ème vendredi, 18 novembre 2005

Le 60ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Apicius, rue d’Artois. Cet écrin est magique. Le jardin d’une fin d’automne s’est décoré de vases colorés qui forment un orgue champêtre, les amaryllis ajoutent des couleurs à la Gauguin quand la décoration moderne et raffinée se déguste comme un vin de soleil.
J’inaugure à l’occasion de ce dîner trois éléments nouveaux ou presque. Le dîner est un vendredi, alors que le jeudi était quasi statutaire, il se tient dans un salon privé très agréable, et nous ne sommes que huit, pour être à l’aise dans ce petit salon. Ayant prévu des vins pour dix et ayant décidé d’offrir un petit cadeau aux convives, je change quelques vins. L’ouverture se fait avec Hervé, grand sommelier dont l’importance de la crinière s’accroît avec la notoriété du lieu. Nous échangerons beaucoup, ce que j’adore. Un journaliste américain qui travaille pour une chaîne de télévision newyorkaise vient assister à la cérémonie d’ouverture. Je lui fais sentir les bouchons et les vins, et ma confiance dans le retour à la vie de certains vins l’étonne profondément. Il écrit beaucoup sur le vin, a une belle culture de nos vignobles puisqu’il vit en France, mais je le fais entrer dans un monde particulier. J’ai quelques interrogations sur des odeurs incertaines. Nous verrons. Je m’occupe de régler les températures des stockages d’ici le dîner.
Jean-Pierre Vigato ne sera pas là ce soir, ce qui arrive peu pour mes dîners, mais toutes les instructions ont été données. Et cette cuisine sereine, précise, bourgeoise, a de nouveau frappé très fort. Voici le menu : Cuillers « dégustation » / Foie gras de canard poêlé au chocolat noir et poudre d’orange / Homard cuit-cru à la citronnelle / Petit pâté chaud d’oiseaux…. / Râble de lièvre à la broche et compote, « comme à la Royale » / Vieux Comté et pommes de terre aux noix / Pommes en feuille à feuille, miel de cassonade à l’orange / Mignardises.
Le Chablis Grand Cru Blanchots Domaine Vocoret 1996 est rassurant comme pas deux. Précis, il s’accorde au délicieux petit boudin et aux escargots en cuiller.
Le Maury Mas Amiel 1974 m’avait fait peur à cette place du repas, car son nez lourd me laissait imaginer une forte trace qui influencerait le reste du repas. Ouvert près de quatre heures avant, le vin qui enivrait de son impérieuse émanation fut d’une délicatesse exemplaire sur le foie gras au magistral chocolat. Il fallait un chocolat bien sec, cacaoteux, et ce Maury distingué, presque sec dans son expression, pour atteindre un de ces accords chantants qui m’enthousiasment. La trace d’orange est une signature qui embellit le tout.
Le Riesling Cuvée Frédéric Emile, Vendanges Tardives, Trimbach 1990 est d’une définition précise, d’un contenu documenté éblouissant. On n’est pas dans le registre des vins anciens mais dans celui des vins épanouis et expressifs. Le homard est peut-être timide pour ce vin épanoui, un peu entravé par la citronnelle.
Sur le pâté de grive, si simple mais si complexe en même temps, talent du chef, le Château Mouton Rothschild 1962 dont le nez était dans le brouillard à l’ouverture se livre, se construit, et l’on reconnait un Mouton discret, mais typé, d’une distinction remarquable. Mais le Château Paveil de Luze Haut Médoc 1937 est bien trop brillant. Bouteille ancienne au bouchon d’origine et au niveau base de goulot, donc parfait, ce vin d’une couleur très jeune, qui avait exhalé dès l’ouverture une santé insolente, ravit l’âme par sa structure élégante, sa densité veloutée qui prend dans le gibier de quoi se conforter. Un vin de grand plaisir.
