Mes deux filles viennent à la maison avec leurs enfants. Au déjeuner, je tente un timide : « pas de vin ce midi ? » qui est balayé d’un revers de main. Au menu, veau basse température et gratin dauphinois. La Côte Rôtie La Turque Guigal 1996 est ouverte au dernier moment. Plus le temps passe et plus je souhaite respirer l’éclosion des vins jeunes. C’est comme une fleur qui s’ouvre au matin. A l’attaque le vin montre une puissance certaine. Il occupe le terrain. L’alcool est présent mais tempéré par une magnifique fraîcheur. L’impression est celle d’une main de fer dans un gant de velours. Car ce vin conquérant pratique l’amour courtois. Le final est frais. Mes filles sont aux anges. L’accord avec viande et gratin est naturel et contre toute attente, le vin réagit bien sur un Comté de belle maturité. Ce vin me semble dans un état de grâce. Il a presque 18 ans mais semble aussi frais que s’il venait de naître. La Turque me plait de plus en plus.
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Déjeuner Tradition au Taillevent mercredi, 26 mars 2014
Le lendemain matin à Honfleur, je descends de ma chambre de l’hôtel Maisons de Léa pour le petit déjeuner. Une femme fort aimable me sert une orange pressée et un œuf à la coque. Elle est souriante et tout-à-coup j’entends qu’on l’appelle : »Léa ». Etre servi par la maîtresse des lieux, voilà une journée qui démarre bien. Je prends la route. Un déjeuner m’attend au restaurant Taillevent.
Chaque année, Thierry et Laurent Gardinier reçoivent pour un « déjeuner Tradition » les fidèles du restaurant. Je retrouve des participants des éditions précédentes. L’apéritif se prend avec un Champagne Deutz Blanc de Blancs magnum 2008. Le champagne malgré sa jeunesse a beaucoup de charme et une belle construction. On en reprend avec plaisir, car il se boit bien, titillé par les légendaires gougères du restaurant. Son acidité est fort amène.
Lorsque nous sommes placés, des discours très courts montrent la fierté et la joie des frères Gardinier de réunir leur amis. Et c’est une belle surprise que madame Gardinier mère se soit aussi exprimée, rendant hommage à l’action de son mari, continuée par ses enfants.
Le menu conçu par Alain Solivérès est : épeautre du Pays de Sault en risotto à la truffe noire / homard bleu, truffe noire et céleri / fraîcheur d’agrumes, parfait glacé au citron vert.
Le Mercurey la Mission Château de Chamirey 2011 est un beau vin vif et dynamique, qui emplit bien la bouche, bien au-delà de ce qu’on attendrait d’un Mercurey. On sent que ce vin est remarquablement fait.
Le Château Phélan Ségur magnum 1995 a atteint un beau niveau de maturité et paraît serein. S’il manque un peu de largeur, il compense par sa trame qui rebondit merveilleusement sur la truffe généreusement présente dans la cuisine d’Alain.
Le Château Les Justices 2007 boxe dans une belle catégorie. Bon sang ne peut mentir, car ce vin de Julie Médeville s’approche de plus en plus des qualités exceptionnelles du Gilette de ses parents. A l’aveugle, il soutiendrait la comparaison de bien des grands. Le dessert est magnifique mais est arrivé trop froid, du moins pour moi, pour qu’on puisse totalement en profiter.
Selon une tradition Taillevent – mais c’est le thème du jour – un Bas Armagnac hors d’âge du château de Ravignan, d’une rare puissance, a conclu un repas d’amitié, à la hauteur de la réputation du Taillevent.
Deux beaux champagnes un jour de vote dimanche, 23 mars 2014
Les petits enfants sont venus passer le week-end à la maison. Leurs parents viennent les rechercher. Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1982 se présente dans une bouteille que je trouve l’une des plus belles de tous les champagnes, même si l’étiquette a un peu vieilli dans son design.
