Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner d’amis mardi, 23 juillet 2013

Dîner d’amis à la maison. Nous commençons avec le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996. Il commence à prendre du coffre et de l’ampleur que permet cette belle année. Nous croquons des tranches de Cécina de Léon, de jambon ibérique et d’un saucisson redoutable de densité et fort curieusement, c’est la poutargue qui gagne, donnant au champagne une vivacité que les charcuteries ne lui apportent pas. Carré, facile à vivre, c’est toujours un champagne agréable à boire.

Le saut qualitatif que crée le Champagne Salon 1996 est assez spectaculaire. Dans tous les compartiments du jeu, il apporte quelque chose de plus. Il a des fruits blancs mais aussi des fruits confits charnus, il a une longueur extrême, une complexité sans égale, mais c’est surtout le fait qu’il change à chaque gorgée qui lui donne du punch et retient notre intérêt. Sur une crème de fèves avec des fèves entières et des lardons, il est très à son aise.

La Côte Rôtie La Turque Guigal 1992 a un nez d’une rare profondeur. Il est fringant et signerait volontiers un vin de moins de dix ans. La fraîcheur des arômes est impressionnante. En bouche, il est beaucoup plus plein que ce qu’on attendrait de ce millésime. Riche de fruits rouges et noirs, c’est un vin jouisseur. Il épate tout de suite et ne cherche pas à avoir une longueur particulière. C’est un vin d’attaque mais aussi de fraîcheur. Sur un poulet au curry et flans de courgettes, il sait ne pas écraser le plat et l’accompagner. C’est un vin outrageusement jeune, qui a plus d’avenir que ce que l’on penserait.

La pleine lune et les discussions nous ont entraînés plus de deux heures au-delà du moment où les carrosses redeviennent citrouilles.

DSC05870

DSC05868

2013-07-23 21.07.21 2013-07-23 21.30.00

Dîner chez des amis du sud dimanche, 21 juillet 2013

Notre amie cuisine en s’inspirant de recettes de chefs, dont celles du Thuriès magasine. Son carré d’agneau est un bonheur. A notre arrivée, c’est un Champagne Mumm Blanc de Blancs de Cramant sans année qui se présente. Son final est poussiéreux et il n’arrive pas à communiquer d’émotion. Le Champagne Jacquesson 2002 fait de blancs et de noirs a été dégorgé en décembre 2011 et dosé à 3,5 gr. Il est nettement plus présent, mais j’en attendais un peu plus de vivacité. C’est un beau champagne auquel il manque un petit coup de fouet.

Philippe a ouvert, « pour voir » et sans illusion un Domaine de Font Alba Côtes du Ventoux 2000. C’est un vin de Tour de France, ce qui est d’actualité, et comme le propriétaire est Xavier-Louis Vuitton, on pourrait dire qu’il a plus d’un tour dans son sac. Plus sérieusement, c’est une très agréable surprise, car ce vin brille par un final que l’on n’imaginerait jamais aussi long et aussi complexe. Je me régale avec ce vin qui fleure bon les garrigues, avec des évocations de romarin.

Le Château de Mont-Redon Chateauneuf-du-Pape 2007 est exactement ce qu’on peut attendre d’un Châteauneuf d’une grande année. Il est droit, solide, carré, et joyeux à boire, avec une belle subtilité.

Nous passons maintenant aux vins qui ont du muscle. Le R de Rimauresq 2004 titre 15°. Sur l’étiquette d’une grande pureté puisqu’il y a une seule lettre, on voit une oie dessinée au dessus d’un bandeau sur lequel est écrit : »JE PENSE ». J’adore. Ce vin a tout les atouts de la Provence, avec ces évocations de truffe d’été, d’olive noire et d’épices provençales. C’est un vin d’été de bonheur. Mais à côté de lui arrive un véritable rouleau compresseur de senteurs et de saveurs. Le Vega Sicilia Unico 2003 est une bombe de cassis et de fenouil sur une trame de jus de raisin. Il écrase toute compétition tant il occupe l’espace. Ce qui me fascine, c’est qu’il est d’une grande fraîcheur combinée à une puissance infinie. Même si le vin espagnol est d’une pureté et d’une grandeur sans égales, le « R » se tient bien et on peut y revenir sans que son message n’en soit altéré.

