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dîner de folie chez un américain à Paris vendredi, 27 mai 2011

Où l’on verra que la générosité peut jouxter la débauche. Laurence Féraud, vigneronne à Chateauneuf-du-Pape m’avait invité à rejoindre le « Printemps de Chateauneuf-du-Pape », à Chateauneuf-du-Pape. Lors du dîner chez elle, elle avait évoqué un dîner à Paris chez un de ses amis américains, où l’on ouvrirait de grands vins. Dans la chaleur communicative des banquets, j’ai dit oui. Il fallait coordonner les apports et lorsque j’ai appelé Ed pour mettre au point le programme, je lui ai annoncé mon intention de venir avec deux vins de 1921, qui ont 90 ans cette année. Je ne savais pas qu’Ed est d’un humour caustique, aussi ai-je pris sa moue téléphonique pour de l’insatisfaction vis-à-vis de ce que je trouvais assez généreux. Un peu vexé, je demande ce qu’il envisagerait d’inclure au programme et tout-à-coup, il prononce un nom qui agit sur moi comme un sésame. Il dit : « je pourrais ouvrir un « Screaming Eagle ». Aussitôt, comme si un ressort me propulsait, je réponds : « si vous ouvrez Screaming Eagle, j’apporte une bouteille de La Tâche ». Car ce vin américain, très rare, je ne l’ai jamais bu. La tentation est trop grande.

Le jour dit, je me présente à 17 heures à l’appartement d’Ed pour ouvrir mes bouteilles et éventuellement d’autres. La cuisine s’agite dans tous les sens, car nous serons quatorze dont les deux cuisiniers, Arnaud et Nicolas. Arnaud Faye est l’adjoint chef de cuisine de Thierry Marx au Mandarin Oriental Paris qui va ouvrir dans quelques jours. Cette équipe va réaliser un repas de grand raffinement avec une belle mise en valeur des produits, et quelques accords subtils opportuns, malgré la difficulté d’ajuster les recettes sur des vins très disparates.

J’ouvre le Brane Cantenac 1921 d’un niveau mi-épaule et le bouchon paraît comme brûlé. L’odeur sentie par le goulot est assez torréfiée. Est-ce que le vin va s’épanouir ? Je ne sais pas. L’Arche Vimeney cru classé de sauternes 1921 au niveau dans le goulot et d’une couleur merveilleuse exhale un parfum d’agrumes délicats. Il ne posera aucun problème. J’ouvre aussi La Tâche 1986 que j’ai apportée. Le parfum bourguignon est d’une rare subtilité. On me demande d’ouvrir certains apports qui arrivent au compte-goutte dont le Screaming Eagle que nous sommes allés chercher dans la cave d’Ed. J’ai demandé à Ed d’en goûter un peu à l’ouverture. J’ai fait un vœu, car c’est la réalisation d’un rêve.

Les convives arrivent et nous sommes quatorze. Il y a, si je n’oublie personne, Ed et un ami américain accompagné de sa femme d’origine indienne, trois vignerons de Chateauneuf-du-Pape dont Laurence accompagnée d’une amie américaine, un autre vigneron Hervé Bizeul accompagné de son épouse, un homme du monde du vin et un amateur, les deux cuisiniers qui mangeront avec nous et moi.

Du fait de l’abondance, mes descriptions des vins seront plus que succinctes, et je ne suis pas sûr que l’ordre des vins soit le bon. Pour l’apéritif, nous commençons par un Chateauneuf-du-Pape Cristia Vieilles Vignes magnum 2006 qui est joyeux, réjouissant, faisant plaisir à boire dans sa jeunesse. Il est suivi d’un Chateauneuf-du-Pape « Pure » domaine de la Barroche magnum 2005 que je trouve particulièrement brillant. Il est remarquablement bien fait.

Nous passons à table et nous goûtons deux vins blanc américains : le Marcassin Hudson Vineyard Carneros Chardonnay 1993 et le Marcassin Gauer Vineyard Alexander Valley Chardonnay 1993. Le premier a un léger défaut qui exacerbe son côté américain, alors que le second est délicieux, sans lourdeur, avec beaucoup de charme, sans les excès habituels des chardonnays américains. Le Meursault Perrières Jean François Coche Dury 2002 est pour moi un modèle de fraîcheur et d’expression alors qu’Hervé Bizeul préfère le deuxième Marcassin.

