Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Le PICARDAN DOUX ou CATAROISE de BEZIERS vendredi, 19 octobre 2012

Le PICARDAN DOUX ou CATAROISE de BEZIERS

Le Picardan doux est préparé avec des raisins passerillés (c’est à dire cueillis en surmaturité, tout "fripés"), titrant 18° baumé et qu’on mutait parfois avec l’alcool de Trois-Six (alcool rétrocédé par l’Etat aux bouilleurs de cru).

C’est l’ancêtre de la Cataroise de Béziers; nommé il y a peu pour un temps Cartagène, nom d’un port espagnol, sous l’influence hispanisante du 19ème siècle… mais bien plus souvent Mistelle.

Le Picardan se faisait essentiellement à partir du cépage "Clairette" pour le Picardan blanc, cela a donné d’ailleurs une Appellation d’Origine Contrôlée Vin de Liqueur, abandonnée depuis, sur l’Est de Béziers et le Nord-Ouest de Pézenas: la "Clairette du Languedoc" (qui n’existe plus qu’en Appellation vin), ainsi qu’à partir du cépage "Cinsault", nommé il y a 150 ans "Picardan noir".

Nous avons bu ce vin : Picardan Vin de Liqueur distillerie Couzi à Saint-Céré (Lot) titrant 17° pendant que nous rangions ma cave, d’une bouteille déjà ouverte il y a plusieurs années. Le vin ranciote, évoque les pruneaux d’Agen. Il est simple mais sympathique.

Il réjouit le coeur du travailleur en cave !

déjeuner au restaurant Taillevent avec Yquem 1970 lundi, 8 octobre 2012

Devant retrouver un ami pour déjeuner au restaurant Taillevent, l’idée vient naturellement que la deuxième bouteille d’Yquem soit bue avec lui. Jean-Marie Ancher à qui je montre la bouteille compose le menu avec moi : épeautre du pays de Sault en risotto, homard et curry / foie gras de canard doré, pomme reinette et raisin chasselas / crêpes Suzette façon Taillevent. Si j’approuve les deux premières suggestions, je suis plus sceptique sur les crêpes, mais nous n’avons pas le temps de finasser.

Le Château d’Yquem 1970 est d’une magnifique couleur dorée. Son parfum est intense. En bouche, c’est un vin fort, dominateur, au botrytis impressionnant, d’abricots et de fruits oranges confits. Il a l’intelligence de ne pas écraser les plats de sa force de conviction. Avec l’épeautre, l’accord est évident. Avec le homard, il est juste poli. Avec le foie gras poché, c’est un régal. Le foie est fondant et le vin glisse à ses côtés. Et les fruits un peu acides donnent de la fraicheur à l’ensemble.

En voyant le plateau de fromages, qui, très classiquement, pousse à prendre la fourme, un Sainte-Maure me fait de l’œil. Pourquoi ne pas essayer un accord qui ferait du "hors piste" ? Et l’accord se fait beaucoup plus qu’avec la fourme, un peu envahissante et fermière. Nous parlions, nous parlions, et je n’ai pas eu la présence d’esprit d’arrêter le bras du maître d’hôtel qui inondait les crêpes de cognac. L’accord en a pâti, alors qu’avec les zestes d’orange confits, l’accord était naturel.

Déjeuner avec Yquem a un sens, car le vin est plus flexible qu’on ne le croit. C’est un grand Yquem au botrytis très affirmé. La cuisine est précise, le service est efficace. Au Taillevent, on se sent bien.

dîner de folie pure avec 17 vins et alcools de plus de cent ans dimanche, 30 septembre 2012

Tout dans ce dîner est de la folie la plus absolue. Sébastien est un chasseur de caves. Il déniche des bouteilles qui dorment dans des caves obscures parfois à l’insu de leurs propriétaires. Il nous invite à partager ses découvertes en pratiquant un prix de participation qui exclut que l’on puisse refuser de venir. Je suis le premier à me présenter à Verdun-sur-le-Doubs à l’Hostellerie Bourguignonne, accueilli par le sympathique et bon-vivant chef Didier Denis, grand amateur de vins. Lorsque Sébastien arrive, alors que l’on sait que la soirée sera lourde, Philippe le sommelier, sous l’impulsion de Didier Denis, nous sert, en signe de bienvenue, un Chablis Vaillons, Premier Cru Vincent Dauvissat 2005. L’attaque du vin est très belle, avec des évocations de miel, mais le vin est assez gras, voire pâteux. Avant même que nous n’ayons le temps de respirer, c’est un Bourgogne blanc Coche-Dury 2004 qui rejoint le premier vin sur le comptoir. L’attaque de ce vin est plus pure. Il a du citron et une belle acidité. On reconnait la patte de Jean-François Coche-Dury. J’adore la fraîcheur de ce vin de plaisir.

Sébastien et moi, nous allons procéder à l’ouverture des vins. Sébastien sort de ses casiers à bouteilles tellement de vins non inscrits au programme que je demande que l’on ordonne un peu les choses. Sa générosité est telle que nous nous préparons à une véritable débauche. Les bouteilles prévues pour le dîner sont alignées pour la photo d’ensemble, et il y en a déjà 22, alors que nous serons douze, mais d’autres se rajouteront encore. Certains bouchons sont difficiles, mais les choses se passent bien, dans la bonne humeur. Il y a au programme deux vins inconnus qui n’ont que l’étiquette du millésime. Le vin inconnu 1808 est un alcool, ainsi que le 1893. Comme dans son élan Sébastien à rajouté un alcool de cidre du 19ème siècle, nous aurons quatre alcools au dîner. Il va falloir de la santé ! Pour récompenser les "travailleurs" mais aussi les amis arrivés entretemps, Sébastien fait ouvrir un Champagne Louis Roederer demi-bouteille 1974 qui est déjà, malgré sa bulle encore présente mais faible, un champagne évolué. Il est extrêmement plaisant, accompli et équilibré.

