Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Déjeuner au restaurant In de Wulf dimanche, 23 septembre 2012

Nous arrivons en pleine campagne, entre des champs de maïs, à une jolie ferme ancienne construite en briques. A l’intérieur, la décoration se veut rustique, intensément rustique. Le restaurant In de Wulf a pour chef le jeune Kobe Desramaults qui nous offre l’occasion d’une nouvelle expérience de créativité culinaire.

Les amuse-bouche : Chips / Oignon croustillant / chou-rave, livèche / carotte fermentée, berce / betterave, yaourt, oseille / pain brûlé, maroilles. Le menu : maquereau brûlé, feuille de capucine / bulot, sauce petit lait, épinards, betterave de la mer / moule de bouchot, verveine, radis / crabe de la mer du Nord, courgette / escargots "gros gris" de Comines, pomme de terre, ail, herbe / homard d’Audresselles, "kerremelkstampers" / lotte, céleri, livèche, fenouil de la mer / céleri-rave cuit en croûte de sel, fromage à la crème fait maison / nuque de porc "ferme de Beau Pays" de Borre, légumes du jardin / concombre grillé, Keiemse witte / Cremet du CapBlanc-Nez / mûre sauvage, agastache / betterave rouge, fraise des bois, petit-lait, camomille / potiron, argousier.

Nous commençons par le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru 2002, qui a de belles notes de fruits jaunes et bruns. Très équilibré, il est gastronomique. Vanessa, la jeune sommelière, a composé une carte de vins nature, très tendance. Nous choisissons un vin du Jura, un En revenant du paradis, J.M. Brignot, Vin de France 2010, fait de chardonnay, savagnin et trousseau. Au premier abord, le vin servi très froid a tout pour me déplaire. C’est un vin de recherche, déstructuré, qui gêne par le fait que l’alcool semble étouffer le vin, avec un petit quelque chose d’une grappa. Mais ce qui est intéressant, c’est que le vin va montrer une aptitude gastronomique étonnante. Lorsqu’il est confronté à un plat viril, il caresse le plat et se fait civilisé. Et dès que le plat est parti, la déstructuration de son alcool le rend de nouveau gênant. Il suffit qu’il ait suscité de beaux accords pour que l’expérience se justifie. Avec le maquereau, avec le bulot et surtout sa crème de lait qui donne du fumé qui excite le caractère oxydatif du vin, avec les escargots au goût terrien, on trouve des accords de grande pertinence. L’Egly Ouriet est plus à l’aise avec des saveurs plus subtiles comme la moule délicieuse.

Le Pouilly-Fuissé Domaine Valette, Le Clos de Monsieur Noly 2001 est un vin fumé, à l’alcool très présent et fort, qui évoque une tisane de fruits bruns. La lotte se marie bien avec ce vin mais son alcool est trop fort. Le vin est superbe sur la raie et l’oignon.

Le chef ajoute pour nous au menu un canard sauvage avec une pâte de prunelle sauvage. C’est absolument délicieux. En définitive, je préfère le vin du Jura au Pouilly. Et je mets le champagne au dessus des vins. La cuisine du chef est d’une dextérité et d’une inventivité assez extraordinaire. On n’est pas encore au niveau de "L’Air du Temps", car il y a dans le restaurant d’hier une plus grande maturité. Mais c’est une étape qui est d’un très grand intérêt. Vanessa la sommelière est très compétente. Il faudra aussi qu’elle s’intéresse à d’autres vins que les vins nature.

Après quatre repas belges, le sentiment qui prévaut, c’est que ça bouge en Belgique. De même que Noma a entraîné à Copenhague une foule de restaurants d’avant-garde, en Belgique, la cuisine de recherche, travaillant des produits locaux et des herbes et légumes qui poussent dans le jardin du chef, conduit à une vivacité créative exemplaire. J’applaudis à deux mains cette recherche, cette profusion d’imagination créatrice, et ces goûts inouïs qui nous font dire : "où vont-ils chercher tout cela ?". En plus, c’est bon. Je classerai les quatre cuisines ainsi :1 – Air du Temps, 2 – In de Wulf, 3 – Couvert Couvert, 4 – de Pastorale. Et les quatre cartes de vins : 1 – Couvert Couvert, 2 – de Pastorale, 3 – Air du Temps, 4 – In de Wulf.