Le vin est de belle clarté, la bulle est vive. Le vin apporte un rayon de bonheur dès le premier contact. Il est très équilibré avec une belle acidité citronnée et un tranchant que j’apprécie. Il est vif, fringant, de belle présence. Sur des petits fours chauds, c’est un régal.
Il poursuit sa carrière sur un veau basse température très doux qui convient bien au champagne. Comme il s’assèche assez vite, je vais chercher un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle des années 70, le même que celui que j’avais ouvert pour le dernier dîner avec mon fils avant son retour aux USA.
Contrairement au précédent qui n’avait plus de bulle, celui-ci en montre lorsque le bouchon sort. Le champagne pétille avec une vivacité rare. La couleur est beaucoup plus claire que celle du précédent. Et le saut qualitatif est extrême, même si le précédent était agréable. Nous sommes en présence d’un très grand champagne au fruit épanoui, à la complexité beaucoup plus grande que celle du René Lalou. Mon gendre l’adore comme moi, alors que la fille préfère le Mumm. Il y a une ampleur et une jouissance plus grande dans le Laurent Perrier. Sur un camembert à parfaite maturité, le Laurent-Perrier est extrêmement vif, champagne de bonheur.
Ces deux champagnes sont de très haute qualité, le Mumm très vif et de belle acidité et le Laurent Perrier plus complexe, plus fruité et plus joyeux. Ce fut un beau dimanche de vote.
Champagne pour le dernier soir avec mon fils jeudi, 13 mars 2014
Mon fils va repartir à Miami. Pour le dernier soir, c’est un Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle des années 60 ou 70 qui clôturera son séjour. Le bouchon tourne et rencontre une résistance. Le risque est grand que le bas du bouchon ne suive pas. Avec beaucoup d’efforts, le bouchon sort entier, mais il n’y aucune émission de gaz. Ce pourrait être mauvais signe mais nous avons de la chance; la couleur du champagne est encore jeune et le pétillant s’exprime sur la langue. Le champagne est merveilleusement rond et coordonné. Sa complexité est extrême avec des notes de fruits jaunes et bruns. C’est un champagne vif qui convient parfaitement à ce dernier moment ensemble.
Dom Ruinart et Selosse en connivence lundi, 10 mars 2014
Ma femme est restée dans le sud. Je suis revenu à Paris pour voir mon fils venu de Miami. Il est souvent pris, je suis souvent pris, un seul jour concorde. Au programme, deux boîtes de 125 grammes de caviar Prunier, l’une à couvercle noir et l’autre à couvercle orangé brun. Il y a de la crème que nous ignorerons et du beurre. Il y a une baguette traditionnelle. Les cuillers en nacre sont prêtes, le décor est planté.
Le bouchon du Champagne Dom Ruinart 1973 vient sans trop d’effort et le pschitt est discret. La couleur est légèrement ambrée, la bulle est active. Ayant reçu la première gorgée, je suis accueilli par une première amertume qui disparaît très vite. Ce qui frappe, c’est la sérénité tranquille de ce champagne. Mais il est aussi ciselé. C’est un blanc de blancs qui claque, qui vibre, ce qui n’empêche pas un beau fruit discret dans des tons de brun.
Le caviar à couvercle noir est joliment gras, rassurant, convainquant, serein. Le caviar à couvercle ocre est très différent même si sa couleur et son grain sont assez proches de l’autre. Il est beaucoup plus marin, salin, avec une longueur qui n’en finit pas. Mon fils préfère le noir et je préfère le brun.
Le Champagne Selosse 2002 a une bulle légèrement plus grosse et sa couleur est presque la même que celle du Dom Ruinart. Dès le premier contact, ce qui frappe, c’est l’opulence, un fruit marqué, un côté lacté, épais, et une présence en bouche marquée. Le Selosse est plus mûr qu’il ne devrait alors que le Dom Ruinart est plus jeune qu’il ne devrait.