En cours d’ouverture, nous avons déjà bu plusieurs vins et les deux alcools, aussi est-il temps de prendre l’air dans le jardin de l’hôtel, pour se préparer au copieux dîner. Le menu conçu par Didier Denis est : amuse-bouche dont une quenelle dont je n’ai pas retenu la composition/ thon Germon haché au couteau, pince de crabe des neiges en chaud-froid / foie gras de canard poêlé, prunus du jardin glacé dans un jus de veau miellé aux épices douces / risotto carnarelo aux cèpes et parmesan, noix de Saint-Jacques / filet de bœuf du Limousin, gaudes bressanes à la crème et corona de girolles / canard sauvage de Saône, réduction de pinot noir, Tatin de coings et figues rôties / plateau de fromage / tarte aux petits fruits rouges et sa glace / volcan au chocolat, pure origine de Tanzanie, bonbon glacé, sorbet au cacao / petits fours et chocolats. C’est une cuisine bourgeoise, régionale, roborative et généreuse d’un amateur de vins.

L’apéritif démarre par un Champagne Mumm Cordon Rouge sans année que Sébastien pense des années 60. Je pencherais plutôt pour les années 70, car le bouchon semble de cette époque et le vin est encore très jeune, d’une couleur très claire. Il est agréable, mais la deuxième bouteille du même Champagne Mumm Cordon Rouge sans année, d’une couleur plus sombre est évolué et cela lui va bien. C’est un champagne précis, équilibré, de grand plaisir. Le Champagne Jamart & Cie Blanc de Blancs 1961 est aussi évolué, beau et charmant, mais moins plaisant que le deuxième Mumm.

Il est temps de se recueillir, car arrive maintenant le Champagne Moët & Chandon 1911, l’un des motifs de mon inscription à ce dîner. Le nez est superbe et intense. Ce qui est intéressant, c’est que ce champagne quand je l’ai bu déjà deux fois, était de dégorgement récent. Celui-ci a son bouchon d’origine. Il est phénoménal. Il a une grande tension et un final qui claque. Le dosage est très équilibré. Il est d’une folle jeunesse et d’une grande vivacité. Il a des fruits jaunes. En synthétisant, il a : vivacité, longueur et tension. Nous sommes sous le choc d’une telle perfection. Par goût personnel, j’ai plutôt tendance à préférer les champagnes de dégorgement initial aux champagnes de dégorgement ultérieur.

Dans le programme, il était prévu de boire deux Montlouis secs. En fait, nous en aurons quatre dont deux ont des bouchons cirés, avec le millésime imprimé dans la cire, les 1904 et 1906, et deux dont le bouchon n’a pas été ciré, les deux 1914. Le Montlouis sec 1914 a une belle attaque, mais il finit sur du citron et de la glycérine, ce qui bride le plaisir. Le Montlouis sec 1904 est magnifique, élégant, subtil. Il a des fruits roses délicats. L’acidité est contrôlée. C’est un vin gourmand comme un bonbon. Il est presque acidulé.

Un autre Montlouis sec 1914 est plus précis que le premier, mais manque quand même de consistance et de longueur. Le Montlouis sec 1906 est bouchonné.

Le Château Léoville Barton 1893 est mort.

Le Château Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887 est superbe. Il a beaucoup de vigueur. Il est très expressif avec des prunes et un grand velouté. Ce vin délicat est un grand vin.

Le Château Latour 1889 est un vin immense. Il a un nez superbe et élégant et on reconnaît bien Latour. En bouche, il est structuré, solide, d’une jeunesse étourdissante. Il avait son bouchon d’origine. On dirait un 1959.

Le Volnay 1er Cru Château de Meursanges Thorin magnum 1967 est un vin délicat. Il est simple, mais sympathique et se boit avec plaisir.

Le Santenay Henri de Villamont Collection du docteur Barolet 1911 est aimé par mes voisins de table, alors que je ne l’aime pas du tout, à cause d’un caractère trop sucré. Ce vin me gêne mais c’est probablement mon verre qui était marqué par un vin précédent, malgré les rinçages, car en sentant le verre d’un ami, je n’ai pas eu du tout le même parfum.

La Romanée, domaine Gaudemet-Chanut Jules Régnier 1908 paraît dépigmentée, mais nettement moins qu’une bouteille du même vin bue avec Sébastien il y a un an. Le nez est très beau, poivré et vif. En bouche il n’est pas si mal. Il y a un message même s’il est incomplet. C’est un beau témoignage, avec une grande force alcoolique. Même s’il est un peu fatigué, le témoignage est agréable.

Le Chassagne-Montrachet blanc 1907 est fatigué, glycériné. Il n’éveille pas mon intérêt.

Le Château Chalon Jean Bourdy 1895 que je connais bien est superbe, parfait. C’est le Château Chalon dans toute sa perfection, avec une longueur inextinguible. Un rouleau compresseur qui tapisse le palais de bonheur.

Le Sancerre Les Culs de Beaujeu François Cotat magnum 1996 sert de rafraîchissement. Il est magnifique de fraîcheur, avec du miel et de l’amande.

Le Château Coutet 1894 à la robe ambrée n’est pas mal, mais on sent la fatigue et un léger côté gibier.

Le Château d’Arche Mérick 1893 à l’inverse est superbe. Il était un peu triste à l’ouverture mais maintenant, c’est un grand sauternes d’une année immense. Il a un fruit brun délicat, n’a aucun signe de caramélisation. Il est d’un superbe équilibre.

Le Vouvray Moelleux Maurice Audebert 1900 est très naturel, rond, mais est très loin de la complexité du 1893. Certains amis s’en sont entichés, mais je ne partage pas à ce niveau leur enthousiasme, car le message agréable est très simple. Il est doux et a un poivre agréable dans le final.