Nous avons pu commander des vins qui seraient inaccessibles sur les cartes de vin françaises dans des restaurant de même niveau. Ça bouge en Belgique, et la cuisine est très imaginative. Des jeunes se lancent en pleine nature pour créer de beaux restaurants. Un vent d’air frais souffle sur la Belgique. Tant mieux.

le chef prépare le céleri cuit au four

dîner au restaurant L’Air du temps avec un accord d’anthologie dimanche, 23 septembre 2012

Le dîner se tient au restaurant L’Air du temps, tenu par Sang-Hoon et Carine Degeimbre. San est un adepte du food pairing qui conduit à imaginer des accords saisissants sur la base de compatibilités génétiques des ingrédients. Le tout est revisité avec sa culture liée à ses origines coréenne et belge. Passionné par les plantes qu’il cultive et par les saveurs qu’il rapporte de ses voyages à travers le monde, il produit un cuisine inspirée, étonnante et le plus souvent passionnante, car il y ajoute sa connaissance des vins, ce qui apporte encore plus de pertinence à ses plats.

Voici ce que nous avons mangé : snacking : chips soufflé canard laqué /carotte laquée au vinaigre d’ail noir / escargot dans sa coquille / cigarette de pomme de terre, chocolat blanc, wasabi.

Bouchées : moules frites / œuf coque, mousse de saumon fumé, mouillette au fenouil.

Dégustation : homard breton en sushi décomposé / céviche, couteaux, courgettes jaunes, leche de tigre /jardin de Liernu : nos tomates, crevette de Zeebrugge, jus de crevettes, baume de Galaad / ferme de la Tour à Gismes : foie gras rôti au four, anguille fumée, ananas / volaille Oméga 3,coq des prés, rôtie, tendre avec un consommé acidulé, oignons / bœuf Wagyu, boulette de furikaké, carpaccio de bœuf, quinoa soufflé, jus de crabe, physalis, anchois / pigeonneau de Waret, crêpe de pomme de terre au fromage frais, pattes confites à l’orange et muscovadi, jus de pigeonneau, fève tonka / carottes pairing, purple haze confites à la citronnelle, gourmandises en lacets, sorbet à la violette / caramel au beurre salé, en sorbet, au café, à la vanille et potiron.

Le fourmillement inventif est spectaculaire. Nous commençons par un Champagne "les Carelles" Grand Cru de Mesnil-sur-Oger Jacques Selosse sans année. Il est d’une tension extrême. Sans concession, il claque sur la langue et nécessite des plats agressifs pour s’exprimer. Mon gendre n’aime pas. J’aime le côté rebelle qui est d’un grand intérêt. Nous poursuivons avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1998. Il est nettement plus confortable, rassurant par sa structure d’un grand équilibre. Carré, solide, il montre un dosage un peu fort par comparaison au Selosse. Il est très gastronomique, mais sur les tomates, c’est le Selosse qui est plus pertinent, alors que sur le jus de crevettes, c’est le Pol Roger.

Nous cherchions un vin blanc sur la carte et je demande à Maxime, le compétent sommelier, s’il n’a pas un vin caché, hors carte, de grand intérêt. Il nous présente un Riesling Grand Cru Brand Turckheim domaine Zind Humbrecht 1990 qui est une merveille absolue. Un vin d’une complexité incomparable avec des notes citronnées et de fruits jaunes, mais aussi d’épices innombrables. Il est lourd, imposant et entraînant. C’est alors que se produit avec le plat d’anguille et foie gras un accord qui nous laisse tous abasourdis. Nous tenons là un accord d’anthologie et plusieurs autour de la table répètent à l’envi : "c’est l’accord de l’année". Le fait est que la symbiose d’un plat incroyablement multiforme avec un vin qui l’est tout autant donne des variations gustatives d’une justesse infinie. C’est beau. Le vin est certainement le meilleur de notre voyage en Belgique. Sur le bœuf Wagyu, nous goûtons un Domaine de Trévallon Coteaux d’Aix 1990 qui d’emblée nous asphyxie par ses notes végétales à dominante de poivron mais aussi de fenouil. Le tout se domestique quand le vin s’ouvre, et c’est un vin de message simple, délicieusement goûteux, presque velouté, serein et apaisé. Il est aussi à l’aise sur le pigeon.