Le Chateauneuf-du-Pape Lou Destré d’Antan Christian Barrot 1976 est une merveille de Chateauneuf-du-Pape. Il a un équilibre et un charme qui m’ont convaincu, comme le Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997 aux aspects bourguignons d’une rare délicatesse. Sur des langoustines cuites à la perfection, ces vins se sentent bien. Le Vosne-Romanée Les Chaumes domaine Méo-Camuzet 1996 joue un peu en dedans à côté de ces Chateauneuf-du-Pape.

A l’arrivée du bar je demande de l’indulgence pour le Château Brane Cantenac 1921 dont le parfum est un peu torréfié. Quelle n’est pas ma surprise de voir que le vin n’a pas du tout en bouche le torréfié que je craignais. La couleur est divine, sans le moindre tuilé et en bouche le fruit est envahissant, fruit rouge d’une grande précision. Je pense « ouf » pendant que mes convives sont surpris de la présence de ce grand vin. L’accord avec le bar se trouve naturellement. J’en profite pour servir mon autre vin, La Tâche domaine de la Romanée Conti 1986 au nez d’un charme extrême. Sentir ce vin, c’est ouvrir la porte du domaine comme on ouvre la caverne d’Ali Baba ou l’armoire de ses souvenirs. Alors que j’avais adoré la Romanée Conti 1986, si j’aime La Tâche de la même année, je ne ressens pas autant que je souhaiterais l’émotion de La Tâche. C’est un grand vin mais avec une vibration un peu atténuée.

Laurence pense que ce serait le moment de boire un Chateauneuf-du-Pape sans étiquette et sans année, à la forte poussière opacifiant le verre, qui doit être des années 60 et provient de ses grands-parents. Hélas, le vin est bouchonné et malgré mes espoirs, ne reviendra jamais à la vie.

Nous goûtons maintenant en intermède un Meerlust Rubicon Afrique du Sud magnum 1984 et Ed nous raconte la rareté de son origine. Ce vin est solide, carré mais assez simple d’expression. Nous faisons un intermède à l’aveugle avec Les Sorcières du Clos des Fées, Côtes du Roussillon 2010. J’avais bu ce vin lors des primeurs à Bordeaux. Il s’est développé et est d’une grande sincérité.

Nous entrons maintenant dans le monde des vins à forte charpente et au degré d’alcool important. La Petite Sibérie Côtes de Roussillon Villages magnum 2004 est un vin que j’apprécie dans sa jeunesse pour un final d’une fraîcheur mentholée. Hervé Bizeul est fier que son vin ait un fort cousinage avec le Screaming Eagle cabernet sauvignon Napa valley 2003 qui titre 14,6°. Ce vin a le plaisir généreux d’une Mouline 2005. Il est puissant, au fort fruit noir et poivre, mais son final frais signe un très grand vin. Il est plus complexe que la Sibérie, mais les deux ne se nuisent pas. Viennent ensuite de nouvelles raretés apportées par l’amie américaine de Laurence : Sine Qua Non « the 17th nail in my cranium » syrah Californie 2005 qui titre, excusez du peu 15,8° et le Sine Qua Non « a shot in the dark » syrah Californie 2006 qui titre 15,5°. Il est certain que ces vins généreux sont plaisants à boire. Mais on est entraîné dans une direction qui n’est pas la mienne, où l’excès de fruit et d’épices peut devenir monotone. Sur le délicieux filet de bœuf ces vins sont à leur aise et le mariage se fait bien.

Il est temps de goûter l’Arche Vimeney Sauternes 1921. C’est un agréable sauternes fort aimable, mais qui n’a pas la complexité du Caillou 1921 bu tout récemment. Il est acceptable mais sans histoire, malgré sa belle couleur et son parfum d’agrumes. Il joue mezzo voce. Hervé a apporté une belle curiosité : un Sémillon Lagarde de Mendoza Argentine 1942. La bouteille porte le n° 17. Pour une curiosité, c’en est une. Le vin s’est oxydé et évoque les vins jaunes du Jura. Il brille surtout par son originalité et accompagne bien des tranches de comté.