Il restait une petite soif étanchée par un R de Rimauresq 2011 qui titre 14,5°. J’ai préféré finir le Vega et je n’ai pas gardé le souvenir de ce vin. La soirée était particulièrement agréable, une vraie soirée d’été, et la divine surprise, c’est ce vin du Ventoux auquel j’aurais volontiers donné 15 ans de plus si l’on ne m’avait pas indiqué l’année.

DSC05835 DSC05837 DSC05838 DSC05841 DSC05843 DSC05847 DSC05848 DSC05850 DSC05851

DSC05842 DSC05845

Krug GC, Krug 1982 et un impressionnant VSU 2003 mardi, 16 juillet 2013

Il y a toujours un anniversaire qui passe à proximité. C’est un prétexte à trinquer. Le Champagne Krug Grande Cuvée sans année dont l’étiquette est ancienne est une merveille. Son attaque est douce, peu dérangeante, et le message est floral, féminin, de grande délicatesse. Un saucisson non gras au Pata Negra et de fines tranches de Cecina de Léon le titillent gentiment.

Le Champagne Krug 1982 a une couleur légèrement plus foncée. Ce champagne est une bombe. Il a des fruits confits comme l’abricot ou la mangue qui envahissent le palais et sa profondeur est invraisemblable. Les deux champagnes sont totalement opposés mais ce qui fascine, c’est qu’ils se ressemblent. La matière vineuse des deux champagnes a un ADN qui ne trompe pas. Après, tout les sépare, chacun trouvant sa voie. Le sans année est un champagne de séduction, le 1982 est un guerrier. C’est évidemment le 1982 qui conquiert mon cœur, du fait de sa profondeur et de sa complexité, même si le Grande Cuvée me ferait vaciller.

Collectionneurs mes frères, attendez quinze ans avant de toucher à vos Grande Cuvée.

Le tajine de pintade aux abricots et frites de céleri accueille le Vega Sicilia Unico 2003, millésime qui est mis cette année sur le marché et dont je viens de recevoir la livraison. Le nez est intense, profond, une vraie promesse de bonheur. Alors que je suis un ardent défenseur des vins anciens, ce vin pourrait me faire évanouir. Il a la fougue d’un mustang et la grâce d’un coquelicot de printemps.

S’il est puissant, avec ses 14°, il a une fraîcheur incomparable, faite de menthe et de fenouil. Chaque gorgée est une coulée de lave de bonheur. Je ne vois rien qui pourrait surpasser ce Gérard Philippe jouant Fanfan la Tulipe.

20130714_123756 20130714_122737

(le Beaucastel n’a pas été bu)

Dîner chez des amis mardi, 16 juillet 2013

Des amis nous invitent dans leur maison qui surplombe la baie de Hyères et la baie de Giens sur presque la totalité du panorama. Katia nous a préparé des amuse-bouche qui sont d’une imagination débridée, mêlant épices et douceurs. Le Champagne Laurent-Perrier magnum sans année est très facile à boire, champagne de large soif. Le Champagne rosé Alfred Rothschild sans année est en manque d’imagination.

A table, le Corton Charlemagne Domaine Gaston & Pierre Ravaut 2003 est fort agréable, même s’il ne crée pas l’émotion que l’on pourrait attendre. Je n’ai pas retenu l’année du Clos de Vougeot Grand Cru Michel Picard. Le Corton Grand Cru Les Chaumes Reine Pédauque tasteviné 2009 est plus charnu que le Clos de Vougeot très aimable. Ces deux vins suivent bien la cuisine sophistiquée.