Et puis, voilà qu’arrive le gredin de banlieue, pas un contemporain mais un surineur des contes d’Eugène Sue, un Jules Berry du film « Le Jour se lève », j’ai nommé : La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1957. La chair du râble est émouvante de sensibilité. Et La Tâche, au nez amer de vin râpeux, puis décochant en bouche un dépaysement absolu, est tentant comme la beauté du Diable. Quand on accepte le coté dérangeant de ce vin, on est conquis, et toute la table le fut. Quel contraste entre le coté rassurant du 1937 conservé comme un jeune homme et le coté canaille de ce La Tâche dont l’équilibre de l’agressivité et du charme est saisissant.
Cher lecteur, habitué de mes absences d’objectivité, pardonnez-moi un instant. Quand je goûte un Château Chalon Jean Bourdy 1947, je ne peux pas dire que je suis le même. Je touche à des saveurs qui me liquéfient de bonheur. Il y avait pour ce vin des Comtés de plusieurs âges de 2003 et 2004. Comme souvent, c’est le plus jeune qui me plait, car il ne faut pas lutter avec le charme de noix fraîche du vin jaune. Les petites variations associant la pomme de terre ou le reblochon n’apportent rien.
Le dessert à la pomme, impressionnante construction pyramidale qui a cuit pendant dix heures, est absolument délicieux. Bien sûr, il va donner au Château d’Yquem 1984 une saveur qui en tiendra compte. Cet accord n’est pas neutre. Il n’élargit pas le vin doré et discret d’Yquem, mais il lui donne une personnalité particulière. Plusieurs convives fêtaient leurs premier Yquem. Ils furent comblés par ce 1984 qui fut grand. Ce n’est pas le plus flamboyant, mais il est solide.
J’avais pris en cave le cadeau du 60ème dîner, mais je m’aperçus en l’ouvrant qu’il était fortement dépigmenté. Le Madère vieux, mis en bouteille en 1893 date peut-être de 1870. Nous avons cherché des lueurs de vie dans ce vin. Mais ce n’était qu’un liquide vieux, sans vie, sans âme, sans passion.
La table était composée de gens qui ne se connaissaient pas. Une académicienne de l’académie des vins anciens participait à son premier dîner. Un seul convive avait l’expérience d’un dîner, celui de l’Oustau de Baumanière. De divers horizons, de diverses expériences, certains furent interviewés par une journaliste spécialiste de gastronomie qui avait participé à ce dîner. Je sus que dès le lendemain, très tôt, on entendit leurs commentaires. Par malheur je ne suis jamais tombé au bon moment sur France Info pour entendre ce qu’ils ont dit. J’ai su ensuite que ce fut délicat et bien exprimé.
Nous avons procédé aux votes, selon la tradition. Tous les vins sauf le madère eurent au moins un vote, ce qui me plait toujours. Les plus votés furent La Tâche avec quatre votes de premier, le Château Chalon avec quatre votes de premier, sur huit, et sans le mien ! Et Yquem qui eut cinq votes de second.
Mon classement fut : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957, Paveil de Luze 1937, Château Chalon 1947 et Riesling Cuvée Frédéric Emile Trimbach 1990.
La cuisine positivement bourgeoise et diablement précise de Jean Pierre Vigato convient bien aux vins anciens. Le râble est exceptionnel de tendreté. Le joli salon rend plus difficile qu’une salle de restaurant le premier contact entre les convives qui se présentent entre eux, car une salle met plus facilement à l’aise qu’un salon. Le Paveil de Luze, couronné d’un vote de premier montra à quel point un vin bien conservé peut être d’une jeunesse émouvante.