J’ai apporté en cachette le vin que j’avais ouvert à Rennes lors de la découverte du vin de 1690. C’est un madère d’une bouteille très ancienne que je date de 1780 à 1840. Il a une force alcoolique extrême qui fait penser à certains qu’il s’agirait d’un whisky. Mais plusieurs convives confirment l’hypothèse madère. Il a un peu perdu de son fruit, mais il a encore une force persuasive extrême.

Si je devais décerner des brevets aux vins de ce soir, je les donnerais à : 1 – Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997, 2 – Chateauneuf-du-Pape Lou Destré d’Antan Christian Barrot 1976, 3 – Château Gruaud Larose 1921, 4 – Meursault Perrières Jean François Coche Dury 2002, 5 – Screaming Eagle cabernet sauvignon Napa valley 2003. Mais tous méritaient leur présence à ce beau dîner.

Merci a Ed d’avoir mobilisé des cuisiniers de grand talent qui nous ont offert des plats exquis. La générosité de tous fut remarquable. L’atmosphère cosmopolite et amicale a permis un repas de grande folie, ou générosité et débauche sont synonymes, dans le bon sens du terme.

dîner chez un américain à Paris vendredi, 27 mai 2011

les vins que j’ai apportés

dans l’ordre de dégustation :

Chateauneuf-du-Pape Cristia Vieilles Vignes magnum 2006

Chateauneuf-du-Pape « Pure » domaine de la Barroche magnum 2005

Marcassin Hudson Vineyard Carneros Chardonnay 1993

Marcassin Gauer Vineyard Alexander Valley Chardonnay 1993

Meursault Perrières Jean François Coche Dury 2002

Chateauneuf-du-Pape Lou Destré d’Antan Christian Barrot 1976 (la contre étiquette porte 1975)

Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997

Vosne-Romanée Les Chaumes domaine Méo-Camuzet 1996

Château Brane Cantenac 1921

La Tâche domaine de la Romanée Conti 1986

Chateauneuf-du-Pape sans étiquette et sans année (à droite de Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997)

Meerlust Rubicon Afrique du Sud magnum 1984

Les Sorcières du Clos des Fées, Côtes du Roussillon 2010

Petite Sibérie Côtes de Roussillon Villages magnum 2004

Screaming Eagle cabernet sauvignon Napa Valley 2003

je ne suis pas peu fier d’avoir ouvert cette bouteille de Screaming Eagle

Sine Qua Non « the 17th nail in my cranium » syrah Californie 2005

Sine Qua Non « a shot in the dark » syrah Californie 2006

L’Arche Vimeney Sauternes 1921

Sémillon Lagarde de Mendoza Argentine 1942

quelques plats

en cuisine

une partie du groupe (à gauche le chef)

Chez mon frère, avec un gros Caillou ! mercredi, 25 mai 2011

Trois fois par an avec mon frère et ma sœur et leurs conjoints, nous nous invitons à tour de rôle. Aujourd’hui, c’est chez mon frère. J’aurais pu ne rien apporter, mais l’envie est trop forte. Mon frère, grand intellectuel, grand scientifique et homme de culture, n’est pas tombé dans la marmite de l’amour du vin. C’est un champagne Fauchon rosé brut qui nous accueille, qui a le mérite d’être pétillant Sur une brouillade aux truffes et un ragoût d’asperges, nous buvons un Clos Vougeot élaboré par Albert Bichot 2007 gentil, fort agréable et sans histoire. Sur une fourme, j’ouvre une bouteille d’une rare beauté. La capsule dorée dit Barsac. L’étiquette encore bien lisible dit Château Caillou Haut-Barsac 1921.Le niveau est dans le goulot ce qui est rare. La couleur est d’un acajou d’une grande noblesse. Le bouchon indique 1921, Château Caillou et Haut-Barsac. Le parfum est à se damner, car il y a de la mangue et du coing mais aussi de merveilleuses épices dont du poivre. Il y a même des traces fraîches de menthe dans ce parfum.

