Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Clos d’Ambonnay Krug 1995 et Pétrus 1948 vendredi, 15 octobre 2010

Tomo est cet ami japonais avec lequel nous avons ouvert deux Romanée-Conti, une 1996 et une 1986 lors d’un reportage filmé suivi d’un déjeuner mémorable au Grand Véfour. Tomo et son épouse vont cornaquer un voyage que nous ferons à quatre à Tokyo, Kyoto et Fukuoka dans un mois.

Tomo nous invite à dîner chez lui pour préparer le programme de nos festivités au Japon. Sans savoir ce qui se passerait, je lui dis qu’il me ferait plaisir d’apporter une bouteille à ce dîner. Tomo me propose de choisir des vins que j’aimerais goûter chez lui, et dans la liste il y a le Clos d’Ambonnay Krug 1995. Cette bouteille est aujourd’hui, et de loin, le champagne le plus cher à sa sortie de cave. S’agit-il d’un coup de marketing ou d’une réelle perle, il est tentant de le vérifier. J’indique donc mon désir de boire ce vin.

Mon désir étant accepté, il me semble indispensable d’apporter quelque chose de rare. Et mon choix porte sur un Château Pétrus 1948 Ricard et Doutreloux négociants à Bordeaux. La mention "château" n’est pas de moi, elle figure sur l’étiquette qui n’a rien à voir avec les mises du domaine. La bouteille est coiffée d’une cire verte, le verre est teinté d’orange brun. Voilà une curiosité à découvrir ensemble.

A 17 heures, nous nous présentons au domicile de Tomo. Je porte un lourd bouquet de fleurs d’automne composé avec l’aide d’un fleuriste qui m’a suggéré les tendances qui plaisent à un couple de japonais vivant en France. Le bouquet plait. Le fleuriste a eu raison. Les roses odoriférantes d’automne ont touché le cœur d’Akiko.

L’ouverture des vins m’attend. Le Pétrus 1948 a un nez tellement extraordinaire que je remets son bouchon pour fermer le goulot et garder intacts les parfums voluptueusement truffés de ce vin. Le Bonnes Mares Collection du docteur Barolet 1933 a une couleur clairette qui fait soupçonner qu’une partie du pigment est tombée dans la lie. Le nez est incertain. Il est trop tôt pour savoir ce que ce vin va devenir. Dans la foulée, j’ouvrirais bien un Vosne Romanée Henri Jayer 1972, mais Tomo m’arrête, car nous ne sommes que deux à boire.

Nous allons au salon pour étudier le programme du voyage, et Tomo nous sert le Champagne Clos d’Ambonnay Krug 1995. Ce vin est un blanc de noirs aussi les évocations du Bollinger Vieilles Vignes Françaises (VVF) abondent car ce champagne rare est aussi un blanc de noirs. Le champagne est riche, très intellectuel, comme les VVF. Il y a une belle acidité, un fruit jaune délicat, mais on s’interroge : où est l’énigme, où est l’émotion ? Car nous buvons un champagne scolairement parfait, mais qui ne dégage aucune étincelle de génie. Je demande à Tomo si un peu de nourriture pourrait l’exciter. Il revient avec un saucisson truffé qui n’est pas exactement ce qui réveillerait cet éphèbe endormi. Pendant ce temps notre programme japonais s’affine. Tomo qui cuisine ce soir va préparer les coquilles Saint-Jacques. Il manque un blanc. Nous hésitons entre les nombreux vins alléchants qu’il me propose. Nous retenons un Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1/2 bouteille 2000. Nous le goûtons avant son entrée en scène, et il y a plus d’émotion dans ce vin que dans l’Ambonnay.

Nous passons à table et les coquilles Saint-Jacques sur un lit de légumes en dés avec une sauce au Xérès sont délicieuses. Le riesling est serein. Ce n’est pas une grande année, mais il est si bien fait que le plaisir est au rendez-vous. C’est sa finesse de trame combinant le citronné délicat et les fruits blancs qui est remarquable.

Sur le foie gras poêlé au potimarron, le Bonnes Mares collection du docteur Barolet, Henri de Villamont négociant éleveur 1933 n’arrive pas à survivre. Comme tous les mourants il aura de temps à autre des signes de vie. Mais le vin est mort, et c’est sans appel. Aussi le Vosne Romanée Henri Jayer 1972 apparaît au bon moment, porteur d’un message authentiquement bourguignon. Ce n’est pas un grand cru, c’est un "Villages", mais il a la patte d’un grand. L’année 1972 a fait des vins subtils. Celui-ci est dans le lot. Je le préfèrerais volontiers à l’Echézeaux Leroy 1972 bu il y a moins de deux jours.

