Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Un beau Salon 1982 samedi, 13 avril 2013

Mon fils vient de Miami pour quelques jours. Sa venue est une fête. Sa mère a préparé un cuisseau de porcelet farci aux herbes et pommes de terre rattes en robe des champs. J’ai prélevé un rouge en cave mais il est encore trop frais. Aussi, pour patienter, c’est avec un Champagne Salon 1982 que nous allons trinquer. Le bouchon résiste de façon incroyable. Usant d’une pince à crabe, j’essaie de le faire monter, mais on dirait que la dépression d’air l’empêche de monter. Après plusieurs minutes, j’arrive à l’extraire et le pschitt est moyen.

Dans les verres la couleur est délicatement ambrée et la bulle est active. Le champagne est l’expression absolue du champagne raffiné. Le nez est fort, pénétrant, et la bouche évoque les fruits compotés. Le caractère vineux du champagne est présent et sa longueur est inextinguible. Il est presque insaisissable et indescriptible. Mon fils me dit qu’il le préfère au Clos du Mesnil Krug de la même année. Je n’avais pas pensé à faire cette comparaison mais je comprends qu’il puisse la faire, car ce vin énigmatique est séducteur et troublant. Les deux champagnes étant très différents, je ne me prononcerai pas, jouissant de la présence glorieuse du Salon. La seule chose que je dirai, c’est que 1982 est une année romantique et raffinée, sans doute une des plus belles de Salon.

Pour attendre que le vin rouge ouvert juste avant le repas ne s’ébroue, nous n’avons à grignoter qu’un camembert un peu jeune ou un Brillat-Savarin truffé. Il faut absolument ignorer le deuxième et le camembert ne réagit pas si bien que cela. Nous nous rendons compte que c’est avec du pain et un délicieux beurre Bordier que l’association est la meilleure.

Pour la viande, c’est un Château Bel-Air Marquis d’Aligre Margaux 1966 qui a été prélevé dans la cave, lorsque mon fils m’y a accompagné. Le bouchon s’était brisé en de nombreux morceaux. Le vin est presque noir, lourd, et comme il n’est pas encore épanoui dans nos verres, il est imprécis. Il faudra de longues minutes avant qu’il n’atteigne la grâce que nous attendons. S’il est agréablement velouté, fort, tannique, avec des évocations de fruits noirs, je dois dire que je suis resté un peu sur ma faim car j’attendais mieux de ce vin. C’est certainement un problème de bouteille ou de stockage avant que je ne l’acquière, car il nous a montré que le potentiel est là. Ce vin riche aurait encore de belles choses à dire. A essayer de nouveau.

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C’est l’histoire d’une Romanée Conti 1929 samedi, 6 avril 2013

C’est l’histoire d’une Romanée Conti 1929. Henri, un ami, a partagé avec moi depuis des années de grandes bouteilles. Son fils Jean a le même amour du vin. Il déniche sur eBay une Romanée Conti 1929. Henri me demande mon avis. Le prix de départ est tellement bas que j’avertis Henri de ne pas croire au miracle. Je lui dis : « si tu as envie de t’amuser, tu peux enchérir jusqu’à tel prix ». Comme au poker, on peut toujours espérer qu’une bonne carte, improbable, puisse surgir. Henri acquiert la bouteille à un prix nettement plus bas que la limite que j’avais suggérée. Il me propose que nous la goûtions avec ses parents, sa femme et son fils un samedi midi. Je réserve au restaurant de la Grande Cascade.

A 11 heures le samedi matin je me présente au restaurant pour ouvrir les bouteilles qui sont apportées par Henri et moi. La Romanée Conti 1929 est une mise Van der Meulen. J’en ai bu une il y a peu de semaines et le vin était assez fortement hermitagé. La capsule de la bouteille est neutre avec deux grappes de raisin en relief, alors que souvent les vins de Van der Meulen ont des capsules avec une couronne à trois arches. La couleur de la peinture de la capsule me paraît très ancienne, certainement d’avant 1940. Le verre de la bouteille est noir et c’était une habitude de ce négociant belge d’utiliser des verres opaques, qui cachent la couleur réelle du vin. La bouteille est soufflée, au cul profond, et je l’imagine de la fin du 19ème siècle. C’est une bouteille de récupération. Le niveau est très convenable pour l’époque, ne dépassant pas cinq centimètres sous le bouchon.

L’étiquette comporte les mentions suivantes : « Romanée Conti 1er Grand vin de Bourgogne (Côte d’Or) ». Rien n’interdit à ce négociant d’être inventif.

J’enlève le haut de la capsule et la noirceur poussiéreuse exclut tout rebouchage récent. On est en face d’un vin qui ne peut pas avoir été bouché après 1940. Ce qui est assez invraisemblable, c’est que le haut du goulot est ébréché de façon importante. Comme il n’y a aucun morceau de verre sous la capsule, le responsable de l’embouteillage a utilisé une vieille bouteille très abîmée, sans sourciller. Or la blessure du verre est tellement visible qu’elle ne pouvait être ignorée.

Le bouchon est extrêmement serré, très difficile à faire sortir, et après de longues minutes, j’extrais le bouchon entier, au liège de petite qualité mais très efficace. Le bouchon, comme souvent chez Van der Meulen n’a aucune inscription.

L’examen du nez va être déterminant. Je sens le vin et il m’apparaît de façon assez claire, sur les seuls parfums, que s’il y a de la Romanée Conti, il y en a très peu. Il n’y a aucune émotion du domaine. Le vin est forcément hermitagé, mais contrairement à la précédente Van der Meulen 1929 que j’avais bue, je sens une ajoute assez significative de porto. On a voulu maquiller la belle, et on a un peu trop noirci les yeux et rougi les pommettes. Henri reçoit ces commentaires avec calme, puisque l’objet de ce déjeuner est de découvrir ce vin. Nous décidons de ne pas boire et d’attendre le verdict de la dégustation au moment du repas.

