Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Le premier dîner de la Fondation Chasseuil jeudi, 28 mars 2013

Michel Chasseuil vient de finaliser la création de la Fondation qui recevra sa cave dont il est dit sur le document remis que c’est « la collection de vins la plus prestigieuse au monde ». La banque Rothschild et la maison Guigal sont au conseil du Fonds de Dotation Chasseuil. Le premier dîner de la Fondation se tient au restaurant Laurent. Dans la hall d’entrée en forme de rotonde, nous sommes une soixantaine d’amis de Michel-Jack, puisque c’est ainsi qu’il faut dire, et des collectionneurs ou passionnés de vins. Il fait soif, et il faut faire pression sur Michel-Jack pour que nous puissions nous rafraîchir du Champagne Bollinger Grande Année 2004, frais, agréable, le prototype idéal du champagne de belle soif.

Nous passons à table dans l’un des grands salons du Laurent et le menu mis au point par Alain Pégouret est : araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / fregola-sarda truffée sauce poulette / selle et carré d’agneau de lait des Pyrénées grillotés, bulbes et racines sautés comme un tajine / millefeuille à la mangue et piment d’Espelette / café, mignardises et chocolats.

L’exécution de ce repas a été parfaite avec des cuissons exactes. Même les plats que je connais par cœur ont eu le petit coup de génie de la première pleine lune de printemps.

Le Condrieu « La Doriane » Guigal 2010 est un vin riche et puissant. L’accord avec l’araignée est un délice. Mais il est à mon goût encore trop jeune, pas assemblé, mustang tout fou qui caracole dans les longues prairies.

Le programme annonce un 2006 mais c’est un Château Feytit-Clinet Pomerol 2004 qui nous est servi et Michel-Jack nous dit que son fils Jérémy a estimé que le 2004 se goûte bien maintenant. Et c’est vrai. Ce vin me plait beaucoup, car il ne surjoue pas. Il est très pomerol, avec une élégance certaine.

A ma table il y a des connaisseurs extrêmement érudits du vin et de grands palais. Nous ressentons tous que la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1999 est un peu en sourdine. Il est vrai que les vins rouges ont été servis beaucoup plus frais que d’habitude, ce qui les anesthésie un peu. A la fin du repas je suis allé voir Marcel Guigal pour lui demander ce qu’il pensait de son vin. Il m’a dit que le service étant froid, le vin retrouvait à l’aération les qualités qu’il devait avoir. J’ai malgré tout ressenti un manque de générosité de ce très grand vin, par rapport à des expériences déjà faites de cette Mouline 1999, grande année.

Sur le dessert nous goûtons Le 7ème ciel du Prince Golitzine, vin de Massandra 2006. Quel vin étrange ! On a l’impression de boire un coulis de fraises. Les suggestions de roses rouges inondent les narines. On se sent dans la luxure la plus consommée et le vin accompagne divinement le millefeuille. Il est assez probable que ce vin n’est pas fait pour vieillir. Dans la virginité de sa nudité, c’est un vin d’une sensualité exacerbée, sans équivalent dans la palette gustative des muscats dont il a la structure et la trame.

Nous recevons une minuscule cuiller en plastique transparent sur laquelle est posée une grosse goutte d’un « Nectar balsamique » Leonardi cent ans d’âge. Ce vinaigre est profond, pénétrant et goûteux. C’est une petite merveille dont je me régale.

La représentante du domaine Dudognon qui est présente à ce dîner a offert un flacon magnifique en or et argent contenant un Cognac Dudognon Héritage qui est composé d’eaux de vie dont la moyenne est de cinquante ans, entre quarante et cinquante-cinq ans. Le cognac est très pur, très frais, sans signe d’âge et sans trace de bois. Il est très agréable et conclut magnifiquement le repas.

Michel-Jack Chasseuil nous a raconté la genèse de sa cave, insistant sur les bonnes affaires qu’il a pu faire en s’intéressant à des vins que personne ne recherchait. On le sent heureux que sa cave soit dans une Fondation. Sa collection cherche un écrin, puisqu’il est prévu qu’un public vaste puisse la regarder. Lorsque je pense aux bouteilles qui vont être exposées avec un éclairage qui sera probablement excessif, j’en tremble par avance. Des dîners seront prévus pour que cette collection ne soit pas complètement dormante. Apparemment, la structuration de cette gestion n’est pas encore bien définie mais l’on peut supposer que le comité de gestion aura à cœur de ne pas laisser mourir des bouteilles dont la vocation première est d’être bues.

L’ambiance était sympathique. J’ai rencontré notamment le représentant à Londres de la Massandra Winery qui possède en Crimée des flacons qui sont le rêve de tout collectionneur. Beaucoup de belles aventures peuvent être imaginées autour de cette fabuleuse collection Chasseuil.

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Filhot 1891 et La Conseillante 1928 au Garance (les préparatifs) samedi, 16 mars 2013

Reconstituons le script d’une semaine de folie. Tomo m’informe que sa femme est partie pour plusieurs jours au Japon. Pour tromper sa solitude, il me demande de partager un dîner avec lui. J’en informe ma femme qui suggère que nous allions ensemble à la Tour d’Argent. Le rendez-vous est pris pour dîner le mercredi. Par ailleurs, Florent, amateur de vins anciens très talentueux, qui vit à Lyon, m’indique qu’il sera à Paris le vendredi pour des raisons professionnelles et me suggère que nous nous retrouvions à dîner autour de grands vins. Tomo étant provisoirement célibataire, je propose à Florent que le dîner se passe au restaurant Garance et que Tomo soit avec nous. Florent est d’accord.