La vedette des rouges, c’est le Mas de Daumas Gassac rouge 2005 vin d’une rare intelligence et d’une belle expression convaincante. Il est riche, profond et intelligent.

La vedette de la soirée, c’est la cuisine de notre amie, dont la tourte à la viande et à la compote de céleri pèse lourd dans la balance, au propre et au figuré.

DSC05801 DSC05800 DSC05802 DSC05803 DSC05807

DSC05804 DSC05805 DSC05806 DSC05808

De beaux vins dans le sud, coup d’envoi des vacances samedi, 6 juillet 2013

Nous sommes quasiment au complet avec nos six petits-enfants et leurs parents. Seuls manquent mon fils et son épouse. Il faut fêter cette chance d’être ensemble. D’emblée le Champagne Krug 1996 attaque très fort, avec une acidité qui paraît non domptée, mais qui s’organise. C’est un bulldozer de puissance. Sur un saucisson au jambon ibérique, il prend des saveurs d’agrumes et d’oranges confites. Sur une tapenade aux arômes de truffes il est rectiligne, sénateur. Sur un Jabugo peu gras, il affiche une grande longueur. Sur la poutargue il est plus simplifié. C’est un grand champagne mais qui – à mon sens – manque encore de quelques années pour atteindre la rondeur qu’il promet.

Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1992 est servi après un Krug 1996 et ce n’est pas un service à lui rendre. Il apparaît gracile, mais assez rapidement, il montre qu’il en a sous le pied. On est un peu perdu pour le situer, puis les choses s’assemblent. Il est très vineux, complexe, voire énigmatique. On sent qu’il a beaucoup de potentiel, mais – c’est mon erreur – il ne faudrait jamais le servir après un Krug 1996. La puissance du Krug affaiblit le message d’un champagne qui aurait beaucoup à dire et que je pense plus gastronomique que le Krug.

J’avais goûté le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1998 avec Jean-Pierre Perrin au moment où il sortait dans le commerce et je l’avais trouvé fabuleux. Il tient les promesses qu’il offrait alors, il y a environ 13 ans. Son attaque est forte, avec un nez de garrigue et des senteurs d’un sud ensoleillé. La bouche est puissante, envahissante, d’une richesse extrême. Opulent, on pourrait le classer dans les vins riches. Mais le petit miracle, c’est cette sensation de fenouil qui lui donne une fraîcheur rare. C’est un vin qui fonce, qui trace la route, mais qui présente aussi une belle complexité. Je l’adore.

Le Rimauresq rouge Cotes de Provence 1992 est servi à la suite du Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1998. Il apparaît tellement fluet qu’on est un peu perdu. Mais il faut lui laisser le temps de s’exprimer. Et quand arrivent les évocations d’olive noire et de romarin, alors, on retrouve ce grand vin, subtil, qui chante avec les cigales, mais qui est dans l’ombre du Chateauneuf-du-Pape d’une puissance sans équivalent. Comme le Clos des Goisses, il aurait gagné à être bu seul.

Un poulet cuit à basse température à la plancha, fondant à souhait, était idéal pour révéler les complexités de deux beaux et grands vins rouges.

DSC05754 DSC05755

DSC05753 DSC05752 DSC05751

DSC05757

Beau repas au restaurant Garance mardi, 2 juillet 2013

Obligé de rentrer à Paris pour un rendez-vous, je trouve mon réfrigérateur bien vide. L’idée de dîner seul à la maison me déplait. Je réserve au restaurant Garance où je me présente nanti d’une bouteille de vin. C’est un Chateauneuf-du-Pape Emile Costes négociant 1947. Ce vin ne peut se comprendre que si l’on a envie de l’écouter. Plus d’un amateur de vin n’en aurait pas le courage. Or en fait, il est passionnant dans son originalité. Il change souvent de facettes, presque à chaque plat conçu par Guillaume Iskandar. Ce qui domine, c’est la truffe, le graphite, les fruits noirs. On ne peut pas dire que c’est un grand vin. C’est un vin dont l’intérêt est lié à son adaptabilité à une cuisine variée. Il ne laisse pas indifférent et va même jusqu’à donner de belles émotions.