J’ouvre mon apport, un Cru de Coÿ, enclave Yquem, sauternes 1923. L’étiquette est d’une grâce extrême, la capsule réjouirait un numismate. Le niveau est dans le goulot. Le bouchon se brise en de nombreux morceaux et l’un d’entre eux échappe à ma vigilance et tombe au fond de la bouteille. Jean, tel un maître chanteur, me menace de dévoiler à « la terre entière » que j’ai laissé échapper un morceau dans le vin. En riant, je le supplie de n’en rien faire. Le nez du vin est démoniaque de tentation. Il est mandarine, avec une force peu commune.

Nous avons le temps de préparer le menu et de prévoir les vins que nous prendrons de la cave du restaurant. Je prends en charge les champagnes et Henri, sur mes conseils, choisit un Chambertin Armand Rousseau 2006. Julien, le sommelier, signale que le vin est probablement assez frêle. Je maintiens ce choix et j’ouvre la bouteille bien avant que les autres convives n’arrivent. Le parfum de ce vin est une belle promesse.

Tout est au point et nous avons soif. Mais le nouveau directeur nous dit que le « rideau métallique » est baissé jusqu’à midi trente, alors que le personnel nous a gentiment aidés jusqu’ici. Nous restons sur notre soif. La table se forme, toute jolie face aux beaux arbres centenaires.

Le Champagne Egly-Ouriet Blanc de Noirs Grand Cru sans année a une couleur légèrement foncée, ambrée. C’est sans doute la fugace mémoire des peaux des grains de raisin. Le champagne est pénétrant, profond de forte personnalité. Il est inhabituel, mais j’adore cette richesse et sa persuasion. Les petits amuse-bouche sont pertinents. J’adore ce champagne typé. J’ai un peu peur qu’il ne fasse de l’ombre au Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1996 à la couleur beaucoup plus claire, qui nous ramène à des saveurs beaucoup plus classiques. Mais pas du tout. Ce champagne est une merveille de générosité. Il emplit la bouche de bonheur. Et il a la carrure pour en remontrer à l’Egly, si différent de lui. Le combat, s’il y en a un, semble gagné par le Comtes de Champagne, mais sur une coquille Saint-Jacques sur un lit de poireaux truffés, c’est le blanc de noirs d’Egly qui reprend le leadership. Ces deux champagnes sont très intéressants, le Comtes de Champagne 1996 étant dans une plénitude absolue et généreuse, et l’Egly, issu de vieilles vignes d’Ambonnay est un champagne conquérant de grande personnalité.

Sur les macaronis farcis au céleri rave, foie gras et truffes noires, gratinés au parmesan, le Chambertin Armand Rousseau 2006 est beaucoup plus présent que ce que Julien avait laissé entendre. Son parfum est d’une subtilité exceptionnelle et le vin est charmant. Chacune de ses notes est déliée, précise, et la truffe au goût très fort donne un beau coup de fouet au vin. Le plat est bon et l’accord est génial, le vin jouant avec une exactitude remarquable. Il est gourmand, joyeux, précis, d’un ton exact.

La Romanée Conti domaine de la Romanée Conti mise Van der Meulen 1929 est accompagnée par un carré d’agneau fermier de Lozère rôti au thym frais, fleurs de courgettes ivres d’aubergines, tomate farcie à l’épaule. L’examen initial du parfum est confirmé par la bouche. Le vin n’est pas désagréable, mais il n’a rien de la Romanée Conti, nettement moins que ce que j’avais ressenti avec ce même vin. Dire qu’il y a de la Romanée Conti dans ce vin est difficile, car on ressent trop la présence de vins du sud. Et, ce que je n’avais pas ressenti jusqu’alors avec des Romanée Conti Van der Meulen, la force de l’alcool que l’on attribue à du porto est extrêmement sensible.

Le vin est agréable, beau vin qui est très probablement de 1929, profitant d’ajoutes de vins du sud, ce qui lui donne une couleur foncée, et enrichi de porto, mais qui n’offre rien de Romanée Conti.

Comme souvent, c’est au moment de la lie que des réponses arrivent, et Henri sent la rose fanée et je bois un vin nettement plus bourguignon et très sensiblement plus vibrant. Alors, il y a très probablement un peu de Romanée Conti 1929 dans ce vin, mais masquée par des ajoutes excessives.

Le dessert est un croquant aux noisettes, praliné rafraîchi aux clémentines, parfait thym-citron. Techniquement parfait, ce dessert est un peu hors sujet par rapport au vin exceptionnel. Le Cru de Coÿ, enclave Yquem, sauternes 1923 a un nez puissant, pénétrant où la mandarine, le fruit de la passion, le fruit confit abondent. En bouche il est plein, presque gras, envahissant la bouche de saveurs épanouies. Le finale est épais, inextinguible. Il est impossible de donner un âge à ce vin complexe, luxuriant. C’est une bombe de jolis fruits oranges comme la mandarine ou la mangue.

Mon classement sera : 1 – Cru de Coÿ, enclave Yquem, sauternes 1923, 2 – Chambertin Armand Rousseau 2006, 3 – Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1996, 4 – Champagne Egly-Ouriet Blanc de Noirs Grand Cru, 5 – Romanée Conti mise Van der Meulen 1929.

Le restaurant est un joli écrin comme une bonbonnière, le service est très attentionné, la cuisine est gourmande. La Romanée Conti 1929 fut l’occasion d’un beau moment passé entre amis qui se continua chez Henri avec un Bas-Armagnac Laberdolive 1962 d’une grande pureté.

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Déjeuner au restaurant La Méditerranée place de l’Odéon jeudi, 4 avril 2013

Déjeuner au restaurant La Méditerranée place de l’Odéon avec ma sœur, mon frère et mon beau-frère. Les huîtres papillon n° 5 que je choisis – j’adore les petites huîtres – sont très goûteuses et typées. La sole meunière est parfaite, accompagnée d’une purée de pomme de terre. Dans le joli cadre de cette brasserie, la cuisine est simple, mais l’on mange bien.