En bouche, le vin est tout simplement prodigieux. Il a atteint un équilibre qui en fait la synthèse de ce que le sauternes a de plus beau. J’ai toujours adoré Caillou et là, c’est merveilleux de facilité, d’équilibre et d’élégance. Je suis sûr que j’en goûterais la bouteille entière si le partage n’était pas le motif de son ouverture, tant la fraîcheur du vin coule de source. C’est un divin Barsac dont j’ai encore la mémoire raffinée en écrivant ces lignes. Au-delà du plaisir familial, il y a un goût de première grandeur.

déjeuner au restaurant Laurent lundi, 23 mai 2011

Ma femme dit toujours que je ne sais pas dire non. Un canadien avec lequel j’ai conversé sur le web me dit qu’il aimerait déjeuner avec moi. Je ne sais rien de lui, mais je dis oui. Pourquoi, nul ne saura. Peu de temps après, je lui demande quels vins il apporte et la réponse est : un blanc de l’Ontario 2005 et un Kracher 1998. Il est avec son père aussi nous serons trois. Je me propose d’apporter trois vins et de choisir deux sur place.

La table est réservée au restaurant Laurent. Nous déjeunons dans le jardin, le plus agréable de Paris. Arrivé en avance, j’ouvre la plus basse des trois car elle va déterminer le choix de l’autre. Le Pommard Naigeon Chauveau 1961 a un niveau assez bas. Le bouchon vient en plusieurs morceaux. Le nez est étonnamment agréable. C’est une bonne nouvelle. J’attends l’arrivée de Mike et son père Gerald pour décider du choix du deuxième vin à ouvrir. Mike aime les bourgognes aussi le bordeaux restera à quai et l’autre 1961 sera ouvert, il s’agit d’un Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961 d’un niveau parfait, à un centimètre sous le bouchon.

Le menu que nous prenons tous ensemble est composé d’un saumon sauvage aux asperges, d’un pigeon et d’un soufflé à la menthe fraîche.

Le Clos Jordanne, le Grand Clos, chardonnay du Niagara 2005 est d’un joli or jeune. Le liquide est épais lorsqu’il glisse sur le verre. Le nez est plaisant, assez neutre. L’attaque en bouche est très crémeuse, le milieu de bouche est joyeux et frais. Le final est fumé. Les premières salves de ce vin font très américaines. Puis le vin s’affine et devient plus meursault. Avec la chair du saumon, il devient un très joli vin.

Le Pommard Naigeon Chauveau 1961 a une couleur claire un peu tuilée. Le nez est magnifique de richesse et d’opulence. En bouche, l’acidité est présente et le vin, sous une fatigue indéniable, montre beaucoup de qualités. Il se boit agréablement mais le niveau bas dans la bouteille trahit son âge.

A l’inverse, le Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961 plus sombre, sans trace de tuilé, est tout en charme, en séduction, en équilibre et finesse. On mesure l’incidence du niveau dans la bouteille, car le Volnay fait jeune et charmeur et le pommard fait plus vieux malgré ses qualités. Car le pommard est intrinsèquement plus précis que le Volnay, plus noble. Mais le charme est du côté du Volnay. Sur le délicieux pigeon, le Volnay est merveilleux. Sur un chèvre Valençay, le pommard retrouve une belle jeunesse.

Le Kracher Welschriesling Trockenbeeren Auslese Nummer 11 de 1998 qui titre 7,5° est d’un or radieux. Il sent le sucre ou plutôt une eau sucrée avec un peu d’alcool. En bouche, si on accepte le côté doucereux, c’est un vin capiteux, sensuel, sur des notes de confiture de coing et de mangue. C’est très plaisant, et si le sucre domine fortement, il y a une jolie fraîcheur qui rend le vin plaisant. Le soufflé à la menthe fraîche joue un rôle phénoménal pour propulser le vin à des hauteurs inouïes, car il gomme le sucre et il ne reste que la trame grandiose d’un grand vin. Si ce vin autrichien se comporte comme les sélections de grains nobles de Hugel qui « mangent » leur sucre, les vins anciens de Kracher sont ou seront redoutables.

