Archives de catégorie : dîners ou repas privés

fin du monde plus deux, Noël moins un dimanche, 23 décembre 2012

Nous approchons de Noël, fête qui rassemble les familles. Nous recevons deux de nos petits-enfants, cornes d’abondance de fraîcheur et d’innocence. Leurs parents veulent les récupérer la veille de Noël, à l’heure du déjeuner. Comme il serait étonnant que l’on mange frugal, dès dix heures, j’ouvre un vin que je veux proposer à l’aveugle à mon gendre, car j’ai ma petite idée en tête. Contre toute attente, le bouchon collé au verre ne veut pas sortir et s’arrache par la force du tirebouchon. Trop épais, il n’a pas évité d’être noyé de vin. Une partie est imbibée et j’ai peur que cela ait une influence. A l’odeur, il n’en est rien. Au contraire, le vin est d’un parfum d’une délicatesse envoûtante.

Les parents arrivent et c’est l’heure du Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1996. Le dernier que j’avais bu avait un peu de fumé et de réduction. Celui-ci est d’une pureté exemplaire. C’est un beau et grand champagne, très académique, sur une base de vins de grande valeur.

Le vin que je fais découvrir à l’aveugle à mon gendre apporte la démonstration que je voulais faire : jamais on ne penserait à une petite année. C’est Pétrus 1992 dont le parfum est la plus belle carte de visite. Jamais personne ne pourrait dire qu’une telle puissance aromatique vient d’une année comme 1992.En bouche, le vin est plein, très tannique, et évoque la truffe parmi ses saveurs. Comme souvent, on peut remarquer que s’il apparaissait à côté d’un Pétrus d’une très grande années, on verrait qu’il a des limites. Mais là, seul vin rouge du repas, il fait apprécier la finesse de sa trame, et sa richesse. C’est sur la longueur que le vin révèle l’année naguère jugée faible. Avec un brie à la truffe, nous sommes revenus au champagne et nous avons pu constater encore plus la beauté du vin de base de ce grand champagne. Ce Noël avant l’heure démarre bien.

 

 

 

déjeuner au restaurant la Tante Marguerite vendredi, 21 décembre 2012

Notre club 2043 est comme la langue française : une règle ne peut se concevoir que s’il y a des exceptions. Olivier est l’exception puisque c’est le seul à ne pas avoir notre âge. Il est en charge du déjeuner. Le restaurant est la Tante Marguerite du groupe Loiseau. Nous sommes dans une petite salle privée où l’acoustique rend difficile les discussions de groupe. Le bruit isole au lieu de rassembler. L’apéritif est un Champagne Deutz brut rosé sans année qui manque franchement d’inspiration. Avec l’accord de l’invitant je cherche dans la carte des vins où curieusement Deutz jouit d’un monopole. Il y a un Champagne Amour de Deutz blanc de blancs 2003 qui attire mon regard. C’est une bonne pioche, car il y a une vibration qui fait un saut qualitatif majeur par rapport au rosé. C’est un très beau champagne.

Le menu préparé pour notre table est : carpaccio de dorade marinée, compotée d’oignon au curry de Madras, ananas et citron vert / quasi de veau rôti, frite de panisse, oignon rouge au balsamique et navet glacé au jus / assiette de fromages affinés /paris-brest au praliné.

Le Meursault d’Alain Gras 2009, simple meursault, est extrêmement plaisant car il est très pur et authentique. Il se marie bien à la dorade goûteuse. Le Nuits-Saint-Georges Clos de la Maréchale Jacques-Frédéric Mugnier 2009 est une merveille de délicatesse. J’adore ce domaine élégant et ce vin en est la preuve. La deuxième bouteille du même vin va nous réserver une grande surprise. Autant le premier est subtil et délicat, autant le second est tannique et d’un lourd alcool. Comment deux bouteilles du même lot, qui ont partagé les mêmes caves aux mêmes moments peuvent-elles être si dissemblables ? C’est un des mystères du vin. Avec le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 2004 on monte une nouvelle marche sur le chemin de l’excellence. Bien que le millésime 2004 ne soit pas l’un des plus grands, ce vin montre des qualités exceptionnelles. Tout en lui est excellent. Il est subtil, complexe et généreux, vin de grand plaisir raffiné. Nous étions d’humeur gourmande, aussi ce vin a été de nouveau doublé, sans qu’il y ait la moindre différence gustative pour celui-ci. Ce vin est un plaisir de chaque gorgée.

Notre repas s’est conclu sur un excellent Champagne Cuvée William Deutz 1999 à la personnalité très affirmée, goûteux et de grande empreinte.

La cuisine de ce restaurant est fort agréable sur un registre traditionnel. Le sommelier a bien accompagné notre voyage avec de grands vins. Notre petite confrérie a terminé son année 2012 sur un beau repas de fête.

Dîner au restaurant Lasserre mardi, 4 décembre 2012

Entrer au restaurant Lasserre, c’est arrêter la pendule aux années cinquante. L’accueil est chaleureux. Nos amis prennent une coupe de champagne dans le petit salon du rez-de-chaussée. Nous prenons l’ascenseur piloté par un groom en livrée rouge, et dans la salle les maîtres d’hôtel sont en habit. Une pianiste asiatique joue discrètement des standards, créant une atmosphère d’hôtel des années trente. Inutile de dire que j’aime beaucoup cette vision surannée du luxe. Antoine Pétrus ajoute sa touche de jeunesse qui sied bien au lieu. On se sent bien.

Avec Antoine nous décidons de garder deux des vins que je viens d’apporter et nous commençons par le Champagne Agrapart Terroirs Blanc de Blancs Extra Brut sans année d’Avize. Ce champagne est d’une grande personnalité. Sa tension, sa vivacité n’excluent le charme et l’équilibre.

