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réveillon de notre « dream team », J-2 jeudi, 29 décembre 2011

Le réveillon de fin d’année sera celui de la « dream team ». Nous sommes dans le sud et nous avons invité Jean-Philippe Durand, le « doctor chief cook » et notre ami japonais Tomo et son épouse. Ils arrivent dès le 29 après-midi et nous faisons le point de nos apports. Dix-huit bouteilles, dont une cassée dans l’avion, ce qui porte à dix-sept les vins à boire au réveillon et aux repas qui vont autour. Comme nous allons au Petit Nice demain, cela fait beaucoup de bouteilles à répartir entre les différents repas possibles.

Pour fêter leur arrivée par un soleil radieux qui dure depuis les trois jours que nous sommes dans le sud, j’ouvre un Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996, qui vient s’ajouter au programme. Le champagne est d’une plénitude remarquable. Serein, rond, riche de subtilités rassurantes, il se boit avec le sentiment que l’on boit du grand. Je dirais volontiers qu’il n’étonne pas, mais rassure. Avec des tranches de Belota-Belota, c’est un régal.

Pendant que nous buvons, nous répartissons les bouteilles que j’ai alignées sur le manteau de la cheminée et nous élaborons les différents menus. Les vins de ce soir seront : Meursault Perrières Jacques Prieur 1995 / Château Haut-Brion 1989 / Romanée Saint-Vivant Jean-Jacques Confuron 1997 / Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 1988 / Château Filhot 1975.

Le menu, au moment où j’écris, serait : coquilles Saint-Jacques et écrevisses, crème d’avocat, sauce au yuzu, praliné et fumet d’écrevisse / coraux des coquilles au sumac, cumin et feu du grec (1) / boudin blanc à la truffe noire / ris de veau sauce hibiscus rose / filet de bœuf, pomme de terre écrasée à la truffe noire / Aizy cendré / stilton / tarte Tatin.

Pour le réveillon, nous avons prévu la crème de la crème : Champagne Clos du Mesnil 1990 / Champagne Krug 1976 / Montrachet Marquis de Laguiche 1993 Joseph Drouhin / Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2000 / Pétrus 1952 /La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998 / La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1996 / Ermitage Cuvée Cathelin Chave 1991 / Château d’Yquem 1975. Le menu est encore à parfaire. Nous verrons.

Sur le banc de touche, prêts à être ouverts dans les autres temps forts : Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1978 / Chambertin Bouchard Ainé & Fils 1969 / Châteauneuf du Pape cuvée spéciale Henri Bonneau 1998 / Champagne Cristal Roederer rosé 2000.

(1) lire fenugrec ! (j’ai mal entendu le nom de cette épice, cité par Jean-Philippe)

Les vins des trois jours dans le sud :

les vins du réveillon

les repas de Noël dimanche, 25 décembre 2011

C’est Noël. Mon fils et sa famille le fêteront à Miami et ma fille aînée qui vient de passer quelques jours chez lui avec les siens revient juste pour notre réveillon, les yeux marqués par le décalage horaire. Pour elle j’ai ouvert dès potron-minet un vin de Ginette plus et l’un de ses cousins.

Ma fille cadette avec mari et enfants est présente dès midi pour un déjeuner léger. Une sieste est bienvenue pour se préparer au Marathon du soir. Vers 17 heures les cadeaux s’échangent à une vitesse éclair, tant le cadeau qui compte est celui qui n’est pas encore ouvert. Les quatre petits enfants trinquent avec un jus pétillant de pomme et de citron dont la couleur répond à s’y méprendre à celle de notre Champagne Dom Ruinart 1990. La bouteille est jolie, distinguée dans ses tons d’or et de noir. Le pschitt est très marqué même si le bouchon est chevillé. Le parfum est intense et le goût du champagne est profond, racé, noble. Il emplit bien la bouche de sérénité. Les tranches de lomo, saucisson d’échine de porc, et la terrine de foie gras vont surtout accompagner le second champagne d’apéritif, le Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1969. C’est un petit clin d’œil à la date de naissance de mon fils qui fêtera Noël six heures plus tard à six mille kilomètres de nous.