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 20 octobre 2005

Dîner de wine-dinners du 20 octobre 2005 au restaurant Laurent
Bulletin 157

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973
Laville Haut-Brion blanc 1976
Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959
Château Ausone 1955 (le deuxième 5 est supposé)
Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924
Nuits les Cailles, Morin 1915
Sauternes Joanne, appellation contrôlée vers 1950
Château d’Yquem 1949

Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon

Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort

Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade

Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé

Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge

Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent 59ème jeudi, 20 octobre 2005

Le 59ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Je me dirige vers cette belle rotonde que l’on voit de l’entrée, donnant sur le beau jardin aux marronniers complices. Une supernova m’aveugle. Patrick Lair, en m’attendant, a disposé les bouteilles du repas face au jardin, et Yquem 1949 brille comme un lourd diamant jaune sur les doigts d’une fée. Les niveaux des bouteilles sont tous exceptionnels, alors que toutes sauf une n’ont jamais été rebouchées. Le Château Grand Lambert 1924 a été rebouché en 1984. Les bouchons sortent facilement. Celui de l’Yquem s’effrite car il est très imbibé, celui du Nuits 1915, d’origine, fait tomber le monopole qu’avaient les vins de la Romanée Conti, car sous la capsule un fort sédiment sent la terre comme le constatera Christèle, charmante sommelière de précédents dîners, qui s’intéressait, comme Patrick Lair, aux odeurs de ces merveilles. Tous les parfums sont idéaux, pas de menace d’évanouissement et au contraire, il se dégage tant d’envoûtement de la bouteille d’Yquem que je referme bien vite afin que ces senteurs enivrantes soient partagées par tous mes convives. Tout s’est si bien passé, dans l’ambiance amicale de ceux qui préparent un chef d’œuvre, qu’un observateur de passage aurait dit : « c’est si simple que cela ? ».
Je me promène dans le quartier lourd en antiquaires et en boutiques de mode exhibant des robes portées par des déesses de plastique et je reviens pour accueillir les convives. Il y a un journaliste japonais qui rapportera sans doute l’événement à des connaisseurs qui ont une érudition rare, un journaliste d’un grand hebdomadaire qui racontera le dîner (certains d’entre vous l’auront lu), le rédacteur en chef d’une revue professionnelle sur la viticulture qui aura approché une autre vision du vin, des jeunes mordus de mes dîners qui étranglent une nouvelle fois leur cagnotte, mon frère et son épouse qui voulaient voir enfin ce dont on parle souvent en famille car je ne peux m’empêcher de raconter ces aventures, un ami de quarante ans, à l’époque où l’on se disputait les prochaines danses dans des rallyes, entre deux épreuves de mathématiques, et la plus fidèle de ces dîners, qui a probablement assisté à un bon tiers d’entre eux, dont l’enthousiasme est l’un de mes forts encouragements.
Nous prenons au bar une coupe du magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973 qui surprend par la jeunesse de sa bulle. La couleur est belle et dense, les petits toasts au saumon glissent en bouche avec bonheur et excitent cette belle bulle. Le goût s’est arrondi, concentré, et c’est un vin qui s’est simplifié, mais a gagné une longueur et une expressivité vineuse rares. Je ne m’attendais pas à tant d’élégance de ce champagne que je ne connaissais pas. Nous reprenons ce champagne à table. Il est donc opportun que je vous en donne le menu.
Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort / Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade / Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé / Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite. Nous nous connaissons tant avec Philippe Bourguignon que j’ai approuvé sa proposition sauf sur un plat. Malgré mon amour inconditionnel du lièvre à la royale et malgré la confiance indéfectible que j’ai pour mon Nuits Cailles 1915, j’ai demandé un râble. Là aussi, l’observateur de passage de tout à l’heure, s’il était revenu pour ce dîner aurait encore dit : « c’est si simple que ça ? », tant tout apparaissait naturel, facile, sans la moindre question.
Entre temps, la bulle du champagne s’évanouissait petit à petit, le champagne devenait plus vineux, et avec le sucré des coquilles Saint-Jacques, l’accord était magique, perturbé par cette folichonne de concombre excentrique mais pas par le raifort qui donnait une excitation justifiée au champagne.