Nous passons commande et compte tenu des vins il paraît assez évident de prendre le macaroni, truffe noire et foie de canard, suivi du lièvre de Picardie, le filet juste pané, poivre / genièvre, la panoufle à la Périgourdine. Le Château de Pibarnon Bandol 2007 réagit de façon admirable au macaroni à la truffe. Il est charmant, enveloppeur, de grande séduction poivrée et truffée. L’accord est un bonheur et le plat divinement dosé. Le Clos des Fées Hervé Bizeul 2010 est d’une grande puissance. Il est un peu envahissant, mais il est domestiqué par le lièvre. Et la respiration que j’avais trouvée avec le céleri qui était un appel à reprendre du chevreuil, dans l’Atelier Gourmet du Grand Tasting, je le retrouve ici avec la panoufle, qui apaise le palais et redonne envie de reprendre du lièvre et du vin. On aurait dit que j’avais choisi précisément ces vins pour coller idéalement avec ces deux plats.

Mon ami prend les crêpes flambées qui sont préparées avec le cérémonial d’antan par un maître d’hôtel en habit et en gants blancs. Nous finissons le champagne délicieux.

Lorsque nous quittons l’ascenseur, nous félicitons Christophe Moret qui a réalisé deux plats de grande saveur, d’un beau classicisme et d’une belle réalisation.

les crèpes flambées à l’ancienne

déjeuner au Yacht Club de France samedi, 17 novembre 2012

Notre club 2043 se réunit une fois de plus dans une salle à manger du Yacht Club de France. Le directeur nous fait choisir des champagnes présentés dans un ample seau glacé. Nous commençons par un Champagne Pierre Mignon Cuvée de Madame 2005 bien agréable à boire. Il est lisible, sans histoire et confortable. Je lui préfère le Champagne Pierre Mignon Grand Cru Harmonie de Blancs 2004 qui a plus de tension et de vivacité.

Le menu mis au point par Thierry Le Luc, le gérant des lieux : lasagnes imprimées d’herbes, médaillons de langouste, queues de langoustines aux jeunes légumes arrosés d’un jus de crustacés / filet de bœuf français, foie gras poêlé, courgette jaune / fromages affinés / charlotte au chocolat et fraises et framboises.

L’ami qui invite a choisi un bon Pouilly-Fuissé dont je n’ai pas retenu le nom. Le Château Talbot 1998 m’impressionne par sa densité. Il a une trame riche, et emplit la bouche goulument. Il va bien avec la viande. Le Château Lynch Bages 1997 est plus en douceur, subtil, et se marie bien aux fromages. Un Champagne Billecart-Salmon Brut réserve accompagne le dessert. A ce moment du repas, il est un peu linéaire et sans grande vibration. Il faut le goûter dans d’autres conditions.

Un saut dans l’inconnu qui se révèle un sacré coup de chance vendredi, 16 novembre 2012

Souvent, je reçois des messages d’amateurs qui me parlent de leurs collections. Un collectionneur de verreries de bouteilles anciennes me contacte. Il est allé dans un château en Bretagne pour prendre livraison d’une grande quantité de bouteilles vides très anciennes, certaines étant du 17ème siècle. A sa grande surprise il a vu des bouteilles pleines, majoritairement du 19ème siècle, avec une ou deux, ici ou là du 18ème siècle. Au sein de ces lots, plusieurs alcools très anciens et surtout, des muscats de Joseph Nadal à Port-Vendres. Il les date du milieu de la deuxième moitié du 19ème siècle. Il me dit qu’il a l’intention d’en ouvrir un lors d’un dîner, en compagnie des descendants de Joseph Nadal. Par ailleurs, il regroupera des amis et un vigneron et compte bien que je vienne.

 

L’ayant entendu me citer des vins d’Alicante, de Ténériffe, des Marsala, des Samos, des liqueurs de cidre et autres raretés, alors que je ne connais personne de la future tablée, que je ne connais pas celui qui me convie, je décide d’aller à Tours pour un saut dans l’inconnu.

 

Emmanuel habite une jolie maison du 18ème siècle dans le centre de Tours. Dans toutes les pièces que je peux visiter, il y a des bouteilles magnifiques, aux verres de couleurs profondes, aux formes d’une grande beauté. Emmanuel s’y connait en verreries anciennes. Nous allons naturellement dans sa cave à vins où l’on retrouve aussi de belles bouteilles vides, mais mon œil est attiré par de magnifiques bouteilles pleines anciennes. 1882, 1846, 1837 et bien d’autres années. Le marquage a été fait à la main sur d’anciennes petites étiquettes d’écolier. Nous discutons quantité et prix, nous mirons les vins à la lumière et nous tombons d’accord. Je choisis dix bouteilles toutes différentes au sein de ses lots.

 

Les autres participants arrivent, Paul Nadal et son fils Lionel qui viennent pour goûter le muscat de leur ancêtre, Michel, un collectionneur de vins assez exceptionnel, qui a commencé à acheter aux domaines dès 1953 et possède aujourd’hui des allocations qui feraient pâlir d’envie tous les amateurs de vins, dont moi.