Et ce qui me fascine, c’est qu’un pont se crée entre les deux. Ils se parlent entre eux, au point de créer une continuité gustative saisissante. Le Dom Ruinart est plus ciselé, plus fin et le Selosse est plus charnu. Les deux ont un charme fou et rebondissent sur les caviars, le Selosse surtout sur le plus marin et le Dom Ruinart plus sur le plus opulent. Mais lorsque l’on passe de l’un à l’autre quel que soit le sens, les deux se rejoignent.
Peut-on imaginer plus grand moment de communion avec mon fils que ces deux caviars très purs et ces deux champagnes merveilleux dans leurs différences et leurs complémentarités.
Un camembert très fait et intense a fait vibrer les deux champagnes. Au-delà de la connivence avec mon fils, ce qui m’a fasciné, c’est la connivence de deux champagnes que tout oppose, l’âge et la conception, et qui se retrouvent comme deux frères.
Magnifique soirée.
Dîner à La Palme d’Or de l’hôtel Biltmore Miami vendredi, 28 février 2014
Notre séjour se poursuit à Miami. L’hôtel Bilmore a plusieurs restaurants, dont un gastronomique, La Palme d’Or. Il est tenu par un élève de Joël Robuchon qui a fait ses armes à l’hôtel du Palais à Biarritz, à New York, à Las Vegas, dont le nom est Grégory Pugin.
L’entrée du restaurant n’est pas assez mise en valeur au sein de l’hôtel et la fréquentation en souffre certainement car nous sommes quasiment les seuls. Or ce n’est pas justifié, car la cuisine est de haute qualité. Nous sommes six et nous prenons le grand menu dégustation dont chaque étape est optionnelle, le choix existant entre deux plats très différents.
Celui que je mangerai est : le homard du Maine, taboulé, yaourt en gelée, navet, avocat, et vinaigrette au jus de fruit de la passion / l’oursin dans sa coque, avec huître, langoustine, échalotes et mousse de gingembre / risotto à la truffe noire, artichaut et ailes de poulet / cabillaud sauce barigoule et pommes de terre boulangère / bœuf Kobé du Japon, racines de céleri, pommes de terre et sauce périgourdine / époisses chaude, truffe noire / Yuzu et coulis de framboise.
L’exécution est de très belle facture, les plats s’épurant au fil du repas. L’oursin est superbe, le risotto est parfait et le bœuf de Kobé succulent. Deux au moins des plats dépassent le niveau de une étoile.
Le Champagne Grande Année Bollinger 2002 est dans un état de maturité qu’il faut signaler. Certains champagnes de 2002 sont en ce moment dans une phase intermédiaire entre jeune champagne et champagne mûr. Celui-ci est d’une rare sérénité. Il emplit la bouche avec bonheur, développe des complexités de bon aloi. « Il cause ! ». Champagne de pleine mâche, il aurait volontiers un goût de revenez-y.
Le Chablis Grand Cru Grenouilles Louis Michel et Fils 2011 titre 13° ce qui est loin d’être négligeable. Sa jeunesse ne rebute pas. Il a un beau fruit, beaucoup d’allant, mais sa générosité cache un peu les caractéristiques ascètes d’un chablis grand cru. Il est plaisant, très agréable et peut-être un peu trop flatteur. Avec l’oursin crémeux, il trouve un accord superbe.
Le Pieve Santa Restituta Sugarille, Brunello di Montalcino Gaja 2007 titre 14,5°. On sent l’alcool à l’attaque, mais il se supporte très bien. Il est plein en bouche, très équilibré, un peu monolithique, mais c’est son final qui m’enchante. Il est frais, claque bien, et signe un très bon vin. C’est avec le bœuf qu’il trouve sa plus belle résonnance.
La carte des vins est bien composée et pourra s’étoffer lorsque le succès du restaurant s’amplifiera. Il conviendrait de rendre le site plus accueillant et plus moderne, car en voulant respecter le style Biltmore, le lieu est assez triste. Le service est aussi assez compassé. Miami est une ville qui bouge, qui pulse, très dynamique. Le chef qui a beaucoup de talent et doit réussir, doit épouser son époque plutôt que de s’emprisonner dans la mémoire de George Merrick l’éblouissant investisseur des années 20 et créateur de Coral Gables et du Biltmore.