Cette table est d’une qualité de recherche exceptionnelle. San est venu discuter avec nous et nous a parlé de ce qui conduit ses recherches, expliquant le cheminement de quelques plats. On ne peut que recommander cette table de très haut niveau ou l’expérience gastronomique est exceptionnelle.

déjeuner au restaurant Couvert Couvert à Heverlee samedi, 22 septembre 2012

Nous déjeunons au restaurant Couvert Couvert à Heverlee, tenu par deux frères, Laurent et Vincent Folmer, ce qui explique peut-être la répétition du nom. L’entrée de l’édifice est sur la façade opposée à la route d’où l’on peut voir une grande trouée de verdure et des vaches qui viennent pâturer tout près du jardin potager du restaurant. La salle est d’une décoration très sobre, à la scandinave, avec un mobilier simple de beau design. L’accueil est souriant. L’examen de la carte des vins donne le sourire. Car il y a des pépites de première grandeur. Cette carte est intelligente (c’est la première fois que je vois qu’on indique la date de dégorgement des champagnes), et donne envie de dépenser, ce que devrait faire toute carte des vins.

Alors que nous avons un programme chargé de week-end, nous choisissons le menu à six plats ainsi composé : crabe tourteau, sarrasin et citron vert / sole de petit bateau, crevettes de Zeebrugge, tomates et estragon / homard breton, pêches et amandes fraîches / canard sauvage, betteraves et sureau noir / figues, glace aux feuilles de figues / chocolat, framboises et sapote.

Tout dans cette cuisine est raffiné, sensible, délicat. Les deux chefs étant des pâtissiers, ce que je ne savais pas, il devient normal que le plat que j’ai préfère soit celui de la figue. Le homard est tout petit mais très goûteux. La sole est très gastronomique. Ça respire l’intelligence, et contrairement à hier, tout met en valeur les vins. Les assiettes sont choisies avec pertinence pour faire de chaque plat un joli tableau. On se sent bien et heureux.

Le Corton Charlemagne Jean François Coche-Dury 2007 a un nez encore jeune où le soufre apparaît légèrement. En bouche, il n’est pas aussi tonitruant que certains Corton Charlemagne Coche-Dury plus anciens qui sont de vraies bombes, mais il est très expressif, solide, sa relative discrétion lui donnant beaucoup de charme. Il est terriblement gastronomique. Ses notes citronnées sont équilibrées et l’ensemble, très cohérent, est rassurant pour les plats.

Nous souhaitions nous en tenir à un vin compte tenu du programme qui reste à suivre, mais le vin s’asséchant très vite, nous avons commandé un La Grande Rue Grand Cru Monopole Domaine François Lamarche 2002. Le vin est d’une rare délicatesse. Au début, son message manque un peu d’expression, mais il faut le laisser s’ouvrir et il gagne en velouté et en délicatesse. Son final est un peu rêche. Il est à noter qu’aussi bien sur le homard (chair seule) que sur le canard, c’est le vin rouge qui s’exprime mieux que le vin blanc. S’il est discret, il est subtil, et le velouté s’impose de plus en plus.

Nous avons vécu un excellent déjeuner, joyeux, qui donne envie de revenir en ce restaurant au naturel plaisant.

dîner au restaurant de Pastorale samedi, 22 septembre 2012

Cap sur Bruxelles, non pas pour y planquer quelques lingots, mais pour s’immerger en gastronomie. L’hôtel Bloom à Bruxelles est jeune et moderne. Notre chambre avec mezzanine est d’une décoration plaisante. L’arrivée en terre belge impose une bière blonde de la Brasserie d’Achouffe. Un régal.

Nous partons vers la ville de Rumst au restaurant de Pastorale qu’il serait impossible d’atteindre sans un GPS. On se demande comment on pouvait y arriver quand cet outil n’existait pas. La façade du lieu est imposante mais égayée par une statue au revêtement doré brillant qui est prise d’un rire bruyant au moment où l’on passe devant elle, comme ces grenouilles de jardin qui coassent quand on les approche. La décoration intérieure est d’avant-garde. Elle est d’une grande sensibilité et réussie.

La carte des vins est très internationale et les prix paraissent accessibles. Mon choix porte sur le Champagne Krug 1988 qui est d’une maturité magnifique. Il n’a pas d’âge et nous éblouit de sa complexité épanouie. Les amuse-bouche sont nombreux, très bigarrés et les explications sont incompréhensibles. On n’en retient rien mais ce n’est pas grave. Une moule est particulièrement goûteuse. Le champagne est à son aise avec ces multiples saveurs.

J’ai choisi le cabillaud au fenouil et sureau et le bœuf Holstein de cinq ans d’âge, sélection unique, mûri cinquante jours. Le chef Bart de Pooter fait une cuisine dont la présentation est agréable à l’œil, dont les produits sont de qualité, mais dont la cohérence des plats est absente. Ce sont des patchworks de saveur sans véritable logique, sauf de les ajouter "comme ça". On le verra avec le plateau de fromages commandé pour accompagner le vin rouge : cinq fromages arrivent avec quatre sauces ou confitures de fruits, et c’est la java pour les papilles. Le vin méritait mieux que cela, car c’est Vega Sicilia Unico Reserva Especial fait de 1985, 1991 et 1996 mis en bouteilles en 2005. Le vin est impérial. Il est d’un velours distingué. On dirait un mannequin qui défile sur un nuage. Il est d’une grâce pure avec un beau fruit rouge mais surtout ce velours de grande noblesse marque le palais d’une trace profonde. C’est un vin magnifique.