L’étiquette de la bouteille est d’une beauté particulièrement raffinée. Le pschitt est faible, ce qui n’empêche pas le pétillant. Le parfum est marqué de fruits confits. En bouche, ce champagne a l’élégance des champagnes anciens où l’on ressent des fruits subtils, confits délicatement. Il est aimable, d’une complexité raffinée et tout le monde l’adore, mais je dois dire que je ressentirai plus que d’autres des signes de fatigue qui standardisent un peu son goût de champagne ancien. Malgré cela, nous n’avons pas boudé notre plaisir.

Nous passons à table et les merveilleuses huîtres Gillardeau se goûtent avec un Champagne Salon 1999 car je voulais qu’un champagne jeune et tendu accompagne ces coquillages. L’accord est d’un naturel confondant, le champagne tendant l’iode des huîtres comme un arc qui va diriger au but sa flèche gustative.

Sur des coquilles Saint-Jacques saupoudrées de grains de caviar d’Aquitaine Tradition Prunier, formant un ensemble sucre et sel au goût impérissable, le Montrachet Grand Cru Louis Jadot 1995, qui m’avait fait peur à l’ouverture par son absence d’odorat, crée un accord d’anthologie. Car le vin équilibre à merveille la combinaison du sucre de du sel, aussi bien que celle du gras et du sec. Le vin est profond, trouve un longueur exemplaire qui prolonge celle du caviar. Tout semble dosé avec une exactitude extrême. Nous sommes ravis.

Ayant compulsé plusieurs recettes de sandwiches à la truffe, ma femme a préparé des sandwiches. J’ai eu l’outrecuidance de lui demander d’épaissir les couches de truffe et je pense ne pas avoir eu tort. Sur ce plat, on peut essayer le Montrachet, mais l’accord se trouve idéalement avec la Côte Rôtie La Landonne Jean-Michel Gérin 1998. Ce vin répond exactement au tactile du sandwich et à la profondeur de la truffe, mieux que la Côte Rôtie La Landonne E. Guigal 1996.

On ne peut imaginer deux Landonne plus dissemblables que ces deux là. Les nez à l’ouverture étaient tout deux charmants, le Guigal ayant infiniment plus de fruit. Maintenant, le Gérin est plus marqué par l’alcool, fait plus vieux alors qu’il est un peu plus jeune, et fait plus bourguignon dans la râpe. Alors que le Guigal est plus velouté, plus riche en fruit, tout luxuriant. Et l’on n’a pas besoin de désigner un vainqueur tant ils sont différents.

Sur le filet de biche à la crème de patate douce, c’est le Guigal qui est de loin le plus adapté. La chair est puissante, au goût imprégnant et le fruit du Guigal lui convient bien.

A la Maison de la Truffe, j’avais acheté des parts d’un brie fourré à la crème et aux truffes. Il est à se damner de gourmandise coupable. Il est onctueux et la crème rafraîchit l’empreinte indélébile de la truffe. C’est fou. Et c’est la Landonne Gérin qui sort son épingle du jeu sur ce fromage.

La tarte aux pommes accompagne un Château Caillou Haut-Barsac 1921 à la couleur d’un thé noir et au parfum d’une élégance rare. En bouche tout n’est que raffinement, d’une noblesse qui n’appartient qu’à ces liquoreux qui ont dépassé les quatre-vingt automnes. On ne peut pas imaginer, tant qu’on n’a pas bu des vins de ces années 20, toute la grâce, l’élégance et la subtilité de ces sauternes nobles, chatoyants, impériaux.

Ce serait difficile de classer ces vins, mais je risquerai un choix : 1 – Château Caillou Haut-Barsac 1921, 2 – Montrachet Grand Cru Louis Jadot 1995, 3 – Côte Rôtie La Landonne Jean-Michel Gérin 1998, 4 – Côte Rôtie La Landonne E. Guigal 1996, 5 – Champagne Salon 1999, 6 – Champagne Dom Ruinart 1990, 7 – Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1969.

J’ai placé le Gérin avant le Guigal alors que j’aurais pu faire l’inverse, pour saluer la performance de cette Côte-Rôtie en pleine possession de sa maturité et qui a le plus souvent, sauf sur la biche, été le générateur d’accords plus justes.