Nous avons passé une excellente soirée, avec des plats de grande cuisine.
le dessert est dans une coupe sculptée en glace et éclairée par en dessous, avec des lumières de toutes les couleurs
Un incroyable restaurant de station-service ! lundi, 24 février 2014
Le dimanche suivant, nous avons prévu de dîner en ville. Quand nous allons chez mon fils vers midi, aucune table n’a été réservée. Ma belle-fille bavarde avec une de ses amies.
Tout-à-coup, mon fils a envie d’aller se promener et suggère à sa mère et moi que nous l’accompagnions. Ça le prend comme une impulsion. Nous partons en voiture sans destination annoncée. Mon fils quitte la US 1 et prend une petite rue. Il entre sur l’aire de stationnement d’une station-service BP. Il a peut-être une envie pressante.
Apparemment il faut le suivre et je ne sais toujours pas pourquoi. Nous entrons dans la boutique de la station-service qui ressemble à des milliers d’autres, mais je vois au fond un nombre inhabituel d’étagères de vins. Il y en a franchement beaucoup.
Nous progressons jusqu’à un panneau demandant d’attendre qu’un serveur nous place, car on voit des tables d’une possible cafétéria. Et mon fils me dit : « nous mangeons là ». Je n’en crois pas mes oreilles. Que venons nous faire dans une cafétéria de station-service ? Et je regarde d’un peu plus près, étonné de voir que de grands vins sont exposés dans les étagères. Mon fils me rassure en me disant que c’est – pour lui – le plus grand restaurant espagnol de Miami.
Nous entrons et prenons place et je vois derrière des vitres une petite salle comme celles qui recèlent de précieux cigares ou de précieux vins dans les boutiques d’aéroports. Curieux, je pénètre avec mon fils à l’intérieur et là sont en caisse des vins du Domaine Leflaive, des Palmer, des Clos de Tart, des Beaucastel et autres vins. Mon sourire s’élargit. Mon fils prend sur un rayon une bouteille de Vega Sicilia Unico 2002 et me dis : « je t’invite ».
Le restaurant El Carajo est un authentique restaurant espagnol. Le serveur est sympathique et connaisseur, car pour lui, Vega Sicilia Unico est ce qu’il y a de mieux dans l’immense cave du lieu.
Nous commandons du Pata Negra, une tortilla, et deux sortes de viandes de bœuf avec des frites et des galettes de pomme de terre.
Je demande que le Vega Sicilia Unico 2002 ne soit pas carafé pour que nous profitions de son éclosion. J’ai bien fait, car dans la fraîcheur de son ouverture, ce vin est tout simplement divin. Il a l’attaque d’un vin riche et lourd, un corps puissant d’un beau fruit et c’est le final qui justifie mon amour immodéré pour Vega Sicilia Unico. Car ce final anisé et mentholé claque sa fraîcheur comme un fouet.
Le vin s’est épanoui par la suite et a gardé son final frais et entraînant, mais c’est sur le premier tiers de la bouteille que je l’ai préféré, car il fait montre d’une vivacité plus grande. C’est un vin dont je suis amoureux.
La viande est bonne, le service est efficace. Un fait ne trompe pas. Quand mon fils a payé, sa carte bleue a été utilisée. Il range ses reçus et sa carte et soudain le serveur vient le voir. Il lui dit que le service avait déjà été inclus. Le service que mon fils avait ajouté n’était pas nécessaire. Le serveur a donc corrigé à la baisse le paiement que mon fils avait accepté. De tels comportements sont à signaler.
Ce repas a été un vrai plaisir. Et je me plais à constater que les deux meilleurs restaurants de notre séjour, si l’on met de côté Bern’s Steak House où l’on va pour le vin, ce sont deux « routiers », le Ma’s Fish Camp d’Islamorada où la nappe est en papier sur une table en bois, mais où la cuisine simple est enthousiasmante et ce restaurant de station-service où les vins, à prix très bas, sont merveilleux. Et la table en bois est sans nappe. Out le Delano des beautiful people, out les restaurants du Biltmore, et vive El Carajo et Ma’s Fish Camp !