Tomo a cuit une pièce de bœuf aux pommes de terre, dont la sauce est faite avec les vins les plus rares, Echézeaux ou chambertins. Les tranches fines de truffe blanche recouvrent le plat, explosant leurs saveurs dans nos narines. Le Château Pétrus Ricard et Doutreloux négociants à Bordeaux 1948 épouse la truffe blanche, même si sa structure olfactive est faite de truffe noire. L’accord avec le plat est naturel et convaincant. La couleur du vin est noire, avec un rouge sang qui n’a pas la moindre trace de vieillissement, et ce vin en bouche conduit au paradis. Si les marins ont l’habitude de faire des phrases, celle qui me vient immédiatement à l’esprit est que ce vin synthétise tous les Pétrus que j’ai bus. Il a la perfection des Pétrus anciens et la fougue des jeunes Pétrus, avec une truffe noire qui sert de colonne vertébrale. A cet instant d’émotion, il m’apparait évident que ce Pétrus mérite le 100/100 Parker, car il atteint la plénitude absolue de Pétrus. Tomo vibre autant que moi. Nous savons que nous goûtons un vin exceptionnel, la définition absolue de Pétrus. Alors, il est tentant de prolonger l’instant, ce que je fais.

Tomo nous présente un Mont d’Or et c’est l’occasion de revisiter deux vins. L’accord avec le Vosne Romanée 1972 se trouve très bien. Avec le champagne 1995, l’accord est très joli. Le champagne n’arrive pas à se départir de son acidité. On trouve des fruits jaunes et une structure très ciselée. Mais jamais nous n’aurons l’étincelle d’émotion qui nous aurait permis de l’aimer.

Les dernières gouttes du Pétrus sont versées dans mon verre, et s’il fallait une preuve de l’existence de Dieu, elle serait dans ce verre. Le nez est parfait, sans âge, le vin est riche, ciselé, et je succombe à son charme. Une densité comme celle-là n’existe pas.

Une glace à la truffe blanche me permet de finir le champagne dont le charme existe. Tomo me tente et je succombe à une Fine de Bourgogne Domaine Georges de Voguë puis à un Hibiki 30 ans d’âge, whisky Suntory japonais qui a des accents de rhum. Le coup de grâce est donné par le cognac Paradis, véritable perle du cognac.

Notre programme de voyage se précise. Le Clos d’Ambonnay n’a pas atteint notre cible. Mais le Pétrus 1948 d’une mise de négociant bordelais s’est montré l’un des plus brillants Pétrus de ma vie. Tomo a cuisiné comme un vrai chef des produits de grande qualité. Tout cela présage un beau voyage au Japon.

dîner de jeunes amateurs – photos jeudi, 14 octobre 2010

Château Mouton-Rothschild 1967

champagne Dom Pérignon 1996

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Bourgogne Hautes Côtes de Nuits blanc mis en bouteille par DRC à F. 21700 de 2007

Clos Vougeot Grand Cru Le Maupertui Anne & François Gros 1994

Echézeaux grand cru Emmanuel Rouget 2000

Echézeaux Leroy négociants 1972

Vosne Romanée les Suchots domaine Prieuré Roch 2001

Vosne Romanée premier cru les Gaudichots domaine Forey P&F 1999

Vosne Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969

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La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1991 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992

Vin Jaune Château Chalon Maison Dejean de Saint-Marcel, Marcel Poux concessionnaire 1949

Champagne Pommery & Gréno Brut 1964

photos de groupe

les plats

dîner de jeunes amateurs avec deux La Tâche mercredi, 13 octobre 2010

C’est par un forum que je suis entré en relation avec un groupe de jeunes amateurs. Ils avaient envie de découvrir La Tâche et se sont regroupés pour en acheter une. Nicolas, mon correspondant au sein de ce groupe me demande des conseils sur le millésime à acheter. Il s’adresse au domaine de la Romanée Conti qui lui donne accès à une 1991. Nicolas me propose de venir goûter cette bouteille objet de leurs désirs, avec l’idée que ma connaissance de ce vin ajouterait à leur désir de l’aborder dans de bonnes conditions.

