Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner à l’hôtel du Castellet mardi, 26 juillet 2011

Lorsque j’étais allé à l’hôtel du Castellet il y a un mois, j’avais discuté avec le chef Christophe Bacquié, meilleur ouvrier de France et avec son sommelier, Romain Ambrosie, de cuisine et de vin. Dans le restaurant San Felice, qui n’est pas le restaurant gastronomique mais jouit d’une vue exceptionnelle, il y a une exposition de grands formats du Château Vannières, un Bandol renommé que Jean-Philippe, notre talentueux ami, nous avait fait découvrir dans sa version 1983 chez Marc Veyrat à la Ferme de mon Père à Megève. Cette bouteille m’avait marqué aussi ai-je demandé à Romain s’il pouvait se la procurer, ce qu’il fit.

Nous arrivons à sept, ma femme et moi avec deux de nos enfants, mon gendre et deux de nos petits-enfants. Sur la terrasse du bar, nous commençons par un Champagne Krug Grande Cuvée sans année peu âgé. Le vin est racé, grand, mais une légère amertume me gêne, qui s’estompera sur de la nourriture. C’est un grand champagne mais sa vibration ne m’a pas suffisamment atteint.

Le menu est simple, tranches de jambon Jabugo, côtelettes d’agneau et côte de bœuf que nous nous partageons. Les viandes sont superbes et goûteuses. Pour que la confrontation soit intéressante, j’ai prévu d’associer le Vannières à un Rayas 2000.

Le Château Vannières Bandol 1983 a une couleur très foncée, presque opaque tant il semble avoir de la matière. Le nez est riche mais discret. C’est en bouche qu’il explose d’un velouté extraordinaire. Ce vin sublime la notion de Bandol. On est dans des impressions que donnent les grandes Côtes Rôties de Guigal. C’est assez envoûtant. Avec les olives noires de l’apéritif, c’est un régal.

Le Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 2000 est l’opposé de ce vin. Sa couleur est d’un rubis rose clair, le nez est d’une subtilité exceptionnelle et ma femme qui ne boit pas, préfère de loin le Rayas à son parfum. Hélas, le Rayas commandé au dernier moment, alors que le Vannières nous attendait en salle, provient d’une cave ou d’une armoire beaucoup trop froide et je sens le coup de froid qui agit sur le vin comme un lac gelé sur la virilité d’un nageur. Et j’ai attendu longtemps qu’il se reconstitue. Mon gendre et surtout mon fils vibrent au Rayas qui est grand. Je suis beaucoup plus sur la réserve. Le vin est indéniablement un grand vin, avec des évocations bourguignonnes fortes et une profondeur de message dans les compotes de quetsches qui sont évidemment plaisantes, mais il manque toujours quelque chose pour me faire plaisir. Car le Vannières est la sérénité absolue. Le qualificatif qui me vient est « serein comme un Guigal ».

Les deux vins ne se contredisent pas tant ils sont différents, et mon cœur penche pour le Vannières à l’équilibre et à la cohérence saisissants. Plusieurs minutes après le dessert, je reviens sur les deux verres. Le Rayas a retrouvé du pep et de la cohérence. Il montre enfin du panache et fait jeu égal avec le Bandol. Il est beaucoup plus complexe. Mais on ne refait pas une partie après la fin du match. La vedette de ce repas, c’est un Vannières 1983 éblouissant de sagesse et de sérénité, au velouté envoûtant.

Le cadre de l’hôtel du Castellet est propice au farniente et à la méditation devant une nature d’une rare beauté. Ce fut un beau moment autour de ce déjeuner. L’étape suivante sera le restaurant gastronomique.

Un grand Cristal rosé 1999 dimanche, 24 juillet 2011

Ma fille et mon gendre sont maintenant installés dans la villa qu’ils louent à deux pas de chez nous. C’est l’occasion de fêter cela avec du lourd. Le mistral est encore très fort, les vagues sont puissantes, organisées en rouleaux bruyants. Contre toute attente le Champagne Henriot magnum 1996 ouvert il y a deux jours n’a pas la moindre trace de fatigue. La couleur est la même, la bulle a la même vivacité et le goût n’a pas pris la moindre trace d’acidité. Et on ne peut même pas dire qu’il s’est assagi, car il a la même tension que précédemment.