Le Champagne Louis Roederer est très agréable à boire, nettement plus typé que lors d’expériences plus anciennes. Le Chablis Montée de Tonnerre domaine Servin 2011 est bien agréable dans sa jeunesse et tient bien sa place sur les huîtres même à côté du champagne que j’aurais vu gagnant. Il est servi froid et il est jeune, mais il a une belle joie de vivre. Il est à mon goût plus expressif que l’Auxey-Duresses domaine Olivier Leflaive 2010 qui manque un peu d’équilibre car il est à un moment imprécis de sa vie, ni assez jeune, ni assez mûr. L’ambiance du lieu est très agréable, le service est très rôdé. C’est une valeur sûre de la brasserie, sans grande imagination mais sans faux pas.

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Déjeuner au restaurant du Cercle Interallié jeudi, 4 avril 2013

Déjeuner au restaurant du Cercle Interallié avec mes conscrits. Nous sommes dans un salon privé, avec une vue sur les pelouses du Cercle et des ambassades environnantes. C’est Paris à la campagne, ou plutôt la campagne à Paris. Le menu qui a été choisi par l’ami qui nous reçoit est : noix de Saint-Jacques rôties aux giroles, émulsion de coques à l’estragon / canon d’agneau rôti sur une galette parmentière, quelques cèpes poêlés, jus à la moutarde de Brive / Brie de Melun fermier, raisins au muscat et noix de Grenoble / forêt noire, chantilly et griottines.

Le Champagne Taittinger brut est sympathique, mais sans grande vibration. Le Champagne Ruinart Blanc de Blancs sans année est frais, agréable à boire avec un joli goût de revenez-y.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de la Nerthe blanc 2011 a une très belle personnalité. Sa minéralité et son acidité sont bien dosées. Il est gouleyant, avec une mâche riche et accompagne bien l’émulsion, grâce à l’estragon.

Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 2003 est d’une sensibilité que je n’attendais pas à ce niveau. Ce vin vibre, plein d’émotion. Sur l’agneau c’est un festival de sensibilité raffinée. La Côte Rôtie Jasmin 2007 est trop rustique, monolithique pour nous entraîner dans son sillage.

Le Rimauresq Côtes de Provence 2008 est extrêmement plaisant. Il évoque le soleil et les cigales dans l’atmosphère froide d’un Paris qui ne veut pas quitter l’hiver. J’ai toujours eu une attirance pour ce beau vin du sud qui évoque les herbes de Provence et l’olive noire.

Le Château Suduiraut 1999 est généreux, très classique, encore trop jeune pour donner de vraies émotions, mais suffisamment solide pour jouer son rôle de joli vin de dessert, si on ne le boit pas avec le dessert qui n’est pas son ami.

Les deux vedettes de ce repas sont le Château de la Nerthe blanc 2011 et surtout le Pommard. La cuisine fut bonne et le service extrêmement attentionné. Le cadre de ce palais est assez exceptionnel. L’actualité politique nous avait donné de quoi alimenter nos conversations. Ce fut un beau repas.

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Substance de Selosse et Mouton 2000 lundi, 1 avril 2013

Nous sommes dans la sud. Nous invitons un couple d’amis. Lui m’envoie un SMS : « je peux apporter un Mouton 2000, mais n’est-ce pas trop jeune ? ». L’envie de goûter ce vin que je révère est trop forte. Je lui dis : « il sera parfait ».

Je demande à mon ami qu’il dépose le vin avant 17 heures pour que je l’ouvre. Il me l’apporte. Ma femme prépare une joue de bœuf et me demande un vin rouge. Je cherche des vins du Rhône dans ma cave, mais aucun ne convient car les acidités ou les amertumes sont trop fortes. Ma femme, lassée de ces essais me demande un vin blanc. Celui que je trouve a son agrément.

A vingt heures, nous sommes réunis. Je décide d’ouvrir un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé le 20 mars 2007, car Anselme Selosse vient de vivre un drame : on lui a cambriolé près de quatre mille bouteille de vins, mais le plus triste, car le plus dangereux, est qu’on lui a volé seize mille étiquettes et plus de dix mille capsules. De quoi pourrir le marché avec des faux. C’est donc un toast de solidarité et d’amitié que nous portons. Le vin est d’un or clair généreux. La bulle est active. Ce vin est typé, comme tous les vins de Selosse, mais ce qui frappe, c’est son extraordinaire sérénité. Il est tendu comme un arc, mais il domine cette tension. C’est fascinant de voir que ce vin puisse combiner à ce point extrémisme et sérénité. C’est un immense vin. L’intensité de saveurs de fruits qui pourraient être au sirop mais sont sans sucre est extrême, avec une trace de suggestion de fumé.

Nous grignotons de la poutargue, de la Cecina de Léon, du jambon San Daniele, des petites tartines à la tapenade et tout cela se goûte bien. Le champagne qui suit est le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum sans année que je dois avoir depuis plusieurs années. Ce champagne est radicalement opposé au précédent. Il est romantique, floral, avec des notes de fleurs blanches. Son élégance est délicate. C’est un champagne de plaisir, moins cérébral que le Selosse, mais qui n’est pas dominé par lui. Il se boit bien.

Ma femme a préparé une lotte recouverte par une belle tranche de foie gras. C’est un Rossini de lotte, sans sauce, sauf pour les femmes qui ont sur leur assiette une trace de gelée de citron. C’est le vin de la joue de bœuf qui accompagne la lotte, un Mas de Daumas Gassac blanc 2001. La couleur légèrement ambrée est très jolie. Le nez très pur est engageant. En bouche, le vin est généreux, droit, clair. Il manque un peu de folie mais il est solide et accompagne bien les deux composantes du plat. La juxtaposition de mâches de la lotte et du foie gras est saisissante de pertinence. C’est un plat remarquable.