La neige couvrant Paris me dissuade d’aller chercher des vins dans ma cave principale, aussi vais-je dans la cave de mon domicile. Au fond, le long d’un mur, je vois trois bouteilles de sauternes mises debout, sans doute pour éviter des coulures, ou parce que j’aurais réservé ces bouteilles pour un dîner. Je ne pense pas à cette deuxième hypothèse. Je regarde la capsule de la bouteille de gauche et c’est une jolie capsule de Filhot. Aucune des bouteilles n’a d’étiquette, mais tout indique que ce sont des vins du 19ème siècle. Je prends en main la bouteille de droite et je vois que sur une petite étiquette à la main, on a inscrit 1888. Sans réfléchir plus loin, j’imagine que ce sont trois Filhot 1888. Je laisse de côté celle où il y a la date, pour avoir un repère lorsque je boirai cette bouteille, et je prélève les deux autres. Pourquoi deux ? Parce que je veux être sûr qu’il y en ait au moins une bonne.

Je me relève et je vois dans une rangée une bouteille de Saint-Emilion 1919, réserve des caves Courtiol à Boulogne sur Seine. Voilà un vin générique sans aucune origine mis en bouteille par un caviste de Boulogne. Quoi de plus original ? La bouteille a un beau niveau. C’est avec de vrais amateurs qu’il faut boire une telle bouteille. Juste à côté d’elle il y a un Château Crusquet, Premières Côtes de Blaye 1945 dont les propriétaires doivent être de Lagarcie et Sabourin, si j’arrive bien à lire. Et mon œil est attiré par une mention sous le nom du château : « 1er Cru Cars Gironde ». C’est la première fois que je vois la mention de l’appellation de cette commune de Gironde : « Cars ». Je la choisis aussi et je vois une bouteille à mi-épaule. En regardant la capsule, je reconnais le château caractéristique de Château margaux, et au vu des couleurs, puisque l’étiquette est illisible, je crois reconnaître Château Margaux 1928.

J’ai donc mis cinq bouteilles dans ma musette, ce qui est pure folie, et je communique ma liste à Florent et à Tomo. Florent réagit très vite et m’annonce La Conseillante 1928 et un Beaune Grèves Camille Giroud 1945. Tomo, avec une prudence toute asiatique, m’annonce qu’il choisira ses apports lorsque j’ouvrirai mes bouteilles. L’idée que nous nous retrouvions avec neuf bouteilles pour trois m’effraie, aussi j’écris à Jean-Philippe qu’il est cordialement invité à se joindre à nous, sans apporter de vin.

Jean-Philippe réagit immédiatement en me donnant son accord et me dit : »ça tombe très bien, il y a demain (jeudi), un repas à quatre mains au Petit Verdot, avec Davide Bisetto ». Il est exclu que je rate cet événement et je dis oui. Me voilà donc embarqué dans trois dîners de suite, à la Tour d’Argent, au Petit Verdot et au Garance. Si je n’avais pas choisi cinq bouteilles, je n’aurais sans doute pas appelé Jean-Philippe. J’adore détricoter les caprices du destin, préludes qui sont à ces dîners de folie ce qu’est la montée des escaliers aux amours tarifées.

Filhot 1891 et La Conseillante 1928 au Garance samedi, 16 mars 2013

Nous allons nous retrouver au restaurant Garance, Florent, Jean-Philippe, Tomo et moi. J’avais fait livrer mes bouteilles au restaurant il y a deux jours et j’arrive à 18h30 pour ouvrir mes vins. Je suis assez vite rejoint par Tomo qui est curieux de voir mes apports pour choisir les siens.

Ayant apporté deux Filhot 1888, pour être sûr d’avoir une bonne bouteille, je commence par l’une d’elles, pour décider si l’autre devra être ouverte. Le bouchon que l’on peut voir à travers le verre du goulot est tout recroquevillé. Il y a un risque que je le fasse tomber au moment où je voudrai planter la pointe du tirebouchon. Fort heureusement, j’extrais le bouchon entier. Nous essayons de lire le millésime, mais c’est très difficile. On reconnait bien Lur Saluces sur le bouchon. Je sens un parfum délicieux que je fais sentir à Tomo. L’odeur est si belle qu’il est inutile d’ouvrir la seconde bouteille. Tomo qui est curieux scrute la capsule du deuxième Filhot 1888 et lit : « 1867″. Mon cœur bondit. Car si j’ai en cave un certain nombre de sauternes des années de 1880 à 1900, j’ai bu presque tous ceux de la décennie 1860. La rareté d’un tel vin est pour moi extrême. Nous regardons la capsule et il est assez aisé de lire : « Lafon Propriétaire, puis « médaille d’or », puis 1867 d’une lisibilité parfaite. Cela me montre que mon examen en cave était tout sauf sérieux. Tomo, tentateur, me dit : « on l’ouvre ? ». Pendant toute la soirée, mes amis me feront un numéro de charme pour que j’ouvre cette bouteille. J’ai résisté car une telle bouteille demande une préparation psychologique avant que je ne décide qu’elle soit à l’ordre du jour. Il apparait aussi que les trois bouteilles de ma cave que je croyais identiques ne le sont pas, ce qui remet en cause la datation du Filhot en 1888. C’est Florent à l’œil de lynx qui nous déchiffrera le millésime qui est 1891.

