Archives de catégorie : dîners ou repas privés

premier dîner dehors en région parisienne jeudi, 24 mai 2012

Mon fils va repartir demain sous d’autres cieux. C’est l’occasion de profiter des premiers soirs cléments pour dîner dehors. Comme souvent, je prélève en cave des bouteilles sans plan particulier. La première est un Marquès de Riscal Rioja Reserva 1992 qui titre 12,5°. Le niveau est dans le goulot. Alors que le haut du bouchon est d’une propreté parfaite, le bouchon se brise à la levée. Il n’est pas de belle qualité. Le vin est d’une couleur déjà tuilée ce qui n’est pas normal. Il sent très bon, d’un parfum franc et prometteur. La déception est en bouche. On sent que le vin pourrait avoir du potentiel, mais le vin a vieilli trop vite. On lui donnerait facilement vingt ans de plus. Il a le désagrément des vins fatigués. Le vin est plat, sans véritable final. Le jambon espagnol lui convient et le fouette, car ils sont des « pays », et le foie gras le domestique. Mais ce n’est pas folichon du tout. C’est plus que certainement un problème de bouteille, et probablement un coup de chaud.

La deuxième est un Corton Clos du Roy L.A. Montoy Propriétaire 1929. L’étiquette est quasiment illisible alors que la capsule est très précise. La devise est ainsi notée : « CAUSA NOSTRÆ LÆTITIÆ », ce qui est charmant. Le bouchon est gras, mais pas trop et se brise de façon normale. Le nez n’est pas très engageant, avec des arômes de sous-bois et de champignons. La robe est plus jeune que celle du Rioja dont le millésime est un anagramme. En bouche, on sent instantanément que ce vin « cause » quand l’autre était muet. Il y a une âme dans ce vin. Mais la fatigue est là. Bien sûr, nous chercherons à capter ce qui reste du message, mais on est bien loin de la pétulance habituelle des 1929 bourguignons. La soirée est si belle que cela ne va pas gâcher notre plaisir. Nous aurons de meilleures pioches.

à droite, c’est le même bouchon, mais retiré en deux fois

repas de conscrits au Yacht Club de France mercredi, 23 mai 2012

Les amis de mon âge débordent d’imagination. Dans la salle à manger privée du Yacht Club de France, Thierry Leluc a concocté avec le chef un menu « impérial » : carpaccio d’empereur à la mangue ivoirienne, rouleau impérial à l’araignée de mer / filet de veau fermier Marengo / fromage « empereur » corse et le Napoléon des Pyrénées / la Sachertorte, gâteau viennois au chocolat préféré de l’impératrice Sissi.

Tout fut délicieux, attentionné et inventif. Les herbes de l’entrée proviennent du jardin de Thierry Leluc.

Le Champagne Boizel brut sans année est aimable, mais sans grande imagination. Le Champagne Vilmart & Cie grand cellier brut premier cru est un peu plus expressif et sert de faire-valoir au Champagne Besserat de Bellefon sans année, au message plus clair et plus joyeux. C’est un champagne de plaisir.

La star de ce repas, c’est le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2008. Riche, plein, expressif, à la trace très longue et complexe, ce vin est très gastronomique. C’est sur le carpaccio qu’il a trouvé la plus grand vivacité.

Le Cos d’Estournel 1996 que nous avons déjà goûté en ce lieu est un très grand vin. Son équilibre est remarquable et son empreinte est forte. Sa force tannique est d’une grande jeunesse. Le La Rose Pauillac 1975 d’un groupement de propriétaires de Pauillac a la fâcheuse idée d’être bouchonné. Le Château Malescot Saint-Exupéry Margaux 1986 est plus simple et moins percutant que le Saint-Estèphe, mais il se boit très agréablement. Le Château Lynch-Bages 1997 convient bien aux fromages, car il est d’une grande délicatesse, dans sa discrétion.