La joue de bœuf est superbe et la sauce faite au vin blanc se révèle être une belle solution, car il y a une légèreté que ne donnerait pas un vin rouge. Le Château Mouton Rothschild 2000 frappe par sa puissance de pénétration. C’est un vin tout en profondeur, avec une richesse de trame remarquable. On sent que l’on est face à un grand vin, opulent, velouté, acéré comme la lame d’une épée.

A côté de lui, c’est une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996. Au premier abord, le Mouton semble dominer, tant sa trame riche trace la route. Mais il faut attendre l’épanouissement dans le verre et c’est alors qu’apparaissent le charme, la séduction et la sensibilité. On ne peut pas comparer les deux vins tant ils sont dissemblables. Le Mouton, c’est la profondeur, la pertinence, la conviction et la persuasion sur un vin de texture riche et profonde. La Mouline, c’est Rita Hayworth qui retire ses gants noirs dans Gilda. Car la séduction que l’on pourrait croire au premier degré est redoutable d’efficacité.

Les deux vins acceptent volontiers la joue de bœuf, surtout le rhodanien, et sont plus circonspects avec les fromages. Le Laurent-Perrier Grand Siècle accompagne le dessert à la mangue avec entrain.

Les vins sont tellement disparates qu’il serait difficile de les départager. Mais Philippe sans que je lui demande m’indique que la plus grande émotion fut avec le Selosse. Je suis de cet avis. Je mettrais en tête le Selosse et ensuite ex-æquo le Mouton et la Mouline, avec s’il fallait les départager, un léger avantage pour le Mouton.

Les deux vedettes de ce repas d’amitié, ce sont la lotte mariée au foie gras, accord tactile de deux mâches opposées, et le Selosse Substance, pénétrant, typé à l’extrême, subjuguant par sa capacité à offrir cohérence et charme.

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Le premier dîner de la Fondation Chasseuil jeudi, 28 mars 2013

Michel Chasseuil vient de finaliser la création de la Fondation qui recevra sa cave dont il est dit sur le document remis que c’est « la collection de vins la plus prestigieuse au monde ». La banque Rothschild et la maison Guigal sont au conseil du Fonds de Dotation Chasseuil. Le premier dîner de la Fondation se tient au restaurant Laurent. Dans la hall d’entrée en forme de rotonde, nous sommes une soixantaine d’amis de Michel-Jack, puisque c’est ainsi qu’il faut dire, et des collectionneurs ou passionnés de vins. Il fait soif, et il faut faire pression sur Michel-Jack pour que nous puissions nous rafraîchir du Champagne Bollinger Grande Année 2004, frais, agréable, le prototype idéal du champagne de belle soif.

Nous passons à table dans l’un des grands salons du Laurent et le menu mis au point par Alain Pégouret est : araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / fregola-sarda truffée sauce poulette / selle et carré d’agneau de lait des Pyrénées grillotés, bulbes et racines sautés comme un tajine / millefeuille à la mangue et piment d’Espelette / café, mignardises et chocolats.

L’exécution de ce repas a été parfaite avec des cuissons exactes. Même les plats que je connais par cœur ont eu le petit coup de génie de la première pleine lune de printemps.

Le Condrieu « La Doriane » Guigal 2010 est un vin riche et puissant. L’accord avec l’araignée est un délice. Mais il est à mon goût encore trop jeune, pas assemblé, mustang tout fou qui caracole dans les longues prairies.

Le programme annonce un 2006 mais c’est un Château Feytit-Clinet Pomerol 2004 qui nous est servi et Michel-Jack nous dit que son fils Jérémy a estimé que le 2004 se goûte bien maintenant. Et c’est vrai. Ce vin me plait beaucoup, car il ne surjoue pas. Il est très pomerol, avec une élégance certaine.

A ma table il y a des connaisseurs extrêmement érudits du vin et de grands palais. Nous ressentons tous que la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1999 est un peu en sourdine. Il est vrai que les vins rouges ont été servis beaucoup plus frais que d’habitude, ce qui les anesthésie un peu. A la fin du repas je suis allé voir Marcel Guigal pour lui demander ce qu’il pensait de son vin. Il m’a dit que le service étant froid, le vin retrouvait à l’aération les qualités qu’il devait avoir. J’ai malgré tout ressenti un manque de générosité de ce très grand vin, par rapport à des expériences déjà faites de cette Mouline 1999, grande année.

Sur le dessert nous goûtons Le 7ème ciel du Prince Golitzine, vin de Massandra 2006. Quel vin étrange ! On a l’impression de boire un coulis de fraises. Les suggestions de roses rouges inondent les narines. On se sent dans la luxure la plus consommée et le vin accompagne divinement le millefeuille. Il est assez probable que ce vin n’est pas fait pour vieillir. Dans la virginité de sa nudité, c’est un vin d’une sensualité exacerbée, sans équivalent dans la palette gustative des muscats dont il a la structure et la trame.

Nous recevons une minuscule cuiller en plastique transparent sur laquelle est posée une grosse goutte d’un « Nectar balsamique » Leonardi cent ans d’âge. Ce vinaigre est profond, pénétrant et goûteux. C’est une petite merveille dont je me régale.

La représentante du domaine Dudognon qui est présente à ce dîner a offert un flacon magnifique en or et argent contenant un Cognac Dudognon Héritage qui est composé d’eaux de vie dont la moyenne est de cinquante ans, entre quarante et cinquante-cinq ans. Le cognac est très pur, très frais, sans signe d’âge et sans trace de bois. Il est très agréable et conclut magnifiquement le repas.

Michel-Jack Chasseuil nous a raconté la genèse de sa cave, insistant sur les bonnes affaires qu’il a pu faire en s’intéressant à des vins que personne ne recherchait. On le sent heureux que sa cave soit dans une Fondation. Sa collection cherche un écrin, puisqu’il est prévu qu’un public vaste puisse la regarder. Lorsque je pense aux bouteilles qui vont être exposées avec un éclairage qui sera probablement excessif, j’en tremble par avance. Des dîners seront prévus pour que cette collection ne soit pas complètement dormante. Apparemment, la structuration de cette gestion n’est pas encore bien définie mais l’on peut supposer que le comité de gestion aura à cœur de ne pas laisser mourir des bouteilles dont la vocation première est d’être bues.

