Archives de catégorie : dîners ou repas privés

coup d’envoi des vacances lundi, 18 juillet 2011

De bon matin après le dîner coréen, direction le sud. Les six petits-enfants sont au complet, avec quatre sur six de leurs parents. De quoi agiter la maison de rires et de pleurs, de caprices et de tendresse. C’est le coup d’envoi des vacances, alors, ça s’arrose. Le lecteur assidu de ces bulletins sait que tout est prétexte à ouvrir de bons vins quand on est au bord de l’eau.

Le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle magnum sans année montre par son bouchon qu’il a plus d’une dizaine d’années. Sa sérénité est spectaculaire. Ce qui frappe, avec la mémoire de la verticale de Bollinger, c’est que le Grand Siècle est féminin, floral, romantique, gracile, délicatement tactile, alors que le Bollinger est vineux, masculin et joue sur la richesse. Et nous sommes heureux de constater que ces deux conceptions se complètent au lieu de se combattre. Il y a la place pour deux. Les fleurs blanches, les évocations subtiles avec une longueur extrême sont un véritable bonheur et donnent bien le coup d’envoi d’un été qui sera chaud. La boutargue cette année est qualitativement meilleure que celle de l’an dernier, plus grasse, plus moelleuse, et s’accorde merveilleusement au champagne.

Un jour plus tard, mon gendre sait qu’il doit repartir le lendemain par le premier avion. On ne va pas le laisser partir comme cela. Aussi, c’est un Champagne Henriot magnum 1996 qui est ouvert sur la boutargue mais aussi sur un foie gras qui se tartine sur des galettes à la châtaigne. Je suis frappé de voir à quel point le passage entre la boutargue et le foie gras aussi bien que l’inverse se font sans la moindre difficulté. Cela vient du fait que la boutargue est moelleuse et très peu salée. Le champagne est d’une grande pureté et il représente pour moi un champagne orthodoxe. Si l’on devait définir ce qu’est le champagne classique de grand niveau, ce serait celui-ci, car il est équilibré et ne cherche pas à éblouir en étant typé. Il est champagne, il l’assume, et le vit bien.

le bonheur de vins simples samedi, 16 juillet 2011

Quelques jours plus tard, nous avons la visite d’un couple d’amis dont je sais qu’il n’est pas intéressé par le vin. Il en boit, mais s’en soucie comme d’une guigne. Que faut-il ouvrir dans ces cas-là. Je choisis deux bouteilles. L’une est un rosé qu’un caviste vient de me donner il y a peu de jours en me disant : « essayez-ça, vous m’en direz des nouvelles ». L’autre est sans doute le cadeau d’un invité de passage.

L’Angueiroun Côtes de Provence rosé 2010 est une belle surprise. Si l’on imagine un rosé d’été par un lourd soleil, on ne peut rêver de mieux. Bien sûr, le vin est court, mais qui lui demanderait d’avoir de la longueur ? Il est pour moi ce que l’on peut souhaiter de mieux si l’on veut un rosé de soif, joyeux, fruité, sans chichi.

Sur la viande le Château Sainte-Anne Bandol 1998 que je ne connais pas plus que le rosé est un vin de bonheur. Que demander de plus à un vin qui sent la garrigue, l’olive noire, l’anis et a une râpe idéale.

Aussi bien mon ami que moi sommes ravis de ces deux vins et je me fais la réflexion suivante : si nous avions dû noter ces vins, nous aurions cherché toutes leurs insuffisances. Alors que par un beau soleil, sans obligation de résultat, nous avons joui de deux vins nature, simples, mais à la générosité suffisante pour que l’on passe un bon moment.

dîner au restaurant coréen Gwon’s Dining avec les vins de Tomo vendredi, 8 juillet 2011

Avant d’arriver à la Tour Eiffel pour la verticale de Bollinger, j’avais appelé au téléphone mon ami Tomo qui habite à proximité. Mais il était déjà en rendez-vous loin de chez lui. Il me demande ce que je fais le soir même. N’ayant rien de prévu, il me suggère que nous dinions ensemble avec un sommelier de ses amis qui va s’associer à son projet de restaurant qui prend forme. Tomo va choisir le lieu et apporter les vins, puisque je n’aurai pas le temps d’aller en chercher en cave. Lors du repas au Jules Verne, ayant appris que la journaliste japonaise écrit sur une des plus prestigieuses revue de vin et de gastronomie au Japon, j’ai pensé qu’elle pourrait donner un petit coup de pouce au projet de Tomo, aussi lui ai-je proposé de se joindre à nous pour un court moment puisqu’elle vole vers le Japon ce soir.