Le Champagne Cuvée Joséphine Joseph Perrier 2002 est superbe, goûteux et vif, grand champagne qui a su tenir tête à la Sachertorte et surmonter le chocolat.

Il nous fallait un Cognac Courvoisier Napoléon pour couronner notre statut d’empereurs. Le Yacht Club de France est d’un accueil impérial comme notre menu. C’est toujours un plaisir de voir la motivation des équipes qui ont composé et réalisé ce beau repas.

de grands vins au restaurant Laurent dimanche, 20 mai 2012

Les amis que nous avions reçus dans le sud étant de passage à Paris, nous nous retrouvons avec eux et avec notre fils au restaurant Laurent.

Le menu de saison nous paraît sympathique : petit pois en vinaigrette à l’huile d’olive et basilic, galette croustillante / foie de canard poêlé, veloutine à l’oseille et haricots « risina » / tronçon de turbot à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / pigeon à peine fumé et rôti, pissaladière de jeunes légumes, sauce piquante / voiture de fromages / soufflé chaud mangue-safran. C’est un menu délicat, équilibré, de cuisine rassurante qui mériterait un peu plus de considération de la part du Guide Michelin.

Le Champagne Clos des Goisses Philipponnat 2000 est d’un bel or clair. La bulle est fine et rapide. Le vin est imposant, riche, plein en bouche, de forte personnalité. Ce sont des fruits jaunes qui marquent le goût. C’est un grand champagne à la forte trace.

L’Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2001 est puissant et fumé comme un vin de vieilles roussanes. Il est riche et pénétrant. S’il ne trouve pas vraiment le tempo qui convient au foie de canard, il est merveilleux sur le turbot, et créera le plus bel accord du dîner. J’aime ce vin puissant, conquérant, d’un grand équilibre. Il est à un point de sa vie que l’on peut considérer comme idéal.

Le Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2006 nous fait commettre un infanticide, mais j’en avais furieusement envie et c’est le seul millésime sur la belle carte des vins. Dès la première gorgée on est conquis par le charme délicat de ce vin subtil qui sait combiner la puissance et le raffinement. Je suis un amoureux non transi des vins de ce domaine. Force est cependant de constater que l’on boit ce vin un peu trop jeune, car il va s’épanouir et gagner encore en complexité. Avec le pigeon, c’est un régal.

Il fait soif et c’est l’heure des folies. Un Ermitage Cuvée Cathelin Jean-Louis Chave 2000 apparaît sur notre table. Le vin est grand, ce n’est pas une découverte. Opulent, riche remarquable en tous points. Mais le vin venait tout droit de la cave. Le vin est donc encore un peu coincé et ne se débridera qu’en fin de parcours. C’est notre faute d’avoir commandé ce vin au dernier moment, car l’émotion n’a pas eu la plénitude que j’attendais.

Mon classement du fait des performances de ce soir et non pas sur le potentiel des vins, c’est le Chave blanc, puis le Clos des Goisses, puis le chambertin un peu jeune et le Cathelin un peu coincé sorti de cave.

La grande satisfaction, c’est d’avoir célébré des vins que nous aimons, fleurons de beaux vignobles, sur une cuisine sereine et apaisée, de grand confort, avec l’un des services de salles les plus plaisants de Paris.

La Tâche 1943 émouvante vendredi, 18 mai 2012

Mon fils revient des Etats Unis, juste trois jours après son anniversaire. C’est l’occasion de fêter ça. Je repère en cave une bouteille de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 qu’il faut boire, car le niveau ressemble à un mi-épaule /basse épaule selon le standard bordelais. La couleur du vin vue à travers le verre me plait. Pendant ma visite de cave, je vois une bouteille de Château Latour 1907 qui a perdu plus de la moitié de son volume. Je la pose à même le sol comme on la poserait dans un cercueil. Grandeur et décadence : collectionner les vins c’est s’exposer à ce type de problème, la mort inéluctable des vins. Et en couchant la bouteille de Latour, j’ai une pensée pour Michel Chasseuil, qui a la plus belle cave du monde, mais l’expose à la mort subite du vieux barbon, quand le bouchon a décidé de rendre l’âme.