J’ai tenu à frapper fort, car j’ai apporté un Champagne Cristal Roederer rosé magnum 1999. Ce champagne est connoté bling-bling, a un prix russe, il faut donc vérifier s’il justifie tout le bla-bla médiatique qui l’entoure. La couleur est d’un jaune de pêche. Discrète, élégante et raffinée. La bulle est belle, fine active, mais pas envahissante. Et ce qui frappe à la première gorgée, c’est la précision du champagne. Le contraste est saisissant entre l’image des rappeurs californiens qui boivent ce champagne dans leurs Lamborghini avec des pinups fessues, ou celle de russes ventrus qui font couler ce vin sur la croupe de naïades tarifées et la réalité d’un champagne strict, structuré, qui ne cherche pas à briller mais qui montre une élégance rare. C’est un grand rosé droit, ferme, architecturé, qui ne montrera tout au long de sa dégustation aucun signe de faiblesse. Ce champagne n’est pas très typé, mais il est droit, précis et parfait. Il tient donc son rang et sa réputation, jamais sur le show, mais surtout par sa précision doctrinaire.

Mon gendre a voulu confronter deux vins de régions que tout oppose. Nous commençons par un Château de Pibarnon Bandol rouge 2005. Tout dans ce vin respire l’été avec la tapenade et le fenouil qui transparaissent dans un vin râpeux et chaleureux. J’avoue que j’en attendais un peu plus.

Le Château Trotanoy Pomerol 1999 a un parfum d’une rare complexité, très pomerol. D’emblée, on le situe au dessus du Pibarnon, par la complexité, par la longueur et par ce côté riche qui emplit la bouche de délices. Mais au fil du temps, le froid du soir venant s’installer sur notre table en extérieur, c’est le Pibarnon qui se trouve le plus à son aise. Il fallait juxtaposer ces deux vins différents. Le Bandol jouant à domicile a marqué plus de buts. Mais la prime à la complexité revient au bordelais.

Cette soirée fut illuminée par un rosé impérial, le Cristal rosé 99 est un vin de grande race, qui justifie son aura.

dîner chez des amis samedi, 23 juillet 2011

Chez des amis, un Champagne Bollinger Spéciale Cuvée magnum sans année est sympathique, solide et rassurant, mais il lui manque un peu d’imagination et d’émotion. Quand il s’épanouit, il se structure et devient de plus en plus plaisant.

Le Champagne Salon magnum 1997 qui le suit est largement mis en valeur par le précédent. Ce qui frappe, c’est sa complexité et son extrême longueur. Fleurs délicates, fruits blancs, et subtilité caractérisent cet excellent champagne qui est une version de Salon moins guerrière que des millésimes plus vineux. J’aime beaucoup cette version élégante et délicate.

Le Terrebrune Bandol rouge 2007 est extrêmement plaisant. C’est vraiment un vin d’été, avec ses évocations de truffe, d’anis et de fenouil. Il est gouleyant et généreux.

Le nez du Château Figeac 2001 est une petite merveille. Quelle race ! Ce Figeac puissant ne fait pas très bordelais, mais il est d’une complexité gourmande et se boit bien. La maîtresse de maison exécute avec talent des recettes complexes de Thuriez magasine. Des discussions passionnantes nous ont entraînés tard dans la nuit.

coup d’envoi des vacances (2) vendredi, 22 juillet 2011

Un vendredi soir, mon fils arrive par le train et mon gendre arrive par l’avion. Gendre et fille ont loué une villa à moins d’un kilomètre de chez moi. La tentation est grande de les accueillir au champagne. Ce sera chez mon gendre. Les petites tartines sont déjà prêtes et les prélèvements se feront sur le stock de mon gendre. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est une leçon de champagne. Dans un registre très classique, ce champagne se positionne à un niveau de grande qualité. On ne peut qu’aimer ce champagne rassurant, plaisant, facile à vivre mais racé. Sur des toasts à la tapenade, à la crème de sardine et sur des jambons aussi fins que des crêpes Suzette, c’est un régal.

Est-ce le mistral insistant, on ne sait, mais le niveau dans les verres baisse vite, et il faut vite doubler avec un Champagne Dom Ruinart 1990. Le saut qualitatif est sensible, ce qui n’enlève rien à la pertinence de l’Enchanteleur. Le vin est d’une précision extrême, avec des évocations de fleurs blanches et roses. Ce champagne est noble. Une crème de saumon tartinée lui plait bien. C’est un grand champagne, expressif, buriné, ciselé, qui malgré sa puissance extrême, conserve le caractère floral d’un élégant romantisme. On sent qu’il a pris un peu de maturité, et ça lui va bien.