Le Madère Sercial 1837 a un nez fabuleux. Il est riche, presque velouté. Il est tellement délicat que je ressens des suggestions de roses, ce qui est étonnant. Il est extrêmement gastronomique. Sa bouche est fraîche, mentholées, magique.

Le Vin inconnu de 1893 est un Cognac, ça ne fait aucun doute. Je le trouve absolument phénoménal. Alors que Sébastien à côté de moi commence à éviter d’en reprendre, je me resservirai cinq ou six fois tant je suis sous le charme. Avec le bâton glacé au chocolat, on est proche de l’orgasme gustatif. Je pourrais me pâmer avec cet alcool.

Le Vin inconnu de 1808 est plus difficile à reconnaître mais avec un ami expert en alcool, nous tombons d’accord pour dire que c’est un Armagnac. Sa force alcoolique est énorme. Il est beau racé, grandiose. Je l’aime énormément, mais le goût de "revenez-y" est pour le 1893.

L’alcool de cidre du 19ème siècle (c’est ce qu’on lit sur une bandelette manuscrite) a un effet rafraîchissant car son alcool ne dépasse pas les 25° quand le 1893 est probablement autour de 55°. Mais il aurait dû être bu avant les deux alcools bruns, car on n’en profite pas comme il eût convenu.

Tout au long du repas, nous avons presque tous recraché l’essentiel de ce que nous buvions, sauf les champagnes. Il m’a été impossible de recracher le Latour 1889 qui était envoûtant. Nous avons tous bu énormément d’eau pour compenser la charge alcoolique de tous ces breuvages.

Nous avons voté pour les vins, en excluant les quatre alcools du vote. Nous sommes dix, car deux convives sont partis avant la fin. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Latour 1889 cinq fois, le Moët & Chandon 1911 trois fois, le Luetkens 1887 une fois ainsi que le Vouvray 1900.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Latour 1889, 2 – Champagne Moët & Chandon 1911, 3 – Château d’Arche Mérick 1893, 4 – Château Chalon Jean Bourdy 1895, 5 – Vouvray Moelleux Maurice Audebert 1900, 6 – Château Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887.

Mon vote est : 1 – Champagne Moët & Chandon 1911, 2 – Château Latour 1889, 3 – Château d’Arche Mérick 1893, 4 – Château Chalon Jean Bourdy 1895, 5 – Château Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887.

Dans un telle débauche de générosité, nous n’avons pas gardé en mémoire les vins morts ou imparfaits, qui ne méritent pas plus que cela qu’on s’en souvienne. Il nous suffit d’avoir côtoyé six vins de première grandeur et trois alcools merveilleux pour que cette soirée s’inscrive dans notre Panthéon personnel. Autour de la table, il y avait de solides amateurs de vins anciens, ce qui promet de multiplier les occasions pour ouvrir encore des vins de folie, des vins émouvants et des vins immenses comme les quatre premiers du classement de synthèse de notre groupe. Nous nous sommes retrouvés au petit déjeuner autour d’une grande table et nos rires fusèrent encore.

Nous avons échangé nos cartes, pour pouvoir prendre de nouveaux rendez-vous pour de nouvelles aventures dans le monde fascinant des vins antiques.

dîner avec 17 vins de plus de 100 ans – photos samedi, 29 septembre 2012

Chablis
Vaillons, Premier Cru Vincent Dauvissat 2005

Bourgogne
blanc Coche-Dury 2004

Champagne
Louis Roederer demi-bouteille 1974

Champagne
Mumm Cordon Rouge sans année années 70 1975 #

Champagne
Mumm Cordon Rouge sans année années 70 1975 #

Champagne
Jamart & Cie Blanc de Blancs 1961

Champagne
Moët & Chandon 1911 (avec son petit ticket de réclamation !)

Montlouis
sec 1914

Montlouis
sec 1904

Montlouis
sec 1914

Montlouis
sec 1906

Château
Léoville Barton 1893

Château
Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887

Château
Latour 1889

Volnay
1er Cru Château de Meursanges Thorin magnum 1967

Santenay
Henri de Villamont Collection du docteur Barolet 1911

Romanée,
domaine Gaudemet-Chanut Jules Régnier 1908

Chassagne-Montrachet
blanc 1907

Château
Chalon Jean Bourdy 1895

Sancerre
Les Culs de Beaujeu François Cotat magnum 1996

Château
Coutet 1894

Château
d’Arche Mérick 1893

Vouvray
Moelleux Maurice Audebert 1900

Porto
Guedes 1900

Madère
Sercial 1837

Vin
inconnu Cognac de 1893

Vin
inconnu Armagnac de 1808

Alcool
de cidre du 19ème siècle 1880 #

déjeuner au Bistrot du sommelier mercredi, 26 septembre 2012

C’est la réunion de rentrée de notre club 2043, dont tous les membres veulent devenir centenaires en l’année affichée. Je me présente au Yacht Club de France et l’hôte d’accueil me reçoit d’un air dubitatif. L’information avait mal circulé, dans un sens ou dans un autre, car le rendez-vous est au Bistrot du Sommelier. Nous sommes cinq, les amis absents ayant tous de bonnes raisons pour ne pas être là. L’apéritif de bienvenue est un Champagne Lenoble Blanc de blancs grand Cru Chouilly sans année qui est frais à boire, mais n’est que cela. Son message est limité. Le second champagne montre un saut qualitatif certain, car c’est un Champagne Bollinger Spécial Cuvée sans année qui doit avoir plusieurs années de cave. Il est rond, charnu et fait plaisir à boire.

L’ami qui nous invite a choisi le menu dégustation avec des vins découvertes, que nous boirons à l’aveugle avec un succès de reconnaissance incertain. La terrine fermière s’apprécie avec le Bollinger. Sur une délicieuse soupe de coquillages le Cassis domaine de la Ferme Blanche 2010 est généreux, chatoyant, mais assez monolithique. L’accord est pertinent.