Il n’y aura pas de dîner en ville, ce joyeux déjeuner a éclairé notre journée.
Nous arrivons dans une station service
magasin comme il en existe des milliers
Mais, ça s’oriente vers le vin et l’Espagne
le vin et la nourriture
restaurant Bern’s Steak House de Tampa choix et ouverture des vins samedi, 22 février 2014
Un des grands moments de mon séjour aux Etats Unis, c’est d’aller avec mon fils dîner au restaurant Bern’s Steak House de Tampa, le restaurant qui a eu, du temps de son fondateur, la plus grande cave du monde, avec un million de bouteilles. Les prix de vente étaient si bas que les plus belles années ont été bues et le bouche à oreille aidant, les bouteilles très anciennes devenaient de plus en plus rares. Comme le stock de vins anciens n’est plus réapprovisionné depuis le décès du fondateur, le stock de vins très anciens s’amenuise. Seuls les prix bas sont restés, alors que pour les vins plus récents, les prix se sont actualisés avec de sensibles augmentations.
Un américain, Adam, grand amateur de vins, collectionneur de Tokaji, musicien, qui suit mes aventures sur mon blog, m’envoie un mail dans lequel il dit qu’il souhaiterait venir dîner à Tampa avec moi, si j’ai l’intention d’y aller. Il est un familier du lieu. J’accepte sa proposition. Nous serons quatre, Adam, son beau-père Michael, mon fils et moi.
Nous avons choisi un hôtel qui est juste en face de Bern’s, l’hôtel The Epicurian, tout nouvellement ouvert. De ma chambre je vois le restaurant mais aussi l’immeuble bas qui loge l’essentiel de la cave. Il est prévu que nous la visitions.
A 15h15 nous sommes tous les quatre devant la porte de Bern’s. Brad Dixon le sommelier avec qui nous avons rendez-vous nous accueille, ravi de revoir chacun des convives. Adam avait établi une liste de vins au sein de laquelle nous pourrions choisir les vins du dîner, selon la règle suivante : des bordeaux rouges, sans considérer les premiers crus classés, d’avant 1915 pour qu’ils soient tous centenaires, et dont le budget unitaire ne dépasse pas mille dollars.
Un autre Adam, caviste du restaurant depuis trois ans, a aligné à l’entrée de la cave toutes les bouteilles suggérées par Adam. Il y en a une bonne quarantaine. Je suis chargé de choisir celles que nous boirons.
Plus de la moitié de ces bouteilles ont des couleurs qui ne me plaisent pas. Avec l’aide de mes amis, je sélectionne environ 18 bouteilles au sein desquelles nous allons choisir les vins du dîner. Parmi les bouteilles il y a des vins qu’aussi bien Adam que moi nous avons bus ici-même. Malgré leurs belles couleurs, nous les écartons, pour retenir six à sept bouteilles nouvelles pour tous.
Adam ayant exclu les premiers grands crus classés, je demande à voir la liste de cave, en disant à Adam que si nous dépassions la limite budgétaire, je prendrais à ma charge le dépassement. Une bouteille de Mouton 1907 me semble superbe. Le prix pourrait être dans les limites prévues. Elle est choisie. Cinq autres bordeaux sont ajoutés et un Porto. Tous ses vins sont de millésimes entre 1887 et 1914.
Un repas sans bourgogne ne serait pas un repas, aussi Brad m’apporte la liste des vins. Il n’y a pratiquement plus aucun millésime ancien. Je vois dans cette liste un Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1964. Il se trouve que ce vin est vinifié aujourd’hui par le domaine de la Romanée Conti. En buvant ce vin, ce serait un clin d’œil envoyé à ce prestigieux domaine. Mes amis approuvent ce choix.