L’ambiance était sympathique. J’ai rencontré notamment le représentant à Londres de la Massandra Winery qui possède en Crimée des flacons qui sont le rêve de tout collectionneur. Beaucoup de belles aventures peuvent être imaginées autour de cette fabuleuse collection Chasseuil.

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Filhot 1891 et La Conseillante 1928 au Garance (les préparatifs) samedi, 16 mars 2013

Reconstituons le script d’une semaine de folie. Tomo m’informe que sa femme est partie pour plusieurs jours au Japon. Pour tromper sa solitude, il me demande de partager un dîner avec lui. J’en informe ma femme qui suggère que nous allions ensemble à la Tour d’Argent. Le rendez-vous est pris pour dîner le mercredi. Par ailleurs, Florent, amateur de vins anciens très talentueux, qui vit à Lyon, m’indique qu’il sera à Paris le vendredi pour des raisons professionnelles et me suggère que nous nous retrouvions à dîner autour de grands vins. Tomo étant provisoirement célibataire, je propose à Florent que le dîner se passe au restaurant Garance et que Tomo soit avec nous. Florent est d’accord.

La neige couvrant Paris me dissuade d’aller chercher des vins dans ma cave principale, aussi vais-je dans la cave de mon domicile. Au fond, le long d’un mur, je vois trois bouteilles de sauternes mises debout, sans doute pour éviter des coulures, ou parce que j’aurais réservé ces bouteilles pour un dîner. Je ne pense pas à cette deuxième hypothèse. Je regarde la capsule de la bouteille de gauche et c’est une jolie capsule de Filhot. Aucune des bouteilles n’a d’étiquette, mais tout indique que ce sont des vins du 19ème siècle. Je prends en main la bouteille de droite et je vois que sur une petite étiquette à la main, on a inscrit 1888. Sans réfléchir plus loin, j’imagine que ce sont trois Filhot 1888. Je laisse de côté celle où il y a la date, pour avoir un repère lorsque je boirai cette bouteille, et je prélève les deux autres. Pourquoi deux ? Parce que je veux être sûr qu’il y en ait au moins une bonne.

Je me relève et je vois dans une rangée une bouteille de Saint-Emilion 1919, réserve des caves Courtiol à Boulogne sur Seine. Voilà un vin générique sans aucune origine mis en bouteille par un caviste de Boulogne. Quoi de plus original ? La bouteille a un beau niveau. C’est avec de vrais amateurs qu’il faut boire une telle bouteille. Juste à côté d’elle il y a un Château Crusquet, Premières Côtes de Blaye 1945 dont les propriétaires doivent être de Lagarcie et Sabourin, si j’arrive bien à lire. Et mon œil est attiré par une mention sous le nom du château : « 1er Cru Cars Gironde ». C’est la première fois que je vois la mention de l’appellation de cette commune de Gironde : « Cars ». Je la choisis aussi et je vois une bouteille à mi-épaule. En regardant la capsule, je reconnais le château caractéristique de Château margaux, et au vu des couleurs, puisque l’étiquette est illisible, je crois reconnaître Château Margaux 1928.

J’ai donc mis cinq bouteilles dans ma musette, ce qui est pure folie, et je communique ma liste à Florent et à Tomo. Florent réagit très vite et m’annonce La Conseillante 1928 et un Beaune Grèves Camille Giroud 1945. Tomo, avec une prudence toute asiatique, m’annonce qu’il choisira ses apports lorsque j’ouvrirai mes bouteilles. L’idée que nous nous retrouvions avec neuf bouteilles pour trois m’effraie, aussi j’écris à Jean-Philippe qu’il est cordialement invité à se joindre à nous, sans apporter de vin.

Jean-Philippe réagit immédiatement en me donnant son accord et me dit : »ça tombe très bien, il y a demain (jeudi), un repas à quatre mains au Petit Verdot, avec Davide Bisetto ». Il est exclu que je rate cet événement et je dis oui. Me voilà donc embarqué dans trois dîners de suite, à la Tour d’Argent, au Petit Verdot et au Garance. Si je n’avais pas choisi cinq bouteilles, je n’aurais sans doute pas appelé Jean-Philippe. J’adore détricoter les caprices du destin, préludes qui sont à ces dîners de folie ce qu’est la montée des escaliers aux amours tarifées.

Filhot 1891 et La Conseillante 1928 au Garance samedi, 16 mars 2013

Nous allons nous retrouver au restaurant Garance, Florent, Jean-Philippe, Tomo et moi. J’avais fait livrer mes bouteilles au restaurant il y a deux jours et j’arrive à 18h30 pour ouvrir mes vins. Je suis assez vite rejoint par Tomo qui est curieux de voir mes apports pour choisir les siens.

Ayant apporté deux Filhot 1888, pour être sûr d’avoir une bonne bouteille, je commence par l’une d’elles, pour décider si l’autre devra être ouverte. Le bouchon que l’on peut voir à travers le verre du goulot est tout recroquevillé. Il y a un risque que je le fasse tomber au moment où je voudrai planter la pointe du tirebouchon. Fort heureusement, j’extrais le bouchon entier. Nous essayons de lire le millésime, mais c’est très difficile. On reconnait bien Lur Saluces sur le bouchon. Je sens un parfum délicieux que je fais sentir à Tomo. L’odeur est si belle qu’il est inutile d’ouvrir la seconde bouteille. Tomo qui est curieux scrute la capsule du deuxième Filhot 1888 et lit : « 1867″. Mon cœur bondit. Car si j’ai en cave un certain nombre de sauternes des années de 1880 à 1900, j’ai bu presque tous ceux de la décennie 1860. La rareté d’un tel vin est pour moi extrême. Nous regardons la capsule et il est assez aisé de lire : « Lafon Propriétaire, puis « médaille d’or », puis 1867 d’une lisibilité parfaite. Cela me montre que mon examen en cave était tout sauf sérieux. Tomo, tentateur, me dit : « on l’ouvre ? ». Pendant toute la soirée, mes amis me feront un numéro de charme pour que j’ouvre cette bouteille. J’ai résisté car une telle bouteille demande une préparation psychologique avant que je ne décide qu’elle soit à l’ordre du jour. Il apparait aussi que les trois bouteilles de ma cave que je croyais identiques ne le sont pas, ce qui remet en cause la datation du Filhot en 1888. C’est Florent à l’œil de lynx qui nous déchiffrera le millésime qui est 1891.