Mais une fois encore, le mistral, les conversations passionnées d’un début de vacances pour les nouveaux arrivants pousse à ouvrir autre chose. Nous savons que nous n’irons pas au bout d’un magnum, mais il n’y aura aucun mal à le finir demain. Le Champagne Henriot magnum 1996 est un solide guerrier. Il n’a pas la finesse des deux précédents, mais il se place bien en bouche. Il est carré, solide, plaisant, mais une trace de liqueur de fruit entrave mon plaisir. Alors qu’il n’est pas trop dosé, on ressent la trace de la liqueur de dosage. Dans le calme du soir éreinté d’un insistant mistral, ce champagne est vraiment agréable à boire, même s’il souffre un peu d’être servi après deux très grands champagnes.

vins de vacances mardi, 19 juillet 2011

Champagne Cristal Roederer rosé magnum 1999 – une merveille

Chateau de Pibarnon Bandol 2005 et Chateau Trotanoy Pomerol 1999

Domaine de l’Angueiroun, Côtes de Provence rosé « Prestige » 2010

Chateau Sainte Anne Bandol 1998

coup d’envoi des vacances lundi, 18 juillet 2011

De bon matin après le dîner coréen, direction le sud. Les six petits-enfants sont au complet, avec quatre sur six de leurs parents. De quoi agiter la maison de rires et de pleurs, de caprices et de tendresse. C’est le coup d’envoi des vacances, alors, ça s’arrose. Le lecteur assidu de ces bulletins sait que tout est prétexte à ouvrir de bons vins quand on est au bord de l’eau.

Le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle magnum sans année montre par son bouchon qu’il a plus d’une dizaine d’années. Sa sérénité est spectaculaire. Ce qui frappe, avec la mémoire de la verticale de Bollinger, c’est que le Grand Siècle est féminin, floral, romantique, gracile, délicatement tactile, alors que le Bollinger est vineux, masculin et joue sur la richesse. Et nous sommes heureux de constater que ces deux conceptions se complètent au lieu de se combattre. Il y a la place pour deux. Les fleurs blanches, les évocations subtiles avec une longueur extrême sont un véritable bonheur et donnent bien le coup d’envoi d’un été qui sera chaud. La boutargue cette année est qualitativement meilleure que celle de l’an dernier, plus grasse, plus moelleuse, et s’accorde merveilleusement au champagne.

Un jour plus tard, mon gendre sait qu’il doit repartir le lendemain par le premier avion. On ne va pas le laisser partir comme cela. Aussi, c’est un Champagne Henriot magnum 1996 qui est ouvert sur la boutargue mais aussi sur un foie gras qui se tartine sur des galettes à la châtaigne. Je suis frappé de voir à quel point le passage entre la boutargue et le foie gras aussi bien que l’inverse se font sans la moindre difficulté. Cela vient du fait que la boutargue est moelleuse et très peu salée. Le champagne est d’une grande pureté et il représente pour moi un champagne orthodoxe. Si l’on devait définir ce qu’est le champagne classique de grand niveau, ce serait celui-ci, car il est équilibré et ne cherche pas à éblouir en étant typé. Il est champagne, il l’assume, et le vit bien.

le bonheur de vins simples samedi, 16 juillet 2011

Quelques jours plus tard, nous avons la visite d’un couple d’amis dont je sais qu’il n’est pas intéressé par le vin. Il en boit, mais s’en soucie comme d’une guigne. Que faut-il ouvrir dans ces cas-là. Je choisis deux bouteilles. L’une est un rosé qu’un caviste vient de me donner il y a peu de jours en me disant : « essayez-ça, vous m’en direz des nouvelles ». L’autre est sans doute le cadeau d’un invité de passage.

L’Angueiroun Côtes de Provence rosé 2010 est une belle surprise. Si l’on imagine un rosé d’été par un lourd soleil, on ne peut rêver de mieux. Bien sûr, le vin est court, mais qui lui demanderait d’avoir de la longueur ? Il est pour moi ce que l’on peut souhaiter de mieux si l’on veut un rosé de soif, joyeux, fruité, sans chichi.

Sur la viande le Château Sainte-Anne Bandol 1998 que je ne connais pas plus que le rosé est un vin de bonheur. Que demander de plus à un vin qui sent la garrigue, l’olive noire, l’anis et a une râpe idéale.