Nous nous retrouvons donc à quatre au restaurant coréen Gwon’s Dining à la décoration minimaliste mais très claire. Tomo est un habitué du lieu Il a apporté quatre vins mais aussi plusieurs cartons de verres Riedel pour bien goûter ses vins. Le patron et la patronne parlent un excellent français. Lui a l’air malicieux. Nous aurons une profusion de plats plus épicés les uns que les autres mais délicieux. Cette cuisine abondante est légère, simple, cohérente dans l’ordonnancement des plats comme seuls les asiatiques sont capables de le concevoir. De petites bourses sont croquantes à souhait, un tartare de bœuf aux tranches de pomme est délicieux, des seiches à l’ail cru emportent la gueule, un plat de bœuf au tofu essaie de l’imiter. Un plat de riz aux algues qui crépite encore sur table est excellent. Un bouillon de bœuf est le bienvenu, suivi d’un alcool de riz qui parachève la satiété suivi d’une glace aux haricots rouges. C’est excellent, simple, et donne envie de revenir.

Le Champagne Jacquesson 1990 souffre d’apparaître après ma journée Bollinger. L’écart est tellement grand que je ne peux pas l’apprécier comme il le mériterait.

L’Auxey-Duresses blanc domaine d’Auvenay 2000 a beau avoir été fait par Lalou Bize-Leroy, son acidité juvénile limite le plaisir de le boire.

En revanche, le Moulin à Vent Grivelet Père & Fils 1959 est particulièrement intéressant. Sur la cuisine épicée, il s’arrondit et bien malin qui dirait qu’il s’agit d’un beaujolais. On pense à un bourgogne chaleureux, gouleyant et facile à vivre, avec une jolie longueur.

La vedette incontestée, c’est le Chateauneuf-du-Pape Cuvée des Célestins Henri Bonneau 2001. Comment ce sorcier qu’est Henri Bonneau, aux caves vieillottes où squattent des fûts surannés arrive-t-il à faire des vins si précis et équilibrés ? Ce vin est d’un velouté rare et d’un charme extrême. Il se boit avec gourmandise et jouissance. Il convient parfaitement aux nourritures épicées.

La journaliste est partie depuis bien longtemps alors que les plats se succèdent à l’envi. Tomo nous a gratifiés de vins originaux et intéressants. A charge de revanche.

dîner d’amitié avec une grande Romanée Conti 1981 vendredi, 24 juin 2011

Luc est un ami de moyenne date, amoureux des nombres et des vins, à la culture œnologique quasi infinie. Il a un palais sûr et j’aime goûter avec lui. Pour ses cinquante ans, il nous avait traités au restaurant Taillevent avec une Romanée Conti 1981. Depuis, il s’est marié, ce qui a été le prétexte d’une fête grandiose. Aujourd’hui, pour fêter son premier enfant, un fils de cinq jours et sans nom pendant huit jours, selon la tradition de ses ancêtres, il décide de récidiver en nous invitant au restaurant Taillevent et une nouvelle fois avec une Romanée Conti 1981. En cours de repas, je lui ai suggéré de procréer encore dix fois, et si possible des jumeaux, pour que nous goûtions la Romanée Conti en magnum.