J’ouvre maintenant les rouges. Le Saint Emilion Réserve des caves Courtiol 1919 a un niveau très acceptable car la bouteille a été cirée. Le nez est un peu poussiéreux, mais le retour à la vie est possible.

Le Château Crusquet Premières Côtes de Blaye 1945 a un nez plus poussiéreux encore est j’ai un peu peur d’un difficile rétablissement de ce vin.

J’avais annoncé dans mes mails un Château Margaux qui est très probablement un 1928. Tomo, sans prendre la bouteille en main m’annonce, de loin : « ça, c’est la Lagune ». Comment peut-il voir cela ? Je regarde alors plus attentivement la capsule et je lis très distinctement Château Grand La Lagune. De loin, c’est l’apparence du château gravé dans la capsule qui m’avait induit en erreur. De ce fait, si ce n’est plus Margaux, ce n’est plus forcément 1928. Je sais que j’ai acheté des 1934. Ce sera donc Château Grand La Lagune 1934. Le nez de ce vin me paraît le plus sympathique des trois. On verra que mes capacités divinatoires sont aussi brillantes que ma préscience olfactive.

Tomo me présente alors ses apports. Ce serait Dom Pérignon 1971 et un Bonnes-Mares Lupé-Cholet 1923. Mais nous n’avons pas de vin blanc. Tomo me propose un Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1989 et me dit qu’il a aussi un Bâtard du même domaine et de la même année. Ayant un amour particulier pour les Bâtards du domaine, je choisis Bâtard. Vingt fois Tomo me reprochera d’avoir choisi Bâtard, car il voulait Chevalier. Le 1923 ne sera pas au programme.

Florent arrive et j’ouvre ses deux vins. Le festin peut commencer.

Le Champagne Dom Pérignon 1971 est d’un ambre déjà soutenu. Le champagne est évolué, mais il est d’un charme et d’une douceur qui nous réjouissent. La brioche qui arrive est au chevreuil. Elle crée un accord sensible avec le champagne en lui donnant un joli coup de fouet. Jean-Philippe aime bien l’accord avec la brioche trempée d’une sauce à la moutarde mais je n’ose pas, préférant profiter de la brioche au chevreuil. Si ce 1971 est un peu plus évolué qu’il ne pourrait, il est enjôleur à souhait. C’est un champagne de plaisir.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1989 est un solide bourguignon. Puissant sans l’être trop, il n’a peut-être pas la vibration que Tomo aurait souhaitée, mais c’est un solide compagnon de gastronomie et il est en particulier extrêmement pertinent sur les croquantes premières asperges vertes.

Pour le Château Filhot 1891, j’avais suggéré à Tomo que l’on prévoie un ris de veau, car j’avais une furieuse envie de l’essayer ainsi. Je demande à Tomo s’il a indiqué à Guillaume Iskandar, le chef, que le ris de veau serait sur le Filhot. Tomo me dit qu’il ne l’a pas fait. Deuxième émotion pour mon pauvre cœur après le 1867 ! Que va-t-il se passer ? En fait, le ris de veau est superbe, d’une cuisson parfaite et le Filhot crée un accord merveilleux. Jean-Philippe le confirme. Le sauternes est extrêmement foncé, presque trouble. Son nez est un parfum capiteux. Ce vin est très difficile à décrire, car il est d’une complexité gustative dont les composantes sont d’une subtilité à peine suggérée. Le vin est gourmand, joyeux, luxuriant comme les mille et une nuits. C’est un vin de bonheur et ce qui me frappe, c’est la première attaque qui est presque mentholée, et le final qui est d’une fraîcheur confondante. Un vin aussi frais et vivant que cela, c’est extrêmement rare. Le vin et le ris créent un accord qui est un des moments très forts de ce dîner.

Le Saint Emilion Réserve des caves Courtiol 1919 est servi en même temps que le Filhot sur le ris de veau pour que l’on puisse comparer les pertinences et c’est le Filhot qui emporte la palme. Mais le bordeaux me subjugue. Sa couleur est d’une fraîcheur invraisemblable, d’un beau sang de pigeon, son nez est presque parfait et ce qui frappe, c’est la fraîcheur de ce vin. Le final se prolonge à l’infini sur des notes aussi mentholées et Florent dit que bien des bordeaux plus nobles de 1919 n’atteindraient pas ce niveau de plénitude. C’est un vin sans origine, mis en bouteille par un caviste de Boulogne sur Seine, qui se conduit comme un grand Saint-Emilion. Je suis heureux d’avoir fait une bonne pioche en acquérant ce vin.

La viande de bœuf de Guillaume est une merveille. Elle accueille quatre rouges. A gauche, le Château Crusquet Premières Côtes de Blaye 1945. Le nez a encore de la poussière. L’attaque est belle mais c’est surtout sur le final que l’impression de poussière est désagréable. Au fil de la dégustation, la poussière s’atténuera mais sera quand même marquante. Le vin présente toutefois de l’intérêt, car il a du corps et un fruit encore vivant. Sa couleur est surprenante de vigueur.