Le temps est venu pour moi d’ouvrir toutes ces bouteilles sauf le bourgogne qui sera ouvert par Brad au début du repas. Quasiment tous les bouchons se brisent en mille morceaux, le tirebouchon ne levant que des miettes dans la partie centrale. L’opération d’ouverture durera un temps très long. La cave étant très sombre, Brad tient en main une lampe qui éclaire mon champ opératoire.
La plupart des bouteilles étant très anciennes sont irrégulières, et les rétrécissements des goulots font que les bas des bouchons se déchirent. Je lutte pendant plus d’une heure, ce qu’aucun sommelier ne pourrait faire tant il est appelé à s’occuper de nombreux clients. Il y a trois vins aux odeurs superbes, de fruit et de vigueur. Je fais poser un bouchon neutre sur chacune pour conserver ces parfums idéaux. Il s’agit du Mouton 1907, du Brane-Cantenac 1887 et du Haut-Bailly 1913. Les trois autres bordeaux ont des nez qui promettent et bénéficieront de l’aération. Ce sont Léoville-Poyferré 1909, Palmer 1910 et Lagrange 1914. Le Porto 1896 a aussi un parfum très riche. Je le fais reboucher.
Brad me demande dans quel ordre je souhaite faire servir les vins. Je lui réponds que je sentirai les vins à 19 heures avant de passer à table.
Nous sommes heureux que tous les vins soient porteurs de belles promesses. C’est donc le cœur joyeux que nous regagnons nos hôtels pour nous reposer avant le lourd Marathon qui nous attend.
Le site de Bern’s Steak House vu de ma fenêtre d’hôtel
La grande cave de réserve, vue de ma fenêtre
entrée en cave Adam à gauche et Michael à droite
Brane Cantenac 1887
Mouton 1907 avec l’année très lisible sur le bouchon
Léoville-Poyferré 1909
Palmer 1910
Lagrange 1914
Haut-Bailly 1913
Porto 1896
j’ouvre les vins, avec une lampe portée d’abord par Brad Dixon puis par Adam. L’autre Adam regarde
le résultat de mes efforts
le Corton 1964 avec le bouchon sorti par Brad
restaurant Bern’s Steak House – diner avec 7 vins de 100 ans et plus samedi, 22 février 2014
Nous sommes à Tampa, Adam, un amateur américain et son beau-père Michael, mon fils et moi. Nous allons dîner au restaurant Bern’s Steak House. Nous avons choisi les vins du dîner dans l’impressionnante cave du restaurant forte aujourd’hui de plus de cinq cent mille bouteilles, j’ai ouvert les bouteilles trois heures avant le repas.
Brad Dixon a juste le temps de nous entraîner avec Adam le caviste dans la grande cave de réserve du restaurant. C’est un immeuble de deux étages qui offrait des appartements. Toutes les cloisons et les planchers ont été enlevés, toutes les fenêtres ont été fermées. C’est donc une immense boîte ou les étagères et les montants sont en planches clouées. Et sur les étagères on ne voit pas de bouteilles mais des cartons de douze bouteilles entreposés à la va-vite, certains penchés ou posés à l’envers. Rien n’est fait pour flatter l’œil. Les allées sont extrêmement étroites et je demande comment on atteint les niveaux supérieurs, à près de cinq mètres de haut. Et Adam dit que l’on n’utilise pas d’échelle ou d’escabeau, mais que l’on grimpe sur les étagères, ce qui explique que des cartons soient bousculés. Les enfilades d’allées sont interminables et Brad nous montre des lubies de Bern Laxer qui comme tout collectionneur a parfois acheté des vins en quantités délirantes comme une Moscatelle qui finit aujourd’hui dans les sauces du restaurant, ne trouvant pas d’amateur.
A 19 heures, nous nous présentons tous les quatre au restaurant. Brad Dixon le chef sommelier me conduit en cave pour que je sente les vins afin de déterminer l’ordre de service des six bordeaux. Mais pendant la pause entre ouverture et repas, j’ai imaginé que l’ordre de service le plus cohérent serait de présenter en une première série les trois vins que j’avais laissés ouverts pour qu’ils s’aèrent et de grouper dans la deuxième série les trois vins dont les parfums étaient si aguichants que j’avais fait reboucher les bouteilles. Adam, le caviste, enlève les bouchons de la deuxième série.