La cuisine du chef est de plus en plus épanouie: ravioli en un bouillon /homard / les dernières asperges / lotte merveilleuse / travers de porc /dessert au fruits rouges. J’avais été accueilli par un verre de Champagne Billecart Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 2000, beau champagne bien frais et de belle soif. Qui penserait que c’est sur la lotte que le Châteauneuf a créé les plus belles vibrations ? La cuisine du Garance évolue on ne peut mieux vers une plus grande cohérence. Ce fut un beau repas.

DSC05540 DSC05539

DSC05536 DSC05535

DSC05537 DSC05538 DSC05541 DSC05542 DSC05543 DSC05544 DSC05545 DSC05546

Deux grands vins dans ma maison du sud dimanche, 30 juin 2013

Nous reprenons la route vers ma maison du sud où mon épouse a préparé un grenadin de veau aux fines tranches de pommes de terre. Avant cela, nous grignotons de l’anguille fumée, de la poutargue et du jambon Jabugo autour d’un Champagne Salon 1996. Ce champagne, ce n’est pas la force tranquille, c’est la complexité tranquille. Car il ne fait aucun effort pour se pousser du col. Il est brillant, complexe, vineux mais aussi floral, et déroule toutes ses complexités sans jamais insister. On pourrait dire que c’est un Roger Federer du champagne. C’est avec le Jabugo qu’il est le plus brillant, puis avec la poutargue, l’anguille étant moins opportune. La rémanence en bouche de ce champagne mêle le vineux avec un extrait de fruit confit et quelques fleurs blanches jetées de-ci-de-là. Longtemps en bouche, on a son empreinte au léger poivre, picotant la langue.

Pour le plat, j’ai choisi Vega Sicilia Unico 1989. C’est mon favori actuel des Vega Sicilia. Si je devais faire un choix, je plébisciterais la décennie 60, avec de sublimes 1965 et des Reserva Especial d’une plénitude considérable sur cette période, puis ce 1989 exceptionnel de jeunesse. Le nez du vin est envahissant. Il annonce déjà toutes les complexités du vin. Le parfum est opulent, avec des évocations de feuilles de cassis, feuilles de menthe et de végétal. En bouche, si l’intensité est extrême, la fraîcheur l’est tout autant. Le vin déborde de générosité, avec des fruits rouges et noirs savamment dosés, et une fraîcheur mentholée qui claque comme un coup de fouet. On ne se lasse pas de ce vin qui pourrait sembler lourd et moderne mais qui, de fait, décline toutes ses composantes avec un dosage savant qui donne de la légèreté, de l’élégance et de la complexité.

Nous avons même essayé le vin avec un camembert Jort. Sur le papier, l’expérience est perdue d’avance. Mais si l’on sait manger le Jort, calmer son palais, puis boire le vin avec de minuscules lampées, le râpeux du fromage donne une tension au vin qui prolonge sa longueur.

Par un soir venté à la brise de chaleur, ce qui est une première pour cette année, ces deux vins ont enchanté notre soirée.

DSC05529 DSC05527

DSC05524 DSC05525

DSC05521 DSC05522 DSC05526

Déjeuner à l’Enchanteleur dimanche, 30 juin 2013

Une amie annonce qu’elle vient déjeuner chez nous avec l’une de ses amies. J’ouvre un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996. Pour l’accompagner, il y a de fines tranches de betterave rose et blanche, dont le goût terreux bride un peu le champagne. Il s’épanouit sur un tajine de poulet aux dattes goûteux, mais qui n’arrive pas à donner un coup de fouet suffisant à ce champagne que j’adore. Il faudra en ouvrir un autre prochainement, pour vérifier qu’il a toujours cette vibration que j’apprécie particulièrement.