Nous sommes huit, tous amoureux du vin. Je suis le seul en smoking, car Luc ayant envoyé un SMS disant « tenue de soirée », j’ai imaginé qu’il était impossible qu’un mathématicien de son calibre ne soit pas précis sur les termes employés. Arrivé en avance, je vois un jeune homme poussant un lourd violoncelle qui s’annonce pour la table de Luc. Jean-Marie Ancher le regarde avec stupeur et lui dit « vous n’avez pas l’intention de jouer ce soir », d’un ton qui exclut la possibilité d’un choix. Les convives arrivent et tout à coup, alors que nous prenons le frais sur le trottoir, la mère arrive avec son poussinet de cinq jours que nous photographions en félicitant les parents. Etre ‘client’ de Taillevent à l’âge de cinq jours, cela tient du record. Mère et enfant nous quittent et nous fêtons parents et enfants en trinquant sur un Champagne Taittinger Collection Vasarely 1978 difficile à servir pour le sommelier puisqu’on ne voit pas le niveau dans la bouteille d’un or métallique. La couleur du vin est d’un bel or, montrant un discret signe d’évolution. En bouche, le vin est riche, d’un raisin précis et fruité. La puissance est forte et ce qui est curieux, c’est que l’explosion de fruits jaunes en bouche n’est pas suivie d’un long final. C’est un champagne racé et joyeux que nous dégustons sur des gougères données comme le pain et le beurre à profusion.

Le menu conçu par Alain Solivérès : épeautre du pays de Sault en risotto aux girolles / bar de ligne, crustacés en radis noir, crème de romaine au basilic / poulet fermier des Landes rôti en pipérade / mignon de veau au lait rôti, légumes primeurs à la marjolaine / tomme de brebis, marmelade d’abricot / fourme d’Ambert au pruneau / douceur de chocolat et de caramel au beurre salé.

Le Château Haut-Brion blanc 1981 a un nez de grande profondeur. En bouche ce vin est authentiquement Haut-Brion, avec un niveau très supérieur à ce que l’année 1981 suppose. Le vin est riche, complexe, kaléidoscopique, et forme avec les girolles à la mâche remarquable un accord plus que pertinent. J’ai trouvé que le plat d’épeautre, emblématique du restaurant, est plus précis dans son expression en bouche que le vin généreux.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1985 est une énigme pour nous tous. Au début, j’ai cru à un nez de bouchon, mais ce sont en fait des herbes odorantes ou de la pivoine qui viennent marquer le parfum de ce montrachet qui est tout sauf orthodoxe. Par moment, on reconnaît le style Bouchard, mais pas le style d’un montrachet de Bouchard. Même si l’accord avec le bar se trouve, on ne peut pas dire que ce vin soit plaisant. C’est dommage, car ce Montrachet aurait dû être un sommet du repas.

Le Vega Sicilia Unico 1981 forme un contraste majeur avec le 1989 que j’ai bu il y a à peine trois jours. Le nez est discret et noble, et alors que j’avais en bouche une bombe de fruits, ce 1981 est d’un raffinement poli assez extraordinaire. Ce vin est élégant, d’une structure parfaite. Il est presque délicat tant il joue les gentlemen. J’adore quand ce vin qui peut être surpuissant joue sur un registre de distinction et d’élégance sur une structure harmonieuse. L’accord sur le poulet est cohérent, aussi bien sur la chair seule que sur la pipérade, mais il n’entraîne pas de véritable choc émotionnel.

Nous étions plusieurs à avoir déjà partagé une Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981 avec Luc. Instantanément, nous savons que celle-ci est supérieure à celle que nous avons bue, qui était déjà émouvante. Luc trouve des pétales de roses dans le parfum de ce vin, mais ce n’est pas ce qui me frappe le plus. C’est l’intensité du message qui me subjugue. Ce parfum délicat, profond, complexe est comme l’assemblage le plus créatif d’un grand parfumeur. En bouche, deux choses s’imposent : la complexité et la longueur infinie. Mes amis s’extasient et commentent leurs plaisirs mais je préfère me taire, pour essayer de capter tout ce que je peux d’un message extraordinairement complexe. Une image qui me vient est celle d’un jeu d’orgues dans une cathédrale. Ces alignements de colonnes imposantes, c’est ce que je ressens. Ensuite, je perçois le sel qui est si caractéristique des vins de la Romanée Conti, même s’il est plus discret que sur d’autres Romanée Conti. Puis, au-delà de la minéralité, les feuilles et les branches, le végétal brun, se présentent comme des infusions raffinées. Puis, on chasse les images, et on se laisse embarquer dans un parcours en bouche qui tient du bobsleigh, avec un final quasi inextinguible. On aime ce vin parce qu’il transcende toute notion sur le vin. Il n’y a aucune recherche de charme, de séduction. C’est une grande complexité développée sur la rose, le sel, le poivre, les épices rares mais discrètes, et des infusions aux herbes inconnues. En un mot, c’est le bonheur total. Je suis ravi qu’il y ait un accord couleur sur couleur puisque le rose du mignon de veau d’une tendreté extrême est proche du rose de cette Romanée Conti, mais c’est un plaisir de voir que le vin s’allie aussi aux légumes nouveaux croquants.