Le Château Grand La Lagune 1934 est bouchonné aussi bien au nez qu’en bouche. Nous n’insistons pas. Le troisième rouge sur la viande est le Château La Conseillante 1928. Tout-à-coup le silence se fait, car nous sentons que nous tenons un vin de première grandeur. Il est tout simplement immense. Il a une richesse de trame et un velouté qui sont exceptionnels, et son final se pare d’un panache glorieux. Nous jouissons de la mâche extrême de ce vin. C’est son grain qui est merveilleux. C’est un très grand pomerol.

La tâche est bien rude pour le Beaune Grèves Camille Giroud 1945 tasteviné en 1955. Si nous l’avions bu seul, il aurait exposé ses subtilités bourguignonnes. Mais La Conseillante accapare nos esprits.

Nous avons fini les vins apportés et nous sommes en pleine forme. Le dessert annoncé comporte un sorbet et du chocolat. L’eau semble la boisson la plus pertinente mais Tomo est d’humeur partageuse. Il fait ouvrir un Champagne Krug Clos du Mesnil 2000. Le dernier que j’avais bu m’avait rebuté par sa jeunesse folle. Celui-ci est aussi jeune et aussi fou, très citronné, mais plus que l’autre fois, on reconnaît la richesse du Clos du Mesnil.

Nous avons voté pour les vins. Il aurait été dommage de hiérarchiser ente le Filhot 1891 et La Conseillante 1928, deux vins d’une perfection absolue. Nous avons tous été d’accord pour mettre ces deux vins ex-æquo, les vrais grands gagnants du dîner. Vient ensuite le Dom Pérignon 1971 et le Saint-Emilion 1919 qui mérite d’être récompensé par sa performance et son originalité. Le plus bel accord est le Filhot 1891 et le ris de veau et le plus beau plat est celui de la viande de bœuf goûteuse.

Nous étions pris d’une douce torpeur tant ce repas fut exceptionnel. Nous avons, comme au poker, misé sur table ce que nous ouvririons pour une revanche. Les vins sont décidés et la date aussi. Que c’est agréable de partager dans ce climat d’amitié !

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Repas à quatre mains au Petit Verdot vendredi, 15 mars 2013

Hide Ishizuka dit Hidé est le propriétaire du restaurant le Petit Verdot. Jean-Philippe a eu l’idée, proposée à Hidé, de faire un dîner à quatre mains. Il a privatisé le restaurant et rassemblé ses « followers », à qui il twitte ou facebookise ses aventures gastronomiques. Les deux premières mains sont celles de Yoshi Morie, le talentueux chef du Petit Verdot. Les autres mains sont celles de Davide Bisetto, le chef doublement étoilé du Casadelmar de Porto Vecchio où avec Jean-Philippe nous avons des souvenirs culinaires mémorables. Jean-Philippe m’appelle la veille. Je n’hésite pas, je viens.

L’assemblée est très jeune et très féminine. Il y a des blogueurs et des forumeurs, dont le trait commun est d’être des fines gueules. J’ai la chance d’être à côté de Jean-Philippe et des propriétaires de Casadelmar. Je tourne le dos à la minuscule cuisine où la densité de matière grise créative culinaire est extrême. On s’y presse plus que dans le métro, car en plus de l’équipe habituelle il y a Davide et son second et un autre chef de passage. Ça fourmille.

La vedette est aux plats plus qu’aux vins. Le menu composé par les deux chefs sous la supervision d’Hidé et les conseils avisés de Jean-Philippe, est : Raviolo aux foies de canard, crème de pistache de Bronte et colatura d’anchois / Moules, pesto de truffe noire et lime, glace burrata / Tartare de veau, coques et couteaux, asperges blanches des Landes / Risotto au rouget, porto et sésame noir, dés de poire / Pigeon, consommé de poularde au safran, gnocchi à la farine de châtaigne corse / Ris de veau, asperges vertes de Roques-Hautes, ail des ours / « Bicerin » : sambucca, réglisse de Calabre et café / Terrine d’agrumes, bavarois à la mangue.

Chacun des convives a abordé ce repas avec sa propre personnalité. Beaucoup ont voulu savoir quel chef est l’auteur de chaque plat. J’ai personnellement décidé de ne pas chercher à le savoir, pour ne juger que le plat lui-même. Les commentaires de chacun sont différents. Je donne les miens.

Raviolo aux foies de canard, crème de pistache de Bronte et colatura d’anchois : superbe plat d’été, car la crème est froide et rafraîchissante. Subtilité extrême de la pistache. Plat très équilibré, foie très prégnant.

Moules, pesto de truffe noire et lime, glace burrata : plat extraordinaire, le meilleur de tout le repas, à mon goût. Il faut imaginer que les moules sont taillées une par une pour enlever les barbes. La cohérence des goûts magiques et surprenants est exemplaire.

Tartare de veau, coques et couteaux, asperges blanches des Landes : les goûts individuels de chaque composant sont de grande qualité, mais un tel plat ne peut pas être l’ami des vins du fait de la diversité extrême des goûts. Mais ça se mange avec plaisir.

Risotto au rouget, porto et sésame noir, dés de poire : un plat d’une grande sensibilité. Un risotto très original, qui nécessite beaucoup d’attention pour bien le comprendre et un beau rouget.

Pigeon, consommé de poularde au safran, gnocchi à la farine de châtaigne corse : c’est ce plat qui a fait parler le plus. Car les suprêmes sont cuits à basse température, ce qui les rend fondants. Ils perdent alors de leur énergie. Davide, informé de ces remarques a dit que son intention, c’est le consommé. Il veut un consommé comme personne n’en ferait, et c’est vrai qu’il est diabolique. Dans son dessein, le pigeon n’est qu’un accessoire du consommé alors que nous lisions le plat comme si le pigeon était l’acteur principal. J’admets bien volontiers la vision de Davide car elle est originale.