Mike avait dans sa musette un Scotch whisky single malt the Octave cask from Duncan Taylor 1969 superbe et d’un équilibre rare. Sous un soleil de plomb dans le plus beau jardin de Paris, j’ai fait la rencontre d’un passionné du vin, mélomane et pianiste avec lequel j’ai passé un agréable déjeuner.

déjeuner au Laurent – photos lundi, 23 mai 2011

Clos Jordanne, le Grand Clos, chardonnay du Niagara 2005

Pommard Naigeon Chauveau 1961

Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961

Kracher Welschriesling Trockenbeeren Auslese Nummer 11 de 1998

Scotch whisky single malt the Octave cask from Duncan Taylor 1969

un seul plat photographié !

Le Cinq, Palace ou pas Palace ? Palace bien sûr ! jeudi, 12 mai 2011

Il est extrêmement intéressant d’avoir un déjeuner au George V juste après le dîner au Yam’tcha. On change de monde. Cet hôtel est le concentré du luxe le plus absolu. Les perspectives peuplées de fleurs invraisemblables dans leur profusion sont absolument uniques. Elles forment des décors de théâtre ravissants. Dans les ors, les stucs et les lourdeurs assumées, on se prend au jeu du luxe étalé. C’est décadent, mais on s’y sent bien. Je suis invité par mon ami chinois qui m’avait permis de faire deux dîners à Pékin avec Daniel Boulud, le chef trois étoiles de New York. Il est venu avec une ravissante jeune femme qui fait commerce de vins en Chine. Il a des projets assez grandioses et veut me parler de certains.

La salle à manger est toujours aussi confortable. Ma femme n’aime pas le côté « too much ». J’adore. J’ai le souvenir du temps où, jeune cadre, je prenais le TEE, le Trans Europe Express de Paris à Bruxelles, où le petit-déjeuner était servi sur des nappes blanches par des maîtres d’hôtel en gants blancs. Tout ce qui y ressemble flatte mon goût du luxe.

Le fait que le George V ne soit pas dans les huit hôtels français qui ont eu le label de « Palace » défie l’entendement, car tout ici respire la volonté de servir, avec une exigence sensible.

Nous choisissons le menu du déjeuner dont le prix n’est pas supérieur à celui du dîner au Yam’tcha. On imagine volontiers que les frais de structure ne sont pas du même registre. La carte des vins du restaurant, malgré la si diligente compétence d’Eric Beaumard, met le vin hors de portée du commun des mortels, bien sûr, mais aussi du rare des mortels français, car seuls de richissimes étrangers peuvent suivre ces offres aux coefficients multiplicateurs obèses.

A peine sommes nous assis qu’un sommelier que je connais bien noie nos verres sous le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999. Le champagne est un peu dosé, surtout quand j’ai la mémoire du Substance de Selosse. Mais il se boit de façon gourmande, car il a une séduction naturelle sympathique. Les premiers acras que nous croquons sont un peu gras. Les suivants sont idéaux. Le choix que j’ai fait dans le menu est : sardines fraîches de Saint-Gilles-Croix-de-Vie tartare, grillée, tempura, petite bouillie en gelée / cabillaud (dont je n’ai pas retenu l’intitulé) / fruits rouges en cocktail en gelée d’hibiscus, caillé de brebis, mousseux au basilic.

Le contraste avec la cuisine d’Adeline Grattard, élève de Pascal Barbot qui vole de ses propres ailes est saisissant, car, à mon goût, Eric Briffard joue le jeu du talent du meilleur ouvrier de France. De ce fait, on a un festival technique qui vaut à lui seul dix repas, mais on perd un peu de cohérence et d’émotion. Ainsi pour la sardine, poisson extrêmement intense que j’adore, on a un festival de saveurs délicieuses, mais il s’agit d’un patchwork talentueux et non pas d’une cohésion.