Sur une viande aux petits légumes, le E Prove domaine Maestracci Corse Calvi 2008 affiche un alcool soutenu. Il y a de la matière, une jolie complexité sympathique, et même si le vin est assez simple, il soutient bien le plat et crée un agréable plaisir.

Le dessert à la poire crée avec Les Trois Schistes Domaine de Montgilet Coteaux de l’Aubance 2010 charnu comme un muscat malgré ses 11° un accord merveilleux.

Philippe Faure Brac est venu rejoindre notre table au café et comme je lui explique le prétexte de notre déjeuner, instantanément, il appelle son sommelier qui revient avec un Château Gazin 1943 de niveau bas mais de couleur prometteuse. Le bouchon est extirpé avec élégance par Philippe. Il est noir d’encre. Le vin, un peu fatigué à l’ouverture s’assemble peu à peu. Son message est un peu faible, mais suffisamment loquace pour que nous en jouissions. Nous remercions Philippe de ce cadeau généreux qui a ensoleillé notre repas.

Comme il fait suite au voyage en Belgique, force est de constater qu’un homme aussi influent que Philippe Faure-Brac pourrait innover pour la cuisine comme il le fait si bien pour le vin. La Belgique bouge. Si Philippe, avec sa renommée faisait bouger les lignes de la solide cuisine à la française qu’il pratique, nul doute qu’avec son talent et son imagination, il y réussirait.

Déjeuner au restaurant In de Wulf dimanche, 23 septembre 2012

Nous arrivons en pleine campagne, entre des champs de maïs, à une jolie ferme ancienne construite en briques. A l’intérieur, la décoration se veut rustique, intensément rustique. Le restaurant In de Wulf a pour chef le jeune Kobe Desramaults qui nous offre l’occasion d’une nouvelle expérience de créativité culinaire.

Les amuse-bouche : Chips / Oignon croustillant / chou-rave, livèche / carotte fermentée, berce / betterave, yaourt, oseille / pain brûlé, maroilles. Le menu : maquereau brûlé, feuille de capucine / bulot, sauce petit lait, épinards, betterave de la mer / moule de bouchot, verveine, radis / crabe de la mer du Nord, courgette / escargots "gros gris" de Comines, pomme de terre, ail, herbe / homard d’Audresselles, "kerremelkstampers" / lotte, céleri, livèche, fenouil de la mer / céleri-rave cuit en croûte de sel, fromage à la crème fait maison / nuque de porc "ferme de Beau Pays" de Borre, légumes du jardin / concombre grillé, Keiemse witte / Cremet du CapBlanc-Nez / mûre sauvage, agastache / betterave rouge, fraise des bois, petit-lait, camomille / potiron, argousier.

Nous commençons par le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru 2002, qui a de belles notes de fruits jaunes et bruns. Très équilibré, il est gastronomique. Vanessa, la jeune sommelière, a composé une carte de vins nature, très tendance. Nous choisissons un vin du Jura, un En revenant du paradis, J.M. Brignot, Vin de France 2010, fait de chardonnay, savagnin et trousseau. Au premier abord, le vin servi très froid a tout pour me déplaire. C’est un vin de recherche, déstructuré, qui gêne par le fait que l’alcool semble étouffer le vin, avec un petit quelque chose d’une grappa. Mais ce qui est intéressant, c’est que le vin va montrer une aptitude gastronomique étonnante. Lorsqu’il est confronté à un plat viril, il caresse le plat et se fait civilisé. Et dès que le plat est parti, la déstructuration de son alcool le rend de nouveau gênant. Il suffit qu’il ait suscité de beaux accords pour que l’expérience se justifie. Avec le maquereau, avec le bulot et surtout sa crème de lait qui donne du fumé qui excite le caractère oxydatif du vin, avec les escargots au goût terrien, on trouve des accords de grande pertinence. L’Egly Ouriet est plus à l’aise avec des saveurs plus subtiles comme la moule délicieuse.

Le Pouilly-Fuissé Domaine Valette, Le Clos de Monsieur Noly 2001 est un vin fumé, à l’alcool très présent et fort, qui évoque une tisane de fruits bruns. La lotte se marie bien avec ce vin mais son alcool est trop fort. Le vin est superbe sur la raie et l’oignon.

Le chef ajoute pour nous au menu un canard sauvage avec une pâte de prunelle sauvage. C’est absolument délicieux. En définitive, je préfère le vin du Jura au Pouilly. Et je mets le champagne au dessus des vins. La cuisine du chef est d’une dextérité et d’une inventivité assez extraordinaire. On n’est pas encore au niveau de "L’Air du Temps", car il y a dans le restaurant d’hier une plus grande maturité. Mais c’est une étape qui est d’un très grand intérêt. Vanessa la sommelière est très compétente. Il faudra aussi qu’elle s’intéresse à d’autres vins que les vins nature.

Après quatre repas belges, le sentiment qui prévaut, c’est que ça bouge en Belgique. De même que Noma a entraîné à Copenhague une foule de restaurants d’avant-garde, en Belgique, la cuisine de recherche, travaillant des produits locaux et des herbes et légumes qui poussent dans le jardin du chef, conduit à une vivacité créative exemplaire. J’applaudis à deux mains cette recherche, cette profusion d’imagination créatrice, et ces goûts inouïs qui nous font dire : "où vont-ils chercher tout cela ?". En plus, c’est bon. Je classerai les quatre cuisines ainsi :1 – Air du Temps, 2 – In de Wulf, 3 – Couvert Couvert, 4 – de Pastorale. Et les quatre cartes de vins : 1 – Couvert Couvert, 2 – de Pastorale, 3 – Air du Temps, 4 – In de Wulf.