Notre serveuse ou plutôt notre hôtesse a fait un service attentif et attentionné. Ce n’est pas le cas du sommelier Jon Stalmans qui paraissait aux abonnés absents, car nos verres étaient souvent vides. Alors, que dire ? Le lieu est beau, la cuisine n’est pas du tout adaptée aux vins. C’est une étape pour une expérience culinaire. Ce n’est pas une étape pour les amoureux du vin.

Cinq vins de 1900 et deux de 1899 au Laurent mardi, 18 septembre 2012

Dîner avec des amis et des bouteilles rarissimes, c’est l’aboutissement de l’esprit de l’académie des vins anciens. Il y a des vins anciens dans les caves. L’académie veut provoquer des occasions pour que l’on sorte ces vins des caves et qu’on les partage. Ce soir, ce sera une séance toute particulière, à mi-chemin entre ce que l’on a appelé les "casual Fridays" et l’académie. Nous serons huit, avec un programme particulièrement musclé. C’est Frédéric un ami qui a lancé le premier hameçon : "j’aimerais pour thème 1900 et ce qui tourne autour". On échange des mails, certains amis n’ont rien dans cette période, mais l’amitié est la plus forte. Le programme s’assemble. Le lieu choisi est le restaurant Laurent et je mets au point le menu avec Philippe Bourguignon.

J’arrive à 17h30 pour ouvrir les vins. Frédéric m’attend déjà pour ouvrir lui aussi quelques vins. Parmi les quatre vins que j’ai apportés il y a un Lafite 1900 au niveau très bas, vraiment basse épaule, mais la couleur me paraissait en cave engageante. Je l’ouvre. Bingo ! Le parfum est si sensuel, de truffe, de velours et de coulis de fruits noirs que je faillis m’évanouir. Vite il faut mettre un bouchon pour renfermer ce parfum extraordinaire. Tiendra-t-il jusqu’au dîner, nous verrons. Le Clos de la Roche 1899 est follement expressivement bourguignon. Le Montrachet 1929 à la couleur légèrement ambrée a un nez très pur, sans trace de madérisation. A propos de Madère, le 1837 a un nez d’une force et d’une expression folle. Perfide, je suggère à Frédéric que nous devrions vérifier s’il est bon, alors que c’est une évidence. Nous buvons un élixir, à la force alcoolique rare, qui a un goût intemporel, taillé pour l’éternité. Le parfum du Blanc Vieux d’Arlay 1899 est soufré. Il est tentant de le goûter comme le Madère. C’est un vin franc qui lui non plus n’a pas d’âge, auquel on ne donnerait pas plus de trente à quarante ans. Le parfum de l’Yquem 1900 est une leçon de choses. Il n’y a apparemment aucune mauvaise surprise, mais il convient d’être prudent.

Il nous reste plus de deux heures à attendre puisque des amis lyonnais arriveront assez tard par le train. C’est alors que Frédéric sort de sa musette un Castellu di Baricci vin rosé de Sartène 2011 de la famille Quilichini qui titre 14,5°. Et Frédéric a raison, c’est un beau rosé charnu, puissant, de bonne mâche, qui semble fait pour la gastronomie. C’est amusant de créer cet intermède quand on sait le programme qui nous attend.

Des amis tardent à venir aussi commençons-nous à boire le Champagne Krug 1985 dans le beau jardin du restaurant, pour les faire venir. Ce champagne est exceptionnel et le vin corse que Frédéric a servi aux amis à leur arrivée met en valeur le fruit rouge de ce champagne, assez étonnant pour un Krug. Ce 1985 est déjà entré dans une phase d’évolution tout en conservant sa tension extrême. On dirait un arc bandé. Il est puissant, pénétrant et je l’aime énormément. Le champignon moutardé crée un accord brillant. Evolué et tendu comme un chien de chasse en arrêt, c’est un champagne de compétition.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret est : tête de champignon cru, légèrement moutardée / bouillabaisse froide, pommes de terre et fenouil au basilic / tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / tarte aux cèpes / noix de ris de veau dorée au sautoir girolles poêlées et « grenobloise » / pigeon à peine fumé et rôti, pissaladière de jeunes légumes, sauce piquante / reblochon et vieux comté / jubilé de mirabelles / fondant de chocolat amer