On allait goûter deux vins sur les cuisses de grenouille. Le Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959 a une couleur d’un beau rubis raffiné, un pâle de Ceylan. Le nez est renversant de pureté, et j’ai adoré au-delà de l’imaginable ce rosé qui arrivait à exister à coté d’un des monstres sacrés de Bordeaux, le Laville Haut-Brion blanc 1976 qui dans cette année sèche et chaude explose de puissance alcoolique et de complexité. L’émulsion et les haricots coco formaient avec le rosé un accord qui prenait au ventre. Objectivement le rosé allait mieux avec le plat que le Laville, puissant, sûr de lui, qui méritait les vivats pour son talent intrinsèque. Le plat est une merveilleuse mise en valeur des vins.
Comme dirait un présentateur télé, c’est sous un tonnerre d’applaudissement que trois cheminées de centrales atomiques, trois jarrets de veau cuits vingt heures apparaissaient à notre table. J’avais annoncé dans le programme : Château Ausone 1955 avec cette mention : le deuxième 5 est supposé. J’avais bien supputé car le bouchon impeccable et d’origine révéla Château Ausone 1955. L’odeur d’emblée était sensuelle. Ausone nous annonçait : ce coup-ci, je ne joue pas les rosières pudiques, je vous montre ce que je sais faire, et sur la délicieuse viande, un chaud vin de plaisir, rond en bouche, profond comme seuls les grands savent l’être ravit chacun des convives. Et le Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924, comment se comporterait-il ? Il évolua grandement dans nos verres. La première odeur fut plus sensuelle que celle de l’Ausone, le palais étant plus frêle. Puis, on commence à comprendre un peu plus le vin au message subtil. Dire que c’est un Pauillac n’est pas aisé. J’ai eu peur en milieu de bouteille car je sentais le vin qui se fermait, mettant en avant son acidité. Et tout est revenu, le vin s’améliorant encore pour délivrer en fin de bouteille un message de pur charme à la longue trace raffinée. C’est du velours, du tissu délicat à coté d’un Ausone conquérant, une magnifique et rassurante réussite de cette année.
Ma belle-sœur qui a vécu toute sa jeunesse à Bordeaux, a tété le Bordeaux à sa source, allait avoir un de ces chocs tragiques, quand des vérités que l’on croyait intangibles s’effondrent sur une gorgée de vin. Le Nuits les Cailles, Morin Père & Fils 1915, le même que celui qui avait séduit Alain Senderens il y a quelque temps (bulletin 45), est tellement parfait qu’on ne peut plus ignorer la grandeur de la Bourgogne. Le râble lourd, goûteux forme avec ce vin extraordinaire un accord viril. Comment expliquer quand un vin a tout pour lui. C’est George Clooney invité dans un pensionnat de jeunes filles. C’est Catherine Zeta-Jones arrivant dans une réunion de collectionneurs de timbres. Toutes les dentelures vont s’écorner. Jeune de couleur dans sa bouteille soufflée très ancienne et lourde, au nez précis de pur bourgogne, ce vin a tous les dons, dont celui de l’exactitude de ton. Difficile d’ajouter des caractéristiques quand on a la définition précise du bourgogne que l’on désire.
Le sauternes Joanne, appellation contrôlée, que j’ai situé vers 1950 a été l’objet d’une question que Patrick Lair a posée à Olivier Castéja, en lui décrivant l’étiquette au téléphone. De recoupements effectués on peut penser qu’il est de 1950 à 1955, avec cette jolie inscription : « expédié en cercles par Joanne ». En cercles, on peut supposer à bon droit que c’est en fûts. Le vin a une couleur qui ne pâlit pas à coté de celle d’Yquem, mais par précaution on va le boire avant, sur un délicieux dessert qui répond à mes désirs, car il n’y avait que trois saveurs, toutes complémentaires. Une poire délicate qui montrait tout le coté virginal et frêle du Joanne, une crème de châtaigne qui le renforçait et un marron glacé qui lui, allait affronter l’Yquem. Beau sauternes générique de pur plaisir comme le fut le rosé du début de repas. Quand Château d’Yquem 1949 arrive, on se tait. Cet or profond comme de l’acajou blond, ce parfum inimitable que seul Yquem possède, et puis en bouche, ce lourd jus de pure jouissance à la persistance infinie. C’est précis comme la Vénus de Milo, attirant comme le sourire de Laetitia Casta, et solennel comme le couronnement de Napoléon 1er. Il y a tout dans ce vin là.
Les votes de premier couronnèrent cinq fois Yquem, trois fois le Nuits Cailles, une fois Ausone et une fois le Laville Haut-Brion. Les plus votés furent Yquem, Nuits Cailles, Ausone et le champagne.
Mon vote personnel fut dans l’ordre : château d’Yquem 1949, Nuits Cailles Morin 1915, Champagne Rothschild 1973 et le rosé Saint-Saturnin 1959. Bien sûr, le rosé n’a pas la classe ni d’Ausone, ni du Laville Haut-Brion. C’est donc par pure coquetterie que je veux honorer ce sans grade du fait d’un accord merveilleux avec les grenouilles. De même, l’émotion était plus rare avec le Nuits Cailles 1915 qu’avec l’Yquem. Plus inespérée, plus inattendue. Mais l’Yquem est tellement parfait que je voulais primer cette forme ultime de l’accomplissement du vin.
Des plats merveilleux d’une simplicité sereine, un service du plus haut niveau. L’un des plus beaux accords de dessert et sauternes, puisque c’est souvent la partie qui pèche le plus, quand le pâtissier fait un dessert comme un dessert et non pas comme un goût adapté au sauternes. Des vins sublimes, une atmosphère joyeuse. Comme après chaque dîner on se dit que ce fut le plus grand.

