Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Les miracles, ce n’est pas tous les jours jeudi, 30 mai 2013

Mon fils vient dîner à la maison et nous sommes seuls à grignoter cochonnailles et fromages. Je descends en cave et je prends en main un Ausone 1943. Enfer et damnation, le niveau est largement sous l’épaule. Si c’est comme cela, autant essayer de voir ce que donneront des bouteilles dont le ticket n’est apparemment plus valable. J’en avais repéré quelques unes, sans avoir le moindre espoir de bonnes surprises. Bien sûr, j’ajoute une bouteille saine, pour que la punition ne soit pas trop grande. Alors, allons-y pour le bal des éclopés.

Le Champagne Mumm Cordon rouge 1937 a un niveau baissé de moitié. Le bouchon tout recroquevillé est tout noir. Le parfum qui sort de la bouteille n’est pas désagréable, mais n’est pas précis. La couleur est trop grise. Du fait de l’odeur qui n’est pas détestable, nous attendons une bonne heure avant de le boire, mais le vin est trop déplaisant pour que nous insistions. Le score est : mort 1 – vie 0.

Le Meursault-Charmes Thomas Bassot 1950 a un niveau bas, mais pas extrêmement bas. C’est la couleur foncée qui n’est pas engageante. Le nez est poussiéreux. Le verdict est sans appel : mort sans possibilité de résurrection. Le score est : mort 2 – vie 0.

Le Château Gruaud-Larose Faure-Bethmann 1928 a un niveau nettement sous la moitié. Il n’y a rien à attendre. Et contre toute attente, le parfum du vin est doux et fruité. Le vin n’a aucune tension, mais il est buvable et ne pourrait tirer de grimace à personne. Mais de là à l’aimer, le pas ne sera pas franchi. Le score est : mort 2,5 – vie 0,5.

Le Château Ausone 1943 a un bouchon d’une qualité effrayante et sent horriblement. Le vin a une odeur qui n’est pas marquée comme celle du bouchon, mais il n’est pas brillant. Tout indique que le plaisir n’apparaîtra pas. Le score est : mort 3,5 – vie 0,5.

La conclusion à ce stade est claire : à un certain niveau de dégradation, le miracle n’existe pas, tout du moins aujourd’hui. Mais il fallait essayer.

Le Chateauneuf-du-Pape Ch. Bader-Mimeur 1961 au niveau parfait a un nez très expressif avec des intonations bourguignonnes. En bouche, le vin est puissant, fait apparaître son alcool et a des évocations de bois flotté, presque de thé en superposition à une force vineuse certaine. Il allie force et charme. Il est la récompense de notre approche précédente. Ce vin épanoui, plein et profond séduit par sa maturité.

Nous avions l’envie de comparer la Bénédictine de mon anniversaire avec une Tarragone des années 20 ouverte depuis longtemps. Hélas, en levant le bouchon je me rends compte que la bouteille est vide. Mais le parfum est tout aussi vivace que si la bouteille était pleine. Et la cause est entendue au nez, faute de pouvoir boire : le parfum de la Tarragone est dix fois plus racé et complexe que celui de la Bénédictine. Ce qui n’enlève rien à la séduction sucrée et florale de la Bénédictine.

Mon fils est la personne la plus propice à ces expériences de « spirites » qui tentent de ressusciter les morts. Ce soir, ça n’a pas marché. Mais ça ne nous empêchera pas de recommencer, car l’expérience nous a déjà démontré qu’il faut croire aux miracles, puisqu’il y en a.

Et fort heureusement, les bouteilles à bas niveau sont plus que minoritaires dans la cave.

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Déjeuner au restaurant Kei dimanche, 26 mai 2013

Déjeuner au restaurant Kei où un jeune chef japonais a repris les locaux de la rue du Coq Héron où Gérard Besson offrait une cuisine traditionnelle de grande qualité. Le virage est à 180°. Car Kei (prononcez quai) réalise une cuisine de haute qualité où l’esthétique des plats est très japonisante et où tout est complexité et subtilité. Le menu n’est pas communiqué aussi n’ai-je pas noté ce qui est proposé. Il y a eu dix services avant les mignardises. Cette cuisine est d’une grande délicatesse, mais lors d’un déjeuner de travail, on n’a pas l’attention suffisante pour essayer de percer tous les secrets de la créativité du chef. L’exécution des plats est de haut niveau. C’est incontestablement une grande table de Paris. Le Champagne Substance de Selosse dégorgé en octobre 2011 est de forte personnalité, typé, profond, de grande rémanence en bouche. C’est le compagnon idéal d’une cuisine de ce niveau de sophistication.