Nous avons pu commander des vins qui seraient inaccessibles sur les cartes de vin françaises dans des restaurant de même niveau. Ça bouge en Belgique, et la cuisine est très imaginative. Des jeunes se lancent en pleine nature pour créer de beaux restaurants. Un vent d’air frais souffle sur la Belgique. Tant mieux.

le chef prépare le céleri cuit au four

dîner au restaurant L’Air du temps avec un accord d’anthologie dimanche, 23 septembre 2012

Le dîner se tient au restaurant L’Air du temps, tenu par Sang-Hoon et Carine Degeimbre. San est un adepte du food pairing qui conduit à imaginer des accords saisissants sur la base de compatibilités génétiques des ingrédients. Le tout est revisité avec sa culture liée à ses origines coréenne et belge. Passionné par les plantes qu’il cultive et par les saveurs qu’il rapporte de ses voyages à travers le monde, il produit un cuisine inspirée, étonnante et le plus souvent passionnante, car il y ajoute sa connaissance des vins, ce qui apporte encore plus de pertinence à ses plats.

Voici ce que nous avons mangé : snacking : chips soufflé canard laqué /carotte laquée au vinaigre d’ail noir / escargot dans sa coquille / cigarette de pomme de terre, chocolat blanc, wasabi.

Bouchées : moules frites / œuf coque, mousse de saumon fumé, mouillette au fenouil.

Dégustation : homard breton en sushi décomposé / céviche, couteaux, courgettes jaunes, leche de tigre /jardin de Liernu : nos tomates, crevette de Zeebrugge, jus de crevettes, baume de Galaad / ferme de la Tour à Gismes : foie gras rôti au four, anguille fumée, ananas / volaille Oméga 3,coq des prés, rôtie, tendre avec un consommé acidulé, oignons / bœuf Wagyu, boulette de furikaké, carpaccio de bœuf, quinoa soufflé, jus de crabe, physalis, anchois / pigeonneau de Waret, crêpe de pomme de terre au fromage frais, pattes confites à l’orange et muscovadi, jus de pigeonneau, fève tonka / carottes pairing, purple haze confites à la citronnelle, gourmandises en lacets, sorbet à la violette / caramel au beurre salé, en sorbet, au café, à la vanille et potiron.

Le fourmillement inventif est spectaculaire. Nous commençons par un Champagne "les Carelles" Grand Cru de Mesnil-sur-Oger Jacques Selosse sans année. Il est d’une tension extrême. Sans concession, il claque sur la langue et nécessite des plats agressifs pour s’exprimer. Mon gendre n’aime pas. J’aime le côté rebelle qui est d’un grand intérêt. Nous poursuivons avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1998. Il est nettement plus confortable, rassurant par sa structure d’un grand équilibre. Carré, solide, il montre un dosage un peu fort par comparaison au Selosse. Il est très gastronomique, mais sur les tomates, c’est le Selosse qui est plus pertinent, alors que sur le jus de crevettes, c’est le Pol Roger.

Nous cherchions un vin blanc sur la carte et je demande à Maxime, le compétent sommelier, s’il n’a pas un vin caché, hors carte, de grand intérêt. Il nous présente un Riesling Grand Cru Brand Turckheim domaine Zind Humbrecht 1990 qui est une merveille absolue. Un vin d’une complexité incomparable avec des notes citronnées et de fruits jaunes, mais aussi d’épices innombrables. Il est lourd, imposant et entraînant. C’est alors que se produit avec le plat d’anguille et foie gras un accord qui nous laisse tous abasourdis. Nous tenons là un accord d’anthologie et plusieurs autour de la table répètent à l’envi : "c’est l’accord de l’année". Le fait est que la symbiose d’un plat incroyablement multiforme avec un vin qui l’est tout autant donne des variations gustatives d’une justesse infinie. C’est beau. Le vin est certainement le meilleur de notre voyage en Belgique. Sur le bœuf Wagyu, nous goûtons un Domaine de Trévallon Coteaux d’Aix 1990 qui d’emblée nous asphyxie par ses notes végétales à dominante de poivron mais aussi de fenouil. Le tout se domestique quand le vin s’ouvre, et c’est un vin de message simple, délicieusement goûteux, presque velouté, serein et apaisé. Il est aussi à l’aise sur le pigeon.

Cette table est d’une qualité de recherche exceptionnelle. San est venu discuter avec nous et nous a parlé de ce qui conduit ses recherches, expliquant le cheminement de quelques plats. On ne peut que recommander cette table de très haut niveau ou l’expérience gastronomique est exceptionnelle.

déjeuner au restaurant Couvert Couvert à Heverlee samedi, 22 septembre 2012

Nous déjeunons au restaurant Couvert Couvert à Heverlee, tenu par deux frères, Laurent et Vincent Folmer, ce qui explique peut-être la répétition du nom. L’entrée de l’édifice est sur la façade opposée à la route d’où l’on peut voir une grande trouée de verdure et des vaches qui viennent pâturer tout près du jardin potager du restaurant. La salle est d’une décoration très sobre, à la scandinave, avec un mobilier simple de beau design. L’accueil est souriant. L’examen de la carte des vins donne le sourire. Car il y a des pépites de première grandeur. Cette carte est intelligente (c’est la première fois que je vois qu’on indique la date de dégorgement des champagnes), et donne envie de dépenser, ce que devrait faire toute carte des vins.

Alors que nous avons un programme chargé de week-end, nous choisissons le menu à six plats ainsi composé : crabe tourteau, sarrasin et citron vert / sole de petit bateau, crevettes de Zeebrugge, tomates et estragon / homard breton, pêches et amandes fraîches / canard sauvage, betteraves et sureau noir / figues, glace aux feuilles de figues / chocolat, framboises et sapote.