DSC05431

DSC05427 DSC05428

Beau dîner à l’hostellerie Jérôme à La Turbie vendredi, 28 juin 2013

Jean-Philippe est descendu dans la région de Nice pour explorer la cuisine locale. Il m’envoie un message, me demandant de le rejoindre à l’Hostellerie Jérôme à La Turbie, ville romaine qui surplombe Monaco. N’écoutant que mon courage, je le rejoins à l’hôtel Napoléon, situé le long de la Nationale, en plein centre ville. Nous allons prendre un verre dans un bistrot sur la Nationale sous un agréable soleil après des ondées, et nos poumons font leur plein de pollution pour l’année, tant les véhicules crachent leur venin sous nos narines.

L’heure est venue de nous rendre à l’Hostellerie Jérôme. Bruno Cirino arrose les abords de son établissement. Nous le saluons et nous nous présentons sur l’autre façade où Marion Cirino nous dit : « attendez, je vais mettre une veste pour vous recevoir ». On nous propose de dîner sur la terrasse qui surplombe un panorama méditerranéen, mais de peur d’ondées sournoises, nous choisissons la jolie salle à manger aux voûtes gracieuses d’un ancien cloître.

La carte des vins est tentatrice et à ma grande surprise, Marion Cirino me dit qui je suis, car, dit-elle, elle aime suivre ce qui s’écrit sur le vin. Nous hésitons longtemps, car la carte est très engageante, et nous jetons notre dévolu sur un champagne et un vin blanc. Jean-Philippe décide que nous prendrons le menu dégustation et je le suis sans même regarder son contenu.

Le menu est : un « bâtonnet » d’espadon mi-cuit en salade / calamars grillés, composition d’une courgette en fleur / homard d’Irlande grillé à la Rossini aux figues noires et citron confit /scampis puce à la vapeur servis décortiqués, mangue, citronnelle, jasmin / asperges violettes de bord de mer à l’émulsion de comté truffé / Gamberoni il violetto di Oneglia aux pêches blanches et cristallines de verveine / la grosse langoustine rôtie sur une croûte d’amandes vertes à la verveine du jardin / le mérou à la marseillaise / rouget de roche grillé aux pousses de fenouil sauvage, pistou de légumes / aile de pigeonneau rôtie à la réduction d’olives noires au vin de Bandol / fraises des bois, angélique de montagne, croquettes, sorbet au lait de bufflonne / pur chocolat Taïnori, les cerises marasque et le sorbet à l’eau-de-vie.

Le Champagne Pol Roger Sir Winston Churchill 1999 est plein de surprises. Il est étonnamment fruité et généreux. Beaucoup plus que son millésime. Ce qui frappe, c’est l’intensité de son finale et le prolongement en bouche de saveurs lourdes. Son épanouissement est remarquable. En le buvant, je me demande si je le reconnaîtrais dans une semaine si on me le servait à l’aveugle. Et je pense que je n’y arriverais pas. Car ce champagne est parfait sur tous les compartiments du jeu, mais n’a pas d’aspérité que l’on mémoriserait. C’est un champagne de grande classe et de grande harmonie, avec une matière vineuse de première grandeur, mais ce n’est pas le loulou de banlieue que l’on reconnaît à sa danse chaloupée. Pour moi, c’est la persistance aromatique qui est le signe absolu de sa grandeur. Il va accompagner une bonne partie du repas avec pertinence.

Le Bienvenues Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 2001 est une merveille de vin bourguignon. Il a une force vineuse certaine, mais bien contrôlée. Il est puissant mais sait se révéler délicat. Ce qui me fascine, c’est qu’au moment où l’on déglutit, on est au milieu d’une motte de beurre, tant cette impression beurrée est dominante. C’est un immense vin au sommet de son art, dans la jeunesse.