Le lendemain midi, qui est en fait le vrai jour de Noël, nous avons déjeuné des restes et suppléments. Souvent les saveurs sont plus affirmées, aussi bien pour les chairs que pour les vins. Le Salon 1999 sur les huîtres est pertinent avec une facilité déconcertante alors que le Montrachet 1995 n’en veut pas mais s’accorde avec des petites gambas fraîches. Les coraux des coquilles Saint-Jacques forment avec la Côte Rôtie de Gérin un accord saisissant et gourmand. Le Guigal est magnifiquement à son aise avec la biche enrichie d’une sauce à la truffe plus riche que la veille. Le fromage de Brie est toujours un péché de gourmandise. Ces deux repas de Noël furent de grands moments de gastronomie, dans la joie de l’amour familial.

le lendemain

veille de Noël – restaurant Prunier dimanche, 25 décembre 2011

La veille de Noël obéit au même rituel : je suis en charge des achats qui pèsent sur la carte de crédit. Je choisis les truffes à la Maison de la Truffe en les sentant. Qui achètera celles qui ne sentent rien ? C’est au restaurant Prunier que je vais acheter le caviar d’Aquitaine que j’aime particulièrement. Etant dans ce lieu que je connais depuis quarante ans, l’envie me prend d’y déjeuner. Je commande trois grosses langoustines mais on m’en sert quatre. Je ne refuse pas. C’est un Champagne Krug Grande Cuvée en demi-bouteille qui accompagne mon repas.

Etant un inconditionnel de la brandade de morue, j’en commande une. Elle arrive avec des pommes de terre en morceaux au goût dominant par rapport à celui de la morue à l’ail chiche. Les petits pots de crème de la maison Prunier sont délicieux, surtout celui au café. Lorsque le chef très sympathique est venu me saluer, il m’a confié que la discrétion de l’ail dans la brandade est liée à l’envie de protéger la clientèle des retours de parfums. C’est compréhensible mais bien dommage.

Selon la tradition, je me suis fait réprimander d’avoir acheté des quantités trop importantes, ce qui m’a quand même valu de goûter une brouillade d’œufs à la truffe. La grosse truffe qui sentait divinement bon dans le magasin fait fade au milieu des œufs. Elle sera meilleure demain.

déjeuner au Yacht Club de France lundi, 19 décembre 2011

Encore un déjeuner de conscrits. Un des membres qui devait inviter se désiste et me demande de le remplacer. Nous nous retrouvons au restaurant du Yacht Club de France. Le menu est mis au point avec l’équipe, en fonction de mes vins : six huîtres du Cap Ferret / bouchée à la reine, ris de veau et homard, langoustines au basilic juste toastées, feuilles d’huîtres / côtes d’agneau rôties aux morilles / pavé de cerf aux petits légumes, gratin dauphinois / fromages Alléosse / la tarte Tatin du Yacht Club de France. C’est plus que d’habitude, mais j’ai prévu plus de vins.

J’arrive avec beaucoup d’avance pour ouvrir mes vins et je constate que dans la pièce habituelle, qui accueille habituellement des tableaux à vendre, produits par des proches de membres du club, on atteint le sommet de l’anti-art. Les restaurants de poissons ont généralement la palme du mauvais goût, avec leurs filets de pêche, leurs crabes aux pinces démesurées, leurs phares de pacotille et leurs poissons aux regards sans expression. Autour de moi tout y est : la coquille Saint-Jacques dépressive, l’indispensable homard et les thèmes marins que des bigoudens réalisent au crochet à la veillée. Tous les marchés aux puces s’en régaleraient.

Le Champagne Bonnet Gilmert Blanc de Blancs Grand Cru 2002 est un joli champagne joyeux de beau fruit. Il n’a pas inventé la lune, mais il se boit bien et mieux qu’un Champagne Bolllinger Spécial Cuvée un peu trop doctrinal, trop propre sur lui.

Le Champagne Delamotte Blanc de Blancs 1985 est d’une autre trempe. Magnifique blanc de blancs il est racé et d’une tension rare. Avec les huîtres, il crée un accord merveilleux. On se dit qu’on franchit une grande étape tant le champagne prend de la longueur et un soyeux rehaussé par le sel des huîtres.

Le Chablis Grand Cru Blanchot Vocoret 1988 est ambré, déjà marqué par l’âge, tout en gardant un charme énigmatique n’excluant pas la joie de vivre. Dans son message raffiné il y a beaucoup de charme. Mais la facilité, le naturel du Meursault Goutte d’Or domaine Louis Latour 1995 font que l’on succombe à la gourmandise de ce vin gouleyant. C’est un vin gourmand. Le chablis réagit bien sur le ris de veau et les langoustines s’accordent au meursault.