Ris de veau, asperges vertes de Roques-Hautes, ail des ours : magnifique cuisson d’un ris de veau goûteux, ni trop (comme trop souvent) ni trop peu. C’est l’accompagnement qui affadit un peu le plat au lieu de le rehausser.

« Bicerin » : sambucca, réglisse de Calabre et café : géantissime dessert gourmand.

Terrine d’agrumes, bavarois à la mangue : la fraîcheur même, le dessert parfait.

Après cette expérience, je suis conquis. Même si Davide n’œuvrait pas sur son territoire et avec ses ustensiles, il nous a régalés ainsi que Yoshi avec des plats d’une grande sensibilité. Alors que leurs racines familiales et culturelles sont très différentes, ils nous ont livré une cuisine d’une très grande sensibilité. C’était comme des jazzmen quand ils font un bœuf, c’était la joie de la création.

J’allais presque oublier de parler des vins. Le Champagne Delamotte brut magnum est un agréable champagne légèrement dosé, mais il allait bien avec la crème de pistache et d’anchois.

Le Champagne Delamotte blanc de blancs magnum 2002 est un superbe champagne à l’épanouissement serein.

Le Pouilly-Fumé Indigène Pascal Jolivet 2010 a peut-être des qualités, mais il est infiniment trop jeune pour moi. On nous verse venant d’une table du premier étage un peu d’un Marestel de Dupasquier dont je n’ai pas entendu le millésime. L’impression d’un fort botrytis est assez étrange, mais le vin ne laisse pas indifférent.

Le Château Haut-Marbuzet magnum 2005 est un vin assis, aux forts tannins et joliment incisif. J’aime beaucoup ce vin qui se boit déjà très bien.

Le Château Meyney Prieuré des Couleys double magnum 1967 est absolument superbe et beaucoup seront surpris par sa jeunesse. On pouvait craindre de petits défauts liés au rebouchage par Cordier et à la faiblesse relative du millésime (celui de Hidé), mais ce vin superbe, clair dans sa définition, est une bonne leçon : il faut faire confiance à de tels vins, car ils apportent une délicatesse dans la complexité qui n’apparait qu’à ces âges.

Pour les desserts, le vin Macon Villages
Cuvée Héritage Domaine Michel et Fils 2006, vin doux aux accents de fruits exotiques est certainement ce qui convenait le mieux, si l’on reste dans les goûts des vins très jeunes.

On l’aura compris, la vedette était aux plats et l’important était la géniale juxtaposition des talents de deux grands chefs. Merci Jean-Philippe avec sa petite structure « Ici et Maintenant Conseil » qui a organisé ce quatre mains. On en redemande !

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DSC04249 DSC04240 DSC04248 DSC04247 deux photos de plats sont floues, désolé !

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Un Musigny de Vogüé éblouissant à la Tour d’Argent mercredi, 13 mars 2013

Sur la suggestion de mon épouse, nous retrouvons Tomo au restaurant La Tour d’Argent. Le groom dans l’ascenseur est sympathique, et en traversant une haie de serveurs au sourire agréable, nous rejoignons la table que je connais depuis plus de cinquante ans, quand mon père faisait partie des clients privilégiés de Monsieur Aimé. Tout ici est luxe et quiétude. L’eau minérale est servie dans des gobelets argentés. Le livre de cave est impossible à consulter en entier car il y a 11.000 références en cave. Il m’est impossible de le passer à Tomo et il faut qu’un sommelier le soulève et le transfère à sa place. Notre premier choix est un Champagne Krug Clos du Mesnil 1983. Au démarrage, il est marqué par une certaine acidité. On sent la complexité qu’il peut avoir et il va progressivement s’animer. Mais lorsque nous ferons le bilan après la dernière goutte, force est de constater que nous n’avons pas eu l’émotion que nous aurions dû avoir, même si quelques fulgurances nous ont rappelé qu’il peut être grandiose. Ce n’est pas un effet de cave mais plutôt que le vin ne s’est pas présenté au bon moment. Le menu des deux hommes est : quenelle de brochet sur un coulis de champignon de Paris et canard Tour d’Argent. Nous avons choisi l’emblématique de la maison puisque c’est la première fois que Tomo vient en cette maison. Autant aller aux fondamentaux. La quenelle est bonne, mais le champignon est trop fort et tue l’évocation de brochet. Le canard est divin et fait tinter tous les souvenirs immémoriaux que j’ai de ce plat.

Nous avons choisi un Musigny Comte de Vogüé 1978. Le nez est tout simplement renversant. En une seconde, on sait que l’on tient un prodige. On voudrait presque s’en tenir au nez, tant il apporte de contentement, et il faut presque se forcer pour porter le vin à ses lèvres. Et c’est alors qu’un sentiment de plénitude nous envahit. Ce vin est furieusement bourguignon, avec cette volonté de ne pas séduire, avec ce sel qui rappelle les vins de la Romanée Conti. Et il y a un velours qui n’appartient qu’à ce vin. Il accompagne merveilleusement le canard, surtout la deuxième partie à la chair plus tendue, mais il est en soi un chef d’œuvre. Il fait partie de ces vins que l’on a envie de protéger jalousement, pour conserver des arômes irréels jusqu’à l’infini de la nuit. Je frissonne encore à l’évocation de ce vin qui était parfait, le vin idéal au moment idéal.