La cuisine de Bruno Cirino est généreuse, fondée sur des produits de haute qualité et cuits à la perfection. Dans un dîner de tant de plats, tout ne se vaut pas, mais la qualité globale vaut les deux étoiles du guide. Je n’ai pas vibré avec l’espadon, l’épinard et la mûre qui jouxtaient la sublime langoustine, le rouget, manquant un peu de peps et le chocolat délicieux, mais qui arrivait au-delà de nos limites de raison. Tous les autres plats m’ont enchanté. Il en est même un qui m’a procuré un véritable orgasme culinaire. Je frissonnais à chaque bouchée. C’est le pigeon, démoniaque de perfection, à la sauce inouïe. Sinon, la crevette d’amuse-bouche, le calamar, le magique mérou et les prodigieux Gamberoni ont signé un repas de grand art. Mes chouchous : le pigeon, le mérou et la crevette du début. Les vins se sont bien adaptés à la cuisine, même si elle force un peu sur le citron.

Une mention spéciale ira vers Marion Cirino. Son intelligence des situations, son sens du service, son humour et sa compétence ont illuminé ce repas. Elle est chaleureuse, sachant jusqu’où elle peut aller, et si nous avons passé une magnifique soirée, c’est bien sûr grâce au talent de son mari. Mais elle tient une part importante dans ce succès. Voilà une table généreuse où il faut aller.

DSC05479 DSC05480

DSC05491 DSC05490

DSC05478 DSC05485 DSC05489 DSC05493 DSC05495 DSC05496 DSC05498 DSC05500 DSC05501 DSC05502 DSC05504 DSC05505 DSC05506 DSC05507

Cuisine de génie chez Pic à Valence avec un Cathelin Chave 1991 mythique samedi, 8 juin 2013

Lorsque l’on est seul à table, on ne goûte pas de la même façon. Car on a plus de temps pour remarquer des tas de petits détails. Alors, soit on est agacé par de minuscules accrocs comme ce fut le cas il y a bien longtemps chez Jacques Maximin, malgré la grande qualité de sa cuisine, soit on gonfle le petit nuage sur lequel on est assis et l’on jouit plus encore de l’instant qui passe. Ma visite au restaurant Pic à Valence est de ce deuxième profil.

Une fête de famille doit avoir lieu près d’Orange. Nous annonçons notre venue,  ma femme et moi. Réservation est faite chez Pic, dîner et nuit. Depuis des mois un artisan devait faire une opération délicate dans notre maison qui ne doit pas se rater. Il annonce sa venue le jour de notre départ. Il est hors de question de le laisser faire seul. Ma femme décide de rester.

Cela fait des années que nous voulions revenir ensemble chez Pic où nous avons de grands souvenirs depuis l’époque du père d’Anne-Sophie. C’était aussi une halte fréquente puisque le groupe que je dirigeais avait une importante filiale à Valence. Le bar au caviar est un des souvenirs qui marquent nos deux esprits, aussi je ne le prendrai pas ce soir, car c’est avec ma femme que je veux en perpétuer le souvenir.

Lorsque j’arrive à l’hôtel, on prévient Denis Bertrand, le très célèbre sommelier qui fêtera bientôt ses quarante ans de maison. Nous sommes heureux de nous retrouver. Denis m’accompagne jusqu’à ma chambre et m’apporte un Champagne Delbeck brut vintage magnum 1996. Le haut de la bouteille qui avait été placée dans un seau à glace est plus chaud que le bas aussi les verres avec lesquels nos trinquons sont-ils un peu chauds. Le vin offre des sensations pâtissières, plus croissant que beurre. Il y a aussi un peu de pâte de fruit. Nous trouvons ce champagne sympathique et Denis décide de le remettre au frais pour l’apéritif.