Pensant que La Tâche pourrait avoir un problème, je choisis un Vega Sicilia Unico 1982 au niveau dans le col, qui devrait être la bonne sauvegarde.

A 18 heures, j’ouvre La Tâche et le bouchon vient entier, noir mais laissant apparaître le mot « Tâche ». La première odeur est divine. Il y a un insistant fruit rouge, framboise ou peut-être noir, de cassis, qui promet un grand moment. J’ouvre le Vega Sicilia Unico et la similitude de parfum est confondante. Car on retrouve le même fruit rouge, le même velouté, le vin espagnol ayant un peu plus de vigueur, mais pas tant que ça.

Ma femme, pensant qu’il y aurait un champagne au début, a prévu saucisson de canard, rillettes de canard et Pata Negra. Le dilemme pour moi est : « La Tâche en premier ou en second ? ». Le risque, c’est que le vin espagnol servi en premier écrase le bourguignon. Je décide que l’espagnol viendra en tête. Quitte à prendre des risques, autant les prendre tous. Le Vega Sicilia Unico 1982 est assez extraordinaire. Alors qu’il titre 13,5°, sa légèreté est incroyable. Son attaque est faite de fraîcheur. Il est frais, agréable, séduisant. En milieu de bouche, c’est à la fois une amertume contenue et un fruit rouge délicat. Et sur le final, c’est du velours sur du fruit rouge. Ce vin paraît facile à vivre, subtil, au velours rare. Il se boit avec une facilité déconcertante.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 est accompagnée d’un agneau de lait goûteux à souhait sur des tranches de pomme de terre juste poêlées. L’accord est divin. La couleur du vin est rouge encore et s’assombrira au cours de la soirée. La continuité avec le vin espagnol est étrange, car on retrouve le même fruit rouge et le même velours. Mais il y a une tension dans La Tâche qui n’existe pas dans le vin espagnol. Est-ce à dire que l’un serait meilleur que l’autre ? La Tâche est assurément plus complexe. Mais le Vega est plus fringant. Alors, laissons-les côte-à-côte. Plus on avance dans le vin, plus La Tâche est profonde. La lie de La Tâche est une merveille absolue. En sentant les deux fonds de verre, c’est La Tâche qui exprime plus de complexité. Ce vin, que j’ai acheté il y a trente ans, est peut-être le dernier que j’ai. J’en ai connu de plus fringants. Mais celui-ci a une âme devant laquelle on se recueille.

Comme j’avais parlé du Château Latour 1907, pourquoi ne pas le remonter de cave ? Il a perdu la moitié de son volume. Je tire le bouchon, excessivement gras et je suis étonné, car l’étiquette indique un reconditionnement en 1989. Ce n’est pas la première fois que je me suis fait surprendre, car le vin n’a pas été reconditionné en 1989, mais réhabillé. Ce qui veut dire qu’on a seulement mis une étiquette, sans changer le bouchon. Aucune inspection au château, seulement une nouvelle étiquette. Est-ce que le commissaire priseur l’a expliqué, j’en doute.

Le vin versé dans le verre est dépigmenté. A boire, c’est horrible. Ce qui est intéressant à constater, c’est que le bouchon sent bon, c’est que la bouteille, quand elle est vide, sent bon. Et c’est le vin servi dans le verre qui est horrible.