 

Nous partons au restaurant Olivier Arlot La Chancelière à Montbazon. Olivier n’est pas là, mais son prédécesseur toujours présent, chef de l’ancienne gestion avant qu’il ne reprenne, va nous exécuter un menu dont certains plats valent sans hésiter deux étoiles au guide rouge. Nous sommes neuf, Emmanuel et un de ses amis, Michel le collectionneur; Philippe Foreau, vigneron du Clos Naudin et son fils ainsi qu’un ami, les deux Nadal et moi. Chacun des apporteurs de vins, l’un après l’autre, montre en catimini ses vins à David le sommelier pour qu’il sache le moment de l’apparition de chacun des vins et les exigences d’ouverture. Car ce soir, on boira à l’aveugle, puisqu’Emmanuel et ses amis aiment déguster ainsi. J’ouvre mes vins au vu et au su de tout le monde, car je veux montrer ma méthode, dont je suis fier, d’ouverture des vins anciens. Emmanuel me dit : « puisque tu es si malin, si tu arrives à sortir entier le bouchon du muscat Nadal, je t’en offre une bouteille, parce que pour celles que j’ai ouvertes, le bouchon est chaque fois sorti en charpie ». Nous topons, et excité par le challenge, je m’applique plus que de coutume et sors le bouchon entier. Le lendemain matin, Emmanuel a honoré son pari.

 

Le menu concocté par Olivier Arlot, Philippe Foreau et Emmanuel est : amuse-bouche, foie gras sel et poivre / huître de Cancale de quatre façons : en raviole et bouillon champagne, frite sur chair de tourteau et yuzu, en coquille, crème échalote et raifort, enfin son eau en granité et citron caviar / soupe Miso à notre façon, foie gras et pigeon / noix de Saint-Jacques, topinambour, truffe blanche d’Alba / sandre confit au beurre, sauce diable / râble de lièvre, salsifis rôtis, béarnaise du Piémont, jus d’un civet / faisselle de chèvre frais, poires, vinaigre d’hydromel / macaron, crème de marron et clémentine / mi-cuit chocolat, fève tonka, sorbet cacao, bergamote.

 

Nous allons commencer par le Muscat Vieux Joseph Nadal à Port-Vendres vers 1870 sur le foie gras. J’ai envie d’associer l’un de mes deux vins, d’une bouteille qu’Emmanuel date vers 1880, de la forme d’une vieille bouteille de bière. David le sommelier me fait goûter et il m’apparaît instantanément que mon vin serait écrasé par la perfection du muscat. Je retarde donc le service de mon vin et le muscat sera seul. La bouteille est lourdement chemisée d’un dépôt noir épais. Dans le verre, la couleur du muscat est d’un abricot gorgé de soleil. Cette couleur est magnifique. Le nez l’est tout autant. En bouche on ressent l’orange, le menthol, l’alcool. Le vin muté est fort, épais, très pâte de fruit. Le final est très frais. C’est un très grand vin et les deux Nadal sont émus. Le vin est fait de muscat d’Alexandrie, d’une période entre 1850 et 1880 selon eux. L’accord avec le foie gras est superbe.

 

Les vins vont être bus à l’aveugle. Le premier blanc sec est très beau, minéral, de grande longueur et de bel équilibre. C’est un Chablis 1er Cru Séchet Dauvissat 2001 au nez superbe et très pur, déjà très mûr. Le second a un nez moins agréable, mais en bouche, il a beaucoup de gras et d’ampleur. On sent le miel. C’est Chablis Grand Cru les Preuses Dauvissat 1995 de moindre longueur que le Séchet. Le « Preuses » s’accorde très bien à l’huître au raifort, ce qui ne paraissait pas évident.

 

La soupe Miso est une merveille absolue et le troisième vin a un parfum qui est la copie conforme du parfum de la soupe. Le vin est gourmand. Il a du fumé, il est chaleureux. C’est un Vouvray demi-sec Foreau Clos Naudin 1995. Je l’aurais estimé beaucoup plus ancien. C’est un très beau vin.

 

Le quatrième blanc sent la truffe, parce que le plat a de la truffe blanche. Le cinquième est beaucoup plus strict mais forme un accord divin avec le plat de coquilles. Le 4ème est gourmand, le 5ème est plus strict, plus tendu. Le 4ème est Pouilly Fuissé Tête de Cru Mme Ferret 1996. Il est de belle complexité aromatique, avec un goût de pierre à feu influencé par la truffe blanche. Le cinquième est un Vouvray sec Foreau Clos Naudin 1996. Il a beaucoup de profondeur. Il est très pur et très précis. Le vouvray est plus « marin », avec un final superbe.

 

Le nez du 6ème est camphré cependant que pour Emmanuel, le nez du 7ème est celui des cierges d’église et de la cire des bancs d’église. L’ami de Philippe Foreau est celui qui trouve le mieux les vins. Il reconnaît dans le 6ème le Riesling Clos Saint Hune Trimbach 2002. Mais j’avoue que les dégustations à l’aveugle me rendront toujours perplexe, quand l’un des convives affirme urbi et orbi que le 7ème est un riesling alors qu’il s’agit d’un merveilleux Château Grillet 2003, superbe, brillant fumé et très long, un vin qui m’avait fait dire : « ah, ça, c’est grand », car je n’allais pas hasarder un cépage que je ne reconnaissais pas. Le Sainte Hune est puissant et n’a pas beaucoup de longueur. Le Grillet est un pur régal sur le sandre divinement cuit, dont la sauce diable n’est pas l’amie des vins.

 

Pour le râble de lièvre tendre mais pas assez gibier à mon goût, il y a quatre vins alignés, et dès les premiers parfums, on sent que ça tape fort. Le premier a un nez à se damner et je suis le premier à dire domaine de la Romanée Conti. Je ne suis pas peu fier, car jusqu’à présent, j’ai observé un certain mutisme vis-à-vis des blancs. Ce vin a un nez à mourir tant il est profond. La bouche est moins conquérante, plus mesurée mais aux saveurs bien précises, où l’on a du fumé, feu de cheminée, de la truffe, mais aussi la signature de rose et de salin. Très représentatif du domaine avec un esprit très strict, très serré, il a une longueur infinie. C’est une très grande bouteille. C’est La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971.