La décoration du lieu est résolument moderne, très « pushing » en certains endroits et très « féminine » en d’autres, comme à la Dame de Pic à Paris. Les sièges sont d’une imagination débridée, ainsi que les moquettes et cela a un petit air jeune et éphémère. Mais d’un autre côté la tradition n’est pas oubliée avec une petite salle souvenir où sont évoquées les trois générations de cuisiniers de la famille. La décoration est tonique.

Traversant des allées serpentines et tropicales je m’assieds à une table dominée par le bruit d’une cascade. Le champagne Delbeck m’interpelle. Il a des petits aspects de vin bouchonné alors que le nez n’indique rien. Je m’en ouvre à Denis qui me confirme que le vin a mal évolué, prenant une fatigue qu’il ne devrait pas avoir. Immédiatement mon verre est remplacé par un Champagne Bollinger Grande Année 2004 qui marque un saut qualitatif impressionnant. Ce vin est vif, claque en bouche. C’est du bonheur.

Denis Bertrand avait des envies de me faire goûter des vins au verre, mais je veux profiter de ma présence en ce lieu pour dénicher un vin que j’aurais du mal à trouver. La carte est très bien fournie, mais les prix ont parfois attrapé la folie des grands hôtels parisiens. Il va donc falloir louvoyer.

Mon œil s’arrête sur un vin mythique. Je demande à Denis si je peux le prendre, mais je sens que ça coince. Denis a envie de me faire plaisir, car nous nous apprécions depuis très longtemps. Mais la bouteille que je guigne est sa dernière, et je sens qu’il aimerait la garder en cave comme un totem. Je lui suggère de demander à Anne-Sophie Pic. Et soudain, c’est le noir. Denis ne revient pas et lorsque je l’aperçois, je ressens sa gêne d’amoureux du vin.

Le temps passe et enfin il revient. Il n’a pas posé la question à Anne-Sophie. Je rejoins ma table dans la salle du restaurant et ça me fait mal de voir Denis aussi travaillé dans ses chairs, ne voulant pas me décevoir et gardien jaloux de son trésor. Comme je le comprends !

Mon envie de ce vin n’a fait que s’amplifier. Denis s’est fait sa religion. Pour donner une indication au lecteur qui n’a pas encore eu la tentation de regarder plus bas dans le texte, si j’ai eu cette envie, c’est que sur un mur, le peintre Cathelin a fait un portrait d’Anne-Sophie. Quel beau prétexte pour boire un vin de génie. Les angoisses de Denis disparaissent. Le dîner peut prendre son cours.

Mon menu est : les poireaux jaunes du Poitou et le caviar Alverta, poireaux crayons et anchois de Méditerranée marinés, bouillon au thé vert Matcha / la langoustine au casier, saisie au beurre de langoustine, bouillon léger à la pomme verte, feuille de cannelier, anis vert et céleri branche / le turbot côtier poché lentement, coulant de petits pois et oignons doux aux bourgeons de sapin, thé sencha et vanille de Tahiti / le chevreau de la Drôme confit à la camomille, pomme de terre grenaille confite et ail des ours à la réglisse.

La crème brûlée au foie gras en amuse-bouche est accompagnée d’une mousse à la pomme Granny-smith. C’est délicat et accentue la tension du Bollinger.

Denis porte comme le Saint-Sacrement un Ermitage Cuvée Cathelin Chave 1991. Le vin est d’une année mythique dans le Rhône et c’est la deuxième année qui a été faite depuis la création de la Cuvée Cathelin. Nous sentons le premier verre sans boire et ce vin s’annonce conforme au mythe. On va le laisser tranquille car arrive le premier plat. Le caviar (le même que celui du bar légendaire) forme avec l’anchois snacké une combinaison merveilleuse où chaque composante ressort encore plus goûteuse. Ça pétille et le poireau calme tout cela. C’est un plat de dosage et d’équilibre. Le Bollinger suit bien, mais le plat est le gagnant.