Il faut de l’attention pour profiter comme il convient du talent de ce grand chef.

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Avec mon fils, je bois des pépites découvertes dans les recoins de ma cave samedi, 25 mai 2013

Depuis deux ans, j’ai décidé de déménager ma cave et de profiter du transfert pour en faire un inventaire exhaustif et raisonné. Cela fait dix ans que mes vins se sont installés dans la cave actuelle, maintes fois filmée ou photographiée par divers médias. Il y règne une atmosphère pleine d’émotion et de vie.

En dix ans, j’ai suivi mon instinct pour prélever des bouteilles à boire, mais comme tout être humain, j’ai mes chemins privilégiés et des coins entiers ont échappé à ma vigilance. Si le hasard a ses charmes, le temps qui passe impose de mettre un peu de raison dans mes prélèvements. Il y a des milliers de vins qui supplient qu’on les boive vite, et je ne les écoute pas tous. J’attends de ce transfert un peu plus de cohérence. C’est ainsi que j’ai découvert un Dom Pérignon 1929, vin rarissime que je ne pensais pas avoir. Il était plus que temps de le boire. Il a été partagé avec Richard Geoffroy, l’homme qui fait Dom Pérignon, au début de cette année.

En emballant les vins, je me demande comment j’ai pu les acheter. Quelle raison m’a poussé à acquérir des vins qui aujourd’hui me sont inconnus ? Mais j’ai la chance aussi de faire de belles découvertes.

Pour chaque bouteille, je décris le niveau, j’indique si la couleur est un signe de danger et j’évalue le risque que l’on prendra en la buvant. Comme pour les diamantaires, l’expérience m’a permis d’en apprécier l’orient avec une probabilité suffisante de ne pas me tromper.

Mon fils revient en France. Je vais piocher dans un stock de vieux bourgognes que je sais indestructibles, comme ce fut le cas pour les Nuits Cailles Morin 1915 qui ne m’ont jamais trahis, ou les Echézeaux 1947 de Joseph Drouhin. Je prélève deux bouteilles illisibles, sans étiquette et sans indication d’année. Les niveaux sont superbes et la couleur très caractéristique des capsules m’indique que les vins doivent être des années entre 1945 et 1955. Il s’agit plus que sûrement de grandes années – je me souviens un peu de mes achats – c’est-à-dire 1945, 1947, 1949, 1953 ou 1955 puisque les vins de cette époque sont très verlainiens :  » De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair ».

La seule indication précise, si l’on peut dire, c’est qu’ils proviennent de la cave du restaurant La Bourgogne, puisque c’est expressément gravé sur le haut de la capsule de chacune.

Mon fils visite la nouvelle cave qui a beaucoup progressé depuis sa dernière visite et nous rentrons ensemble pour dîner. J’ouvre au dernier moment les bouteilles. C’est bien dommage car les vins vont évoluer et s’améliorer de façon saisissante tout au long du repas.

Ma femme a prévu une terrine de foie gras et un agneau de lait fondant. Le premier Vin de Bourgogne inconnu vers 1950 a un nez délicat et racé. Sa couleur est d’un beau rouge vif. En bouche, ce vin est d’un velouté envoûtant. Il est tout en douceur, mais il a une longueur en bouche qui lui donne de la profondeur. Il est extrêmement féminin et ce vin m’évoque un chambertin.

Le deuxième Vin de Bourgogne inconnu vers 1950 est un Clos de la Roche inconnu vers 1950 puisqu’on arrive à déchiffrer plusieurs lettres de l’étiquette. Et le blason pourrait être celui d’un vin du domaine Armand Rousseau. Le vin est ouvert assez longtemps après le premier qui s’est déjà largement épanoui. Le nez m’indique un vin plus riche et plus profond que le premier, mais la dégustation n’est pas encore à son avantage, car il est rugueux, brut de forge, sans concession.

Plus le temps va passer et plus le Clos de la Roche va surpasser le « peut-être » chambertin. Le premier est langoureux, romantique, d’une séduction folle. Le second est guerrier, matamore, avec, pour mon goût des accents d’Echézeaux alors qu’il est Clos de la Roche. Il devient brillant, grand, profond, d’une trame d’une noblesse rare.