J’avais envie de confronter le Château Pichon Longueville Baron 1993 et le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1993, les deux Pichon, sur une année qualifiée de petite. Déjà, ce qui m’avait frappé, c’est qu’à l’ouverture, les parfums des deux vins étaient tout sauf effacés. En bouche, on est loin d’une petite année. Les vins sont très proches. J’aurais volontiers parié sur le Pichon Comtesse, mais même s’il a plus de profondeur, la joie de vivre est du côté du baron. Une qualité les rapproche : ils sont tous les deux très au dessus de ce qu’on attendrait. Avec la côte d’agneau, les deux sont joyeux, et on a envie d’y revenir.

Le Vega Sicilia Unico 1981 avait à l’ouverture un nez d’une richesse incomparable, dans le fruit triomphant. Le vin est brillant, généreux, monumental. Il n’est pas question de chercher un défaut, puisqu’il n’en a pas. Et sur le cerf, c’est un régal. Mais je dois dire que je voulais impressionner mes amis avec ce vin royal et que je n’ai pas eu la démonstration aussi nette que ce que je l’attendais.

Le Château Lafaurie-Peyraguey 1964 dont le bouchon s’était émietté en mille morceaux est impérial. C’est une leçon de bonheur. Il est gourmand, gorgé de soleil et fait prendre conscience de la générosité des sauternes et de la sagesse de les faire vieillir.

Je serais bien embarrassé de désigner les meilleurs, mais trois bonne surprises émergent, le Meursault Goutte d’Or 1995, le Delamotte 1985 et le Lafaurie-Peyraguey 1964. Le service une fois de plus a été attentif et compétent et la cuisine de beaux produits a été réussie. Le Yacht Club de France est une belle table. Nous nous y sentons bien.

déjeuner au Yacht Club de France – les vins dimanche, 18 décembre 2011

Champagne Bonnet Gimert Blanc de Blancs 2002 et Champagne Bollinger Spéciale Cuvée

Champagne Delamotte Blanc de Blancs 1985

Chablis Grand Cru Blanchot Vocoret 1988

Meursault Goutte d’Or domaine Louis Latour 1995

Château Pichon Longueville Baron 1993 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1993

Vega Sicilia Unico 1981 – Château Lafaurie Peyraguey 1964

Nous avons fini des restes, mais de luxe dimanche, 18 décembre 2011

Si nos enfants nous avaient confié nos petits-enfants, c’est qu’ils devaient recevoir à la campagne une relation amicale et d’affaires. L’invité faisant faux bond, un appel ce matin nous invite à venir déjeuner à la campagne. Il fait un froid soleil dans l’humidité créée par les pluies des jours précédents. Guillaume est aux fourneaux et le rythme du repas suivra celui de ses créations. Nous commençons par des coquilles Saint-Jacques crues coupées en fines lamelles sur lesquelles on étale du caviar osciètre tradition Kaspia. Le Champagne Dom Pérignon 1976 est d’un ambre d’une grande beauté. Le parfum est raffiné. En bouche le vin est d’une délicatesse infinie. Ses variations sur les fruits bruits bruns et les thés sont infinies. Tout en lui est subtil. On comprend pourquoi 1976 n’a pas été retenue comme une année glorieuse de Dom Pérignon, car il manque un peu d’expansion. Mais nous l’adorons dans son expression raffinée et subtile. La combinaison du salé du caviar et du sucré de la coquille donne un coup de fouet magistral à ce champagne que nous considérons comme grand. Guillaume a cuit à l’étuvée des branches de céleri et nous sert des lamelles de foie gras poêlé avec ces branches de céleri et la sauce divine au foie gras adoucit le Dom Pérignon, lui donnant une expression plus calme, moins vibrante que sur le caviar à la coquille. Pour les filets de rouget juste poêlés, il est évident pour moi que le Château Léoville-Barton 1982 est ce qui lui convient et nous en avons la démonstration flagrante : le champagne ne réagit pas, alors que le bordeaux vibre d’une façon inouïe. J’ai l’habitude de tels accords, puisque j’associe les rougets aux pomerols, et force est de constater que ce Saint-Julien crée une résonance incroyable avec le poisson. Le vin est d’une couleur presque noire. Le nez est profond, dense. En bouche, les tannins sont magistraux. Ce vin est profond, intense, avec des accents de truffe et de bois noir. Il serait impossible de lui donner un âge tant il est fringant et c’est presque invraisemblable de penser que dans un an il aura trente ans.