Pour ne pas rester sur cette impression, je sers à mon fils un verre de « Une Tarragone », des Pères Chartreux vers 1920. La précision de cet alcool est démoniaque. On imagine les Pères Chartreux travaillant depuis mille ans sur l’assemblage des herbes et des épices et qui, disons vers 1450, ont trouvé la pierre philosophale. A partir de ce moment-là, la question n’était plus d’améliorer, mais d’être sûr qu’on ne s’écarterait plus jamais de la recette miracle. Cette Tarragone est faite de la recette miracle. Le cocktail d’herbes, de fleurs et d’épices est unique, inégalable. C’est la folie absolue. Mon Père, absolvez-moi, car j’ai bu la plus démoniaque de toutes les liqueurs.

dîner dans le sud avec un champagne Pierre Péters vendredi, 18 mai 2012

Dîner dans le sud avec des amis. Le Champagne Les Chétillons Pierre Péters magnum 2002 est distingué, plaisant, aimable à boire. Il est un peu dosé et se boit avec grand plaisir, car il a la marque des vins de Mesnil-sur-Oger, la Mecque du blanc de blancs. Nous l’avons confronté à des radis accompagnés d’une anchoïade, une superbe andouille de Guéméné qui donne un coup de fouet au champagne, avec un original saucisson de canard, avec du jambon noir, jambon espagnol cousin des Pata Negra, et avec une mimolette. Chaque fois le champagne s’en sort avec dextérité, la palme allant à l’accord avec l’andouille.

La viande rouge a été saupoudrée de poivre noir du Cameroun concassé. Elle est accompagnée d’une purée façon Robuchon et le Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 1999 apprécie le poivre au plus haut point. Le vin est riche, lourd en alcool, mais il sait aussi être aérien. Puissant, convaincant, il n’est pas extrêmement complexe, mais il se boit bien. C’est un bon Châteauneuf, à la râpe agréable. Contre toutes des règles de la gastronomie, le vin rouge s’acclimate sans histoire à un camembert Jort et à un Celles-sur-Cher.

Les discussions allant bon train, car nous reconstruisons le monde, j’ouvre un Champagne Salon 1997 agréable, mais qui ne me procure pas une grande vibration. C’est un grand champagne, qui joue en ce moment la belle au bois dormant. La tarte Tatin de ma femme est toujours divine.

Le lendemain, j’ai fait une constatation intéressante. Il restait du champagne dans les deux bouteilles, restées ouvertes et à température de pièce. Ce que je bois près de vingt heures après l’ouverture, ce n’est plus du champagne, mais du vin. Alors que j’aurais volontiers classé hier le Péters devant le Salon, la qualité intrinsèque du vin est en faveur du Salon. Ce 1997 se réveillera sans doute avec quelques années de plus.

Dîner au restaurant Astrance vendredi, 11 mai 2012

Dîner au restaurant Astrance. Le Champagne Jacquesson Avize Grand Cru magnum 1990 est non dosé et de dégorgement tardif, de juillet 2009. Sa bulle est active, sa couleur est très jeune. Il est assez indéfinissable. Car il est sec, très sec, expressif, mais si l’on cherche un fruit, lequel ? Plutôt une racine. Il est élégant, mais inclassable. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il se sera épanoui dans le verre que je sentirai des notes de miel et de pâtisseries. Ce champagne est intéressant mais je n’ai pas trouvé la clef qui permet de le définir. C’est un grand champagne.

Le Clos des Lambrays 1943 a une couleur qui n’a pas une trace de tuilé. Le nez est très plaisant et le vin est délicatement bourguignon, avec une belle râpe, un bel équilibre, sans exubérance, mais cela lui va bien.

Alexandre, le sommelier de l’Astrance, qui avait ouvert les vins à l’avance, nous avait suggéré en début de repas que le vin suivant serait la vedette du jour. Il annonce une énigme. L’étiquette porte Château Corton Grancey 1947, mais le bouchon est de l’année 1945. Normalement, c’est l’année du bouchon qui domine, et j’ai bien l’impression que le goût aussi. Ce Château Corton Grancey 1945 est très différent du Clos des Lambrays 1943. Il est beaucoup plus séducteur, velouté, sexy. Il est plus riche, plus rond. Mais je trouve que le vin de 1943 a une plus grande densité. Il est plus tranchant. Ils sont si différents qu’il faut aimer les deux. Le Clos des Lambrays à la couleur plus vive est plus bourguignon. Ce sont deux beaux vins de belle maturité.