Ces deux vins sont des cartes gagnantes. Je sais en les ouvrant qu’ils seront au sommet. Furieusement bourguignons, ils ont offert la rose fanée pour le premier et le salin pour le second.

Je propose à mon fils de finir sur une bouteille à risque. Lors d’une récente journée harassante de rangement, j’ai trouvé une bouteille de Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1961 qui a perdu la moitié de son volume. Fatigué, je décide qu’elle fera mon ordinaire du dîner que je prendrai seul puisque mon épouse est dans le sud. Je cherche à l’ouvrir mais à la torsion, le bas du bouchon se casse et reste collé à l’intérieur du goulot. Cordonnier est très mal chaussé, car je n’ai aucun tirebouchon à la maison. Qui le croirait ? Mes ustensiles sont dans l’une des caves. Je décide de laisser la bouteille dans le réfrigérateur.

Hélas, la bouteille couchée a perdu son bouchon qui s’est rétréci par le froid, et maintenant c’est seulement un tiers qui reste. Finissons-le avec mon fils. La robe est d’un rose pâle un peu grisé. Le nez est d’une rare pureté. Aucun défaut n’est apparent. La bulle a évidemment disparu et en bouche la surprise est grande. Car il n’y a aucun défaut ou peut-être un seul, c’est que ce que nous buvons n’a plus grand-chose à voir avec le destin initial de ce Comtes de Champagne. Le champagne évoque les fruits rouges et roses, les bonbons désaltérants et ces bonbons qui pétillent en bouche. C’est très agréable, mais en version « hors piste ». Paix à l’âme de ce vin que j’aurais aimé boire avant qu’il ne dévie.

Des bourgognes de ce calibre, indestructibles et percutants, il m’en reste beaucoup. Voilà de quoi alimenter l’académie des vins anciens avec des pépites qu’il faut boire, car elles ne gagneront rien à ce que l’on attende de les consommer.

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Dîner au restaurant Le Chiberta vendredi, 24 mai 2013

Lors de la visite au champagne Louis Roederer, le directeur du restaurant Le Chiberta nous a donné envie d’aller dîner chez lui. L’accueil est sympathique, les plats sont d’une belle exactitude. Le chef fait une cuisine plaisante et rassurante. C’est une halte solide de l’écurie de Guy Savoy.

La Côte Rôtie La Turque Guigal 2004 est aussi rassurante que la cuisine du lieu. Coquilles Saint-Jacques aux asperges, turbot, pièce de bœuf Rossini : de quoi passer une belle soirée.

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Déjeuner de travail au restaurant Alain Senderens vendredi, 24 mai 2013

Déjeuner de travail au restaurant Alain Senderens. Les après-midis seront studieux, aussi sommes-nous sérieux.

Le repas est sans vin.

Je prends les asperges vertes du Vaucluse avec une émulsion froide aux truffes noires et un turbot rôti, artichaut poivrade et olives Taffiasche.

La cuisine est d’une exécution remarquable. Les produits sont de toute première qualité. Le service est attentionné.

C’est une belle table de Paris.

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Déjeuner provençal au Yacht Club de France vendredi, 24 mai 2013

Une nouvelle réunion de notre club de conscrits se tient au Yacht Club de France. L’ami en charge du repas a choisi pour thème les produits de Provence.

Les champagnes se prennent avec de la tapenade verte ou noire. Il s’agit du Champagne Reflets d’Antan Bérèche & Fils dégorgé en juin 2010 un peu amer à mon goût et du Champagne Grand Cellier d’Or Vilmart & Cie 2004, plus accessible.

Le menu préparé par l’équipe du Yacht Club est : tarte provençale, aumônière de Chavroux, mini poivrons farcis, anchoïade / agneau de Provence maison Mazard & Roux de Tarascon, tian de légumes et ratatouille / fromages de Provence affinés par Alléosse / café gourmand provençal. Comme toujours Thierry Leluc a soigné les approvisionnements, et l’agneau est délicieusement fondant.

Le Château Simone Grand Cru blanc 2010 est d’une richesse et d’une précision qui portent le plaisir. Ce vin est gourmand. La Brûlade Domaine de la Bégude 2005 est un Bandol puissant, riche en tannins, à la forte empreinte et conquérant. Il passe en force.

A côté de lui le Domaine de Trévallon vin des Alpilles 2009 est une merveille de délicatesse et de subtilité. C’est un vin ensoleillé aux contours précis. Un régal.

Le thème du repas était bien choisi, car il a apporté un peu de soleil dans un Paris qui ne s’en sort pas de ses déluges de pluie.