Autour de la table, on sent comme une fébrilité, car nous tenons dans nos verres une grande Romanée Conti.

Le vin suivant, destiné au fromage est un Ermitage de l’Orée Chapoutier 1991. J’entends autour de moi que l’on vante les qualités de ce vin, mais je ne mords pas du tout. Il est aqueux en milieu de bouche, car il manque de consistance. Il est déroutant, nous emmenant sur les routes de tous les vignobles de France, tant il est indéfinissable. On dirait Château Grillet ou un vin oxydatif au fumé prononcé. Il faut dire qu’il n’est pas aidé par le fromage qui évoque irrésistiblement la Vache Qui Rit, et dont l’accompagnement à l’abricot est hors sujet. C’est objectivement un problème de fatigue excessive de la bouteille.

Luc pesant au trébuchet ses apports de vins quand il invite, il est peu envisageable de glisser un vin dans son programme. Aussi la question était-elle pour moi de choisir un vin qui ne se refuse pas et qui ne porte pas ombrage à ses vins et ne les trouble pas. C’est un vin acheté du jour que j’ai apporté : Château Rabaud Brossault & Co 1/2 bt 1896. Le niveau est superbe, la couleur est d’un or glorieux et quand le bouchon est tiré, il libère un parfum exceptionnel fait d’agrumes confits aux poivres. Jean-Marie Ancher nous a fait préparer en impromptu de la fourme d’Ambert flanquée d’un pruneau au banyuls qu’il sera opportun d’éviter. Le sauternes est sublime, n’ayons pas peur des mots. Il n’a pas d’âge, lui qui est plus que centenaire, tant il est fringuant. C’est un délice pur. Il a tout, équilibre, puissance, sensualité, final tonitruant. Tout le monde l’a adoré.

Le Porto Medieval Port 1900 est une curiosité. Le début de la bouteille est d’une couleur de terre rose, et la fin de la bouteille d’un noir riche. Le goût est objectivement de porto, sans doute enrichi à la mise en bouteille il y a environ soixante ans. Le vin est plaisant, mais l’alcool ressort trop. Le vin accompagne divinement bien le chocolat, mais avec le caramel beaucoup trop sucré, l’accord ne se fait pas.

Selon une tradition propre à Taillevent, Jean-Marie nous offre d’un Armagnac en pot de 3 litres 1947 absolument délicieux, riche et fort en alcool mais qui ne le montre pas tant il est accueillant.

Nous n’avons pas formellement voté, mais Jean-Philippe mettrait en 1 ex-æquo La Romanée Conti et le Château Rabaud, ce qui est un honneur que j’apprécie pour ce beau sauternes, puis Haut-Brion blanc et Vega Sicilia Unico. Il est rejoint par beaucoup d’amis sur le fait de classer Haut-Brion avant Vega Sicilia, mais ce n’est pas mon cas. Mon vote est 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981, 2 – Château Rabaud Brossault & Co 1/2 bt 1896, 3 – Vega Sicilia Unico 1981, 4 – Château Haut-Brion blanc 1981, 5 – Champagne Taittinger Collection Vasarely 1978.

Les deux plus beaux plats sont : 1 – épeautre du pays de Sault en risotto aux girolles, 2 – mignon de veau au lait rôti, légumes primeurs à la marjolaine. Les autres plats ont créé moins d’émotion. Le grand moment fut évidemment de communier avec une grande Romanée Conti et de célébrer la naissance du fils d’un ami. Mais nous n’allions pas en rester là. Car l’ami qui avait apporté son violoncelle n’allait pas repartir comme cela. Avec l’autorisation de Jean-Marie Ancher il a joué de magnifiques pièces de Bach d’une grande sensibilité, ce qui prouve que notre consommation d’alcool ce soir est restée dans les limites des facultés artistiques des participants. Des personnes qui dînaient tranquillement au restaurant sont venues grossir le lot des spectateurs de ce mini-bœuf. La joie a accompagné tout du long un grand dîner d’amitié.