Tout dans cette cuisine est raffiné, sensible, délicat. Les deux chefs étant des pâtissiers, ce que je ne savais pas, il devient normal que le plat que j’ai préfère soit celui de la figue. Le homard est tout petit mais très goûteux. La sole est très gastronomique. Ça respire l’intelligence, et contrairement à hier, tout met en valeur les vins. Les assiettes sont choisies avec pertinence pour faire de chaque plat un joli tableau. On se sent bien et heureux.

Le Corton Charlemagne Jean François Coche-Dury 2007 a un nez encore jeune où le soufre apparaît légèrement. En bouche, il n’est pas aussi tonitruant que certains Corton Charlemagne Coche-Dury plus anciens qui sont de vraies bombes, mais il est très expressif, solide, sa relative discrétion lui donnant beaucoup de charme. Il est terriblement gastronomique. Ses notes citronnées sont équilibrées et l’ensemble, très cohérent, est rassurant pour les plats.

Nous souhaitions nous en tenir à un vin compte tenu du programme qui reste à suivre, mais le vin s’asséchant très vite, nous avons commandé un La Grande Rue Grand Cru Monopole Domaine François Lamarche 2002. Le vin est d’une rare délicatesse. Au début, son message manque un peu d’expression, mais il faut le laisser s’ouvrir et il gagne en velouté et en délicatesse. Son final est un peu rêche. Il est à noter qu’aussi bien sur le homard (chair seule) que sur le canard, c’est le vin rouge qui s’exprime mieux que le vin blanc. S’il est discret, il est subtil, et le velouté s’impose de plus en plus.

Nous avons vécu un excellent déjeuner, joyeux, qui donne envie de revenir en ce restaurant au naturel plaisant.

dîner au restaurant de Pastorale samedi, 22 septembre 2012

Cap sur Bruxelles, non pas pour y planquer quelques lingots, mais pour s’immerger en gastronomie. L’hôtel Bloom à Bruxelles est jeune et moderne. Notre chambre avec mezzanine est d’une décoration plaisante. L’arrivée en terre belge impose une bière blonde de la Brasserie d’Achouffe. Un régal.

Nous partons vers la ville de Rumst au restaurant de Pastorale qu’il serait impossible d’atteindre sans un GPS. On se demande comment on pouvait y arriver quand cet outil n’existait pas. La façade du lieu est imposante mais égayée par une statue au revêtement doré brillant qui est prise d’un rire bruyant au moment où l’on passe devant elle, comme ces grenouilles de jardin qui coassent quand on les approche. La décoration intérieure est d’avant-garde. Elle est d’une grande sensibilité et réussie.

La carte des vins est très internationale et les prix paraissent accessibles. Mon choix porte sur le Champagne Krug 1988 qui est d’une maturité magnifique. Il n’a pas d’âge et nous éblouit de sa complexité épanouie. Les amuse-bouche sont nombreux, très bigarrés et les explications sont incompréhensibles. On n’en retient rien mais ce n’est pas grave. Une moule est particulièrement goûteuse. Le champagne est à son aise avec ces multiples saveurs.

J’ai choisi le cabillaud au fenouil et sureau et le bœuf Holstein de cinq ans d’âge, sélection unique, mûri cinquante jours. Le chef Bart de Pooter fait une cuisine dont la présentation est agréable à l’œil, dont les produits sont de qualité, mais dont la cohérence des plats est absente. Ce sont des patchworks de saveur sans véritable logique, sauf de les ajouter "comme ça". On le verra avec le plateau de fromages commandé pour accompagner le vin rouge : cinq fromages arrivent avec quatre sauces ou confitures de fruits, et c’est la java pour les papilles. Le vin méritait mieux que cela, car c’est Vega Sicilia Unico Reserva Especial fait de 1985, 1991 et 1996 mis en bouteilles en 2005. Le vin est impérial. Il est d’un velours distingué. On dirait un mannequin qui défile sur un nuage. Il est d’une grâce pure avec un beau fruit rouge mais surtout ce velours de grande noblesse marque le palais d’une trace profonde. C’est un vin magnifique.

Notre serveuse ou plutôt notre hôtesse a fait un service attentif et attentionné. Ce n’est pas le cas du sommelier Jon Stalmans qui paraissait aux abonnés absents, car nos verres étaient souvent vides. Alors, que dire ? Le lieu est beau, la cuisine n’est pas du tout adaptée aux vins. C’est une étape pour une expérience culinaire. Ce n’est pas une étape pour les amoureux du vin.

Cinq vins de 1900 et deux de 1899 au Laurent mardi, 18 septembre 2012

Dîner avec des amis et des bouteilles rarissimes, c’est l’aboutissement de l’esprit de l’académie des vins anciens. Il y a des vins anciens dans les caves. L’académie veut provoquer des occasions pour que l’on sorte ces vins des caves et qu’on les partage. Ce soir, ce sera une séance toute particulière, à mi-chemin entre ce que l’on a appelé les "casual Fridays" et l’académie. Nous serons huit, avec un programme particulièrement musclé. C’est Frédéric un ami qui a lancé le premier hameçon : "j’aimerais pour thème 1900 et ce qui tourne autour". On échange des mails, certains amis n’ont rien dans cette période, mais l’amitié est la plus forte. Le programme s’assemble. Le lieu choisi est le restaurant Laurent et je mets au point le menu avec Philippe Bourguignon.