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Déjeuner au restaurant Michel Rostang avec un exquis chambertin vendredi, 24 mai 2013

Je propose à un ami de déjeuner pour papoter. Nous nous retrouvons au restaurant Michel Rostang. Les suggestions sont toujours tentantes mais nous nous en tenons aux alléchantes propositions du menu du déjeuner au budget hollandien, c’est-à-dire normal. Ce sera asperges vertes et maquereau mariné, coulis de poivron rouge et agrumes confits pour l’entrée et épaule de cochon de lait confite au beurre, grenaille « Mitraille » et artichauts poivrade rôtis pour le plat principal. Le Champagne Charles Heidsieck Blanc des Millénaires 1995 est une petite merveille de champagne. Il frisote, il tintinnabule, il est l’expression romantique frissonnante du champagne. Il est totalement champagne et c’est assumé. C’est comme le French Cancan que des générations successives découvrent identique à lui-même. On est bien avec ce champagne droit, solide, carré, mais délicat comme l’oscillation incessante et tentatrice des jupes des méduses.

C’est Alain qui nous suggère le Chambertin domaine Denis Mortet 1999 dont il est amoureux. Ce vin est redoutable. C’est l’exacerbation du pinot noir. Vin sans concession, aux amers redoutables qui claquent comme des fouets, il m’envoûte par sa volonté de ne pas plaire. Il n’en est que plus redoutable. Chaque gorgée est pour moi un divin plaisir, celui de l’initié, membre d’une secte, celle des amateurs qui savent que le pinot noir est grand quand il ne veut pas plaire. Je frissonne à chaque gorgée tant le vin surjoue son authenticité. Un vrai bonheur. Le cochon de lait est tellement fondant qu’il pourrait accompagner tout grand vin, qu’il soit rouge, blanc, voire même liquoreux. Il met en valeur le soyeux du chambertin.

Le service chez Michel Rostang est un plaisir. On se sent membre d’un club d’amis quand on s’assied. Alain fait un travail de sommellerie remarquable. Le directeur de salle est tentateur, et c’est son rôle. L’asperge et le maquereau sont bons, chacun dans son registre mais ne créent pas une copulation gustative évidente. En revanche, le cochon de lait est un morceau majeur de la gastronomie française. Quand on passe l’huis du restaurant après ces agapes, on sait que l’on a passé un grand moment.

(les photos prises avec mon nouveau téléphone portable sont de piètre qualité)

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Dîner au restaurant La Vague d’Or à Saint-Tropez, nouveau trois étoiles mercredi, 1 mai 2013

La Réserve de la Pinède à Saint-Tropez est un coin de paradis. Imaginez un triangle dont les côtés ont des chambres ou des suites face à la baie de Saint-Tropez et dont l’hypoténuse est une délicieuse plage de sable fin. L’intérieur du triangle est une pinède élégante où sont semées de jolies tables et d’attirantes chaises longues. Face à la mer, au soleil couchant, nous prenons un Champagne Dom Pérignon 1996 qui confirme, une fois de plus, qu’il est une réussite majeure. Le champagne est floral, évoque les fruits blancs, mais c’est surtout sa vivacité et sa persistance aromatique qui enchantent.

Les amuse-bouche sont d’inégal intérêt, le tempura de langoustine étant une petite merveille.

Pour choisir ce champagne, j’avais consulté la carte des vins où il est facile de repérer ce qui est prévu pour le touriste russe et ce qui est prévu pour l’amateur de vin. Il y a quelques bonnes pioches, mais la carte des vins n’a pas encore le niveau de variété que doit avoir un restaurant trois étoiles. Car Arnaud Donckele, le jeune chef, vient de décrocher la troisième étoile pour son restaurant La Vague d’Or, niché dans cet hôtel. Trop rapide sans doute, j’ai commandé deux vins rouges. Le très compétent directeur, Thierry di Tullio, aurait dû stopper ma commande, ou le sommelier, car les vins ont joué à contremploi. Mais le caractère décidé et péremptoire de ma commande les en a peut-être dissuadés.

Nous passons dans la grande salle à manger où un peintre expose ses toiles. Tous les goûts sont dans la nature, mais ce n’est pas le mien. Les tables sont espacées et l’atmosphère du lieu est cosy. Le service est impeccable, attentionné et compétent. Lorsque notre compétente et jolie serveuse reprend les ronds de serviette en faïence avec fourchette et cuiller, on ne peut que sourire. Le fait de ramasser les miettes après chaque plat est un plaisir qui devrait être la norme. Bravo.