Nous passons à table. Brad ouvre le bourgogne et rapporte un bouchon impeccable sorti entier, ce qui avait été difficile pour les autres vins plus vieux d’au moins un demi-siècle. Mes amis se moquent gentiment de moi, puisqu’il apparaît que Brad est plus habile que moi. Brad sert la première série de bordeaux qui va faire notre apéritif, qui sera accompagné de fines tranches de carpaccio d’une viande bien grasse et nervurée. La couleur des trois vins est d’un beau rouge sang très frais.
Le Château Léoville-Poyferré 1909 est le plus clair des trois. Ce qui le caractérise, c’est sa force de séduction. Ce vin très féminin est tout en charme, avec un final d’un beau panache. Il a des fruits roses et rouges.
Le Château Palmer 1910 est tout le contraire. Il est guerrier, dense, affirmé, de grande structure. C’est le mâle dominant.
Il est bien difficile de dire lequel nous préférons. Le Palmer a la structure et le Saint-Julien a la séduction. J’ai un petit faible pour le Léoville qui est d’une rare subtilité.
Le Château Lagrange 1914 est hélas bouchonné, ce qui ne se sentait pas à l’ouverture. C’est un défaut mineur, qui se sent peu à l’attaque et en milieu de bouche mais qui fait dévier le final. Ce qui est assez étonnant, c’est que ce défaut s’estompera presque totalement un quart d’heure plus tard, puis réapparaîtra une demi-heure ensuite pour pratiquement disparaître lorsque la viande sera servie. Mais mon intérêt est émoussé.
Nous passons commande d’une viande et c’est Adam, fidèle du lieu, qui nous guide vers une viande de bœuf au goût prononcé qui sera servie en une tranche pour quatre, afin d’augmenter la tendreté par l’épaisseur du morceau.
Entretemps, on nous sert une soupe à l’oignon, deux foie gras l’un chaud et l’autre en terrine, ce qui nous plombe, alors qu’arrive la plantureuse viande superbe et de forte personnalité. Elle est accompagnée de frites.
Le Château Brane-Cantenac 1887 est fantastique et émouvant. C’est ce vin qui apparaît le plus jeune de tous. Sa couleur est de rouge sang, et sa vivacité est irréelle. Comme pour tous les rouges que j’ai choisis en fonction de leur couleur, ce vin évoque les fruits rouges et roses, comme en un coulis léger. Ce vin est si beau que je suis très ému, car il nous livre des secrets de vignerons du 19ème siècle.
Le Château Mouton-Rothschild 1907 est le vin qui a le plus beau parfum. C’est le plus racé de tous et le plus complexe. Ce vin est très grand. Paradoxalement il fait plus son âge que son aîné de vingt ans, le margaux.
Le Château Haut-Bailly 1913 avait un nez agréable à l’ouverture, mais là, je suis un peu gêné par une odeur médicinale. Est-ce mon verre, je ne sais, car mon fils, qui a souvent les mêmes jugements que moi, l’aime beaucoup. J’ai pu imaginer ses qualités, mais à aucun moment je n’ai vraiment eu la vibration que l’on pourrait attendre de ce très grand vignoble.
Il y a tellement de récompenses avec quatre vins sur six que nous jouissons de ce moment irréel qui est d’avoir devant soi six verres de vins de cent ans et plus.
Sans attendre l’arrivée des deux autres vins, nous votons pour les bordeaux. Nous sommes quatre et trois vins sont votés au premier rang : le Brane Cantenac deux fois, le Palmer et le Mouton une fois.
Le vote du consensus est : 1 – Mouton 1907, 2 – Brane-Cantenac 1887, 3 – Palmer 1910, 4, Léoville-Poyferré 1909.
Mon vote est : 1 – Brane-Cantenac 1887, 2 – Mouton 1907, 3 – Léoville-Poyferré 1909, 4 – Palmer 1910.