Nous avons une belle table dans la grande salle et des tables voisines regardent avec curiosité les vins qui nous sont servis. Le Champagne Abel Lepitre 1957 a une très belle couleur dorée. La bulle est atténuée mais vivace. Le vin est significativement dosé, mais il est agréable. Il est de belle maturité sans trace de faiblesse. C’est une belle surprise, car cette année n’est pas restée dans les annales de la Champagne. A l’inverse, l’année du champagne qui suit est légendaire et le Champagne Krug Collection 1947 l’est aussi. D’une folle complexité, d’une longueur inouïe, ce champagne est un grand. Mais je trouve qu’il n’est pas flamboyant. Aussi, même si la complexité est du côté du 1947, j’ai un faible pour le 1985. Florent s’en amuse, car il sait que le 85 est mon vin et le 47 le sien. La gelée de la bouillabaisse se marie très bien avec l’Abel Lepitre. Nous venons de boire trois champagnes de haute volée.

L’association du turbot avec des légumes verts est très originale, car les petits pois notamment donnent une grande fraîcheur au plat et excitent le vin. Le Montrachet Comtes Lafon 1985 n’est pas un vin ancien. Il est même d’une jeunesse folle et son odeur de soufre pourrait faire de lui un gamin. Le vin est imposant, fort d’une palette aromatique infinie. Il a l’aisance et la prestance des montrachets. C’est un grand vin, un peu hors catégorie dans ce dîner de centenaires – je parle des vins évidemment.

Le Château Montrose 1898 provient d’une bouteille où tout l’habillage est manuel : étiquette minuscule et manuscrite, bouchon marqué du château mais peu ancien et une vilaine capsule en plastique. Mais Frédéric nous dit qu’il provient directement de la réserve de la famille Charmolüe, ancienne propriétaire de Montrose. Le vin est clairet, presque rose. S’il a des accents intéressants, et des évocations subtiles, il montre aussi une certaine fatigue et une curieuse odeur soufrée. Robert, qui a une belle expérience des vins anciens n’a aucun repère sur 1898. Ce vin est intéressant comme témoignage, mais seulement pour cela, alors qu’à côté de lui, ça bouge ! Le Château La Tour de Mons Margaux 1900 a une couleur de vin riche, dense et terrien. Sa mâche est belle. Il est profond. Il a de la truffe, du velouté. Il est grand et confirme que 1900 est une année solide. La tarte aux cèpes est une merveille pour les deux vins et donne un bénéfique coup de fouet au Montrose.

On nous sert en même temps deux vins mythiques et, comme il sont tous les deux exceptionnels, je demande aux amis, d’une façon presque solennelle, de se recueillir et de se concentrer, car cet instant est un privilège unique. Le Château Ausone 1900 est une merveille. Je l’ai déjà bu deux fois et jamais je n’avais eu le plaisir qu’il devrait donner. Or ici, il est d’un grâce exceptionnelle. Terriblement séduisant, voire féminin, il marie subtilité et charme avec une grande puissance. Sa trace est impressionnante. A côté de lui, le Château Lafite 1900 a un parfum lourdement capiteux. Comment est-ce possible que l’on sente ainsi un coulis de fruits noirs ? La truffe qu’il exsude est lourde. Ce vin emplit la bouche. Sa présence est extrême. Quel vin gigantesque. Et l’on voit que les deux 1900 sont totalement opposés comme le sont la rive droite et la rive gauche de la Garonne, l’un et l’autre étant le champion de sa rive. L’Ausone joue sur le charme et la persuasion par sa profondeur. Le Lafite s’affirme en occupant l’espace, glorieux, royal, impérial même et d’une sérénité absolue. On verra dans les votes que les préférences entre les deux seront partagées. Le ris de veau est idéal pour mettre en valeur deux vins absolument exceptionnels.

J’avais trouvé à l’ouverture le nez du Clos de La Roche Jules Régnier 1899 absolument authentiquement bourguignon. Il est maintenant tellement à l’aise ! Il est bourguignon, serein, facile à vivre, peut-être plus simple par rapport aux bordeaux, mais charmeur avec aisance. C’est un grand vin riche tout en étant léger, qui profite d’un merveilleux pigeon.