Le menu que nous avons choisi est la « balade épicurienne » : sériole et chair d’esquinado marinés à la mandarine Berlugane, feuilles de farigoulette, primeurs et herbacés à cru / langouste puce et saint-pierre, coupés en fines tranches, une gelée abyssale, anglaise de corail au yuzu et mélisse / la pâte zitone de foie gras truffé, gratinée au parmesan, artichauts violets étuvés au basilic / courbine meunière déglacée au jus de vernis et braisée longuement, sabayons d’estragons et sudachi, king-crabe enrobé de ses sucs, asperges fondantes et d’autres croquantes et croustillantes / granité à la fleur de thym, sorbet fenouil de Florence, une flanquée d’absinthe / l’esprit d’un pot-au-feu de volaille et homard, le jardin y distille le parfum de légumes, d’herbes et gingembre rose / lactée de brousse du Rove, caillé de brebis au miel de safran de la Môle, yaourt Caillolais de Marseille, poire en deux textures et huile de bouteillan / accord entre la pomme de Manosque et le combava, l’éphémère d’un soufflé chaud, texture en superposition glacée.

Mon potentiel au Scrabble va s’enrichir d’un coup, car il y a la moitié des mots de ce menu que je ne connais pas. Avant de parler de la cuisine, parlons un peu des vins. J’avais imaginé que le bourgogne viendrait avant le vin rhodanien mais devant la complexité du menu, j’ai demandé que les deux vins soient servis ensemble pour que nous puissions choisir l’un ou l’autre pour chaque plat. Et nous avons pu vérifier ce que je constate souvent, c’est que pour un plat déterminé, c’est un des vins qui est adapté, et jamais les deux. Le Corton rouge Bonneau du Martray 2009 a été brillant pendant toute la première partie du repas alors que le Domaine de Trévallon Vin de Pays des Bouches du Rhône 2001 a ensoleillé la deuxième partie. Inutile de dire que pour certains plats, il a fallu recalibrer le palais en mordant le délicieux pain servi à satiété.

Le Corton 2009 est un vin d’une subtilité rare. Il est soyeux, délicat mais pénétrant en même temps. Il joue en permanence sur son raffinement. Tout en lui est noblesse et j’ai les yeux de Chimène pour ce vin de Corton. Il est jeune bien sûr, mais il est encore dans la période où sa jeunesse triomphe.

Le Trévallon 2001 est nettement moins complexe que le Corton, mais la comparaison n’a pas de sens, car ils ne jouent pas sur le même registre. Ce vin est de soleil, puissant avec ses 14°, direct, s’imposant par sa cohérence. Il est généreux, précis, de belle mâche et emporte nos suffrages par son enthousiasme. Au final, nous classerons, Philippe et moi le Dom Pérignon, puis le Corton puis le Trévallon.

La cuisine d’Arnaud Donckele est résolument tournée vers le produit local de qualité. Il explore des saveurs combinées avec une belle richesse imaginative. L’exécution des cuissons est un modèle du genre. Je serais mauvais juge de cette cuisine car j’attends qu’elle soit tournée vers le vin, ce qui n’est pas le cas de celle-ci. Lorsque je m’en suis ouvert à Arnaud, il m’a dit qu’il a fait immerger dans les eaux d’un banc d’huîtres des bouteilles de vin blanc pour qu’elles captent de l’iode qui s’harmoniserait à sa cuisine. L’intention est louable, mais ne couvrira qu’une facette de sa cuisine. A ce jour, c’est le champagne qui accompagnera idéalement la cuisine d’un chef inventif et créatif.

Je l’aimerai encore plus lorsqu’elle visera la cohérence des plats en pensant aux vins. Il ne fait pas de doute que ce chef est promis à un bel avenir, dans un cadre féerique, avec une équipe dont la compétence et le sens du service est à signaler. Le chef a dédicacé d’un mot charmant nos menus où figurent les noms mais aussi les images des étiquettes des vins. C’est une délicate attention, très représentative de l’esprit du lieu.

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Féerie de Haut-Brion dans le sud dimanche, 28 avril 2013

Henri, ami de longue date est l’ami d’enfance de ma voisine dans le sud. Il lance l’idée d’un dîner de Haut-Brion chez son amie. Je propose d’apporter des Haut-Brion mais il m’est dit qu’il y a ce qu’il faut, car en plus des apports d’Henri choisis par son fils Jean, il y aura ceux d’Olivier. Je prends donc en charge le champagne final. Ma femme collabore avec la maîtresse de maison et réalise plusieurs moments du menu. Les conditions sont remplies. Nous voilà dans le sud.