Mon ami a choisi le canard alors que j’ai choisi, comme la ravissante May, le cabillaud. Dans le livre des vins, il y a une relative bonne pioche qui est Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 2006. Je demande à May, qui parle un anglais qui oblige mon ami à traduire chaque phrase, de prendre la chair du cabillaud seule. Et avec le Rayas, il se passe une magie gustative de première grandeur. Ce 2006 est assez hallucinant. Il a à la fois le velouté d’un vin plus chenu, la facilité des grands vins, quand tout s’harmonise comme si c’était si simple, et cette énigme que j’adore dans le Rayas, inclassable parmi les Chateauneuf-du-Pape. Ce qui me frappe, c’est sa faculté d’adaptation. Il n’a évidemment aucun défaut et il n’a pas d’âge ! Il est parfait comme il est même si l’on sait que quelques années vont lui apporter des qualités supplémentaires. Je ne l’ai pas trouvé bourguignon, comme cela arrive souvent sur des années plus faibles. Je l’ai trouvé Chateauneuf-du-Pape, très serein, très force tranquille, avec un velouté en début de dégustation qui fait place à un équilibre qui signe le très grand vin.

Je suis ravi d’être revenu au Cinq dont j’avais fait l’école buissonnière. Le talent d’Eric Briffard est exceptionnel, mais fort humblement, je lui suggèrerais de moins le montrer, car même sur un dixième des complexités qu’il a réalisées, on saurait que c’est de la grande cuisine. Et on y trouverait une cohérence gustative rassurante pour les vins. Quand on sait que le prix du repas est 22 fois moins cher qu’un Krug Collection 1981, on dit bravo au prix du menu et … chut, je ne le dirai pas. Le service est d’un niveau inégalable. Cette cure de luxe devrait être conduite à dose homéopathique et évidemment remboursée par les organismes sociaux.

déjeuner au Cinq – photos jeudi, 12 mai 2011

Les vins : Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999

Chateau Rayas 2006

les deux

les plats d’une extrême dextérité – les acras et le beurre sous une jolie clochette

amuse bouche

les sardines en trois services

le poisson

les desserts

immense talent à prix doux, comparé aux prix stratosphériques de la carte des vins. Un très beau déjeuner.

merveilleux dîner au Yam’tcha mercredi, 11 mai 2011

Lors de la présentation des vins des Domaines Familiaux de Tradition de Bourgogne, j’avais eu l’occasion de rencontrer Adeline Grattard chef et propriétaire du restaurant Yam’tcha, le fameux restaurant dont tout le monde parle mais où personne ne peut réserver tant il y a de demande par rapport aux places disponibles. Par chance, j’obtiens une table de quatre. Dans une rue très étroite qui pointe sur le dôme de la Bourse de Commerce, il n’y a que des restaurants. Un libanais, un aztèque, une brasserie d’angle et Yam’tcha à la devanture d’une maison de poupée.

La salle est petite, les poutres anciennes ayant été conservées. La cuisine est ouverte vers la salle ce qui est sympathique. Adeline a travaillé de 2003 à 2006 avec Pascal Barbot à l’Astrance dont la cuisine est minuscule. Elle n’est pas dépaysée, car sa cuisine a tout d’une kitchenette. Ce qui prouve que l’espace n’est pas indispensable au talent. Adeline nous présente sa chef de salle, la préposée aux thés et Sarah, la sommelière. Comme à l’Astrance, le menu dégustation est composé par le chef, en fonction des achats du jour. C’est donc un embarquement dans l’inconnu qui nous est proposé.

Il y a trois formules possibles. Soit tout thé, puisque le mari d’Adeline est chinois et passionné de thé (il n’est pas là ce soir car il garde sa fille), soit thé et vin, la formule comprenant en plus du thé trois verres de vins différents choisis par Sarah, soit tout vin. Nous en inventerons une quatrième qui est de prendre les thés du tout thé plus une bouteille de vin. Et nous jetons notre dévolu sur le Champagne Substance de Jacques Selosse dégorgé en juillet 2009.