Ayant eu peur que le montrachet de 1985 ne fasse de l’ombre au Montrachet Guichard Potheret 1929, je l’ai placé à cet endroit du repas pour le fromage. Je n’avais décelé aucun signe de madérisation à l’ouverture, malgré la couleur légèrement ambrée et ce vin est d’une grande pureté, sans signe de vieillissement excessif. Nous aurions dû le goûter avec le 1985 car il n’y aurait pas eu de compétition, l’écart d’âge excluant le combat, et c’est un mauvais service à rendre à ce grand vin que de l’associer au reblochon avec lequel il est incapable de coopérer. Nous n’aurons pas profité comme nous aurions pu d’un montrachet complexe et subtil, sans doute trop discret après les immenses rouges précédents. En revanche, le Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899 dont aucun des convives n’avait l’expérience ne fait qu’entraîner des oh et de ah, tant il est riche d’énigmes. Ce vin fait entrer dans une planète de saveurs où les repères sont rares. Car ce vin est éternel. Si nous nous donnions rendez-vous dans cent ans, nous goûterions strictement le même vin. Il n’a pas d’âge, il est indatable, complexe, d’une rare tension. C’est un vin confondant, que le comté met en valeur. C’est un grand moment du repas.

Le Château d’Yquem 1900, c’est "respect" comme on dit aujourd’hui. Sa robe est tellement opaque que l’on a du mal à imaginer qu’il ait été blanc clair quand il a été fait. Alors que le nez était il y a six heures merveilleusement agrume, il est de venu caramel et café. Si mes amis se régalent, je suis un peu plus sur ma réserve car ce vin que j’ai bu de nombreuses fois peut être beaucoup plus fringant et éclectique. Alors bien sûr, c’est une merveille car on sent tout le poids de saveurs des grands Yquem. Mais sa palette est trop courte, puisqu’elle a gommé les agrumes pour ne garder que le torréfié. Inutile de dire que même ainsi c’est un vin immense.

Le Porto Borgès Irmao 1900 agit sur moi comme une madeleine de Proust. Ce goût là, je le connais. Et l’image qui me vient, c’est celle d’une cave voûtée séculaire, où je boirais un élixir. Mais l’image est fugitive, car je n’arrive pas à pousser plus loin le lien avec ma mémoire. Le contraste avec le Madère Vilante da Silva Grande Réserve 1837 est saisissant. Le madère est un vin intemporel, car on imagine qu’il avait à peu près ce goût lorsqu’il avait cinquante ans et qu’il l’aurait encore si on l’ouvrait à la fin de ce siècle. Alors que le goût du porto ne peut appartenir qu’à un vin de plus d’un siècle. Il est pour moi d’une autre planète, comme l’est le Blanc Vieux d’Arlay. Les deux vins sont d’une pureté extrême. Avec le madère on est en terrain de connaissance. Avec le porto on lève le voile pour entrer dans le monde fabuleux des portos séculaires.

Les amis se demandaient comment pouvoir classer ces vins et j’ai proposé que l’on utilise la méthode de vote en pratique dans mes dîners. Les votes se sont concentrés sur quatre vins qui seront les premiers du classement, et par les hasards du vote démocratique, deux amis ayant nommé troisième le Montrose, il devient le 5ème du vote global, alors qu’Yquem 1900, Krug 1947 ou le Montrachet 1985 mériteraient largement de le précéder.

Le Lafite 1900 et l’Ausone 1900 ont recueilli chacun trois votes de premier, le Clos de la Roche 1899 et l’Arlay 1899 recevant chacun un vote de premier.

Le vote du consensus est : 1 – Château Ausone 1900, 2 – Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899, 3 – Château Lafite 1900 , 4 – Clos de La Roche Jules Régnier 1899, 5 – Château Montrose 1898.

Mon vote est : 1 – Château Lafite 1900 , 2 – Clos de La Roche Jules Régnier 1899, 3 – Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899, 4 – Château Ausone 1900.

Que retenir de ce dîner ? Dans mon livre "carnets d’un collectionneur de vins anciens", j’avais écrit que 1900 est la plus grande année de l’histoire. Nous avons eu la démonstration de l’énorme réserve de puissance des trois rouges de 1900, La Tour de Mons, Ausone et Lafite, vins riches et incroyablement vivants. La deuxième constatation est que tous les vins de ce dîner ont été d’une présentation parfaite. Le Montrose est sans doute le plus fatigué, mais il avait encore des choses à nous dire, au point de figurer dans deux votes. La troisième remarque concerne les accords mets et vins qui ont été absolument remarquables. Alain Pégouret a fait un travail d’une extrême précision. La quatrième remarque est qu’il serait temps, enfin, que le guide Michelin corrige son appréciation et redonne au restaurant Laurent la deuxième étoile très méritée. La cinquième remarque concerne la générosité des participants du dîner. Quel plaisir quand l’envie de partager pousse à sortir des vins mythiques des caves. La dernière remarque est personnelle : quand on vit des dîners aussi mémorables qui montrent l’incroyable longévité des vins, quel bonheur d’être amateur de vins anciens !