On ne me demande aucun apport de vin mais il me paraît convenable de venir avec des vins dont une La Tâche que je choisis pour ne pas porter ombrage à la leur. Je choisis 1992. Les bouteilles sont apportées quelques jours à l’avance au restaurant l’Ardoise.

Le jour du dîner, un ami qui range ma cave me signale trois bouteilles de Mouton 1967 en danger de mort, dont deux ont perdu leur bouchon, tombé dans le liquide et une à la capsule trouée qui présage une fin prochaine, même si le bouchon est encore en place. L’urgence m’incite à apporter ces bouteilles à ce dîner.

A 17 heures, je commence l’ouverture de toutes les bouteilles en présence de quelques membres du groupe. Les odeurs sont prometteuses. Pour les Mouton, c’est la loterie. Je décapsule les deux aux bouchons tombés. La première paraît intacte et la seconde torréfiée. Nous pourrons boire ce vin en apéritif. J’offre la troisième au bouchon encore en place à Nicolas.

Nous allons faire une petite promenade dans les jardins des Tuileries où des sculptures assez hideuses se cachent sous les arbres. Il fait froid après des jours de canicule aussi écourtons-nous cette escapade champêtre.

La mauvaise bouteille du Château Mouton-Rothschild 1967 est expédiée rapidement. Sans être marqué d’un défaut définitif, le vin est suffisamment torréfié et dévié pour n’offrir aucun plaisir Il n’en est pas de même de l’autre, au nez absolument sans défaut, et porteur d’un charme certain. En bouche, ce vin offre à celui qui le goûte la possibilité de l’aimer ou de ne pas l’aimer. Si on s’arrête à de petits défauts, on ne l’aimera pas. Si on retient le fond de son message, on l’aimera. Et le vin récompensera les optimistes, car dès qu’apparaissent des chipolatas, tout s’assemble dans ce vin vraiment charmant.

J’ai suggéré des huîtres Gillardeau pour accompagner le champagne Dom Pérignon 1996. Ce champagne est plein de grâce. Seul, il décline de jolies notes florales, de fleurs blanches. Sa bulle est forte. Les huîtres le minéralisent. Il perd un peu de fleurs, gagne en iode, mais surtout prend une longueur spectaculaire. C’est un très grand champagne.

Le Bourgogne Hautes Côtes de Nuits blanc mis en bouteille par DRC à F. 21700 de 2007 est d’une belle jeunesse. Mais il est vraiment simple. Il va s’ouvrir dans le verre mais gardera un message assez peu complexe. Les langoustines cuites dans des petits pots de terre pour escargots sont absolument délicieuses, ignorées de la carte et réservées pour ce groupe. Pour avancer, car le programme est grand, je suggère que le premier rouge se boive sur ce plat parfumé. Le Clos Vougeot Grand Cru Le Maupertui Anne & François Gros 1994 est servi trop chaud, aussi décidons-nous que les autres rouges seront immergés quelques minutes avant leur service dans un seau d’eau fraîche sans glace. La chaleur du vin fait ressortir l’alcool mais nous sentons un beau fruité qui accompagne très bien les langoustines, les avis étant partagés sur la pertinence de l’accord. Je trouve que le vin y trouve de la longueur.

L’Echézeaux grand cru Emmanuel Rouget 2000 tire le plus grand profit d’avoir été rafraîchi. Son fruit est exemplaire. Ce vin est riche, bien fait et il me plait tout particulièrement. Il est suivi par un Echézeaux Leroy négociants 1972 dont la salinité exprime tout le charme des grands bourgognes anciens. Lequel préférer des deux ? C’est quasiment impossible de le dire même si certains s’y hasardent, car le Rouget est dans le fruit le plus pur et le plus beau et le Leroy, qui ne gagnera plus rien à vieillir plus, est à une forme aboutie de sa maturité, peut-être un peu schématique. Beaucoup dans notre groupe l’adorent.

Nous recevons une terrine de volaille et pommes de terre qui accompagne bien les vins. Le suivant est un Vosne Romanée les Suchots domaine Prieuré Roch 2001. Ce vin sans concession est controversé. Il est totalement original donnant un caractère salin de vin très ancien à un jeunot. Décoiffant, surprenant, il fait parler. J’avoue que j’aime assez cette forme originale, mais ce 2001 cherche vraiment trop à ne pas plaire. L’ami qui l’a apporté le défend bec et ongles, et je le comprends.