J’arrive à 17h30 pour ouvrir les vins. Frédéric m’attend déjà pour ouvrir lui aussi quelques vins. Parmi les quatre vins que j’ai apportés il y a un Lafite 1900 au niveau très bas, vraiment basse épaule, mais la couleur me paraissait en cave engageante. Je l’ouvre. Bingo ! Le parfum est si sensuel, de truffe, de velours et de coulis de fruits noirs que je faillis m’évanouir. Vite il faut mettre un bouchon pour renfermer ce parfum extraordinaire. Tiendra-t-il jusqu’au dîner, nous verrons. Le Clos de la Roche 1899 est follement expressivement bourguignon. Le Montrachet 1929 à la couleur légèrement ambrée a un nez très pur, sans trace de madérisation. A propos de Madère, le 1837 a un nez d’une force et d’une expression folle. Perfide, je suggère à Frédéric que nous devrions vérifier s’il est bon, alors que c’est une évidence. Nous buvons un élixir, à la force alcoolique rare, qui a un goût intemporel, taillé pour l’éternité. Le parfum du Blanc Vieux d’Arlay 1899 est soufré. Il est tentant de le goûter comme le Madère. C’est un vin franc qui lui non plus n’a pas d’âge, auquel on ne donnerait pas plus de trente à quarante ans. Le parfum de l’Yquem 1900 est une leçon de choses. Il n’y a apparemment aucune mauvaise surprise, mais il convient d’être prudent.

Il nous reste plus de deux heures à attendre puisque des amis lyonnais arriveront assez tard par le train. C’est alors que Frédéric sort de sa musette un Castellu di Baricci vin rosé de Sartène 2011 de la famille Quilichini qui titre 14,5°. Et Frédéric a raison, c’est un beau rosé charnu, puissant, de bonne mâche, qui semble fait pour la gastronomie. C’est amusant de créer cet intermède quand on sait le programme qui nous attend.

Des amis tardent à venir aussi commençons-nous à boire le Champagne Krug 1985 dans le beau jardin du restaurant, pour les faire venir. Ce champagne est exceptionnel et le vin corse que Frédéric a servi aux amis à leur arrivée met en valeur le fruit rouge de ce champagne, assez étonnant pour un Krug. Ce 1985 est déjà entré dans une phase d’évolution tout en conservant sa tension extrême. On dirait un arc bandé. Il est puissant, pénétrant et je l’aime énormément. Le champignon moutardé crée un accord brillant. Evolué et tendu comme un chien de chasse en arrêt, c’est un champagne de compétition.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret est : tête de champignon cru, légèrement moutardée / bouillabaisse froide, pommes de terre et fenouil au basilic / tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / tarte aux cèpes / noix de ris de veau dorée au sautoir girolles poêlées et « grenobloise » / pigeon à peine fumé et rôti, pissaladière de jeunes légumes, sauce piquante / reblochon et vieux comté / jubilé de mirabelles / fondant de chocolat amer

Nous avons une belle table dans la grande salle et des tables voisines regardent avec curiosité les vins qui nous sont servis. Le Champagne Abel Lepitre 1957 a une très belle couleur dorée. La bulle est atténuée mais vivace. Le vin est significativement dosé, mais il est agréable. Il est de belle maturité sans trace de faiblesse. C’est une belle surprise, car cette année n’est pas restée dans les annales de la Champagne. A l’inverse, l’année du champagne qui suit est légendaire et le Champagne Krug Collection 1947 l’est aussi. D’une folle complexité, d’une longueur inouïe, ce champagne est un grand. Mais je trouve qu’il n’est pas flamboyant. Aussi, même si la complexité est du côté du 1947, j’ai un faible pour le 1985. Florent s’en amuse, car il sait que le 85 est mon vin et le 47 le sien. La gelée de la bouillabaisse se marie très bien avec l’Abel Lepitre. Nous venons de boire trois champagnes de haute volée.

L’association du turbot avec des légumes verts est très originale, car les petits pois notamment donnent une grande fraîcheur au plat et excitent le vin. Le Montrachet Comtes Lafon 1985 n’est pas un vin ancien. Il est même d’une jeunesse folle et son odeur de soufre pourrait faire de lui un gamin. Le vin est imposant, fort d’une palette aromatique infinie. Il a l’aisance et la prestance des montrachets. C’est un grand vin, un peu hors catégorie dans ce dîner de centenaires – je parle des vins évidemment.

Le Château Montrose 1898 provient d’une bouteille où tout l’habillage est manuel : étiquette minuscule et manuscrite, bouchon marqué du château mais peu ancien et une vilaine capsule en plastique. Mais Frédéric nous dit qu’il provient directement de la réserve de la famille Charmolüe, ancienne propriétaire de Montrose. Le vin est clairet, presque rose. S’il a des accents intéressants, et des évocations subtiles, il montre aussi une certaine fatigue et une curieuse odeur soufrée. Robert, qui a une belle expérience des vins anciens n’a aucun repère sur 1898. Ce vin est intéressant comme témoignage, mais seulement pour cela, alors qu’à côté de lui, ça bouge ! Le Château La Tour de Mons Margaux 1900 a une couleur de vin riche, dense et terrien. Sa mâche est belle. Il est profond. Il a de la truffe, du velouté. Il est grand et confirme que 1900 est une année solide. La tarte aux cèpes est une merveille pour les deux vins et donne un bénéfique coup de fouet au Montrose.

On nous sert en même temps deux vins mythiques et, comme il sont tous les deux exceptionnels, je demande aux amis, d’une façon presque solennelle, de se recueillir et de se concentrer, car cet instant est un privilège unique. Le Château Ausone 1900 est une merveille. Je l’ai déjà bu deux fois et jamais je n’avais eu le plaisir qu’il devrait donner. Or ici, il est d’un grâce exceptionnelle. Terriblement séduisant, voire féminin, il marie subtilité et charme avec une grande puissance. Sa trace est impressionnante. A côté de lui, le Château Lafite 1900 a un parfum lourdement capiteux. Comment est-ce possible que l’on sente ainsi un coulis de fruits noirs ? La truffe qu’il exsude est lourde. Ce vin emplit la bouche. Sa présence est extrême. Quel vin gigantesque. Et l’on voit que les deux 1900 sont totalement opposés comme le sont la rive droite et la rive gauche de la Garonne, l’un et l’autre étant le champion de sa rive. L’Ausone joue sur le charme et la persuasion par sa profondeur. Le Lafite s’affirme en occupant l’espace, glorieux, royal, impérial même et d’une sérénité absolue. On verra dans les votes que les préférences entre les deux seront partagées. Le ris de veau est idéal pour mettre en valeur deux vins absolument exceptionnels.