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Pré Catelan jeudi, 22 septembre 2005

Dîner de wine-dinners du 22 septembre 2005 au restaurant Le Pré Catelan
Bulletin 153

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Dry Monopole, Heidsieck 1952
Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961
Fonsalette, Chateauneuf du Pape blanc de Rayas 1980
Château Mouton-Rothschild 1979
L’Angélus, Saint-Emilion 1959
Hermitage rouge Chave 1997
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1965
Château Doisy, Barsac 1966
Château Monteils, Sauternes 1934

Le menu composé par Frédéric Anton
La Betterave. Fines lamelles parfumées à la muscade, vieux Comté en copeaux, jus gras
La Fregola « Sarda », cuite dans un bouillon, recouverte de copeaux de truffe et parmesan
L’ Os à Moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci de girolles et d’une compotée de chou à l’ancienne mijotée dans un jus de rôti
Le Ris de Veau cuit en casserole, cèpes poêlés aux herbes fraîches, jus gras
Le Pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, semoule au brocoli préparée comme un couscous, cuisses en petites merguez, quelques pois chiches
Le Cantal de Salers, le Bleu des Causses
Le Citron Confit, sorbet au basilic, feuilleté caramélisé et pâte de fruit légèrement sucrée
Café et Mignardises

dîner de wine-dinners au Pré Catelan jeudi, 22 septembre 2005

Nouveau repas de wine-dinners au Pré Catelan. J’arrive pour ouvrir les bouteilles alors qu’une grande table est encore en pleine discussion. Joël Robuchon est là, et à sa sortie de table nous bavarderons aimablement, évoquant sans insister la critique que j’avais faite de l’ouverture des vins à ce qui était annoncé comme le dîner du siècle, qu’il avait organisé au Japon avec Robert Parker. Il pense que tout a été bien fait. Les images montraient le contraire. C’est sur le terrain qu’il faudra confronter les méthodes. Frédéric Anton se détend un peu entre deux services, ce qui nous donne l’occasion de bavarder de gastronomie pendant que j’ouvre les bouteilles du dîner avec un sympathique sommelier, Jérémie.
Un phénomène qui méritera des investigations supplémentaires me fait toujours autant d’impression. Quand je découpe la capsule de La Tâche 1965, sous la capsule et sur le bouchon, un noir sédiment sent la terre et ressemble à celle de la cave de la Romanée Conti. J’ai fait sentir cette odeur lourde à Frédéric Anton. Aubert de Villaine, à qui j’avais relaté les constatations précédentes m’avait demandé de prélever cette terre pour l’examiner. En fait, c’est difficile et dans le feu de l’action, faute d’outil de laborantin, j’oublie le prélèvement. Mais quelle constance dans ce qui devient presque une signature du Domaine ! Le seul vin qui m’inquiète au nez est l’Angélus 1959. Nous le goûtons avec Frédéric. Un peu léger il me laisse de l’espoir alors qu’il rebute Frédéric Anton. On verra plus loin les miracles que peut accomplir l’oxygène, quand il est judicieusement sollicité. Le bouchon de La Tâche accuse un problème de stockage, car la première moitié de sa longueur est comme brûlée d’une sécheresse excessive, l’autre moitié, bien souple, puant même généreusement.
La mise au point du menu s’était faite par un dialogue que j’ai eu avec Frédéric Anton et Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde au savoir encyclopédique sans limite. Et c’est ce que j’aime. Je commenterai plus loin ce programme absolument exceptionnel : la Betterave, fines lamelles parfumées à la muscade, vieux Comté en copeaux, jus gras / La Fregola « Sarda », cuite dans un bouillon, recouverte de copeaux de truffe et parmesan / L’ Os à Moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci de girolles et d’une compotée de chou à l’ancienne mijotée dans un jus de rôti / Le Ris de Veau cuit en casserole, cèpes poêlés aux herbes fraîches, jus gras / Le Pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, semoule au brocoli préparée comme un couscous, cuisses en petites merguez, quelques pois chiches / Le Cantal de Salers, le Bleu des Causses / Le Citron Confit, sorbet au basilic, feuilleté caramélisé et pâte de fruit légèrement sucrée / Café et Mignardises. Il y a une intelligence et une sensibilité dans ce repas que je vais largement tam-tamer par la suite.