A 17 heures, je viens ouvrir les bouteilles. Les parfums sont très engageants, sauf celui du Haut-Brion 1978 qui est une menace de bouchon. Pour encourager le travailleur, Henri ouvre un Champagne Dom Pérignon 2003 absolument parfait. Alors que depuis quelques mois j’hésite sur ce 2003, celui-ci est d’un épanouissement idéal, floral et évoquant les groseilles blanches. Il est magnifique de percussion, de joie et de noblesse. Je me rends compte que Richard Geoffroy a vu juste en faisant ce champagne difficile à faire compte tenu des conditions climatiques. Il a pris un pari et l’a réussi. Le bouchon du Haut-Brion 1933 part en charpie, s’émiettant tout au long de sa montée, mais le parfum est divin, de coulis de fraise subtil.

A 20 heures, nous prenons l’apéritif avec de multiples saveurs, œufs de cabillaud, tartines d’oursins, œufs de saumons sauvages, sur un Champagne Mumm sans année qui a l’intelligence de sa politesse. Le Champagne Ruinart rosé qui le suit est aussi politiquement correct, c’est-à-dire agréable et sans folie.

Les choses sérieuses commencent à table. Ma femme a préparé un foie gras avec une gelée délicate à la réglisse qui se devine à peine. Elle est idéale pour un Château Haut-Brion 1969 qui est très au dessus de ce que son année suggère. C’est un beau Haut-Brion velouté, serein, délicat et subtil, joliment épanoui. Il n’est pas tonitruant mais il joue juste.

Les homards sont cuits à la perfection, c’est-à-dire quelques secondes de moins que ce que tout le monde ferait. Le Château Haut-Brion 1993 à la couleur presque noire est infiniment plus puissant que ce que son année indiquerait. Ce n’est pas le Haut-Brion tel qu’on l’attend. On sent que le vin surjoue. Ce n’est pas qu’il serait mauvais, car il se boit avec plaisir, mais il a un petit goût de « too much ».

L’accord qui vient sur le homard avec le Château Haut-Brion 1981 est saisissant d’exactitude. Il y a une vibration entre le plat et le vin qui est un grand moment de bonheur. C’est avec de tels accords qu’on aime la gastronomie. Le vin est l’archétype du Haut-Brion dans les années moyennes, qui réserve toujours des surprises positives. Il est précis, profond, d’une grande authenticité.

L’agneau cuit à basse température avec des petites pommes de terre à la provençale est fondant à souhait. Si le Château Haut-Brion 1978 est vite éliminé pour son goût de bouchon qui, même discret, gauchit irrémédiablement le goût, le Château Haut-Brion 1976 est impérial, joyeuse définition du beau Haut-Brion d’une année solaire. Ce vin épanoui, velouté, ensoleillé, joue juste, car tout en lui est exactement dosé. C’est du travail de précision. On le boit avec gourmandise.

Le Château Haut-Brion 1933 nous fait changer de planète. Ce vin a un parfum d’une intensité rare. On trouve en lui des coulis de fruits rouges. Un ami répète à l’envi que ce vin sent Yquem. C’est vrai qu’il y a un peu de douceur dans ce vin, mais on est très loin d’Yquem. En bouche le vin est très vif, étonnamment vif. Il est très sec, droit, aiguisé comme un couteau, mais il mêle à cela une douceur et un velouté diaboliques. Ce vin est d’une qualité extrême, stratosphérique par rapport aux précédents, à la longueur infinie.

Sur d’excellents fromages mais surtout sur un fromage de brebis bien ferme et frais, le Château Haut-Brion blanc 1970 à l’acidité bien raisonnée et à l’évolution agréable impose sa puissance. Sa force de persuasion est extrême et sa matière vineuse est exceptionnelle. Si l’on peut comparer, le blanc de Haut-brion est plus précis et riche que les rouges.

Le dessert a été composé par mon épouse, salade de mangue avec des madeleines et des arlettes. Le Champagne Krug Vintage magnum 1990 est impressionnant de puissance. Il efface tout ce qui lui résiste et c’est pour cela que j’ai préféré qu’il ne soit pas servi en même temps que le Haut-Brion blanc. Ce champagne racé, pénétrant est d’une richesse aromatique envahissante. Il est idéal pour cette fin de repas.