Aussi bien mon ami que moi sommes ravis de ces deux vins et je me fais la réflexion suivante : si nous avions dû noter ces vins, nous aurions cherché toutes leurs insuffisances. Alors que par un beau soleil, sans obligation de résultat, nous avons joui de deux vins nature, simples, mais à la générosité suffisante pour que l’on passe un bon moment.

dîner au restaurant coréen Gwon’s Dining avec les vins de Tomo vendredi, 8 juillet 2011

Avant d’arriver à la Tour Eiffel pour la verticale de Bollinger, j’avais appelé au téléphone mon ami Tomo qui habite à proximité. Mais il était déjà en rendez-vous loin de chez lui. Il me demande ce que je fais le soir même. N’ayant rien de prévu, il me suggère que nous dinions ensemble avec un sommelier de ses amis qui va s’associer à son projet de restaurant qui prend forme. Tomo va choisir le lieu et apporter les vins, puisque je n’aurai pas le temps d’aller en chercher en cave. Lors du repas au Jules Verne, ayant appris que la journaliste japonaise écrit sur une des plus prestigieuses revue de vin et de gastronomie au Japon, j’ai pensé qu’elle pourrait donner un petit coup de pouce au projet de Tomo, aussi lui ai-je proposé de se joindre à nous pour un court moment puisqu’elle vole vers le Japon ce soir.

Nous nous retrouvons donc à quatre au restaurant coréen Gwon’s Dining à la décoration minimaliste mais très claire. Tomo est un habitué du lieu Il a apporté quatre vins mais aussi plusieurs cartons de verres Riedel pour bien goûter ses vins. Le patron et la patronne parlent un excellent français. Lui a l’air malicieux. Nous aurons une profusion de plats plus épicés les uns que les autres mais délicieux. Cette cuisine abondante est légère, simple, cohérente dans l’ordonnancement des plats comme seuls les asiatiques sont capables de le concevoir. De petites bourses sont croquantes à souhait, un tartare de bœuf aux tranches de pomme est délicieux, des seiches à l’ail cru emportent la gueule, un plat de bœuf au tofu essaie de l’imiter. Un plat de riz aux algues qui crépite encore sur table est excellent. Un bouillon de bœuf est le bienvenu, suivi d’un alcool de riz qui parachève la satiété suivi d’une glace aux haricots rouges. C’est excellent, simple, et donne envie de revenir.

Le Champagne Jacquesson 1990 souffre d’apparaître après ma journée Bollinger. L’écart est tellement grand que je ne peux pas l’apprécier comme il le mériterait.

L’Auxey-Duresses blanc domaine d’Auvenay 2000 a beau avoir été fait par Lalou Bize-Leroy, son acidité juvénile limite le plaisir de le boire.

En revanche, le Moulin à Vent Grivelet Père & Fils 1959 est particulièrement intéressant. Sur la cuisine épicée, il s’arrondit et bien malin qui dirait qu’il s’agit d’un beaujolais. On pense à un bourgogne chaleureux, gouleyant et facile à vivre, avec une jolie longueur.

La vedette incontestée, c’est le Chateauneuf-du-Pape Cuvée des Célestins Henri Bonneau 2001. Comment ce sorcier qu’est Henri Bonneau, aux caves vieillottes où squattent des fûts surannés arrive-t-il à faire des vins si précis et équilibrés ? Ce vin est d’un velouté rare et d’un charme extrême. Il se boit avec gourmandise et jouissance. Il convient parfaitement aux nourritures épicées.

La journaliste est partie depuis bien longtemps alors que les plats se succèdent à l’envi. Tomo nous a gratifiés de vins originaux et intéressants. A charge de revanche.

dîner d’amitié avec une grande Romanée Conti 1981 vendredi, 24 juin 2011

Luc est un ami de moyenne date, amoureux des nombres et des vins, à la culture œnologique quasi infinie. Il a un palais sûr et j’aime goûter avec lui. Pour ses cinquante ans, il nous avait traités au restaurant Taillevent avec une Romanée Conti 1981. Depuis, il s’est marié, ce qui a été le prétexte d’une fête grandiose. Aujourd’hui, pour fêter son premier enfant, un fils de cinq jours et sans nom pendant huit jours, selon la tradition de ses ancêtres, il décide de récidiver en nous invitant au restaurant Taillevent et une nouvelle fois avec une Romanée Conti 1981. En cours de repas, je lui ai suggéré de procréer encore dix fois, et si possible des jumeaux, pour que nous goûtions la Romanée Conti en magnum.