La table est artistiquement dressée par un personnel joyeux avec qui nous évoquons des souvenirs de vins. Le plateau rond est si grand que j’ai peur que l’on ne discute pas avec son vis-à-vis. Or en fait tout le monde a participé aux échanges, et nous avons vécu la même aventure, ce qui n’arrive pas toujours quand la forme de la table divise les clans. Un grand chroniqueur gastronomique, une journaliste japonaise à la grande culture française et gastronomique, une femme auteur de best-seller, des amateurs gourmets, c’est le cocktail idéal pour de passionnantes discussions. L’ambiance fut agréablement enjouée.
Le magnum de champagne Dry Monopole, Heidsieck 1952 est d’une immense beauté. Le liquide qui m’est servi pour goûter a encore de la bulle qui, comme le génie de la lampe, va s’évanouir pour conquérir d’autres cieux. La couleur est d’un miel ensoleillé, le nez est profond et distingué. Et si l’on admet – ce que fit toute la table – que la faiblesse de la bulle ne doit pas gêner la dégustation, on prend connaissance d’un délicieux « champagne-vin » qui décline des saveurs complexes où les agrumes, les fruits roses et le thé ne sont qu’une faible partie de ce qui est exposé. Le plus spectaculaire, c’est la longueur. La betterave est osée. Elle est merveilleusement traitée, sans franchement ajouter au plaisir de ce très rare champagne.
Le plat suivant est joyeux, chantant le sud, mais ne met pas en valeur le Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961 qui m’a profondément étonné. J’avais le souvenir d’un vin sec, âpre, et voilà que celui-ci, sec objectivement, y ajoute un doucereux et une intensité rares. Pénétrant, expressif, il damnerait tous les dégustateurs à l’aveugle. Là encore plat et vin ne s’ajoutaient rien, l’un à l’autre, la semoule freinant le vin quand la truffe l’accélérait.
Le Fonsalette, Chateauneuf du Pape blanc de Rayas 1980 montrait, bouteille encore fermée, une couleur qui annonçait un vieillissement. Il fallait donc boire ce vin comme il venait, sans penser trouver un Chateauneuf du Pape comme on le boirait aujourd’hui. Et si l’on admet de déguster ainsi, on entre dans un de ces plaisirs culinaires qui marquent une vie. Je n’ai jamais mangé un os a moelle de cette qualité. C’est le traitement qui en fait le génie. Et le vin se met à transformer tout cela avec une propulsion invraisemblable. Le vin donne au plat de la consistance et le plat modèle le vin qui atteint des longueurs infinies. Et chaque convive voit bien la différence énorme qui se crée quand le vin et le plat se parlent, se séduisent et s’enlacent. Ce moment fut d’une intensité rare. Il va expliquer ce qui suit.
Le ris de veau d’une chair, d’une densité, d’une expressivité sans pareilles accueille deux vins, le Château Mouton-Rothschild 1979 et L’Angélus, Saint-Emilion 1959. Et immédiatement, à la première bouchée et la première gorgée de chaque vin, on se sent bien, étonnamment rassuré. C’est comme ces publicités pour des marques de matelas qui imagent leur élasticité par des sauts de trampolines. On est dans un confort pullman, on a des saveurs qui sont toutes lisibles. Les bordeaux sont de grands garçons bien élevés. Ils nous font le baisemain. L’Angélus est tellement époustouflant, balayant d’un revers de main les craintes de l’ouverture, que l’on aurait du mal à imaginer bordeaux plus sensuel que cela. C’est rond, chaleureux, séduisant, emplissant la bouche comme la couronne de frangipaniers orne le cou des vahinés. Alors, le Mouton parait plus strict, plus linéaire lors du premier contact. Mais le Mouton étend son charme et le charme agit. C’est un Mouton d’une année faible, mais ici d’une subtilité appréciable. Et l’Angélus est immense de la première à la dernière goutte. Ce ris de veau est un bonheur.