Le classement des vins évolue tout au long du repas. Les avis sont différents. Mon classement personnel est :1 : Château Haut-Brion blanc 1970, 2 – Champagne Krug Vintage magnum 1990, 3 – Château Haut-Brion 1933, 4 – Château Haut-Brion 1976.

Ce repas fut un travail d’équipe entre Henri, ma voisine et mon voisin, mon épouse et moi pour réaliser un de ces repas dont on est fier quand on est au point final. Car les accords furent merveilleux, les plats sincères et les vins éblouissants. Le plus vibrant accord fut celui du homard avec le Haut-Brion 1981. Alors, ça donne envie de recommencer. L’idée est dans l’air.

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la table avant et après le repas

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Dîner impromptu au Taillevent avec Vannières 1983, Gilette 1943, Clos Joliette 1970 mercredi, 24 avril 2013

Nous voulions avec ma femme profiter du sud après un hiver qui n’en finissait pas. Les billets sont pris, ma femme partant plus tôt que moi. Sans que j’y prenne garde, elle ne sera pas là le jour de mon anniversaire. Par je ne sais quelle préscience, Jean-Philippe me demande ce que je fais le soir de mon anniversaire. Je réponds : « sardines et carottes à la maison ». Péremptoire, il me répond : « ne fais pas ça, je m’occupe de tout ».

Un message la veille, alors que j’étais à l’Assiette Champenoise, m’informe que ce sera au Taillevent. Normalement, je ne devrais m’occuper de rien, puisque Jean-Philippe prend tout en charge, mais quand même, je prends dans ma musette une bouteille pour le cas où.

Je suis le premier sur place. Luc et Jean-Philippe arrivent presque ensemble et de longs conciliabules se tiennent derrière les paravents pour que je ne sois au courant de rien. Mes deux filles arrivent ensuite et notre table est constituée. Je demande avec ma timidité coutumière si je peux oser une ajoute au programme des vins de mes deux amis. On me répond que la souplesse est de rigueur. Cachant mon vin à la vue des amis, je décide derechef que mon vin sera le dernier du repas. Tout se boira à l’aveugle pour moi pour les vins sauf le mien. Mes amis connaissent tous les vins sauf le mien. Pour mes filles tout est inconnu.

Voici le menu concocté par l’équipe du Taillevent avec Jean-Philippe : épeautre du pays de Sault en risotto, cuisses de grenouilles dorées / homard bleu en cocotte lutée, olives niçoises, basilic et tomates mi-séchées / tourte feuilletée de lapereau, carottes nouvelles et marjolaine / noix de ris de veau croustillante aux morilles blondes / mangue rafraîchie aux fruits de la passion.

Le premier vin blanc sec est presque rose. Le vin est énigmatique car il évoque la truffe blanche, les feuilles d’artichaut, et en bouche c’est un parcours qui change à chaque gorgée. Le vin est sec. J’hésite mais j’imagine Jurançon sans le dire, pour ne pas paraître idiot. Jean-Philippe me donne des indications pour que je trouve. Il s’agit de Clos Joliette Jurançon sec 1970. Ce vin est prodigieux. C’est un Fregoli car il change sans cesse. L’amuse-bouche ayant une crème prononcée, le vin délivre des saveurs de pomelos. Sur le risotto d’épeautre, le vin est exceptionnel. Il me fait penser au parcours de la Coulée de Serrant qui a aussi besoin de beaucoup d’années pour s’exprimer. Il faut bien cet âge au Clos Joliette pour atteindre la complexité magique qui nous déroute à chaque fois, le final claquant comme un fouet.

On ne dira jamais assez les délices de la dégustation à l’aveugle. Le vin qui arrive sur le homard extrêmement goûteux me gêne un peu par un caractère serré et un final un peu rétréci. Il sent le cuir mais aussi la truffe. Quand Jean-Philippe me demande la région, la truffe me pousse vers bordeaux. Mes filles me regardent comme si j’étais déjà atteint de sénilité précoce. Luc, diplomate, me dit que c’est le plus bordeaux des bourgognes. Il s’agit d’un Richebourg Charles Viénot 1949. Je dois avouer que même après qu’on me l’a dit, j’ai toujours du mal à imaginer que ce puisse être un bourgogne. Luc aime son vin et je ne le lui reprocherai pas car j’ai la même attitude, mais ce vin serré, au final difficile, ne m’a pas vraiment convaincu.