Les desserts sont merveilleux, le mien à base de thé et de café. Ce qu’il convient de signaler, c’est le service qui est certainement le premier de Paris. Jamais nous n’avons manqué de vin alors que le sommelier ne rajoutait que de petites quantités dans nos verres. Les maîtres d’hôtel sont attentifs. La plus grande surprise, pour ceux qui ont l’habitude de me lire, c’est de tomber sur une espèce de maîtres d’hôtel en voie de disparition, ceux qui regardent ce qui se passe autour d’eux. Ce service fut un moment d’enchantement.

Nous avons fini par la visite des caves qui s’est dépouillée des sons et lumières d’antan. Tomo a pu parler japonais avec le gardien de ce temple impressionnant. Il y a eu deux vedettes lors de ce dîner : un Musigny de Vogüé éblouissant d’émotion et de plénitude, et un service de rêve. Au moment où s’élisait le Pape qui porte mon prénom, nous fumes sur un nuage de félicité.

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Dîner avec Vega Sicilia Unico 1989 dimanche, 10 mars 2013

Dîner chez des amis dans le sud. L’apéritif se prend sur des petits poissons fumés, une crème au petits pois et poivre rouge du Cambodge rapporté directement par mon ami, et de délicieux toasts aux oursins. C’est un Champagne Laurent Perrier sans année que je trouve très agréable jouant de façon juste sur une partition discrète faite de délicatesse.

Sur des huîtres puis une dorade cuite en papillote, le Champagne Cristal Roederer 2004 est merveilleux de complexité. Contrairement au Krug 2000 bu récemment dont on pense qu’on l’ouvre trop tôt, ce champagne plus jeune est d’une sérénité qui désarçonne. On ne se pose pas la question de savoir si on le boit trop tôt, car il est parfait tel qu’il est, épanoui et très complexe. C’est un grand champagne.

J’ai apporté aussi Vega Sicilia Unico 1989. Les amis se souviennent qu’ils ont un vin de 1989 et proposent de l’ouvrir. C’est Côtes de Provence Tibouren Clos Cibonne rouge 1989. Ce vin à la couleur déjà tuilée est passé. Il est dévié, l’alcool masquant un message non clair. Il n’y aura pas de compétition avec le sublime vin espagnol, à la couleur très foncée, au nez fort, qui donne en bouche un concert d’anis de fenouil, de menthe et de céleri. Le côté végétal est synonyme de fraîcheur et le lourd fruit noir apporte de la richesse. Je suis en admiration devant ce vin opulent, profond, intense et de grande fraîcheur. Il paraît indestructible.

Nous étions tellement heureux de nous revoir que les discussions ont continué tard dans la nuit.

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on note la face du bouchon qui est très inclinée par rapport à l’axe vertical

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Déjeuner au restaurant Michel Rostang jeudi, 7 mars 2013

Déjeuner au restaurant Michel Rostang. L’accueil est souriant et motivé. Je me sens en pays d’amitié. La carte des vins est imposante et riche. Avec Alain Ronzatti le sommelier, je discute des choix possibles. Mon choix final est approuvé. Lorsque mon invitée arrive, le vin est déjà ouvert et j’ai pu profiter de petits snacks à la sardine absolument délicieux. J’ai même fait le menu qu’elle approuve. Ce sera pommes de terre rattes chaudes à la truffe puis pigeon avec une purée à la truffe. La cuisine est chaleureuse et gourmande, on se sent bien. Le Chambertin Armand Rousseau 2007 joue sur la délicatesse et la subtilité. Comme il est bien fait, on en profite avec joie. Je savais qu’en prenant un 2007, tout allait se jouer en dentelle, j’étais prévenu. Mais j’ai quand même regretté un petit manque de corps. La remarque est à la marge, car boire un vin d’Armand Rousseau, avec une complexité et des arômes remarquables, c’est toujours un moment de grand bonheur. Le repas de qualité est un régal.

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La Dame de Pic à Paris mercredi, 6 mars 2013

Jonathan, ami français vivant en Australie est de passage en France. Nous le retrouvons, ma femme et moi au restaurant La Dame de Pic avec sa ravissante fiancée et une amie néozélandaise qui est cuisinière de son état. La décoration du lieu est très délicate et féminine. C’est très réussi. Les cartes des menus sont présentées comme des cartes à jouer, dame de pic oblige. Les menus sont conçus d’après des impressions olfactives que l’on peut figurer en sentant des petits cartons parfumés comme ceux que l’on trouve dans des parfumeries. J’avoue qu’en sentant ces cartons, ce n’est pas très convaincant. Nous sommes une majorité à prendre le menu de truffes, intitulé ainsi : les berlingots, chèvre frais, truffe noire, menthe et asperges vertes de Mallemort / les rougets de Méditerranée, safran, truffe, café Blue Mountain / la poularde de Bresse, fine farce à la truffe noire et foie gras légèrement fumé / le brie de Meaux truffé / la bière et le caramel, blanc mousseux à la truffe noire et cazette.