bouchon du Krug 1947

Les vins d’un dîner avec 9 vins du 19è siècle mardi, 18 septembre 2012

Champagne Krug 1985

Champagne Abel Lepitre 1957

Champagne Krug Collection 1947

Montrachet Comtes Lafon 1985

Château Montrose 1898

Château La Tour de Mons Margaux 1900

Château Lafite 1900

Château Ausone 1900

Clos de La Roche Jules Régnier 1899

Montrachet Guichard Potheret 1929

Vin Blanc vieux d’Arlay Caves Bourdy 1899

Château d’Yquem 1900

Porto Borgès Irmao 1900

Madère Vilante da Silva Grande Réserve 1837

déjeuner au restaurant Alain Ducasse de l’hôtel Plaza vendredi, 7 septembre 2012

Je suis invité au restaurant Alain Ducasse de l’hôtel Plaza. En franchissant le seuil de l’hôtel, on sait que l’on entre dans le monde des ennemis du quinquennat actuel. Les hôtesses sont jolies et juste ce qu’il faut d’obséquieusement parisiennes. Dans la belle salle à la décoration au classicisme un peu rigide, ce qui illumine, c’est le sourire du sommelier.

Nous commençons par un Champagne Henriot 1996 dont le parfum est d’une rare expressivité. Il est intense, miellé et toasté. En bouche, il est carré, puissant, affirmatif. C’est un très bon champagne droit dans ses bottes, qui peut aussi se faire canaille comme avec des cuisses de grenouille panées trempées dans une sauce verte.

Nous choisissons un pâté chaud de pintade et un homard aux "pommes de mer " car on nous vante le design du plat "cockpot" dans lequel il est servi. Le Chateauneuf-du-Pape Cuvée des Célestins Henri Bonneau 2001 a un nez chaleureux qui ensoleille nos sourires. En bouche, il est "the right wine in the right place". Authentique, chaleureux, sans aucun chichi inutile, il est d’un rare plaisir. Droit, naturel, aisé, c’est un vin de bonheur. Il est plus à l’aise sur l’excellent pâté que sur un homard un peu conventionnel et politiquement correct, même s’il est excellent.

Le dessert à la framboise est devancé par un pré-dessert lui aussi à la framboise, ce qui est curieux.

Le service est compétent et n’est pas guindé. Le sommelier est parfait dans son rôle. La nourriture est excellente. On aimerait que le lieu s’encanaille un peu tout en gardant le niveau d’excellence qu’il a atteint.

dernier dîner d’été dans le sud, avec une grande diversité de vins dimanche, 2 septembre 2012

Gerhard, l’ami autrichien qui avait organisé la spectaculaire verticale de la Romanée Liger-Belair en juin dernier, célèbre aussi pour sa chute impromptue dans la piscine d’Yvan Roux lors d’un repas, vient dîner à la maison du sud pour un dîner de vins avec sa femme, ses deux fils et l’un de ses amis, Wolfgang. Nous choisissons les vins au sein de nos différents apports et vers 17h30, j’ouvre les bouteilles retenues. Les nez les plus superbes sont celui du Clos des Lambrays et du Banyuls. Le Corton très vieux est encore incertain et le Châteauneuf rouge a un bouchon qui sent le bouchon.

L’apéritif se prend avec un Champagne Salon magnum 1995 d’une belle maturité. Avec le Cecina de Léon l’accord est fusionnel. Il y a une multiplication de goût de l’un par l’autre, la viande fumée de bœuf donnant au champagne, en plus de sa trace citronnée, une évocation de noisettes et d’amandes. Le lomo ibérique est superbe et étire en longueur le champagne, mais sans la fusion précédente. Nous comparons le lomo à un filet de porc fumé autrichien apporté par Gerhard. Les deux sont différents et également plaisants, bien suivis par le Salon. De l’andouillette de Guémené grillée appelle un rouge, aussi ouvrons-nous le Chateauneuf-du-Pape Barne Rac M. Chapoutier vers 1970 cuvée spéciale numérotée mais non millésimée. Hélas, le vin est horriblement bouchonné, aussi j’ouvre le Château La Conseillante 1966. Ouvert sur l’instant, le pomerol nous offre sa fraîcheur et sa spontanéité. Ce vin est un « waow » vin. Car on ne pourrait pas concevoir qu’il puisse être meilleur. Riche, tannique, il est éblouissant et se marie bien à l’andouillette particulièrement virile. Nous finissons l’apéritif avec du Pata Negra délicieux qui ne trouve aucun écho avec le bordeaux, mais excite merveilleusement le Salon 1995 que je trouve d’une belle plénitude. Il est très grand.