J’avais trouvé à l’ouverture le nez du Clos de La Roche Jules Régnier 1899 absolument authentiquement bourguignon. Il est maintenant tellement à l’aise ! Il est bourguignon, serein, facile à vivre, peut-être plus simple par rapport aux bordeaux, mais charmeur avec aisance. C’est un grand vin riche tout en étant léger, qui profite d’un merveilleux pigeon.

Ayant eu peur que le montrachet de 1985 ne fasse de l’ombre au Montrachet Guichard Potheret 1929, je l’ai placé à cet endroit du repas pour le fromage. Je n’avais décelé aucun signe de madérisation à l’ouverture, malgré la couleur légèrement ambrée et ce vin est d’une grande pureté, sans signe de vieillissement excessif. Nous aurions dû le goûter avec le 1985 car il n’y aurait pas eu de compétition, l’écart d’âge excluant le combat, et c’est un mauvais service à rendre à ce grand vin que de l’associer au reblochon avec lequel il est incapable de coopérer. Nous n’aurons pas profité comme nous aurions pu d’un montrachet complexe et subtil, sans doute trop discret après les immenses rouges précédents. En revanche, le Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899 dont aucun des convives n’avait l’expérience ne fait qu’entraîner des oh et de ah, tant il est riche d’énigmes. Ce vin fait entrer dans une planète de saveurs où les repères sont rares. Car ce vin est éternel. Si nous nous donnions rendez-vous dans cent ans, nous goûterions strictement le même vin. Il n’a pas d’âge, il est indatable, complexe, d’une rare tension. C’est un vin confondant, que le comté met en valeur. C’est un grand moment du repas.

Le Château d’Yquem 1900, c’est "respect" comme on dit aujourd’hui. Sa robe est tellement opaque que l’on a du mal à imaginer qu’il ait été blanc clair quand il a été fait. Alors que le nez était il y a six heures merveilleusement agrume, il est de venu caramel et café. Si mes amis se régalent, je suis un peu plus sur ma réserve car ce vin que j’ai bu de nombreuses fois peut être beaucoup plus fringant et éclectique. Alors bien sûr, c’est une merveille car on sent tout le poids de saveurs des grands Yquem. Mais sa palette est trop courte, puisqu’elle a gommé les agrumes pour ne garder que le torréfié. Inutile de dire que même ainsi c’est un vin immense.

Le Porto Borgès Irmao 1900 agit sur moi comme une madeleine de Proust. Ce goût là, je le connais. Et l’image qui me vient, c’est celle d’une cave voûtée séculaire, où je boirais un élixir. Mais l’image est fugitive, car je n’arrive pas à pousser plus loin le lien avec ma mémoire. Le contraste avec le Madère Vilante da Silva Grande Réserve 1837 est saisissant. Le madère est un vin intemporel, car on imagine qu’il avait à peu près ce goût lorsqu’il avait cinquante ans et qu’il l’aurait encore si on l’ouvrait à la fin de ce siècle. Alors que le goût du porto ne peut appartenir qu’à un vin de plus d’un siècle. Il est pour moi d’une autre planète, comme l’est le Blanc Vieux d’Arlay. Les deux vins sont d’une pureté extrême. Avec le madère on est en terrain de connaissance. Avec le porto on lève le voile pour entrer dans le monde fabuleux des portos séculaires.

Les amis se demandaient comment pouvoir classer ces vins et j’ai proposé que l’on utilise la méthode de vote en pratique dans mes dîners. Les votes se sont concentrés sur quatre vins qui seront les premiers du classement, et par les hasards du vote démocratique, deux amis ayant nommé troisième le Montrose, il devient le 5ème du vote global, alors qu’Yquem 1900, Krug 1947 ou le Montrachet 1985 mériteraient largement de le précéder.

Le Lafite 1900 et l’Ausone 1900 ont recueilli chacun trois votes de premier, le Clos de la Roche 1899 et l’Arlay 1899 recevant chacun un vote de premier.

Le vote du consensus est : 1 – Château Ausone 1900, 2 – Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899, 3 – Château Lafite 1900 , 4 – Clos de La Roche Jules Régnier 1899, 5 – Château Montrose 1898.

Mon vote est : 1 – Château Lafite 1900 , 2 – Clos de La Roche Jules Régnier 1899, 3 – Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899, 4 – Château Ausone 1900.

Que retenir de ce dîner ? Dans mon livre "carnets d’un collectionneur de vins anciens", j’avais écrit que 1900 est la plus grande année de l’histoire. Nous avons eu la démonstration de l’énorme réserve de puissance des trois rouges de 1900, La Tour de Mons, Ausone et Lafite, vins riches et incroyablement vivants. La deuxième constatation est que tous les vins de ce dîner ont été d’une présentation parfaite. Le Montrose est sans doute le plus fatigué, mais il avait encore des choses à nous dire, au point de figurer dans deux votes. La troisième remarque concerne les accords mets et vins qui ont été absolument remarquables. Alain Pégouret a fait un travail d’une extrême précision. La quatrième remarque est qu’il serait temps, enfin, que le guide Michelin corrige son appréciation et redonne au restaurant Laurent la deuxième étoile très méritée. La cinquième remarque concerne la générosité des participants du dîner. Quel plaisir quand l’envie de partager pousse à sortir des vins mythiques des caves. La dernière remarque est personnelle : quand on vit des dîners aussi mémorables qui montrent l’incroyable longévité des vins, quel bonheur d’être amateur de vins anciens !

bouchon du Krug 1947