dîner au restaurant Taillevent vendredi, 24 juin 2011

les vins : Champagne Taittinger Collection Vasarely 1978

Château Haut-Brion blanc 1981

Montrachet Bouchard Père & Fils 1985

Vega Sicilia Unico 1981

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981

Ermitage de l’Orée Chapoutier 1991

Château Rabaud Brossault & Co 1/2 bt 1896

Porto Medieval Port 1900

Armagnac en pot de 3 litres 1947 (pas de photo)

Les plats

les vins en fin de repas

la joyeuse équipe

Luc près de ses vins

François qui a joué de beaux morceaux sur son violoncelle

chez Yvan Roux et chez moi – les vins lundi, 20 juin 2011

Champagne Krug Grande Cuvée

Chateau Laville Haut-Brion 1967

Champagne Roses de Jeanne Pinot Blanc La Bolorée Cédric Bouchard 2005

Chateau Rayas 1988

les autres vins du dîner chez Yvan Roux sont dans les photos de groupe. Les vins du lendemain chez moi : Champagne salon 1997

Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996

Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996

Vega Sicilia Unico 1989

Single Cask Malt Whisky Karuizawa 1967

Sacrilège ! J’ai collé l’étiquette du camembert Jort sur la bouteille Pol Roger ! C’est parce que l’accord était parfait.

Chez Yvan Roux, photos lundi, 20 juin 2011

L’impressionnant apport de vins

d’autres photos de groupes

Yvan Roux veut absolument que la serviette de Michel Troisgros soit sur la photo

la table où nous dînerons

les bouchons du soir et du lendemain midi

les préparatifs et les plats

le lendemain midi

notre joyeux groupe du lendemain, sans Jonathan et sans Jeremy

dîner chez Yvan Roux et déjeuner dans le sud avec des vins emblématiques lundi, 20 juin 2011

Jonathan est un jeune amateur de vin qui est parti vivre en Australie. Quand il revient en France, c’est l’occasion de retrouvailles vineuses. L’idée avait été lancée que nous allions chez Yvan Roux, le magicien des poissons, pour dîner au solstice d’été, le jour le plus long de l’année. Nous agrégeons quelques fous de vins, les propositions de vins pour cet événement sont folles elles aussi, et largement surnuméraires.

Il fait beau, tous se regroupent devant la piscine de ma maison du sud et malgré un programme abondant, j’ouvre un vin qui n’avait pas été prévu, un Champagne Krug Grande Cuvée sans année d’environ vingt-cinq ans, car l’étiquette est d’une ancienne génération de l’étiquetage de ce vin. Le pschitt n’est pas très fort mais réel, la bulle est belle, et ce champagne un peu évolué est d’une noblesse particulière. Il est racé, tendu, précis, à la trace en bouche extrême.

Nous sommes neuf, dont deux femmes qui ne boivent pas, la mienne et celle de mon ami japonais, et nous arrivons chez Yvan pour contempler le paysage unique de la baie de Giens. J’aligne pour la photo quinze flacons dont un magnum, avec la ferme intention de n’en ouvrir qu’un nombre raisonnable, mais avec de tels lascars, la raison est bâillonnée.

Nous commençons par le Champagne Salon magnum 1995. Ce champagne est merveilleusement confortable. On chausse ses pantoufles, on s’effondre dans un lourd fauteuil et l’on est sur le nuage du monde de Salon. Ce 1995 est à un moment idéal de sa vie. Il est encore en pleine jeunesse, il n’a pas de signe d’évolution, et il est serein. Il n’en dit pas plus qu’il ne faut, car il joue comme Federer, sans donner l’impression de se presser. Je suis conquis par son équilibre.

Yvan nous a préparé ce menu : tempura de fleur de courgette, tempura de sauge, tempura de lotte / seiches en papillotes au chorizo de Pata Negra et confit d’échalotes déglacées au Martini Dry / chorizo en tranches / carpaccio de denti et suprêmes de pamplemousse / chapon à l’ail confit / langouste aux lardons / moelleux au chocolat, caramel au beurre salé et glace vanille.

Yvan a fait une cuisine très lisible, idéale pour créer de beaux accords.