Le menu composé par Adeline Grattard est ainsi rédigé : amuse-bouche (qui est maïs glacé et tofu fumé) / homard breton snacké wok, petits pois frais, sauce xo (crevettes, ail, gingembre et piment) / foie gras de Vendée poêlé, fini vapeur, pleurotes sautées wok, émulsions pétoncles séchées, feuilles d’huîtres / lieu jaune flashé vapeur, asperges sauvages aux saucisses chinoises / carré de cochon ibérique, aubergines à la sichuannaise / fraise marat des bois, fromage en blanc manger, shiso, tuile Rapadura.

Parlons d’abord des plats. L’amuse-bouche est saisissant de perfection, car le maïs n’en finit pas de iodler des saveurs extrêmes en bouche. Avec ce passeport représentatif de la cuisine d’Adeline, douaniers que nous sommes, nous lui donnons mille visas. Ensuite la cuisine est caractérisée selon moi ainsi : des produits d’une qualité irréprochable, une maîtrise des cuissons et notamment en basse température qui rehausse les goûts, une cohérence des saveurs et une retenue toute en discrétion sinisante. C’est une cuisine lisible et très rassurante. Alors, est-ce qu’on donne la meilleure note ? Si j’avais à chercher des commentaires moins laudatifs, j’aurais du mal, mais allons-y. Les épices présentes sont un peu des freins aux accords mets-vins. Cette remarque est tempérée par le fait que ce n’est pas la philosophie du lieu. Et le deuxième point, très occidental, serait de dire à Adeline : « avec un tel talent, lâche-toi, surprends-nous, car tu peux le faire ». Et là encore, il faut admettre que ce n’est pas la philosophie du lieu. C’est donc un sans faute. Les plats que nous avons préférés sont : 1 – maïs (et Adeline nous dira que c’est horrible à faire, car il faut éplucher grain par grain), 2 – foie gras, d’une qualité magique, 3 – le homard, autant pour la qualité de la chair que pour la subtilité de la « façon ». Une mention particulière est à accorder à la feuille d’huître que je connaissais. Cette feuille a naturellement le goût de l’huître, mais ce qui m’a fasciné, c’est qu’elle en a aussi l’arrière-goût.

Parlons du thé. Lorsque nous nous sommes quittés avec Adeline sur le trottoir, je lui ai dit que j’aimerais bien refaire le même dîner avec son mari, pour comprendre ses intentions lors des choix des thés, car j’ai eu l’impression que chaque gorgée de thé faisait reculer le palais jusqu’à la case départ. Et Adeline s’est exclamée : « mais c’est ça l’intention ! Contrairement aux accords mets et vins, le thé est là pour apaiser et permettre de repartir vers les saveurs du plat ». Je comprends mieux a posteriori les intentions. Cela va motiver une nouvelle visite ! Il est à noter que la charmante et frêle chinoise qui nous a présenté les thés de chaque plat a une diction qui fait que chacun, à notre table, a compris quelques chose de différent.

Parlons du vin. Bonne pioche ! Car le Champagne Substance de Jacques Selosse dégorgé en juillet 2009 est le compagnon idéal de la gastronomie d’Adeline. Et je suis sûr qu’Anselme Selosse applaudirait des deux mains. Sarah, la sommelière très compétente, nous a proposé de carafer le champagne, ce que nous n’avons décidé qu’après le première gorgée. Et je ne suis pas convaincu qu’il le fallait, car la vinosité du champagne l’a emporté sur le pétillant. Cette remarque est à la marge, car le champagne a fait un parcours parfait, rehaussant les plats que les thés calmaient. L’excellence majeure a été créée avec le foie gras et avec le gras du cochon. Le Selosse a tenu son rang de bout en bout. A noter que le Selosse bu juste après le thé de bienvenue recevait comme un coup de fouet qui colorait encore plus sa complexité.

La carte des vins est maigre mais pertinente. Il va falloir l’étoffer. Il me semble nécessaire de refaire deux expériences. L’une avec du thé seul et l’autre avec thé et champagne, en sachant mieux le rôle du thé, tel qu’Adeline l’a expliqué.

Adeline est une personnalité attachante, elle a un véritable talent. Elle va monter, avec la maturité qui va normalement continuer de progresser, jusqu’au firmament.