Ce qui est amusant, c’est que les convives qui ne boivent pas très fréquemment des vins de ces âges ne se posent aucune question sur leur vitalité.

Le Château Mouton-Rothschild 1986 a une couleur qui paraît noire après les deux bourgognes. Vin très riche, fort, il est très solide et très équilibré. Grand vin carré, il est très goûteux et passe en force. C’est un bordeaux de haute tenue, qui n’a peut-être pas la vibration des bourgognes, même s’il est plus noble qu’eux.

Le menu conçu par Pascal Barbot est : Brioche tiède, beurre romarin et citron, Palet amande, pomme verte et praliné / Foie gras mariné au verjus, millefeuille de champignons de Paris, pâte de citron confit / Saint-Pierre vapeur, beurre noisette, miso blanc, asperges d’Argenteuil, purée poire-gingembre / Côte de veau rôtie, feuille de chou et jeunes carottes, jus de cuisson / Canard de Challans cuit au sautoir, noix au Cognac et prune salée japonaise / Selle et Rognon d’agneau grillé, aubergine laquée au miso, ail noir / Sorbet pamplemousse, pistache / Sablé sarrasin, fruits de la passion et crème citron, tuile caramélisée / Cappuccino amande amère, salade d’ananas et coriandre, feuille de riz grillé / Lait de poule au jasmin / Fruits frais de Printemps / Madeleines au miel de châtaignier.

Les cuissons sont parfaites les chairs sont de grande qualité et les accompagnements de grande maîtrise. Le foie gras aux champignons de Paris à un goût de « déjà vu ». C’est une belle cuisine de bonne exécution. L’addition m’a surpris. L’ambiance amicale des convives et de beaux vins nous ont fait passer une excellente soirée.

on voit distinctement l’année 1945 sur le bouchon du Corton Grancey

déjeuner avec un beau Margaux 1967 dimanche, 6 mai 2012

Ma fille étant encore inscrite au même bureau de vote que sa mère et moi, le jour de l’élection présidentielle donne une occasion de plus de déjeuner ensemble. Mon gendre poêle des coquilles Saint-Jacques et j’ouvre un Champagne Krug 1982 qui est en ce moment dans un état de grâce absolue. Il commence à ambrer, sa bulle est d’une rare vivacité, et ce qui est impressionnant, c’est la force de son message. Il a une grande personnalité, typée, presque fumée. Le fruit est complexe et le goût est tous azimuts. Il est impressionnant de conviction.

C’est la fin de la saison des coquilles aussi les coquilles elles-mêmes perdent un peu de goût alors qu’au contraire, les coraux prennent l’expressivité que la coquille a légèrement perdu. Et si la coquille convient au Krug, le corail appelle le Château Margaux 1967 que j’ai ouvert il y a trois heures. Son nez est d’une rare distinction. En bouche, on est frappé par plusieurs aspects. Le vin est velouté, racé, noble et subtil. Il a aussi de la puissance, parle fort, plus que ce que son année suggère. Il n’a quasiment pas d’âge, car on serait bien en peine de trouver un signe de vieillissement.

Le foie gras cuit à la vapeur est accompagné d’un jus de fenouil. La logique voudrait que l’on lui associe le Krug, mais en fait c’est le Château Margaux qui lui convient le mieux, créant un accord subtil. Nous essayons foie gras et corail. C’est possible, mais sans réelle valeur ajoutée. Il vaut mieux profiter de l’un et de l’autre. Le veau basse température avec une purée de céleri et des petits pois croquants car à peine cuits donne au Château Margaux 1967 une sérénité particulière. C’est un très grand vin au message long et fort dans un gant de velours. Sa persistance aromatique légèrement truffée est très forte.