En revanche, le vin qui suit est magnifique de générosité et d’équilibre. Il est très velouté, emplissant la bouche avec bonheur. Je sens un vin du sud, mais il faut les coups de pouce de Jean-Philippe qui tente de m’orienter pour que je reconnaisse le Château Vannières Bandol 1983 que j’ai déjà tellement aimé. Ce vin est une grande réussite, sereine, accomplie, vin de grande gastronomie.

Il fallait bien à un moment que je reprenne la main. Répondant aux questions de Jean-Philippe, je déclare : bordeaux, rive droite, pomerol. Et au second essai je dis Trotanoy. Ouf, l’honneur est sauf car il s’agit de Château Trotanoy Pomerol 1970. C’est une beau pomerol, à maturité, qui est peut-être un peu trop civilisé. On aimerait qu’il s’encanaille.

Alors que ma fille aînée est assez éloignée des choses du vin, aimant les vins du sud assez faciles, que nous appelons les vins de Ginette, mais aimant aussi la qualité puisqu’elle a adoré Vannières, c’est elle qui lance en premier Climens. Elle a visé du premier coup Barsac. Il s’agit du Château du Mayne Haut-Barsac 1943 qui nous surprend tous par sa folle jeunesse. Sa couleur est claire, son goût est précis, et même s’il n’a ni l’ampleur ni la complexité d’un Climens, il est absolument charmant. Il a formé avec le dessert à la mangue au combawa un accord prodigieux.

C’est à mon vin d’apparaître. Tout le monde pense qu’il doit être extrêmement vieux, voire du 19ème siècle, car il est très foncé, opaque. Il est riche, profond et ne va pas du tout avec le dessert à la mangue. J’exprime le vœu d’avoir des madeleines pour apprécier le vin et comme par magie, elles arrivent sur table pour former un bel accord avec le Château Gilette Sauternes 1943. Taillevent, c’est la classe. Ce vin a des accents de caramel, mais en trace, car il n’est pas dominant. Le vin est très riche et sa trace est profonde, avec un final immense. C’est le jour et la nuit entre le Barsac et le sauternes. Le Mayne est gracile, fluide, joyeux sur des saveurs de fruits frais. Le Gilette est lourd, imprégnant, pénétrant, d’une intensité rare. Cette conjonction des deux 1943 est passionnante.

Depuis quelques minutes une bouteille d’alcool brun trône sur une desserte et l’on nous cache l’étiquette. C’est Jean-Marie Ancher qui a pris dans la cave du restaurant un Grand Bas Armagnac domaine de Jouanda 1943. Très frais, aérien, sans la moindre pesanteur, il est d’une grande personnalité. L’accord avec les petits chocolats des mignardises est un délicieux péché. La suite de la bouteille m’attendra pour de nouvelles merveilles.

Nous n’avons pas classé les vins. Mon classement n’a pas été discuté : 1 – Château Vannières Bandol 1983, 2 – Château Gilette Sauternes 1943, 3 – Château du Mayne Haut-Barsac 1943, 4 – Clos Joliette Jurançon sec 1970. Le quatrième pourrait être ex-æquo avec le troisième.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir les portions étaient XXL. Il faut imaginer les cinq cocottes lutées transparentes comportant chacune un homard entier. La tourte au lapereau était gargantuesque. J’ai imaginé un complot pour me faire périr ! Nous sommes allés deux fois nous dégourdir sur le trottoir, pour faire de salutaires pauses. La cuisine d’Alain Solivérès est marquée par une sérénité de plus en plus grande. La qualité de ses sauces est une merveille. Mon plat préféré est le risotto d’épeautre avec les cuisses de grenouille. Le homard est exceptionnel et de dessert d’un talent fou. C’est un sommet de la cuisine bourgeoise et je pense qu’il serait temps que le guide rouge accroche une troisième étoile à cette cuisine qui la mérite.

Le service est toujours d’une parfaite justesse. Il est suffisamment décontracté pour conserver un caractère amical. Au moment du dessert un grand plateau fut tenu devant moi, avec le dessert et une bougie. Mes filles et mes amis ont entonné « joyeux anniversaire » et j’ai soufflé à la fin de leur chant. Si ma femme avait été là, elle aurait fait cesser ce brouhaha, car elle aime la discrétion.

Ce repas amical et affectueux m’a fait mieux accepter l’impitoyable arithmétique de l’âge.

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