Le Vosne Romanée premier cru les Gaudichots domaine Forey P&F 1999 est d’une force certaine. On le sent d’une belle race et d’un bel épanouissement. Mais il n’a pas dégagé une émotion extrême, à mon palais. A l’inverse, le Vosne Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969 que j’ai apporté nous transporte à des hauteurs extrêmes. Un des membres du groupe comprend pourquoi j’aime les vins anciens, car ce vin de 1969 combine la richesse d’un fruit encore présent avec la présence saline d’un vin ancien. C’est une expression aboutie du pinot noir qui est appréciée par tous.

Arrive le grand moment de la soirée, le service simultané de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1991 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992. Nous aurions voulu deux Tâche les plus dissemblables que nous puissions trouver, jamais nous n’aurions réussi comme ce soir. Car la 1991 est d’un fruit insolent de jeunesse, avec une framboise qui explose dans le verre avant même que l’on puisse y porter ses lèvres, et le 1992 est dans l’expression saline du vin évolué, d’une finesse exemplaire. Au nez, c’est le 1992 qui est le gagnant. En bouche, la richesse gouleyante du fruit du 1991 est conquérante, faisant gagner ce vin, même si la finesse de structure est du côté du 1992. Nous buvons ces deux vins emblématiques avec bonheur, mais nous nous rendons compte que c’est le 1969 pour la majorité ou le 1972 pour d’autres qui captent nos suffrages. Les deux La Tâche sont belles, mais des vins plus canailles sont plus convaincants. Comment une seule année de différence peut conduire à cet écart d’évolution ? le plus rempli dans la bouteille est le 1992, qui est donc resté intact. Le 1991 a grandi pendant 19 ans au domaine sans le quitter, ce qui explique sa maturation lente. L’approche des deux est plus enrichissante que si nous n’en avions goûté qu’un.

Pour beaucoup, le Vin Jaune Château Chalon Maison Dejean de Saint-Marcel, Marcel Poux concessionnaire 1949 est le premier vin jaune vieux qu’ils goûtent. Comme ils s’extasient, je ne vais pas leur voler leur plaisir, mais ce vin très agréable d’une grande fraîcheur n’a pas toute la force qu’il devrait avoir. Il est bon, mais ce n’est pas un Château Chalon comme 1949 sait les faire. Il est quand même suffisamment bon pour que nous l’ayons asséché sous des rires joyeux.

J’ai pris force précautions pour que ces jeunes amateurs qui n’ont jamais bu de vieux champagnes acceptent et comprennent le Champagne Pommery & Gréno Brut 1964. Je retire le bouchon qui laisse échapper une belle salve de gaz embrumé. La couleur du champagne est irréellement belle. Pas l’ombre d’une trace d’ambre. La bulle est visible et court vite. Le nez est splendide et ce champagne en bouche est parfait. Il a très peu de signes d’âge, complet, citronné et fort de fruits confits. Il a aussi de la brioche. Il est grand et je crois que je tiens là le vin de la soirée.

Nous taquinons un ami qui voulait absolument que nous goûtions un vin de glace canadien pétillant de 2003, et franchement, l’humeur n’y était pas.

Ces jeunes sont des passionnés qui se sont connus sur un forum. Ils viennent d’horizons très différents et évitent les sujets qui fâchent. Comme ils boivent de bons vins, les disputes ne portent que sur l’appréciation des vins, lancées dans une atmosphère de sourire. Je suis heureux de les avoir accompagnés dans leur première ascension de La Tâche, en ayant ajouté un deuxième sommet avec l’année 1992. Nous avons parlé vin. Tous sont de sincères amateurs. J’ai passé une excellente soirée.

S’il faut faire un quarté, le mien sera : 1 – Champagne Pommery & Gréno Brut 1964, 2 – Vosne Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969, 3 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1991, 4 – Echézeaux grand cru Emmanuel Rouget 2000.

Côte Rôtie La Turque Guigal 2005 au restaurant Laurent mercredi, 13 octobre 2010

Un ami m’invite au restaurant Laurent et comme cela se produit assez souvent, je suis en charge du vin.

Avec un manque d’imagination totalement assumé, je choisis une Côte Rôtie La Turque Guigal 2005.