La carte des vins n’est pas facile d’emploi, car les cartes sont rivetées et doivent pivoter pour qu’on puisse les lire. Le choix est assez faible, avec une grande diversité de prix, parfois chers. Le Champagne Krug 2000 dont j’ai senti un court instant que le maître d’hôtel, qui a connu mes goûts en un autre endroit, voulait me déconseiller, est vraiment trop vert. C’est un Krug bien sûr, mais qui mange l’intérieur des joues. Il sera beaucoup plus rond sur la nourriture et notamment le délicieux et original plat de raviolis en berlingots.

L’Y d’Yquem 2008 est charmant. Il est lui aussi très vert, mais on lui pardonne, car il raconte des choses. Il est dans la jeunesse mais une jeunesse qui parle. Il est gastronomique. J’aime beaucoup sa sérénité aromatiques faite de citron vert et de fruits blancs.

Le vin phare du repas, c’est le Domaine de Trévallon 2009. Ce vin a tout pour lui, l’aisance, la joie de vivre, la plénitude d’un fruit magistral. Ce vin n’est que de plaisir et ne se pose pas de question, on en jouit. Le buvons nous trop tôt dans sa jeunesse, la question n’a pas d’intérêt car il est parfait comme cela. Il est délicieux avec le rouget, riche avec la poularde. C’est la vedette de ce dîner.

Que dire du restaurant ? J’avoue que je suis embarrassé pour exprimer un avis pertinent. Les menus se présentent de façon compliquée, comme les beurres que l’on peut tartiner sur des pains différents. Trop de complexité, c’est trop. Le service est prévenant, parfait lorsqu’on donne à choisir les verres pour le champagne, parfois pesant et parfois imparfait tant les serveurs sont capables de déambuler sans jamais regarder ce qui se passe autour d’eux. On peut cependant dire qu’il y a une grande motivation à bien faire. La cuisine est d’une grande dextérité et d’un haut niveau technique, mais ma poularde était trop lourde et saturante. Les deux plus beaux plats sont les raviolis très originaux et le dessert lui aussi original et bien exécuté. Si je suis embarrassé, c’est qu’il est difficile de juger un chef trois étoiles qui ne veut pas faire du trois étoiles. On est donc un peu en porte-à-faux. Ce restaurant est indéniablement agréable par son atmosphère, par la qualité d’exécution de la cuisine qui trouvera ses adeptes. Mais quand on connaît l’original, on a du mal à positionner la variante qui a visé plus bas. Ce que je recommande en tout cas, c’est d’en faire l’essai, car mon attitude vis-à-vis de ce restaurant est trop lié à l’admiration que je porte à Anne-Sophie Pic. J’ai eu beaucoup de mal à admettre quand Joël Robuchon ne faisait pas du Robuchon pur jus. J’ai aussi un peu de mal quand Anne-Sophie Pic ne fait pas du ASP pur jus. Ce sentiment n’appartient qu’à moi. D’autres gourmets n’auront pas les mêmes réactions. Qu’ils en fassent l’essai !

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Dîner de vins anciens au restaurant Garance mardi, 26 février 2013

Mon ami Tomo continue de promener son groupe de japonais dans tous les restaurants de la capitale. Le dernier dîner de leur séjour sera au restaurant Garance et Tomo me demande de me joindre à eux. Tous les vins seront de la cave du restaurant ou de la cave de Tomo. Nous serons neuf car trois japonaises viennent grossir le contingent que nous formions au restaurant Taillevent il y a peu de jours. L’une est sommelière dans un restaurant de Sens, une autre est journaliste et conseillère en communication à Paris et à Tokyo et la troisième est l’attachée de presse du restaurateur de Tokyo. Je serai le seul non japonais de la table.

Nous commençons, sur la suggestion de Guillaume Muller par le Champagne Cuvée 736 Jacquesson extra-brut. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que ce champagne n’est pas dosé. Il est en effet assez abrupt, mais j’aime beaucoup sa personnalité affirmée. Il est jeune et très judicieusement, de fines tranches de magret bien grasses atténuent sa fougue.

Le moment est venu de goûter deux champagnes assez exceptionnels. Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1966 explose en bouche d’arômes innombrables, comme les gigantesques boules d’un feu d’artifice. On dirait un bouquet tout rond de saveurs infinies. La sommelière évoque le bonbon au miel et c’est très vrai. J’y ajoute le picotement du poivre et un bouquet de fruits exotiques. Alors que le Moët 1966 est tout en rondeur, le Champagne Dom Pérignon 1966 est tout en profondeur. Très riche, lourd de sens, il laisse une trace en bouche qui est comme un sillon de bonheur. Ce champagne est beaucoup grand que le Moët mais ne lui fait pas ombrage. Les deux sont délicieux, très différents, le Moët dans des notes très colorées et généreuses, le Dom Pérignon dans la profondeur, dans la noblesse et l’élégance. J’ai toujours eu un amour particulier pour Dom Pérignon 1966. Celui-ci est brillant et c’est sans doute le plus sérieux de ceux que j’ai bus. Avec le Brut Impérial, je me demande toujours comment fait Moët pour réussir des vins de cette richesse. La matière de ces deux champagnes est beaucoup plus brillante que celle du Jacquesson.

Sur la brioche à la crème, le Moët est à son aise et sur des dés de veau cru au raifort, le Dom Pérignon est parfait. Lorsque l’on prend avec du pain la sauce au parmesan, l’accord avec le Moët est diabolique.

Le Château Mouton d’Armailhacq 1934 est bien fatigué. Il expose une acidité assez prégnante qui gêne le plaisir. Le lieu jaune, absolument divin arrive à le réveiller et comme j’ai la chance qu’on me serve le fond de la bouteille je peux prendre conscience de la richesse de trame de ce vin car l’acidité n’a pas touché la lie, riche et truffée.