J’ouvre maintenant les rouges. Le Saint Emilion Réserve des caves Courtiol 1919 a un niveau très acceptable car la bouteille a été cirée. Le nez est un peu poussiéreux, mais le retour à la vie est possible.

Le Château Crusquet Premières Côtes de Blaye 1945 a un nez plus poussiéreux encore est j’ai un peu peur d’un difficile rétablissement de ce vin.

J’avais annoncé dans mes mails un Château Margaux qui est très probablement un 1928. Tomo, sans prendre la bouteille en main m’annonce, de loin : « ça, c’est la Lagune ». Comment peut-il voir cela ? Je regarde alors plus attentivement la capsule et je lis très distinctement Château Grand La Lagune. De loin, c’est l’apparence du château gravé dans la capsule qui m’avait induit en erreur. De ce fait, si ce n’est plus Margaux, ce n’est plus forcément 1928. Je sais que j’ai acheté des 1934. Ce sera donc Château Grand La Lagune 1934. Le nez de ce vin me paraît le plus sympathique des trois. On verra que mes capacités divinatoires sont aussi brillantes que ma préscience olfactive.

Tomo me présente alors ses apports. Ce serait Dom Pérignon 1971 et un Bonnes-Mares Lupé-Cholet 1923. Mais nous n’avons pas de vin blanc. Tomo me propose un Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1989 et me dit qu’il a aussi un Bâtard du même domaine et de la même année. Ayant un amour particulier pour les Bâtards du domaine, je choisis Bâtard. Vingt fois Tomo me reprochera d’avoir choisi Bâtard, car il voulait Chevalier. Le 1923 ne sera pas au programme.

Florent arrive et j’ouvre ses deux vins. Le festin peut commencer.

Le Champagne Dom Pérignon 1971 est d’un ambre déjà soutenu. Le champagne est évolué, mais il est d’un charme et d’une douceur qui nous réjouissent. La brioche qui arrive est au chevreuil. Elle crée un accord sensible avec le champagne en lui donnant un joli coup de fouet. Jean-Philippe aime bien l’accord avec la brioche trempée d’une sauce à la moutarde mais je n’ose pas, préférant profiter de la brioche au chevreuil. Si ce 1971 est un peu plus évolué qu’il ne pourrait, il est enjôleur à souhait. C’est un champagne de plaisir.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1989 est un solide bourguignon. Puissant sans l’être trop, il n’a peut-être pas la vibration que Tomo aurait souhaitée, mais c’est un solide compagnon de gastronomie et il est en particulier extrêmement pertinent sur les croquantes premières asperges vertes.

Pour le Château Filhot 1891, j’avais suggéré à Tomo que l’on prévoie un ris de veau, car j’avais une furieuse envie de l’essayer ainsi. Je demande à Tomo s’il a indiqué à Guillaume Iskandar, le chef, que le ris de veau serait sur le Filhot. Tomo me dit qu’il ne l’a pas fait. Deuxième émotion pour mon pauvre cœur après le 1867 ! Que va-t-il se passer ? En fait, le ris de veau est superbe, d’une cuisson parfaite et le Filhot crée un accord merveilleux. Jean-Philippe le confirme. Le sauternes est extrêmement foncé, presque trouble. Son nez est un parfum capiteux. Ce vin est très difficile à décrire, car il est d’une complexité gustative dont les composantes sont d’une subtilité à peine suggérée. Le vin est gourmand, joyeux, luxuriant comme les mille et une nuits. C’est un vin de bonheur et ce qui me frappe, c’est la première attaque qui est presque mentholée, et le final qui est d’une fraîcheur confondante. Un vin aussi frais et vivant que cela, c’est extrêmement rare. Le vin et le ris créent un accord qui est un des moments très forts de ce dîner.

Le Saint Emilion Réserve des caves Courtiol 1919 est servi en même temps que le Filhot sur le ris de veau pour que l’on puisse comparer les pertinences et c’est le Filhot qui emporte la palme. Mais le bordeaux me subjugue. Sa couleur est d’une fraîcheur invraisemblable, d’un beau sang de pigeon, son nez est presque parfait et ce qui frappe, c’est la fraîcheur de ce vin. Le final se prolonge à l’infini sur des notes aussi mentholées et Florent dit que bien des bordeaux plus nobles de 1919 n’atteindraient pas ce niveau de plénitude. C’est un vin sans origine, mis en bouteille par un caviste de Boulogne sur Seine, qui se conduit comme un grand Saint-Emilion. Je suis heureux d’avoir fait une bonne pioche en acquérant ce vin.

La viande de bœuf de Guillaume est une merveille. Elle accueille quatre rouges. A gauche, le Château Crusquet Premières Côtes de Blaye 1945. Le nez a encore de la poussière. L’attaque est belle mais c’est surtout sur le final que l’impression de poussière est désagréable. Au fil de la dégustation, la poussière s’atténuera mais sera quand même marquante. Le vin présente toutefois de l’intérêt, car il a du corps et un fruit encore vivant. Sa couleur est surprenante de vigueur.