 

Le second vin est puissant riche, d’une trame serrée. Je hasarde Palmer 1964, car Palmer est un fonceur sur cette année mais Michel, le donateur de La Tâche et de cette bouteille m’arrête et dit : c’est Pétrus 1971. Emmanuel saute en l’air comme s’il avait gagné le gros lot. C’est son premier Pétrus et il l’adore. Et alors, voici un moment comme je les adore. La bouteille de Pétrus a une étiquette rongée par l’humidité et le millésime est invisible. Le sommelier arrive avec le bouchon et dit : « je suis désolé, ce n’est pas 1971, mais 1969 ». A ce moment, je sursaute, car une telle puissance est incompatible avec l’année 1969. Emmanuel prend le bouchon en mains, me le montre et il est évident que c’est 1959. Nous buvons Pétrus 1959. Le vin est grand et si je me suis trompé de rive, c’est que ce vin n’est pas un exemple significatif de la rive droite. Sa puissance, sa truffe, le mettent hors compétition. Celui que je bois n’est pas le plus puissant des Pétrus 1959 que j’ai récemment bus en bouteille et en magnum. Le parfum du vin est intense et c’est avec le jus de civet que l’accord se trouve le mieux.

 

Notre attention est tellement prise que l’on en oublierait presque un vin très subtil, le Pommard Rugiens Domaine de Montille 1985, d’autant qu’il a un léger problème – mais vraiment à la marge – qui pourrait venir du bouchon. Le quatrième est bizarre, perlant, presque trop vert. C’est un Vosne Romanée aux Brûlées domaine Méo Camuzet 2004, beaucoup trop jeune dans cette série.

 

Le Château d’Arche Pugneau Sauternes 1921 que j’ai apporté, d’une bouteille au niveau impeccable, a une couleur d’un ambre doré très jolie, plus foncée que celle du muscat mais tout aussi dorée. J’aime beaucoup son parfum et ses agrumes, même si le vin est un peu court. Son botrytis est bien présent même si le vin est un peu sec. Bien sûr, comme nous sommes sur les terres de Vouvray, les autochtones sont volontiers critiques avec lui. A côté un sauternes plus jeune qui sent la térébenthine n’a pas la complexité du 1921 mais a de la fraîcheur, c’est Château Suduiraut 1988 qui mériterait de vieillir encore longtemps.

 

Je suis le plus mauvais ambassadeur de ma bouteille ancienne, d’un verre presque noir empêchant de voir la couleur du liquide. Cette bouteille est du même lot de bouteilles disparates de la seconde moitié du 19ème siècle que j’avais achetées, et dont j’avais ouvert un exemplaire lorsque j’étais allé goûter la bouteille de 1690 chez un rennais. C’était un délicieux madère. Là, le vin est effacé, fade, n’a pas de joie de vivre. Je le dis à mes amis d’un soir et c’est celui qui trouve tout qui me contredit. Ce vin est un xérès. Attendant un madère, j’étais loin du compte. Et en le buvant en pensant xérès, le jugement change complètement sur ce – disons – Xérès 1870 #. L’ami si expert dit : « ce vin est excellent détrompez-vous ». Mais, marqué par mon analyse première en forme de contresens, je n’ai pas eu le plaisir que j’aurais pu avoir.

 

Si je devais classer les vins de ce soir, ce serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971, 2 – Château Grillet 2003, 3 – Pétrus 1959, 4 – Vouvray demi-sec Foreau Clos Naudin 1995. Le muscat est hors catégorie car non comparable aux autres vins.

 

La cuisine a été sur deux plats à la hauteur de deux étoiles, la soupe Miso et les noix de Saint-Jacques. Le service attentionné et intelligent font ce cette table un site qui « mérite le détour ». La générosité de Michel le collectionneur et de Philippe le vigneron, l’ambiance chaleureuse créée par et autour d’Emmanuel ont fait de cette soirée une soirée mémorable. Je venais dans l’inconnu et j’ai eu en retour beaucoup plus que je ne l’espérais.

 

Le lendemain, venant chez Emmanuel pour prendre les bouteilles que j’avais achetées, il a ajouté le prix de son pari plus deux bouteilles pleines ou presque pleines de vins du 18ème siècle. Décidément la chance sourit à ceux qui la provoquent.

 

 

J’aime cette photo d’une toute petite partie de la collection d’Emmanuel

 

 

la bouteille qui est le point de départ de ce dîner

 

 

les vins du dîner

 

 

 

 

 

 

 

le bouchon du Pétrus

 

 

 

 

 

Ouverture pré-officielle du restaurant de mon ami Tomo mardi, 6 novembre 2012

Tomo, le fidèle ami avec lequel j’ai bu deux Romanée Conti pour le film "les quatre saisons de la Romanée Conti" a enfin son restaurant. Débordé par les procédures et les formalités il a mis trois ans pour aboutir. L’ouverture officielle sera dans une quinzaine de jours, parce qu’il y a toujours de petites finitions de dernière minute, mais ce soir, l’équipe au complet œuvre en vraie grandeur avec tous les plats de la carte. Des amis de Guillaume, le directeur, sont venus et toutes les tables du restaurant sont prises. C’est l’ouverture non officielle mais effective du restaurant dont le nom pour l’instant sera Restaurant Tomo. J’indiquerai toutes les coordonnées lorsque Tomo me donnera le feu vert. Le restaurant est dans un quartier chic, à une adresse huppée, la façade est raffinée.