Lorsque j’étais arrivé, Tomo était en train de se battre avec le bouchon du Château Montrose 1959. J’ai pris les choses en main, car j’adore ça, pour sortir le bouchon tout déchiqueté sans qu’aucune brisure ne tombe dans le liquide. Tomo était peu optimiste pour ce vin et il a tort, car c’est un très beau Montrose, peut-être légèrement coincé et un peu simplifié, mais c’est un vin plaisant, riche au message très droit. Je l’ai beaucoup aimé. Le lieu jaune s’accorde à merveille avec ce vin. C’est le plus beau plat du dîner.

Le Musigny domaine Comte Georges de Vogüé 1967 est d’une couleur d’un rose fané. Le vin est un peu trouble. En bouche, on a un vin qui n’est pas désagréable, mais qui n’est pas ce que peut donner le domaine de Vogüé. Alors, on est un peu déçu.

Fort heureusement, le Musigny domaine Jacques Prieur 1967 rattrape la mise. Au nez et à l’attaque en bouche, il a des accents de vins de la Romanée Conti. C’est à cause de sa trace saline. Résolument bourguignon, ce vin me plait beaucoup. Il est de 1967, ce qui limite un peu sa puissance. Mais il est plaisant. Sur l’agneau servi en deux services les deux vins se comportent bien, surtout sur la première partie.

Tomo me demande la couleur du vin que j’aimerais goûter maintenant. J’aimerais bien un vin rouge charnu. Le vin est goûté à l’aveugle et je me trompe de région, car ce vin très équilibré, sans aspérité apparente pourrait provenir de plusieurs régions. J’ai eu en tête Haut-Brion mais c’est en fait un Chateauneuf-du-Pape Henri Bonneau Cuvée Spéciale 1998. Il n’y a eu que 2.200 bouteilles de cette cuvée dont Tomo me dit qu’elle n’a été faite qu’en 1990 et 1998. Le vin est opulent, d’un équilibre rare. On a du mal à le cerner, tant tout est intégré, lissé, policé. C’est un beau grand vin surprenant. Je l’aime beaucoup. Nous le buvons sur une tomme de Savoie un peu forte pour lui.

Nous finissons notre parcours avec un Château Rieussec 1958 à la magnifique couleur, agréable, mais qui demanderait à s’étoffer de quelques heures d’aération avant de le déguster.

Le service est amical et attentionné, les plats sont d’une grande justesse. Si l’agneau en deux services est un régal, la deuxième partie étant d’une gourmandise rare, c’est le lieu jaune que j’ai trouvé le plus raffiné. La palme à l’innovation vient de la viande crue au raifort avec la crème de parmesan. C’est une belle idée. La bouteille qui émerge, et de loin, est le Dom Pérignon 1966 magnifique, suivie du vin d’Henri Bonneau 1998 et du Moët 1966.

Tous les vins n’étaient pas parfaits, mais ce qui compte c’est le voyage que nous avons faits dans le temps, avec des convives attentifs, dans une ambiance multilingue joyeuse. Merci Tomo.

 

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Déjeuner au restaurant Laurent avec un Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau vendredi, 22 février 2013

Déjeuner au restaurant Laurent. C’est rare que je prenne des vins de la carte puisque le plus souvent, grâce à la gentillesse de Philippe Bourguignon, j’apporte mes vins. Ayant le temps de regarder la carte, je peux voir comment les vins de certains domaines disparaissent de la carte. Ainsi, pour les plus emblématiques domaines de Bourgogne on trouve de 2009 à 2006. Et après, tout a été asséché. C’est évidemment dommage car c’est après que les vins seraient les meilleurs. Et cela tient à deux choses : il est coûteux de garder des caves « longues », et les prix du restaurant étant sages, les amateurs n’ont pas de frein pour commettre des infanticides. Hélas, mais pour mon plus grand plaisir, je serai de ce camp-là, en choisissant un Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006.

Le nez de ce vin est prometteur des plus belles complexités. On ne s’arrêterait pas de n’en saisir que les parfums. Le nez évoque une belle tenture de velours que l’on expose à un chaud soleil. Il est capiteux, poivré, complexe. On se complait d’imaginer les saveurs, sans y goûter.

Les plats choisis pour ce vin sont le cabillaud et les pieds de porc. Le côté salin du cabillaud met bien en valeur le salin bourguignon du vin alors que le pied de porc cultive son opulence. Ce vin est riche, mais a une belle fraîcheur, si bien que la première image qui me vient est celle de l’eau tranquille d’un ruisseau qui vient d’être agité par une petite bise. Le vin est frais, marqué d’un beau fruit rouge et noir, et d’une belle trace de poivre. Ce qui est enthousiasmant, c’est que le message n’en finit pas. Alors que la gorgée vient d’être avalée, elle continue de chanter dans le palais. Ce vin, c’est un tapis volant, c’est mille et une nuits de saveurs. Si les vins de Rousseau plus chenus ont une assise plus ferme, on a ici la folle insouciance de la jeunesse. C’est un vin qui ne finit jamais de complexifier son message, ajoutant saveur sur saveur. Dans la jeunesse, c’est un vin plein d’énergie mais aussi de douceur, vin raffiné dans la séduction et le plaisir. Un grand moment sur une cuisine raffinée.