Le Château Grand La Lagune 1934 est bouchonné aussi bien au nez qu’en bouche. Nous n’insistons pas. Le troisième rouge sur la viande est le Château La Conseillante 1928. Tout-à-coup le silence se fait, car nous sentons que nous tenons un vin de première grandeur. Il est tout simplement immense. Il a une richesse de trame et un velouté qui sont exceptionnels, et son final se pare d’un panache glorieux. Nous jouissons de la mâche extrême de ce vin. C’est son grain qui est merveilleux. C’est un très grand pomerol.

La tâche est bien rude pour le Beaune Grèves Camille Giroud 1945 tasteviné en 1955. Si nous l’avions bu seul, il aurait exposé ses subtilités bourguignonnes. Mais La Conseillante accapare nos esprits.

Nous avons fini les vins apportés et nous sommes en pleine forme. Le dessert annoncé comporte un sorbet et du chocolat. L’eau semble la boisson la plus pertinente mais Tomo est d’humeur partageuse. Il fait ouvrir un Champagne Krug Clos du Mesnil 2000. Le dernier que j’avais bu m’avait rebuté par sa jeunesse folle. Celui-ci est aussi jeune et aussi fou, très citronné, mais plus que l’autre fois, on reconnaît la richesse du Clos du Mesnil.

Nous avons voté pour les vins. Il aurait été dommage de hiérarchiser ente le Filhot 1891 et La Conseillante 1928, deux vins d’une perfection absolue. Nous avons tous été d’accord pour mettre ces deux vins ex-æquo, les vrais grands gagnants du dîner. Vient ensuite le Dom Pérignon 1971 et le Saint-Emilion 1919 qui mérite d’être récompensé par sa performance et son originalité. Le plus bel accord est le Filhot 1891 et le ris de veau et le plus beau plat est celui de la viande de bœuf goûteuse.

Nous étions pris d’une douce torpeur tant ce repas fut exceptionnel. Nous avons, comme au poker, misé sur table ce que nous ouvririons pour une revanche. Les vins sont décidés et la date aussi. Que c’est agréable de partager dans ce climat d’amitié !

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Repas à quatre mains au Petit Verdot vendredi, 15 mars 2013

Hide Ishizuka dit Hidé est le propriétaire du restaurant le Petit Verdot. Jean-Philippe a eu l’idée, proposée à Hidé, de faire un dîner à quatre mains. Il a privatisé le restaurant et rassemblé ses « followers », à qui il twitte ou facebookise ses aventures gastronomiques. Les deux premières mains sont celles de Yoshi Morie, le talentueux chef du Petit Verdot. Les autres mains sont celles de Davide Bisetto, le chef doublement étoilé du Casadelmar de Porto Vecchio où avec Jean-Philippe nous avons des souvenirs culinaires mémorables. Jean-Philippe m’appelle la veille. Je n’hésite pas, je viens.

L’assemblée est très jeune et très féminine. Il y a des blogueurs et des forumeurs, dont le trait commun est d’être des fines gueules. J’ai la chance d’être à côté de Jean-Philippe et des propriétaires de Casadelmar. Je tourne le dos à la minuscule cuisine où la densité de matière grise créative culinaire est extrême. On s’y presse plus que dans le métro, car en plus de l’équipe habituelle il y a Davide et son second et un autre chef de passage. Ça fourmille.

La vedette est aux plats plus qu’aux vins. Le menu composé par les deux chefs sous la supervision d’Hidé et les conseils avisés de Jean-Philippe, est : Raviolo aux foies de canard, crème de pistache de Bronte et colatura d’anchois / Moules, pesto de truffe noire et lime, glace burrata / Tartare de veau, coques et couteaux, asperges blanches des Landes / Risotto au rouget, porto et sésame noir, dés de poire / Pigeon, consommé de poularde au safran, gnocchi à la farine de châtaigne corse / Ris de veau, asperges vertes de Roques-Hautes, ail des ours / « Bicerin » : sambucca, réglisse de Calabre et café / Terrine d’agrumes, bavarois à la mangue.

Chacun des convives a abordé ce repas avec sa propre personnalité. Beaucoup ont voulu savoir quel chef est l’auteur de chaque plat. J’ai personnellement décidé de ne pas chercher à le savoir, pour ne juger que le plat lui-même. Les commentaires de chacun sont différents. Je donne les miens.

Raviolo aux foies de canard, crème de pistache de Bronte et colatura d’anchois : superbe plat d’été, car la crème est froide et rafraîchissante. Subtilité extrême de la pistache. Plat très équilibré, foie très prégnant.

Moules, pesto de truffe noire et lime, glace burrata : plat extraordinaire, le meilleur de tout le repas, à mon goût. Il faut imaginer que les moules sont taillées une par une pour enlever les barbes. La cohérence des goûts magiques et surprenants est exemplaire.

Tartare de veau, coques et couteaux, asperges blanches des Landes : les goûts individuels de chaque composant sont de grande qualité, mais un tel plat ne peut pas être l’ami des vins du fait de la diversité extrême des goûts. Mais ça se mange avec plaisir.

Risotto au rouget, porto et sésame noir, dés de poire : un plat d’une grande sensibilité. Un risotto très original, qui nécessite beaucoup d’attention pour bien le comprendre et un beau rouget.

Pigeon, consommé de poularde au safran, gnocchi à la farine de châtaigne corse : c’est ce plat qui a fait parler le plus. Car les suprêmes sont cuits à basse température, ce qui les rend fondants. Ils perdent alors de leur énergie. Davide, informé de ces remarques a dit que son intention, c’est le consommé. Il veut un consommé comme personne n’en ferait, et c’est vrai qu’il est diabolique. Dans son dessein, le pigeon n’est qu’un accessoire du consommé alors que nous lisions le plat comme si le pigeon était l’acteur principal. J’admets bien volontiers la vision de Davide car elle est originale.

Ris de veau, asperges vertes de Roques-Hautes, ail des ours : magnifique cuisson d’un ris de veau goûteux, ni trop (comme trop souvent) ni trop peu. C’est l’accompagnement qui affadit un peu le plat au lieu de le rehausser.

« Bicerin » : sambucca, réglisse de Calabre et café : géantissime dessert gourmand.