Quand on pousse la porte, la décoration élégante frappe d’emblée. Ardoise, bois et verre sont élégamment dosés. La cuisine est ouverte sur l’entrée et quatre cuisiniers dont Guillaume (l’autre Guillaume) est le chef. En montant l’escalier entre des parois d’ardoise, on peut jeter un œil sur une cave à vins toute en verre, qui plante le décor : Romanée Conti, Yquem, Screaming Eagle, Comtes Lafon, Henri Jayer. Ici, on ne rigole pas, il y a du lourd au programme. Heureusement il y a au sous-sol une autre cave aussi en verre, que l’on peut apercevoir du rez-de-chaussée, où des vins sont plus accessibles.

Je suis venu vers 18h30 pour ouvrir ma bouteille qui doit "marquer le coup" pour un événement si important dans la vie de Tomo. J’ai choisi Hermitage La Chapelle 1959, une rareté qu’il faut boire, puisque le niveau est à 5 ou 6 cm du bouchon. En voulant planter mon tirebouchon, le bouchon recule. J’essaie de le piquer, mais il bouge encore et finit par tomber. Je suis obligé de transvaser le liquide dans une autre bouteille. Le parfum me semble pur et n’a pas été affecté car le bouchon avait jusqu’à ce moment joué son rôle.

A 20 heures, Tomo et son épouse ainsi que la mienne me rejoignent à notre table. Une coupe de Champagne Billecart Salmon Brut sans année est désaltérante, mais ne m’inspire pas trop, car j’ai en tête l’anxiété du comportement futur de mon vin. Plutôt que des gougères, le chef a préparé une brioche que Guillaume découpe en petites tranches que nous pouvons tremper dans une sauce verte délicieuse. C’est original, goûteux, et se marie bien avec le champagne.

Nous choisissons nos plats. Pour moi ce sera : céleri cuit au four, lard, échalotes, moelle de bœuf / homard bleu, carotte, raifort / agneau en deux services, haricot de Soissons / coing glacé, butternut, marrons vanillés.

Tomo a apporté un Charlemagne Grand Cru Doudet-Naudin 1929 dont l’habillage est récent, car les étiquettes et leurs libellés sont modernes. A travers le verre, on peut voir que le vin est fortement ambré. Hélas, le parfum ranciote et le goût en bouche est définitivement madérisé. Le vin manque d’intérêt, car la madérisation étouffe toute autre saveur. Ce n’est pas désagréable, mais ce n’est pas ce que nous attendons. Le céleri est délicieux et se prend de sympathie pour le vin blanc. Le blanc étant mis de côté, l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1959 entre en scène plus tôt que prévu. Son nez est pur et respire la truffe. En bouche le vin est solidement charpenté, évoque une lourde truffe, mais on le sent monolithique, coincé dans une expression minimale. Le homard a un effet extraordinaire sur le vin. Il le rend plus long, plus aiguisé et lui permet de se réveiller. La chair du homard est très intense, comme je l’aime et le radis et le raifort l’excitent, mais alors il ne faut pas penser au vin. Seule la chair du homard joue un rôle curatif pour le vin.

Tomo fait ouvrir La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1980. Le parfum est la signature du domaine d’une façon inimitable. Sel et rose sont au rendez-vous. Mais le vin commence par n’être qu’un squelette d’un vin du domaine. Il a toutes les cartes d’identité et passeports du domaine, mais il manque de chair, d’ampleur, de joie de vivre.

Sur un agneau exceptionnellement bon, nous allons assister à un phénomène dont on pourrait penser qu’il a été voulu, mais qui est le fruit de la chance. La subtile sauce de la première partie de l’agneau donne le coup d’envoi d’une résurrection de La Tâche. Elle gagne en opulence, devient charnelle, et le vin est exactement ce que nous aimons de La Tâche, un vin qui interpelle, qui donne des signaux où l’amertume est subtile. Nous sommes en plein dans un accord de haute subtilité. Lorsque je dis que cet agneau est un plat de deux étoiles, Tomo me dit : "ce n’est pas ce que nous visons". Et lorsque plus tard j’irai féliciter le chef Guillaume en cuisine en lui parlant de deux étoiles il a la même réponse : "ce n’est pas ce que nous visons". Peut-être, peut-être, mais démarrer ainsi, c’est une sacrée promesse. Et la deuxième partie de la pièce qui se joue, c’est le deuxième service de l’agneau, plus caramélisé. Et là, c’est la consécration de l’Hermitage La Chapelle qui devient éblouissant. C’est un très grand vin, puissant, droit, direct, aux fruits rouges et noirs un peu passés, à la truffe bien dosée, qui plait par son équilibre et sa sérénité. Il a tout de son petit frère 1961, sauf le génie. A ce moment précis nous avons La Tâche 1980 qui est ce qu’elle doit être et l’Hermitage 1959 qui est ce qu’il doit être. Et c’est un moment de grâce. Nous avons eu peur, mais le temps et l’éclosion des vins nous ont apporté du bonheur.

Le dessert est délicieux et accompagné d’un vin de table de France Turbullent avec deux "L", Le Roc’ambulle qui titre 9° et tient un peu du cidre mais convient bien pour finir sur une légèreté.

Je brûlerais bien sûr de vous donner le nom et l’adresse de cet endroit où nous avons dîné de bien belle façon avec une cuisine précise, classique, magnifique pour les vins, couronnée par un agneau sublime. Mais je respecte le désir de Tomo. Il veut que tout soit prêt pour recevoir les réservations. Soyez prêts à réagir le jour venu, car voilà un lieu où l’on mange bien.