Le menu que j’ai mis au point pour permettre la mise en valeur des vins est : Camerone juste rôtie et coulis de butternut sans crème / pavé de mérou cuit à basse température, écrasée de pomme de terre roseval a l’huile d’olive douce et basilic / grenadin de veau dans le filet, ail confit et pommes de terre rattes confites / onglet de bœuf, oignons blanc doux des Cévennes, compotée au vinaigre de xérès / camembert Jort, saint-nectaire, Cantal / moelleux au chocolat.

Le Corton Charlemagne Thorin 1966 décline des complexités frêles et subtiles, alors que le Chateauneuf-du-Pape Les Cabanes blanc 1969 est un guerrier puissant. Les deux sont le jour et la nuit et nous plaisent tout autant. Sur la crevette, c’est le bourguignon qui se distingue alors que le vin du Rhône brille sur la chair dense du poisson.

Le Clos des Lambrays 1978 avait un nez superbe à l’ouverture. Il est absolument grand et l’année lui va bien. Ce vin qui se présente dans une bouteille à l’étiquette ancienne est précieux, délicat, avec une présence en bouche très forte et une grande longueur. C’est un beau bourgogne. Le Corton Bouchard P&F sans année, très ancien pourrait être des années 10 ou des années 20. Situons-le autour de 1923, sans certitude. Il a une trame très riche et nous rions tous, car plutôt qu’hermitagé, il semble dopé au vin africain. Le résultat est très riche, très fort en alcool, mais très plaisant et velouté. A côté, le Corton Grand Cru Domaine Rapet Père & Fils 1990 est d’une grande précision. Il a la jeunesse et l’authenticité. La juxtaposition est intéressante et le Rapet est un bel exemple de Corton, aidé par une belle année.

Lorsque j’avais annoncé que j’ouvrirais un Banyuls Magnères Rancio sec vieux 1913, les fils de Gerhard m’ont demandé pourquoi je n’attendais pas d’ouvrir ce vin pour son centenaire. J’ai expliqué que Wolfgang ayant annoncé un vieux porto, je voulais apporter un vin doux ancien qui ne soit pas porto. A l’ouverture, le nez du Banyuls était incroyablement expansif et séduisant, alors que le nez du porto était plus que discret. Le Banyuls est très charmeur, long en bouche et envahissant. Le Porto Fonseca 1963 forme un contraste de même nature que pour les vins blancs secs. Car le porto est solide, charpenté, sérieux, avec une belle fraîcheur. C’est un grand porto alors que le Banyuls est plus folâtre, et soutient bien la comparaison. C’est même lui qui convient mieux au moelleux au chocolat.

Classer les vins est difficile mais je le ferais ainsi : 1 : Château La Conseillante 1966 pour sa plénitude, 2 : Clos des Lambrays 1978 pour son équilibre, 3 : Champagne Salon magnum 1995 pour sa maturité, 4 : Banyuls Magnères Rancio sec vieux 1913 pour son originalité. Par un froid quasi sibérien, à 20° de moins qu’il y a une semaine, nous avons bu des vins de grande qualité.

Dîner au restaurant Grand Baie sur la presqu’île de Giens dimanche, 2 septembre 2012

Dîner au restaurant Grand Baie sur la presqu’île de Giens, avec une vue magnifique sur le tombolo, les marais salants et la langue de terre qui relie Giens au littoral. C’est sans prétention et la langouste est fort bonne. Un Champagne Mumm Cordon Rouge est sans histoire et le Château de l’Aumérade Cuvée Sully Côtes de Provence blanc 2011 est trop jeune et trop brut de forge pour susciter la moindre émotion.

Dîner belote avec un bel amour (de Deutz) dimanche, 2 septembre 2012

Dîner belote chez des amis. Le Champagne Amour de Deutz 2000 est très élégant, racé, de belle facture. Il se boit bien, avec plaisir. Il est suivi d’un Champagne Ruinart magnum sans année qui souffre d’être servi à la suite. Car s’il est agréable, il montre ses limites. Un Château du Glana Saint-Julien 1999 est agréable, mais sans grande imagination. A la belote, les hommes ont gagné mais de peu. Il est des moments où l’on ne veut pas entendre parler de parité.