Nous finissons le champagne avec des tranches de mangue avant d’aller faire notre devoir citoyen.

dîner au Passage 53 jeudi, 3 mai 2012

Dans une allée bigarrée comme celle d’un souk, se trouve le restaurant Passage 53. Guillaume Guedj nous accueille avec un sourire de bienvenue. Nous sommes sept, et le dîner est concocté par le chef Shinichi Sato, en fonction de ses envies créatrices de l’instant. Le menu n’est donc pas écrit, car il peut varier en cours de route.

Le voici, noté à la volée par un ami : Déclinaison autour du brocoli : velouté et émincé de fleurs fraiches de brocoli / Tartelette au Caviar de Sologne, fins spaghettis de pomme de terre parfumés noisettes-ciboulette / L’huitre spéciale : fins dés d’huître, déclinaison de pomme verte granny-smith (dés, gelée, quenelle glacée), quenelle gelée au camembert, fleurs de ciboulette et pousses de jeune roquette / L’ Assiette blanche : calamars grillés, émulsion de chou-fleur et émincé de chou-fleur cru / Asperge des landes, pancetta de pata negra, espuma œuf-parmesan, feuille et fleur de capucines, pointe d’anis / Filet de saint-pierre et ses légumes de saison : fève, petit pois, asperge, petits champignons blancs, navets, morilles, gaillet blanc, épeautre; émulsion de pois gourmands-pistache, arôme d’orange / Foie gras de canard rôti, et poché, fraises fraiches, compotée fraise-rhubarbe, jus et copeau de rhubarbe / Côte de veau de lait, légumes de saison : navet, carotte, haricots verts, concombre, petits oignons, patchoi, chou (kalé), courgette….; fenouil, céleri et sauce à la livèche / Selle agneau de Lozère, palourdes, artichaut poivrade, oignon violet, sauce palourde piquée d’une réduction d’aneth / Desserts : Citron tuile, citron vert, glace fromage blanc / Panna cotta aux arômes de rose et de laurier, fraise / Baba revisité : baba, mascarpone Grand-Marnier et déclinaison d’orange : gelée, confit d’écorces, suprêmes, sorbet / riz au lait glace reine des prés, caramel / tarte fine au chocolat et son caramel à la fève Tonka.

Cette cuisine est d’une dextérité assez exceptionnelle. La cuisson des légumes est géniale. Le mariage de la fraise et du foie gras est remarquable. C’est un bonheur de créativité. Les viandes et le poisson sont superbes. C’est grand. Parfois, comme avec l’asperge, on aimerait un peu plus, pour avoir la mâche gourmande d’un vrai plat. On aurait aimé aussi séparer le saint-pierre de ses légumes, car cela ferait deux plats de génie, alors que leur cohabitation ne leur apporte pas grand-chose. C’est une cuisine d’exécution. Tout est fait avec grâce. On pourrait viser un peu plus de cohérence dans le déroulement et dans les portions, mais je dois dire que j’ai beaucoup aimé.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 est très grand. Il a un équilibre et une sérénité remarquables. Il est très gastronomique et accompagne à merveille le délicieux caviar.

Le Chablis 1er cru Montée de Tonnerre Raveneau 2008 est un grand chablis mais manquant un peu d’ampleur. Il est précis, mais il est trop coincé à ce stade de sa vie.

A l’inverse, le Puligny-Montrachet les Champs Canet Louis Carillon 2008 est joyeux, gourmand, fruité et généreux.

Le Bienvenue Bâtard Montrachet Ramonet 2008 est beaucoup plus complexe. Il a déjà une belle maturité. Il est racé, au fruit discret mais à la complexité extrême.

On dirait que les trois vins qui précèdent se sont entendus pour dérouler un tapis blanc pour préparer l’arrivée d’une merveille interstellaire. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 me crée un choc gustatif majeur. Ce vin est parfait, d’une rondeur et d’une simplicité biblique, d’un accomplissement idéal. C’est le vin jeune absolument parfait. J’en jouis avec une immense gourmandise. Sur les deux plats de viande, il brille, mais il pourrait se suffire à lui-même. C’est un vin de plaisir fou.