L’Axel à Fontainebleau, un grand restaurant dimanche, 4 novembre 2012

A Fontainebleau, Kunihisa Goto a créé avec son épouse le restaurant L’Axel. Nous sommes reçus par le joli sourire de la maîtresse des lieux. La décoration est sobre et très agréable, l’espace est bien géré. Tout semble réuni pour que nous passions une bonne soirée. Alors que Leslie Simonetto, jeune sommelière dynamique a conçu des accords mets et vins avec le chef, nous avons apporté des vins qui accompagneront, nous l’espérons, le menu dégustation.

En voici le programme : crème de cerfeuil et trompette de la mort, émulsion champignons / huître en salade de fruits exotiques, émulsion à la passion / salade de truffe de Bourgogne, mousse de pommes de terre et vieux comté, brioche à la truffe / Saint-Jacques d’Erquy en carpaccio, rémoulade de topinambour, caviar d’Aquitaine / œuf translucide, émulsion de truffe de Bourgogne, velouté de cèpes, toast de Pata Negra / bar doré sur peau, risotto de riz vénéré, consommé de seiche / pigeon rôti et cuisse confite, paille de pomme de terre et salsifis / fromages /gelée d’orange, coulis de litchi, mousse aux coquelicots de Nemours / salade de fruits exotiques, gelée à la passion, biscuit spéculoos, meringues et crème Dulcey.

Le Champagne Bollinger R.D.1996 est dans un état de grâce. On peut difficilement penser qu’il puisse devenir meilleur. Il est fort, son alcool se sent, il est complexe et ce qui me fascine, c’est sa faculté de se transformer au contact des saveurs qui lui sont associées. Avec le cerfeuil, il prend des poses de sénateur. Avec l’huître, il devient affuté comme le plus tranchant des couteaux. C’est un très beau champagne à la couleur déjà ambrée, parfait à ce stade de sa vie.

Le Château Haut-Brion blanc 1967 a une couleur très jeune. Même si l’ambré est légèrement doré, la couleur évoque la jeunesse. Le parfum de ce vin est envoûtant, très sensuel. En bouche c’est un vin accompli, de belle maturité, mais qui semble ne pas avoir d’âge. Il représente la beauté du vin blanc de Bordeaux, quand la complexité est quasi infinie, avec une acidité citronnée très ciselée et une longueur de bon aloi. Avec la salade de truffe, le vin est à son aise. Mais c’est sur la délicieuse coquille Saint-Jacques que le vin s’épanouit le mieux. Ses dernières gouttes brillent sur le bar cuit à la perfection.

Nous avions prévu de prendre un vin à la carte du restaurant. Cette carte est bien chiche, mais le lieu vient d’ouvrir. Elle s’étoffera. Ayant souvent entendu parler des vins de Priorat et n’en ayant jamais bu, j’ai envie d’essayer Embruix de Vall Llach Priorat Espagne 2003. Au moment où Leslie me sert pour le goûter, je n’ai qu’une envie, c’est de le refuser. Car ce vin qui titre 14,5°, c’est la force brutale. Il n’y a pas l’ombre d’une imagination dans ce vin rustre. Nous le buvons quand même, mais ce vin rustaud ne correspond en rien à la cuisine élégante du chef. On nous explique qu’il figurait en cave avant la reprise par l’équipe actuelle.

Pour les délicieux desserts, nous buvons un Château d’Yquem 1/2 bouteille 1997. La couleur est déjà très abricot. Le nez est riche. Le vin a un fort alcool et un sucre impérieux. Mais il est glorieusement agréable. C’est un guerrier qui réagit parfaitement aux subtilités des desserts. C’est certainement un Yquem qui sera immense dans vingt ans.

Kunihisa Goto est un chef au talent certain. Il respecte la cuisine française et ajoute sa patte en déclinant des subtilités qui parfois m’ont fait penser à Pascal Barbot. On sent que pour l’instant, il s’en tient à un certain classicisme. Lorsque le succès se confirmera – la salle était pleine ce soir – il pourra donner libre cours à une imagination plus débridée pour nous surprendre. Les plats les plus beaux sont le pigeon à la cuisson idéale, le bar délicieux cuit à la seconde près, les coquilles dont l’épaisseur est idéale. Les desserts sont gourmands.

Ce chef est talentueux, d’ailleurs reconnu comme l’un des chefs du futur dans une célèbre revue, son équipe crée une ambiance ouverte et accueillante. C’est une table où nous reviendrons sûrement.

dîner chez des amis avec Hill of Grace samedi, 3 novembre 2012

Nous nous rendons chez des amis. Elle est passionnée de cuisine et lui de vins. Le Champagne Cuvée Louise Pommery 1995 a un nez épanoui, solide et généreux. En bouche il est serein, de belle facture, très rassurant. De fines tranches d’andouille lui donnent de l’ampleur et des cannelés au chou-fleur et parmesan lui donnent de la longueur. On est bien avec ce champagne raffiné. Son bouchon est curieusement petit et déjà chevillé. Il faut sans doute boire vite ce champagne s’il ne s’agit pas d’une exception, car même si la longévité du vin est loin d’être entamée, il faut éviter des dégradations possibles.

Sur une crème aux châtaignes et écrevisses, le Château Mont-Redon Blanc de Blancs Chateauneuf-du-Pape 2002 servi très froid n’a pas le moindre parfum, ce qui est étrange. En bouche il est plat, mais c’est le froid qui en est la cause, car il va progressivement s’épanouir pour devenir un aimable Chateauneuf-du-Pape. Mais c’est bien tard.