Le pigeon a une chair savoureuse (rien n’est plus savoureux que le pigeon). Alors, l’Hermitage rouge Chave 1997 s’en réjouit et s’exhibe de la plus belle façon. C’est évidemment un petit choc de revenir sur des goûts très actuels, mais cette virilité contrôlée est tellement conquérante qu’on se laisse aller. Les merguez faites avec les cuisses du pigeon sont à se damner. C’est l’exacte munition que réclame le Chave ! Le spectacle est beau quand le vin et la chair se provoquent comme cela.
Nous venions d’avoir à la suite trois plats où le vin et le plat chantaient à l’unisson. Quel bonheur !
Il fallait cela pour l’enterrement qui allait suivre. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1965 dont le nez ne m’avait pas trop alerté, était manifestement trop usé pour représenter sa légendaire lignée. Ce qui me conduit à une remarque. Je croyais avoir suffisamment étalonné les senteurs d’ouverture. Or j’avais peur pour l’Angélus qui fut sublime, et j’avais confiance dans La Tâche qui fut absent au rendez-vous. Les diagnostics à l’ouverture ne sont donc pas toujours parfaits. Le Salers était délicieux. Le vin racontait quand même un peu l’histoire de La Tâche ce qui lui valut de recevoir les votes de deux convives. Belle solidarité.
Le Château Doisy, Barsac 1966, déjà présent à plusieurs dîners, a toujours cette couleur orangée et dorée, cette senteur profonde et ce goût rassurant du liquoreux sage, sûr de son effet. Sur un bleu bien gras, c’est un accord sécurisant.
Le Château Monteils, Sauternes 1934 m’est inconnu. Où est ce domaine, je ne le sais. Le vin que l’on découvre d’un bel or rosé et d’une odeur toute en finesse n’a pas la puissance des plus grands, mais il en a l’élégance. Ces Sauternes de 70 ans gagnent en rondeur et en expressivité de façon remarquable. Et je recommande aux amateurs d’acheter ces vins moins connus dans des années anciennes, car il y a une gratification énorme. Le sorbet méritait de l’eau, car il est goûteux comme pas deux, mais trop explosif. Le Barsac va bien avec la fine et délicate pâtisserie, belle comme la jolie pâtissière qui l’a faite. Mais on ne peut pas dire que les deux, le feuilleté et le Barsac ont des choses à se raconter.
Les cigares fusèrent dès que ce fut permis et l’on vota. L’Angélus 1959 a fait un carton, sans doute l’un des plus beaux de tous les dîners, avec sept places de premier sur dix convives, et deux places de second. Les plus votés ensuite furent le champagne Dry Monopole et le Vouvray sec.
Mon vote fut le suivant : Angélus 1959, champagne Dry Monopole 1952, Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961, Fonsalette 1980. Tous les vins, sauf un eurent au moins un vote dans les quartés, ce qui est toujours réconfortant pour mes choix et ma cave.
On parla abondamment de ces trois plats de rêve, dont tout le monde dit qu’il valent trois étoiles, en classant en un l’os à moelle en deux le pigeon et en trois le ris de veau. Trois plats de souvenir éternel, illuminés par des vins qui leur collaient au cœur pour un pur ravissement.
Le service fut exemplaire, tout ici fleurait bon la très grande cuisine. Lorsque Frédéric Anton m’appela le lendemain (c’est toujours agréable de se parler le lendemain quand il s’agit d’une victoire), le débriefing fut un moment de bonheur tant ça fait du bien de disséquer ce qui fut grand.