Le Champagne La Closerie Jérôme Prévost Les Béguines Extra Brut que nous propose Guillaume Guedj est un 100% pinot meunier. Très original, gracieux, élégant et non dosé, il ponctue bien la fin d’un repas de grande gastronomie.

On est moins pris aux tripes qu’avec la cuisine de l’Agapé Substance, mais on est conquis par la pertinence des chairs et des cuissons qui est absolument remarquable.

C’est une table qui mérite d’être recommencée.

déjeuner de premier mai mercredi, 2 mai 2012

Chez ma sœur, un Champagne Bollinger Grande Année 1990 est d’un grand plaisir sur les deux premières gorgées. Puis l’on se rend compte que le champagne est prématurément fatigué. Il s’est asséché, l’impression de sec et de râpeux l’emportant. Bien sûr, on sent en filigrane la puissance et la noblesse. Mais on est bien loin de la pétulance du Dom Ruinart 1990 d’hier.

Le Château Ausone 1979 que j’ai apporté est d’une rare distinction. Quelle finesse ! Il a encore beaucoup de fruit, une grande précision de trame. C’est un bordeaux raffiné, qui joue sur la grâce.

Le Mazis-Chambertin Dugat-Py 2006 fait un contraste sensible. Le fruit est généreux, la mâche est gourmande, mais le vin est un peu rustaud, trop fardé à mon goût.

Par une journée où le soleil a enfin daigné se montrer, et avec un poulet en cocotte de compétition mitonné par mon beau-frère, nous avons passé un agréable déjeuner citoyen de vrais travailleurs, puisque nous étions le premier mai.

Un Richebourg DRC 1953 à ne pas juger lundi, 30 avril 2012

Le 30 avril, c’est la veille du premier mai. Quand c’est un lundi, c’est l’occasion d’un pont. Aussi bien mon gendre que moi, nous sommes allés au bureau. Mais les horaires sont plus flexibles, aussi un dîner impromptu s’improvise. Aucune recherche gastronomique, car les petits-enfants dînent avec nous. J’avais repéré en cave une bouteille qu’il faut boire. Elle me paraît opportune.

Nous commençons par un Champagne Dom Ruinart 1990 qui est absolument splendide. Il a atteint un équilibre d’une sérénité rare. Il est vif, puissant, titillant le palais de sa pétillante vigueur. Sur du Pata negra, c’est un régal. J’ouvre le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 bien tard. Le haut du bouchon non encore extirpé sent la cave humide, d’une terre noble. La couleur dans la bouteille est très engageante. Si le niveau est bas, l’essai semble possible. Le nez du vin est expressif. On peut y trouver du chocolat, du cacao, du café ou d’autres arômes, mais pour moi, c’est la signature inconditionnelle de la Romanée Conti qui est là : rose et sel.

La première gorgée est incertaine, car la subtilité du domaine est entravée par une légère déviation. Je sens que ce vin, s’il avait été ouvert quatre heures avant, serait splendide. Alors, on attend un peu. Et le vin progressivement s’étire, étend ses membres et déploie sa palette aromatique. Bien sûr, en fond de décor, il y a une certaine faiblesse. Mais l’expressivité du vin est telle que le plaisir s’élargit autant que le vin. Et la lie est tout simplement géniale, avec cette minéralité saline propre aux vins du domaine.

L’image qui me vient est celle de la Pointe du Raz. Quand on la voit sous la pluie – hypothèse recevable – c’est la Pointe du Raz que l’on voit, et l’on oublie la pluie. Avec ce délicat Richebourg, la fatigue est présente, mais c’est un Richebourg 1953 du domaine que l’on boit. Et comme on en perçoit lisiblement les contours, le plaisir est là. Nul n’est besoin de noter un tel vin. Capter sa finesse et sa subtilité est diantrement plus important.