Terrine d’agrumes, bavarois à la mangue : la fraîcheur même, le dessert parfait.

Après cette expérience, je suis conquis. Même si Davide n’œuvrait pas sur son territoire et avec ses ustensiles, il nous a régalés ainsi que Yoshi avec des plats d’une grande sensibilité. Alors que leurs racines familiales et culturelles sont très différentes, ils nous ont livré une cuisine d’une très grande sensibilité. C’était comme des jazzmen quand ils font un bœuf, c’était la joie de la création.

J’allais presque oublier de parler des vins. Le Champagne Delamotte brut magnum est un agréable champagne légèrement dosé, mais il allait bien avec la crème de pistache et d’anchois.

Le Champagne Delamotte blanc de blancs magnum 2002 est un superbe champagne à l’épanouissement serein.

Le Pouilly-Fumé Indigène Pascal Jolivet 2010 a peut-être des qualités, mais il est infiniment trop jeune pour moi. On nous verse venant d’une table du premier étage un peu d’un Marestel de Dupasquier dont je n’ai pas entendu le millésime. L’impression d’un fort botrytis est assez étrange, mais le vin ne laisse pas indifférent.

Le Château Haut-Marbuzet magnum 2005 est un vin assis, aux forts tannins et joliment incisif. J’aime beaucoup ce vin qui se boit déjà très bien.

Le Château Meyney Prieuré des Couleys double magnum 1967 est absolument superbe et beaucoup seront surpris par sa jeunesse. On pouvait craindre de petits défauts liés au rebouchage par Cordier et à la faiblesse relative du millésime (celui de Hidé), mais ce vin superbe, clair dans sa définition, est une bonne leçon : il faut faire confiance à de tels vins, car ils apportent une délicatesse dans la complexité qui n’apparait qu’à ces âges.

Pour les desserts, le vin Macon Villages
Cuvée Héritage Domaine Michel et Fils 2006, vin doux aux accents de fruits exotiques est certainement ce qui convenait le mieux, si l’on reste dans les goûts des vins très jeunes.

On l’aura compris, la vedette était aux plats et l’important était la géniale juxtaposition des talents de deux grands chefs. Merci Jean-Philippe avec sa petite structure « Ici et Maintenant Conseil » qui a organisé ce quatre mains. On en redemande !

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DSC04249 DSC04240 DSC04248 DSC04247 deux photos de plats sont floues, désolé !

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Un Musigny de Vogüé éblouissant à la Tour d’Argent mercredi, 13 mars 2013

Sur la suggestion de mon épouse, nous retrouvons Tomo au restaurant La Tour d’Argent. Le groom dans l’ascenseur est sympathique, et en traversant une haie de serveurs au sourire agréable, nous rejoignons la table que je connais depuis plus de cinquante ans, quand mon père faisait partie des clients privilégiés de Monsieur Aimé. Tout ici est luxe et quiétude. L’eau minérale est servie dans des gobelets argentés. Le livre de cave est impossible à consulter en entier car il y a 11.000 références en cave. Il m’est impossible de le passer à Tomo et il faut qu’un sommelier le soulève et le transfère à sa place. Notre premier choix est un Champagne Krug Clos du Mesnil 1983. Au démarrage, il est marqué par une certaine acidité. On sent la complexité qu’il peut avoir et il va progressivement s’animer. Mais lorsque nous ferons le bilan après la dernière goutte, force est de constater que nous n’avons pas eu l’émotion que nous aurions dû avoir, même si quelques fulgurances nous ont rappelé qu’il peut être grandiose. Ce n’est pas un effet de cave mais plutôt que le vin ne s’est pas présenté au bon moment. Le menu des deux hommes est : quenelle de brochet sur un coulis de champignon de Paris et canard Tour d’Argent. Nous avons choisi l’emblématique de la maison puisque c’est la première fois que Tomo vient en cette maison. Autant aller aux fondamentaux. La quenelle est bonne, mais le champignon est trop fort et tue l’évocation de brochet. Le canard est divin et fait tinter tous les souvenirs immémoriaux que j’ai de ce plat.

Nous avons choisi un Musigny Comte de Vogüé 1978. Le nez est tout simplement renversant. En une seconde, on sait que l’on tient un prodige. On voudrait presque s’en tenir au nez, tant il apporte de contentement, et il faut presque se forcer pour porter le vin à ses lèvres. Et c’est alors qu’un sentiment de plénitude nous envahit. Ce vin est furieusement bourguignon, avec cette volonté de ne pas séduire, avec ce sel qui rappelle les vins de la Romanée Conti. Et il y a un velours qui n’appartient qu’à ce vin. Il accompagne merveilleusement le canard, surtout la deuxième partie à la chair plus tendue, mais il est en soi un chef d’œuvre. Il fait partie de ces vins que l’on a envie de protéger jalousement, pour conserver des arômes irréels jusqu’à l’infini de la nuit. Je frissonne encore à l’évocation de ce vin qui était parfait, le vin idéal au moment idéal.

Les desserts sont merveilleux, le mien à base de thé et de café. Ce qu’il convient de signaler, c’est le service qui est certainement le premier de Paris. Jamais nous n’avons manqué de vin alors que le sommelier ne rajoutait que de petites quantités dans nos verres. Les maîtres d’hôtel sont attentifs. La plus grande surprise, pour ceux qui ont l’habitude de me lire, c’est de tomber sur une espèce de maîtres d’hôtel en voie de disparition, ceux qui regardent ce qui se passe autour d’eux. Ce service fut un moment d’enchantement.

Nous avons fini par la visite des caves qui s’est dépouillée des sons et lumières d’antan. Tomo a pu parler japonais avec le gardien de ce temple impressionnant. Il y a eu deux vedettes lors de ce dîner : un Musigny de Vogüé éblouissant d’émotion et de plénitude, et un service de rêve. Au moment où s’élisait le Pape qui porte mon prénom, nous fumes sur un nuage de félicité.

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