Nous sommes huit, tous amoureux du vin. Je suis le seul en smoking, car Luc ayant envoyé un SMS disant « tenue de soirée », j’ai imaginé qu’il était impossible qu’un mathématicien de son calibre ne soit pas précis sur les termes employés. Arrivé en avance, je vois un jeune homme poussant un lourd violoncelle qui s’annonce pour la table de Luc. Jean-Marie Ancher le regarde avec stupeur et lui dit « vous n’avez pas l’intention de jouer ce soir », d’un ton qui exclut la possibilité d’un choix. Les convives arrivent et tout à coup, alors que nous prenons le frais sur le trottoir, la mère arrive avec son poussinet de cinq jours que nous photographions en félicitant les parents. Etre ‘client’ de Taillevent à l’âge de cinq jours, cela tient du record. Mère et enfant nous quittent et nous fêtons parents et enfants en trinquant sur un Champagne Taittinger Collection Vasarely 1978 difficile à servir pour le sommelier puisqu’on ne voit pas le niveau dans la bouteille d’un or métallique. La couleur du vin est d’un bel or, montrant un discret signe d’évolution. En bouche, le vin est riche, d’un raisin précis et fruité. La puissance est forte et ce qui est curieux, c’est que l’explosion de fruits jaunes en bouche n’est pas suivie d’un long final. C’est un champagne racé et joyeux que nous dégustons sur des gougères données comme le pain et le beurre à profusion.

Le menu conçu par Alain Solivérès : épeautre du pays de Sault en risotto aux girolles / bar de ligne, crustacés en radis noir, crème de romaine au basilic / poulet fermier des Landes rôti en pipérade / mignon de veau au lait rôti, légumes primeurs à la marjolaine / tomme de brebis, marmelade d’abricot / fourme d’Ambert au pruneau / douceur de chocolat et de caramel au beurre salé.

Le Château Haut-Brion blanc 1981 a un nez de grande profondeur. En bouche ce vin est authentiquement Haut-Brion, avec un niveau très supérieur à ce que l’année 1981 suppose. Le vin est riche, complexe, kaléidoscopique, et forme avec les girolles à la mâche remarquable un accord plus que pertinent. J’ai trouvé que le plat d’épeautre, emblématique du restaurant, est plus précis dans son expression en bouche que le vin généreux.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1985 est une énigme pour nous tous. Au début, j’ai cru à un nez de bouchon, mais ce sont en fait des herbes odorantes ou de la pivoine qui viennent marquer le parfum de ce montrachet qui est tout sauf orthodoxe. Par moment, on reconnaît le style Bouchard, mais pas le style d’un montrachet de Bouchard. Même si l’accord avec le bar se trouve, on ne peut pas dire que ce vin soit plaisant. C’est dommage, car ce Montrachet aurait dû être un sommet du repas.

Le Vega Sicilia Unico 1981 forme un contraste majeur avec le 1989 que j’ai bu il y a à peine trois jours. Le nez est discret et noble, et alors que j’avais en bouche une bombe de fruits, ce 1981 est d’un raffinement poli assez extraordinaire. Ce vin est élégant, d’une structure parfaite. Il est presque délicat tant il joue les gentlemen. J’adore quand ce vin qui peut être surpuissant joue sur un registre de distinction et d’élégance sur une structure harmonieuse. L’accord sur le poulet est cohérent, aussi bien sur la chair seule que sur la pipérade, mais il n’entraîne pas de véritable choc émotionnel.

Nous étions plusieurs à avoir déjà partagé une Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981 avec Luc. Instantanément, nous savons que celle-ci est supérieure à celle que nous avons bue, qui était déjà émouvante. Luc trouve des pétales de roses dans le parfum de ce vin, mais ce n’est pas ce qui me frappe le plus. C’est l’intensité du message qui me subjugue. Ce parfum délicat, profond, complexe est comme l’assemblage le plus créatif d’un grand parfumeur. En bouche, deux choses s’imposent : la complexité et la longueur infinie. Mes amis s’extasient et commentent leurs plaisirs mais je préfère me taire, pour essayer de capter tout ce que je peux d’un message extraordinairement complexe. Une image qui me vient est celle d’un jeu d’orgues dans une cathédrale. Ces alignements de colonnes imposantes, c’est ce que je ressens. Ensuite, je perçois le sel qui est si caractéristique des vins de la Romanée Conti, même s’il est plus discret que sur d’autres Romanée Conti. Puis, au-delà de la minéralité, les feuilles et les branches, le végétal brun, se présentent comme des infusions raffinées. Puis, on chasse les images, et on se laisse embarquer dans un parcours en bouche qui tient du bobsleigh, avec un final quasi inextinguible. On aime ce vin parce qu’il transcende toute notion sur le vin. Il n’y a aucune recherche de charme, de séduction. C’est une grande complexité développée sur la rose, le sel, le poivre, les épices rares mais discrètes, et des infusions aux herbes inconnues. En un mot, c’est le bonheur total. Je suis ravi qu’il y ait un accord couleur sur couleur puisque le rose du mignon de veau d’une tendreté extrême est proche du rose de cette Romanée Conti, mais c’est un plaisir de voir que le vin s’allie aussi aux légumes nouveaux croquants.