Le Château Laville Haut-Brion 1967 est d’une couleur d’une folle jeunesse. Son parfum est précieux et en bouche, c’est un beau vin. Il n’est peut-être pas flamboyant, mais il est riche et précis. Nous l’adorons sur les seiches au gout prononcé. Le Puligny-Montrachet Louis Chevallier 1964 est bouchonné aussi est-il suivi par un vin grec qu’un ami a apporté pour contribuer à la réduction de la dette grecque : Ilios, vin blanc sec de Rhodes 1987. La réduction de la dette est pratiquement le seul avantage de ce vin qui ne nous a pas inspirés.

L’ Hermitage Chave blanc 1989 est d’une toute autre trempe. C’est un vin solide, carré, en pleine possession de ses moyens, avec un langage épuré comme savent l’avoir les vins du Rhône.

Il faut avoir la foi du charbonnier pour reconnaître qu’il s’agit d’un Hermitage Chave blanc 1983, car la bouteille lourdement empoussiérée est plus noire que la face d’un charbonnier. Elle a séjourné depuis son enfance dans la cave bourguignonne du domaine Dujac dans des conditions idéales. Et cela se traduit par un vin sublime, qui transcende le message du 1989. Ce vin a tout pour lui, avec un fruit extrême et une mâche délicieuse. C’est un vin de bonheur. Il sera mon préféré de ce soir.

Je ne connaissais pas l’existence du Champagne Roses de Jeanne Pinot Blanc La Bolorée Cédric Bouchard 2005, champagne ultra confidentiel. Ceux qui le connaissaient en attendaient beaucoup. Si j’ai aimé l’extrême précision de ce champagne, je ne peux pas dire que j’ai été gagné par une énorme émotion. Ce vin est grand, propre, racé, mais il manque de folie.

Nous allons passer maintenant à une confrontation de trois vins sur le chapon. A gauche, le Clos de la Roche domaine Dujac 1978 a un nez bourguignon tonitruant. En bouche, il est follement bourguignon, avec énormément de matière et de séduction, mais je ne le trouve pas assez précis, ce qui va un peu limiter le plaisir. Au centre, le Château Rayas rouge 1988 servi un peu chaud montre trop son alcool aussi ce vin est celui qui me rebute le plus au départ. Mais la soirée se rafraîchissant, le vin s’est transformé, prenant un charme exceptionnel. Il y a une intelligence dans ce vin au discours galant qui force le respect. C’est un vin de grande tenue, jeune, riche et avenant. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1979 complète bien la trilogie, car c’est une Landonne calme, relativement discrète. Elle a énormément de charme, et sa subtilité soutient la comparaison avec les deux autres vins. Jeremy avait apporté deux vins de Dujac aussi avons-nous, sur son insistance, bu le deuxième Clos de la Roche domaine Dujac 1978 au style très comparable au premier, certains d’entre nous préférant la première et d’autres la seconde bouteille. Après ces quatre vins de très grande qualité, mon choix est : 1 – Rayas, 2 – Landonne et 3 – les deux Dujac. Nous avons conscience d’avoir côtoyé de très grands vins, le Rayas en Chateauneuf-du-Pape très stylisé, équilibré et profond, la Landonne en charme et en équilibre aussi, et les deux Clos de la Roche, terriblement bourguignons, fous d’évocations brillantes mais à qui il a manqué un petit zest de squelette.

Deux rouges non ouverts seront pour demain et nous passons sur le dessert au Château Climens 1962 à l’or blond et toute la grâce de Climens. C’est un très grand Barsac, riche, fruité, intense, ravissant de fraîcheur.

Comme si nous n’étions pas rassasiés, nous avons ouvert un très rare whisky Single Cask Malt Whisky Karuizawa 1967 qui titre la bagatelle de 58,4°. Fruité, il ne donne pas l’impression d’alcool. Nous n’avons fait que tremper nos lèvres, car un déjeuner est prévu chez moi le lendemain.