Il y avait en fait deux groupes : le 1887 et le 1907 en tête, avec un choix ouvert entre les deux, puis le 1909 et le 1910, avec un choix ouvert. Ces quatre vins ont démontré la vivacité, l’élégance, la subtilité de ces bordeaux quand ils sont bien conservés et quand ils ont gardé une couleur pleine de vie.
Le Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1964 a une belle couleur, un peu plus tuilée que celle des bordeaux. Le nez quand Brad m’avait servi un verre en début de repas, avait toutes chances de surpasser celui des bordeaux. Mais maintenant qu’il entre en scène, on est obligé de constater que s’il est extrêmement plaisant, avec une belle prestance, il est trop simple si on le compare aux bordeaux qui l’ont précédé. Il y a trop de complexités dans ces bordeaux par rapport à ce bourgogne plus rustique. Nous en profitons évidemment, mais le souvenir de quatre bordeaux si brillants est ce qui peuple notre mémoire.
Le Porto Peatling & Sons 1896 a été acquis en 1985 auprès de Sothebys. Le nez m’avait beaucoup plu à l’ouverture. Maintenant, on sent trop l’alcool qui prend le devant de la scène, alors qu’il a de belles qualités. Je sens du café, du caramel, du raisin de Corinthe. Il est très fort et persistant, mais il est trop alcool.
Le dessert que j’ai pris est à base de noix de Macadamia et de glace au caramel. Il est tout indiqué pour ce porto, agréable mais trop envahissant.
Si l’on devait voter en incluant ces deux derniers vins, le Corton serait cinquième et le Porto sixième.
Que dire de ce repas de folie ? L’accueil qui nous a été réservé a été chaleureux et amical, Brad se prêtant avec bonne volonté à mes exigences maniaques. La viande est bonne, mais l’on mange beaucoup trop.
Avoir face à soi six vins de 1887 à 1914, cela ne peut pas laisser indifférent, surtout quand quatre d’entre eux en remontreraient aisément à des vins de cinquante ans plus jeunes. La jeunesse du 1887, la noblesse du 1907, la solidité du 1910 et la grâce féminine du 1909, ce sont des cadeaux pour l’amateur de vins que je suis. Nous avons vécu un grand moment, en faisant vivre des vins qui ne demandaient qu’à raconter toutes leurs complexités. Vive Bern’s.
Les plats
notre tablée (et mon fils qui se sert)
les alignements de verre de vins centenaires !
Poursuite du séjour à Miami mardi, 18 février 2014
Le séjour continue, plus en douceur. Nous allons déjeuner au restaurant universitaire de l’Université de Miami, gigantesque campus. L’immersion au sein d’une jeunesse prometteuse est toujours rafraîchissante quand on vient d’un pays qui peine à motiver ses élites.
Le soir, dîner chez mon fils avec un Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle que j’avais acheté dans un magasin proche. Fort heureusement, le magasin ne devait pas en vendre souvent et le bouchon chevillé indique que le champagne a une bonne dizaine d’années. Et cela lui va bien. Il a cette beauté florale qui fait son charme et sa délicatesse. Un Bandol L’Hermitage 2007 est très agréable, mais j’ai du mal à reconnaître un Bandol, car je ne sens pas l’olive noire, le genêt et le romarin. Les cigales ne chantent pas dans mon palais. Mais il se boit bien.
Nouvelle journée de farniente autour de la belle piscine de l’hôtel Biltmore. Le soir, dîner au restaurant italien Fontana de l’hôtel. La cuisine est de qualité moyenne. Le service est de bonne volonté, sans plus. Le Champagne Cristal Roederer 2004 se présente sous son meilleur jour. Beaucoup de vivacité et d’ampleur. Mais étant seul à le boire, je me lasse assez rapidement. Est-ce mon palais, est-ce le champagne, je ne sais, mais il est devenu plus plat. Ce doit être moi.
Ambiance du campus de l’Université de Miami
le patio du Biltmore, de nuit