Autour de la table, on sent comme une fébrilité, car nous tenons dans nos verres une grande Romanée Conti.

Le vin suivant, destiné au fromage est un Ermitage de l’Orée Chapoutier 1991. J’entends autour de moi que l’on vante les qualités de ce vin, mais je ne mords pas du tout. Il est aqueux en milieu de bouche, car il manque de consistance. Il est déroutant, nous emmenant sur les routes de tous les vignobles de France, tant il est indéfinissable. On dirait Château Grillet ou un vin oxydatif au fumé prononcé. Il faut dire qu’il n’est pas aidé par le fromage qui évoque irrésistiblement la Vache Qui Rit, et dont l’accompagnement à l’abricot est hors sujet. C’est objectivement un problème de fatigue excessive de la bouteille.

Luc pesant au trébuchet ses apports de vins quand il invite, il est peu envisageable de glisser un vin dans son programme. Aussi la question était-elle pour moi de choisir un vin qui ne se refuse pas et qui ne porte pas ombrage à ses vins et ne les trouble pas. C’est un vin acheté du jour que j’ai apporté : Château Rabaud Brossault & Co 1/2 bt 1896. Le niveau est superbe, la couleur est d’un or glorieux et quand le bouchon est tiré, il libère un parfum exceptionnel fait d’agrumes confits aux poivres. Jean-Marie Ancher nous a fait préparer en impromptu de la fourme d’Ambert flanquée d’un pruneau au banyuls qu’il sera opportun d’éviter. Le sauternes est sublime, n’ayons pas peur des mots. Il n’a pas d’âge, lui qui est plus que centenaire, tant il est fringuant. C’est un délice pur. Il a tout, équilibre, puissance, sensualité, final tonitruant. Tout le monde l’a adoré.

Le Porto Medieval Port 1900 est une curiosité. Le début de la bouteille est d’une couleur de terre rose, et la fin de la bouteille d’un noir riche. Le goût est objectivement de porto, sans doute enrichi à la mise en bouteille il y a environ soixante ans. Le vin est plaisant, mais l’alcool ressort trop. Le vin accompagne divinement bien le chocolat, mais avec le caramel beaucoup trop sucré, l’accord ne se fait pas.

Selon une tradition propre à Taillevent, Jean-Marie nous offre d’un Armagnac en pot de 3 litres 1947 absolument délicieux, riche et fort en alcool mais qui ne le montre pas tant il est accueillant.

Nous n’avons pas formellement voté, mais Jean-Philippe mettrait en 1 ex-æquo La Romanée Conti et le Château Rabaud, ce qui est un honneur que j’apprécie pour ce beau sauternes, puis Haut-Brion blanc et Vega Sicilia Unico. Il est rejoint par beaucoup d’amis sur le fait de classer Haut-Brion avant Vega Sicilia, mais ce n’est pas mon cas. Mon vote est 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981, 2 – Château Rabaud Brossault & Co 1/2 bt 1896, 3 – Vega Sicilia Unico 1981, 4 – Château Haut-Brion blanc 1981, 5 – Champagne Taittinger Collection Vasarely 1978.

Les deux plus beaux plats sont : 1 – épeautre du pays de Sault en risotto aux girolles, 2 – mignon de veau au lait rôti, légumes primeurs à la marjolaine. Les autres plats ont créé moins d’émotion. Le grand moment fut évidemment de communier avec une grande Romanée Conti et de célébrer la naissance du fils d’un ami. Mais nous n’allions pas en rester là. Car l’ami qui avait apporté son violoncelle n’allait pas repartir comme cela. Avec l’autorisation de Jean-Marie Ancher il a joué de magnifiques pièces de Bach d’une grande sensibilité, ce qui prouve que notre consommation d’alcool ce soir est restée dans les limites des facultés artistiques des participants. Des personnes qui dînaient tranquillement au restaurant sont venues grossir le lot des spectateurs de ce mini-bœuf. La joie a accompagné tout du long un grand dîner d’amitié.