Sans connaître le programme de mon ami, j’ai apporté un Château Ausone 1987, d’une année relativement faible, dont je souhaite vérifier comment il se comporte à 25 ans. A l’ouverture, le parfum est d’une rare délicatesse. Il est subtil, racé, avec des fragrances délicates. En bouche, il garde cette délicatesse et même si le vin manque un peu de coffre, je le trouve charmant et élégant. Mais la vedette est ailleurs, car Bernard a ouvert un Hill of Grace Henschke Australie 1995. Le vin carafé est servi à l’aveugle et Bernard me demande à quoi je pense. Immédiatement, c’est vers les grandes Côtes Rôties de Guigal que mes pensées se dirigent. Et j’aurais dû aussi mentionner Penfolds Grange, car il y a une belle complicité de goût avec cet autre vin australien. Le vin titre 14°, mais ce qui est impressionnant, c’est la fraîcheur mentholée qui accompagne des fruits noirs et rouges. Le vin est riche, dynamique et plus adapté à la joue de porc aux légumes oubliés que le délicat Ausone.

Les fromages sont absolument délicieux et un vin est servi à l’aveugle aussi. Mon palais est tellement pris par les saveurs fortes dont celle d’un fromage qui sent la noix de façon impérieuse que je ne reconnais pas tout de suite le Champagne Dom Pérignon 1990 magnifique et épanoui, meilleur que le souvenir du dernier 1990 que j’ai bu.

Pour le dessert, Bernard a prévu une demi-bouteille de Vin de paille Marsanne Domaine de Trévallon 2007 aux grains séchés trois ans sur paille et mis en bouteille par Antoine Dürrbach en 2010. Le vin titre 15°. Il est très frais et l’on ne sent pas trop de sucre ou de charge alcoolique.

Ce n’est pas le cas avec l’Elixir Végétal de la Grande Chartreuse fabriqué à Voiron par les Pères Chartreux et qui titre 69°. Que cet alcool est traître ! Car le côté végétal, très Grande Chartreuse, pousse à y revenir, ce qui est tout simplement mortel. C’est de l’au-delà que je termine ce rapport d’un dîner amical dont les saveurs culinaires furent parfaites et les vins éclectiques passionnants.

Mouton 1989 et Rieussec 1947 à la maison dimanche, 21 octobre 2012

C’est l’anniversaire de ma fille cadette à la maison. J’ouvre un Champagne Krug 1982. Le bouchon chevillé offre peu de résistance. Le nez est un peu amer. Les premières gorgées sont amères mais le vin s’assemble pour prendre plus de cohésion. Ma femme a préparé une terrine de foie gras dont la gelée est au thé. Nous ne nous étions pas concertés, mais c’est la gelée qui crée avec le champagne un accord de grande sensibilité. Le champagne est subtil, mais je trouve qu’il manque de corps et d’ampleur. Il est néanmoins de grande délicatesse.

Pour des bulots, nous buvons le Château Laville Haut-Brion 1982 au jaune d’un or très jeune, presque vert. Le vin est racé, complexe, avec de jolies notes citronnées d’un grand équilibre. Mais mon gendre qui l’a apporté est plus sévère que moi. Il lui trouve un manque d’ampleur que je décelais chez le Krug.

De fines tranches de coquilles Saint-Jacques crues arrondissent le vin de leur douceur. Nous allons passer maintenant à des rougets juste poêlés. Il y a dans deux carafes des Château Ausone 1964 que j’ai trouvés en cave avec le bouchon flottant. Alors que le nez n’est pas affecté, la cause est perdue, les vins sont morts. Je descends vite en cave et j’ouvre Château Mouton-Rothschild 1989. Le vin juste ouvert, encore frais de la cave est une merveille absolue. Le nez est racé, élégant, raffiné. En bouche, c’est de la soie, du cachemire et du velours. L’expérience est alors du plus grand intérêt. Le Laville Haut-Brion cohabite avec le rouget, mais poliment. Alors que le Mouton crée un accord avec le rouget qui est d’une émotion de première grandeur. Ce vin est d’une immense beauté, d’une élégance infinie. Je suis totalement sous le charme et j’ai plus d’émotion qu’avec le Mouton 1982 qui jouit d’une plus grande renommée. Le 1982 plus puissant n’est pas encore accompli. Le 1989 est actuellement à un stade d’excellence totale, dans l’élégance et le raffinement. Ce vin pianote de la luxure distinguée et l’accord avec rouget juste poêlé est parfait. Quel velours !

Ma femme apporte le lourd plat d’un agneau cuit au curry et aux épices orientales. Hier, goûtant la sauce hors contexte, j’avais dit que l’accord avec les Ausone 1964 pourrait se trouver. En sentant les premiers effluves du plat posé sur table, j’annonce que le Mouton 1989 n’ira jamais avec lui. Nous essayons et la preuve est faite. Quel vin conviendrait ? Ce n’est pas le Laville. Alors ce sera le Chateau Rieussec 1947 qui devait apparaître au dessert. Par un caprice du sort, ma femme avait organisé le dessert pour un Rieussec 1919 tenu au frais. Or mon gendre est arrivé avec ce Rieussec 1947 qui a perdu du volume et qui suinte. Il est beaucoup plus ambré que le 1919. Et là où le sort nous est favorable, c’est que le Rieussec 1947 crée avec le plat d’agneau à la mexicaine un accord d’anthologie que le 1919 n’aurait sans doute jamais procuré. Car le 1947 au parfum envoûtant a des accents de caramel qui conviennent merveilleusement aux épices racées. Nous sommes tous conquis par cet accord fusionnel qui crée une continuité invraisemblable entre le vin et l’agneau.

L’accord du sauternes était prévu au dessert, avec des tranches de mangue à peine teintées de fruit de la passion. C’est avec le 1919 qui eût été plus pertinent. Nous l’ouvrirons un autre jour.

