Pierre, un ami, m’écrit qu’il possède un Montrachet 1926 et qu’il souhaite le boire avec moi. Il m’envoie des photos et me demande si j’ai bu de plus vieux montrachets. Le plus vieux que j’ai bu est 1864 mais Pierre est content que 1926 soit seulement la cinquième plus vieille année des montrachets que j’ai bus.
Je choisis sur mon inventaire un La Tâche 1956 d’une année que j’aime et le document indique 4 cm qui est la distance entre le bouchon et le miroir du vin. Pierre approuve mon choix. La veille du repas, je vais chercher le vin et je constate que le niveau n’est pas de 4 cm mais de 12 cm. Je regarde dans la même case de rangement et je vois une bouteille de La Tâche qui a un niveau de 2 cm mais dont l’étiquette déchirée ne permet pas de lire l’année. Je vais consulter mon fichier et il y a un point d’interrogation dans la colonne millésime.
J’appelle Pierre et l’informe du problème de La Tâche 1956 et je l’informe de l’autre La Tâche sans année. Pierre me dit de venir avec celle qui est sans année et je lui réponds : je viendrai avec les deux. Sa réponse immédiate est de dire qu’il va rajouter aussi un vin.
Dans cette situation il paraît opportun que nous soyons trois et nous cherchons l’un et l’autre qui convier et je trouve un ami, Luc, grand amateur de vin, qui souhaitait partager avec moi de belles bouteilles.
Pierre choisit le restaurant, ce sera le restaurant Fleur de Pavé, qui a obtenu une étoile. Pierre a prévenu le restaurant que je viendrais à 11 heures pour ouvrir les vins.
J’arrive à l’heure dite pour ouvrir mes vins. Yacine, tout souriant chef de salle, m’accueille avec plaisir. Je découpe la capsule de La Tâche 1956 et je vois que le haut du goulot est troué et qu’une épaisse croûte de graisse imprègne le goulot. Il est évident que le bouchon est tombé dans le vin et je ne pouvais pas le voir. Je nettoie les épaisses couches de matière graisseuse et je verse à travers un chinois le vin dans une carafe. Contrairement à ce qu’on pouvait craindre, le vin ne sent pas mauvais et on peut même entrevoir des senteurs sympathiques, ce qui m’étonne.
Je découpe la totalité de la cape du vin afin de voir l’année du La Tâche inconnu. Je lis distinctement 1965. Le bouchon vient entier et le 1965 est encore plus lisible qu’à travers le verre. Le parfum respire la Romanée Conti.
Pierre arrive avec son Montrachet 1926 et me propose un Meursault 1961 et un Bienvenues Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1997. Je lui demande qu’on laisse de côté le 1997 qui serait trop puissant à côté des autres vins. J’ouvre donc le 1926 et le 1961 qui montrent de sympathiques parfums.
Luc arrive avec ses deux apports, un champagne de 1969 et le vin qu’il avait mis de côté depuis des mois pour le boire avec moi, le Chambolle-Musigny Les Amoureuses Leroy Négociant 1961. Quel bel apport !
Le chef du restaurant n’est pas présent et le menu est bâti avec son adjoint Maxime qui fait des suggestions extrêmement pertinentes pour composer le menu. Le voici : chou-fleur en deux textures, vanille de Madagascar / tartare de bœuf normand, caviar de la maison Sturia, jus de bœuf / tarte à l’oignon, foie gras poêlé, jus corsé / langoustines juste snackées, légumes de Mr Yamashita, bisque au beurre brûlé / pigeonneau au sang cuit au barbecue, morilles farcies / côte de bœuf maturée, pomme de terre en deux textures, jus merguez / le chocolat Jamaya, glace cardamome.
Le Champagne Waris & Chenayer Blanc de Blancs 1969 a une belle couleur d’un ambre clair doré et offre quelques bulles. Son parfum est agréable et au début, il a des notes un peu vieilles, mais qui vont disparaitre dès que les mets sont servis. Il est rond, large et de belle longueur. Il a tous les atouts de ce beau millésime en Champagne.
Le Meursault Clos de la Barre Roger Cavin 1961 est absolument splendide, vivant, joyeux, solaire, avec un final qui claque comme un requin qui frappe l’eau de sa queue. Avec le tartare de bœuf, il est idéal.
Le Montrachet P. de Marcilly Frères 1926 a une magnifique bouteille et un niveau superbe. Sa couleur est un peu brune et son parfum est discret et agréable. En bouche on est frappé par des notes de rancio, et des douceurs qui n’ont rien de montrachet. Luc voit en lui des accents de madère je vois des tendances de Rivesaltes. On sait que ce montrachet n’a rien d’un montrachet et si on l’admet, on prend conscience que ce vin atypique est fort agréable et multiple. Sur la tarte à l’oignon puis sur les délicieuses langoustines cuites à la seconde près, il est brillant.
Les trois vins rouges sont servis presque ensemble. Le Chambolle-Musigny Les Amoureuses Leroy Négociant 1961 est une merveille de délicatesse. Sa couleur d’un rose clair est d’une aristocratie bourguignonne. Le nez est délicat et en bouche le vin est d’une distinction rare, très subtil et féminin. La grâce pure. Quel beau voyage de cheminer avec ce vin raffiné.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 qui avait été carafé souffre maintenant d’un nez peu engageant. Le vin n’est pas agréable à boire. Il est mort et l’accident de bouchon ne pouvait pas le faire revenir à la vie.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965 au contraire est une pure merveille. Son nez a les caractères forts de la Romanée Conti, le sel et la rose et il montre une puissance tout-à-fait étonnante pour ce millésime. Je comprendrais cette force si c’était un 1966, mais pour un 1965, c’est étonnant. Il est royal, puissant, mâle, tout en étant d’une complexité raffinée. C’est un immense vin du domaine.
C’est avec le pigeon que les vins se sont sublimés, plus que sur la côte de bœuf.
Nous avons voté et Luc est comme moi, il nomme premier le vin qu’il a apporté et je ne peux pas lui en vouloir, puisque je le fais. Le classement global de nous trois est le même que le mien avec 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965, 2 – Chambolle-Musigny Les Amoureuses Leroy Négociant 1961, 3 – Meursault Clos de la Barre Roger Cavin 1961, 4 – Montrachet P. de Marcilly Frères 1926.
A un moment du repas, j’ai fait porter des verres du Meursault à deux tables où déjeunaient deux couples de jeunes gens. Ils ont été émerveillés et sont venus nous remercier.
Toute les membres de l’équipe, de cuisine comme de service, et particulièrement Aniella, ont été d’une attention rare. Je leur ai demandé comment ils ont perçu notre repas et tous ont dit que c’est un moment inoubliable pour eux.
Je ne peux que recommander ce restaurant Fleur de Pavé qui a montré une implication exemplaire. Nous avons vécu un déjeuner passionnant et émouvant parfois. Un immense souvenir.
A mon arrivée au restaurant, souci avec La Tâche 1956 qu’il faut carafer
l’apport de Luc qui arrivera beaucoup plus tard, à la fin des ouvertures
le personnel dîne
on nous sert des petites choses en bas, avant de monter à table
le repas