Guillaume cuit les coraux des coquilles Saint-Jacques que j’adore, sans comprendre pourquoi les restaurateurs les ignorent, et seul le bordeaux est capable de dialoguer avec eux, le champagne n’y arrivant pas. Les enfants ayant reçu d’un voisin une poule faisane tuée ce matin et ne voyant pas d’autre possibilité que de la préparer aujourd’hui, nous la mangeons avec une sauce au fenouil. La viande trop récente est dure mais goûteuse. Le vin réagit bien, mais poliment. Ce vin d’un grand plaisir me fait penser aux modes actuelles qui veuillent que l’on compare, confronte et note les vins pour créer des hiérarchies. Si l’on met en balance ce Léoville-Barton avec un vin du sud, le gagnant est connu d’avance. Mais tel que nous l’avons bu, surtout sur les rougets, ce vin est d’un plaisir entier, dans une direction qui lui est propre. Alors, plutôt que de le hiérarchiser, j’ai envie de dire qu’il fut un vin de très grand plaisir, accompli pour cette dînette improvisée. Nous étions là pour « finir les restes ». Dans ces conditions, je signe quand on veut !

Un champagne impromptu dimanche, 18 décembre 2011

Ma fille et mon gendre viennent nous confier leurs enfants pour le week-end. Ils déposent une douzaine d’huîtres Gillardeau et des coquilles Saint-Jacques. Pas question de les laisser partir sans ouvrir un Champagne Dom Ruinart 1990 qui est un remake de celui bu avec mon fils. Celui-ci est encore meilleur. Ce qui me fascine, c’est son équilibre et sa sérénité. Avec les huîtres, c’est un bonheur absolu et je suis très conquis par la justesse de ce grand champagne. Avec les coquilles justes poêlées, c’est un régal. Le champagne à la longue trace de fruits bruns et d’un zeste de thé est fini avant même d’avoir été commencé !

dîner d’avant Noël avec mon fils vendredi, 16 décembre 2011

Mon fils va repartir à Miami. Il fêtera Noël avec sa petite famille loin de nous. Alors, profitons de lui un dernier instant. Le Champagne Dom Ruinart 1990 est une des plus grandes réussites de cette maison. Il y a longtemps que je ne l’ai pas bu et c’est un plaisir de le retrouver. Son goût très typé, très affirmé est différent de ce que je bois usuellement. Les fruits sont compotés, légèrement fumés, et la trace en bouche est longue. J’aime sa personnalité qui s’exprime bien sur une crème de chou-fleur aux dés de foie gras poêlé. Le Champagne Dom Pérignon 1969 a une couleur d’un ambre tendant vers le rose, comme celle du 1966 que nous avons partagé ensemble hier, puisque mon fils participait au 153ème dîner. Son bouchon est trop chevillé et se retire trop facilement. Aussi, aucun pschitt n’apparait. Le pétillant est encore là, mais affaibli. Le champagne est nettement moins brillant que le 1966 d’hier, mais il se boit avec grand plaisir sur un bar juste grillé.

Il restait du dîner de vignerons un peu du Corton-Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990. Mon fils l’apprécie plus que moi, car l’effet de quelques jours d’ouverture atténue sa générosité. Il se boit bien, mais sans passion sur de beaux fromages, un comté de trente mois et un camembert.

Le reste du Scharzhofberger Auselese Egon Müller 1989 d’une bouteille sur laquelle Egon avait apposé sa signature comme souvenir, accompagne un stilton très crémeux. Le vin n’a pas pris une ride. C’est un extraterrestre au charme infini, dont le sucre important se combine à une fraîcheur exemplaire.

un enchanteleur impromptu lundi, 12 décembre 2011

Mon fils vit à Miami. Il vient une fois par mois régler les problèmes de gestion des affaires familiales. Nous dînons ensemble chez moi qui est son chez lui français. Il faut faire light, aussi au menu, c’est Pata Negra et œuf dur. Les retrouvailles, ça s’arrose. Un petit champagne ? C’est la question perfide, car je sais que la réponse sera oui. Je vais chercher un champagne au frais. C’est un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983. La bouteille ne ressemble pas aux Enchanteleurs habituels, car le corps de la bouteille est un vrai cylindre, alors que les bouteilles habituelles sont bombées. Je trouve que celle-ci a plus de classe.