Ce fut une fois de plus un beau repas chez Yvan Roux dans un cadre enchanteur dont nous avons profité en cette longue veillée. Les saveurs les plus belles ont été, à mon goût le tempura de lotte et le carpaccio de denti. Mais la vedette était aux vins, avec mon classement : 1 – Hermitage Chave blanc 1983, 2 – Rayas 1988, 3 – La landonne Guigal 1979, 4 – Salon magnum 1995, 5 – Climens 1962. Il aurait fallu inscrire aussi le Krug, mais il avait été bu en un autre lieu.

La nuit fut rude, car nous avions beaucoup bu. Les arrivées s’échelonnent et nous voilà repartis pour une folle équipée. Nous ne sommes plus que sept, dont cinq buveurs au déjeuner dans notre maison du sud. Au programme nous trouverons, boutargue, Cecina de Leon, Côtes de bœuf cuites à la plancha avec des pommes de terre en dés, cuites aux herbes du jardin, camembert Jort, Salers et petits chèvres, salade de fruit, cake japonais au thé vert et cerises, et petits fours.

Le Champagne Salon 1997 est délicieusement floral. Il est romantique, un peu puceau, et n’a pas l’assise tranquille du 1995 d’hier. Mais il est charmant dans sa grâce légère. Le contraste est très fort avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 plus dosé et plus affirmé que le Salon, au fruit lourd. C’est un champagne puissant, fonceur comme Churchill.

Il nous restait deux rouges du programme officiel, mais pour copier le schéma d’hier, j’ai rajouté un vin espagnol pour que la confrontation se fasse à trois vins.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999 est un grand vin subtil qui joue un peu dans la discrétion. Très fin et racé, il se boit bien, mais on aimerait qu’il appuie un peu sur l’accélérateur. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996 est l’archétype du charme des vins de Guigal dans leur jeunesse. Il est rond, fruité, bien dans sa peau, sûr de lui. Son final très frais est mentholé.

Mais à côté des deux, le Vega Sicilia Unico 1989 est d’une insolente perfection. Si Robert Parker a influencé beaucoup de vignerons pour qu’ils fassent des vins boisés, très mûrs, directs et sans chichis, ce vin espagnol est la sublimation de l’idéal parkérien. Ce vin a tout pour lui, avec une précision horlogère. Le nez est riche avec un cassis subtil, la mâche est allègre, car la force se combine avec une étonnante fraîcheur. Le vin lourd et complexe glisse en bouche et dégage comme la Mouline une fraîcheur mentholée d’une rare élégance. On est dans l’excellence, et ce vin résolument moderne mais maîtrisé est mon gagnant sur ces deux jours. Mes amis sont étonnés que le Vega Sicilia aille aussi bien avec le camembert Jort délicieux. Ce fromage se marie aussi bien avec le Pol Roger.

Le classement des trois rouges est naturel : 1 – Vega Sicilia Unico 1989, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996, 3 – Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999.

Au cours de ces deux repas nous avons partagé des vins emblématiques de grande qualité. Ce parcours un peu fou nous a réjouis. Nous avons décidé d’institutionnaliser le dîner du 20 juin, pour profiter lors d’un long soir de joyaux de nos caves.

brunch à l’hôtel Nimb dimanche, 5 juin 2011

Le lendemain matin, on pourrait croire que le programme est fini. Eh bien non ! Jean-Philippe a réservé un brunch à l’hôtel Nimb, un hôtel dont une façade très stricte donne sur la rue et l’autre, genre Taj Mahal, donne sur le parc de Tivoli. La décoration intérieure est extrêmement raffinée, et n’a rien à voir avec le clinquant de façade dans le parc. C’est dans un immense salon mêlant l’art ancien et l’art moderne avec des choix de couleurs réussis que nous prenons le brunch. A peine assis, une serveuse nous verse du Champagne Carte Or Claude Cazals blanc de blancs grand cru sans année. Après la folie de la veille, c’est dur.

Ce voyage gastronomique au Danemark nous a montré un pays de taille humaine, où la vie sociale est beaucoup plus sereine qu’en France, où l’accueil dans les hôtels et restaurants est exemplaire, concerné et motivé, où la gastronomie est plus inventive que dans beaucoup de pays. L’architecture est belle, les décorations sont belles. Il faudrait que la France aille voir ce qui se passe dans les soi-disant petits pays. Nous aurions beaucoup de leçons à prendre. The Paul et Noma ont illuminé de voyage. La provision de souvenirs est riche.