Les deux vins qui émergent de ce repas sont le Mouton 1989 et le Rieussec 1947. Les deux accords les plus enthousiasmants sont ceux créés par ces deux vins avec les rougets et avec l’agneau. Celui du Krug avec la gelée du foie gras au thé est aussi à signaler.

Triste surprise avec ces Ausone 1964

casual Friday au restaurant Patrick Pignol dimanche, 21 octobre 2012

Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas fait de "casual Friday". Nous sommes cinq à déjeuner au restaurant Patrick Pignol. Les apports sont largement plus importants que ce que nous pourrons boire et même en mettant de côté des vins, il en reste plus que de raison. Etant arrivé vers 11 heures au restaurant, j’ouvre les vins qui me paraissent devoir être bus. Peu avant midi Cédric m’appelle au restaurant et me propose d’ajouter un ou deux vins. Je lui dis que ce n’est pas raisonnable. Les parfums des vins sont prometteurs.

Je mets au point le menu avec Patrick Pignol. Ce sera : oursin / cèpes / cochon de lait / lièvre à la Royale / comté / prunes / madeleines au miel.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 est extrêmement vert à la prise de contact. Sa jeunesse est folle. Mais son nez s’impose très vite, d’une intensité rare. Et il emplit la bouche de sa pureté et de sa générosité. Comme nous avons deux vins du Jura prévus pour le comté, la tentation est grande de faire réagir le champagne sur le Vin d’Arbois Grande Réserve Marcel Poux 1969. Et le vin du Jura élargit le champagne d’une belle façon. Tant que nous y sommes autant essayer aussi avec le Vin Jaune 1964 d’un négociant qui m’est inconnu. Avec l’oursin au goût intense et marin, le champagne réagit bien. Mais c’est le vin jaune qui est le plus adapté. Le vin d’Arbois est agréable mais manque un peu de précision. Le vin jaune est magique, profond, intense comme le peut être l’oursin.

Le Riesling Jean Biecher négociant années 50 m’avait séduit avec un nez très pur. En bouche, son attaque est agréable, mais il montre assez rapidement des faiblesses et des signes de vieillissement. Il manque en fait de précision et de pureté.

Le Domaine de La Lagune, Bégadan-Médoc Barton & Guestier 1934 se présente dans une bouteille lourde de forme bourguignonne. Le bouchon était recouvert de cire. Dès que Nicolas nous verse le liquide, nous sommes tous frappés par l’invraisemblable couleur de ce vin. C’est un sang de pigeon d’un rouge intense. Le nez est magique et le vin est d’une jeunesse invraisemblable, avec un goût de truffe, de cassis pilés et une intensité rare. A côté de lui, un Chambertin Cazetiers tasteviné domaine de Varoilles 1972 est une incarnation absolue de la Bourgogne. Le nez est de rose et de sel et me fait penser aux vins de la Romanée Conti. Sa couleur est d’un rose pâle élégant qui contraste avec la densité du bordeaux. Ce qui me plait, c’est que les deux vins, associés au cochon de lait, cohabitent de la plus belle façon. On peut passer de l’un à l’autre sans hésitation. Nous avons deux vins de première grandeur. La profondeur du bordeaux est grande. La rémanence aromatique du bourgogne est infinie. Quel bonheur d’avoir ces deux vins qui sur le papier pourraient poser des questions, pour l’appellation de l’un ou l’année de l’autre, mais se révèlent magnifiques tous les deux.

Disons-le tout de suite, le lièvre à la royale de Patrick Pignol est une réussite majeure. Il est d’une exactitude absolue. Et par magie se crée alors un accord qui fait froid dans le dos : Le Rioja Imperial Gran Reserva 1957 a un aspect doucereux qui répond comme un écho au plat en exacerbant l’aspect doucereux de la chair, de la sauce et du foie gras. C’est purement magique. Cédric demande que Nicolas ouvre son deuxième vin espagnol, Marquès de Riscal Rioja 1950. Ce vin est beaucoup plus puissant et expressif que l’Imperial et on aimerait pour lui une viande rouge saignante. Mais sur le lièvre, l’Imperial est largement vainqueur. Il eût fallu une autre occasion pour profiter du 1950 puissant, lourd, qui pourrait se frotter avec bonheur aux Vega Sicilia Unico de la même période. Un grand vin.

Les deux vins du Jura accompagnent un excellent comté servi par Williams. Le Château Rabaud Promis 1914 avait un niveau très bas, bien en dessous de l’épaule. En l’ouvrant, j’avais été hypnotisé par son parfum d’une pureté rare et d’une richesse confondante. En bouche il est suprême, l’archétype du sauternes parfait. Plusieurs convives en le buvant disent : "c’est le plus grand du repas". Et c’est vrai qu’il est parfait, mis en valeur par les prunes et les madeleines mais n’ayant pas besoin d’elles pour briller d’une gourmandise ensoleillée.

Nous avons fini avec un Single Highland Malt Whisky The Prestonfield 1981 redoutable titrant 58,8°, d’une intensité extrême et d’une grande race.

Ce repas s’est mis au point de façon spontanée et ce qui en fait la valeur, c’est la générosité. Nicolas, sommelier complice de tant d’aventures a fait un service comme toujours pertinent. Patrick Pignol a réalisé un menu sensible, avec des saveurs claires pour les vins. Le lièvre à la royale est une réussite de première grandeur. Il est plus que probable que ce casual Friday aura des suites de générosité et d’amitié.

on remarque la bouteille bourguignonne du Domaine de La Lagune 1934

le vin de Bourgogne n’aura pas livré son nom précis, caché par son habillage de papier