Il est temps de boire le vin rouge. Le Cathelin, c’est un choc. Je fais : « ho ! ». En moi-même, je me dis : « madre de Dios ». Le nez est diabolique de profondeur. L’attaque est toute en douceur, avec des petits fruits rouges. Le milieu de bouche, c’est la structure, l’architecture, le poivre. Ce vin est un char d’assaut. Et le finale est sur des notes de bois et de poussière cendrée. La longueur est infinie. C’est proprement divin.

Il y a beaucoup de cendre dans ce vin. Je suis confondu par la plénitude et la précision du Chave. Il  a des accents bourguignons. J’ai l’image de l’omble chevalier de Marc Veyrat, emprisonné entre deux écorces de pin. Il y a de ces suggestions dans ce vin de bonheur, par le fumé de bois de pin.

Etant seul je peux me poser des questions : suis-je influencé par l’étiquette au point de surévaluer ce que je bois. Ma réponse est non, car il y a dans ce vin un supplément d’âme qui ne trompe pas.

La langoustine, ajoutée à mon programme, est totalement réussie. Elle est gourmande. Il y a de l’onctueux dans la sauce qui est diabolique. L’accord est génial avec le Bollinger 2004 dont l’aller et retour avec le vin rouge se passe sans accroc. La langoustine est probablement l’une des meilleures que j’aie jamais mangées.

Le Cathelin auquel je reviens me fait penser à Luciano Pavarotti ou à Teddy Riner. Ça paraît tellement simple le génie ! Je succombe totalement au charme de ce vin. Le côté feu de cheminée que j’avais trouvé récemment dans un champagne de Selosse, je le retrouve ici. Je suis assailli de subtilités de folie. Denis Bertrand, avec qui je partage un verre de ce vin, parle de « terre cendrée ». L’expression est jolie.

Le turbot est exceptionnel. Sa mâche, son gras, sa cuisson avec des saveurs très féminines, tout est bonheur. Ce qui frappe, c’est l’élégance du plat complexe. Le vin s’oriente vers puissance et raffinement.

Le chevreau, c’est l’accomplissement de la légèreté dans la cuisine bourgeoise. La sauce est exceptionnelle et le chevreau est fondant. C’est le climax de la cuisine bourgeoise. Le père d’Anne-Sophie doit être fier sur son nuage au Paradis. Je ne sais pas si le Chave est plus divin avec la chair ou avec la sauce. Avec la sauce, c’est une explosion sensuelle. Avec la chair, c’est l’équilibre gastronomique de légende. Alors ? Où est le meilleur. Je ne sais pas.

Je me félicite d’avoir refusé que Denis carafe le vin. Car il devient maintenant plus Hermitage, plus notable, plus enjôleur. Sur la première partie, il était l’énigme, le faune dans la forêt. Maintenant c’est un sénateur opulent, et son discours devient plus convenu, même s’il est excellent. Je l’ai aimé dans la cendre et pas dans son fauteuil. Il faut dire aussi que par cette chaude soirée, il a pris quelques degrés de plus, ce qui ne lui convient pas aussi bien que sa première fraîcheur.

Il reste encore de quoi me satisfaire sur un fromage et si je veux synthétiser, ce vin a un équilibre gigantesque entre sa râpe, une salinité cendrée, des fruits noirs et de beaux tannins. C’est un vin raffiné, profond, à la longueur infinie.

Anne-Sophie Pic est venue saluer toutes les tables, si gentille et ouverte avec tous. Elle a fait une cuisine merveilleuse. Bien sûr, je suis influencé par ma solitude à table, qui amplifie les émotions, mais je crois bien que c’est l’une des cuisines les plus brillantes que j’aie pu rencontrer depuis longtemps.

DSC05335

DSC05339 DSC05338 DSC05337

DSC05350 DSC05349 DSC05352

DSC05346 DSC05348 DSC05355 DSC05359 DSC05360 DSC05362 DSC05363 DSC05365 DSC05366 DSC05367 DSC05368

DSC05358 DSC05364