Le bouchon est très serré, et le pschitt lorsqu’il s’extrait est discret. Le champagne est d’un or de blé de juillet. Le nez est engageant. Le goût du champagne est « enchantelant », tant il est charmeur. On est sur des notes un peu fumées, de tabac, de fruit séché, et tout en lui est élégance. A boire, c’est un vrai plaisir. La distinction est extrême, avec des suggestions de palais royaux du 18ème siècle. On se voit réciter des madrigaux charmants en contant fleurette à une baronne parfumée. Nous grignotons de petites choses pour faire durer le plaisir et quand la bouteille est vide, arrive une sensation de manque. Le champagne se boit si facilement qu’il réclame une suite. Nous sommes raisonnables dans notre déraison aussi aucun « bis » ne sera accepté. Reste le souvenir d’un champagne de plaisir, élégant et à maturité, et ce doux sentiment de manque d’un revenez-y.

Nous l’avons comblé avec les restes du Porto Collection Massandra 1947 du 150ème dîner, toujours aussi chatoyant et doucereux, bien riche de complexité, dont la lie se composait de morceaux en fines lamelles, comme les pellicules de vieux films voilés.

déjeuner au restaurant Apicius vendredi, 9 décembre 2011

Avec Bipin Desai, nous nous retrouvons au restaurant Apicius dont la décoration est chaleureuse, avec des couleurs qui m’évoquent le mouvement Cobra, chatoyantes et distinguées. Tout porte au bien-être. Etant en avance j’ai le temps d’étudier la carte des vins copieuse et intelligente où des prix inabordables du fait de la folie actuelle cohabitent avec de très bonnes pioches. Nous choisissons des menus différents. Le mien est une demi-portion d’une entrée de coquilles Saint-Jacques avec une langoustine crue et de la truffe blanche, l’autre demie que j’ai écartée du fait des autres choix est le yang du yin, la coquille Saint-Jacques en pâtisserie avec de la truffe noire. Ensuite, langoustines bretonnes cuites en coques, thé fumé de crustacés comme une « Miso soupe », puis filets de rougets mijotés « minute » dans l’eau de mer, huître et cresson curry. En amuse-bouche c’est une brandade de morue avec une émulsion de fleurs de courgettes.

Ce qui frappe dans cette cuisine, c’est son élégance. Ici, pas de recherche farfelue conduisant sur des sentiers inexplorés, mais une interprétation sereine de produits connus. Bipin Desai a pris en plat principal le cabillaud demi-sel cuit à la vapeur puis laqué, avec une multitude d’herbes en vinaigrette de soja. Alors qu’avec mes rougets, on est douché par les embruns, tant l’iode domine le débat pour un plat résolument marin – et j’adore, le cabillaud est le plat le plus gourmand que l’on puisse imaginer. Je suis un adorateur de la chair du cabillaud, et là, on s’en repaît.

On nous propose à notre arrivée un petit verre de blanc, un Rully Deux Montille Sœur-frère 2008 blanc. Le nez est charmant, l’attaque est très fruitée. Le vin est très simple, très sec, mais comme il est bien fait, il se boit sans chichi. La bonne pioche, c’est le Corton-Charlemagne Jean François Coche-Dury 2008. On me fait goûter. Je sens et je souris. Car les vins de Coche, ça se reconnaît au nez à cent lieues de distance. Ce vin est « la » perfection du Corton Charlemagne. Son acidité est exemplaire. Il a été carafé et je dois dire qu’il m’enthousiasme dans sa fraîcheur, plus que lorsqu’il est épanoui. Car pour ce vin jeune, le coup de fouet que donne la fraîcheur et son acidité révélée est spectaculaire. Quelle richesse ! Avec une vin de ce calibre, on ne décrit pas, on en jouit.

Comment pouvons-nous être aussi fous, car à 16 heures nous étions encore à table, de festoyer ainsi (nous avons même demandé du fromage pour finir le vin !), alors que dans quatre heures, c’est un vrai marathon qui nous attend.