Sur les langoustines croustillantes, il faut vivre avec l’esprit du vin. Car si la chair des langoustines convient, la roquette et la sauce ne sont pas ses amies. C’est sur la joue de veau, moelle et risotto de truffe blanche que j’attends le vin.

Mais Patrick Lair nous fait porter un Sancerre Galinot, Gitton P&F 1987 au parfum précis, au fruit délicat, qui se rétrécit étrangement sur sa fin de parcours. Le vin est intéressant, exotique comme diraient les américains, mais n’entraine pas de liesse.

Il faut vite revenir à La Turque qui profite de suivre le blanc. Ce vin riche, pétulant de jeunesse est un hymne à la joie. Je l’adore pour son fruit, sa générosité, sa plénitude mais aussi son élégance et sa race.

dîner au Mathusalem samedi, 9 octobre 2010

Un dîner de famille et amis. La table est réservée au restaurant Mathusalem, agréable bistrot dont l’ambiance est réglée par le sympathique Rémi, amateur de bons vins. Le champagne Bollinger Grande Cuvée est agréable, mais mon palais est aujourd’hui modelé par des champagnes que je bois plus fréquemment, qui m’apportent un peu plus d’émotion. C’est bien, mais ça ne sent pas la poudre, ni l’Aston Martin.

Le menu le plus communément choisi est le partage d’une terrine, une poêlée de cèpes, et une pièce de bœuf à la purée de pomme de terre. Tout cela est franc, goûteux et généreux.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 a déjà une couleur ambrée qui signe un vieillissement précoce. Mais ça lui va bien. Les saveurs sont plus en demi-teinte, comme frottées d’un pinceau à la tisane, et l’effet est convaincant. Il n’y a pas le tonitruant d’un Montrachet mais la complexité est là, exprimée sous une autre forme.

La Côte Rôtie La Turque Guigal 1998 est un vin riche, joyeux, accompli et serein. Il n’a pas la puissance guerrière de certaines années, mais l’équilibre qu’il a déjà atteint malgré sa prime jeunesse lui va bien. Sur le faux-filet, c’est un bonheur simple comme l’amitié.

Les glaces Berthillon ajoutent encore au plaisir d’un endroit chaleureux où nous reviendrons.

déjeuner à Lyon les vins samedi, 2 octobre 2010

le restaurant Le Verre et l’Assiette à Lyon Vaise 9ème

Champagne Mumm Rosé 1955

Champagne Billecart Salmon NF 1964 (pas de photo)

Pavillon Blanc Château Margaux 1928

Montrachet Marquis de Laguiche 1966 Drouhin

Bâtard Montrachet 1979 Ramonet

Château Montrose 1921

Clos Vougeot Cuvée Liger Belair 1923 Nicolas.

Château Mission Haut Brion 1934 (difficile à reconnaître avec la cellophane)

Echezeaux 1966 Henri Jayer

Château Troplong Mondot 1947

Côte Rôtie La Mouline 1976 Guigal

Y d’ Yquem 1959

Vouvray Clos Petit Mont 1928 Allias

Une Tarragone des Pères Chartreux années 1910/1920

« liqueur du Père Kermann », puis sur une feuille collée au dessus de l’étiquette de la liqueur, « Grenage » mot titre dont la signification est un mystère, Bonafos Jean et 1902

on note la très jolie forme du goulot

tout ça pour de l’eau !!!!!

Rhum « Trois Rivières » 1953

La photo de groupe, sans les champagnes

déjeuner à Lyon les plats samedi, 2 octobre 2010

cubes de saumon Gravlax

au moment de passer à table, cette mobylette se gare devant la porte. Vive les pizzas !

(ce n’était pas pour nous !!!)

panacotta d’oursins, émulsion d’eau de mer aux œufs de harengs fumés

velouté d’artichauts de Jérusalem, pulpe de boudin noir de la maison Bobosse, demi homard rôti

rouget barbet sur une galette aux deux quinoas, réduction de jus d’arêtes tout simplement

ris de veau rôti, fricassée de champignons des bois, jus infusé à la fève de Tonka

superposition de céleri, foie gras et pigeon rosé et, à la paille, petit pot de lentilles fumées

dos de lièvre, racines d’Antan, jus de carcasse émulsionné au cassis

stilton, vieil Ossau (déjà mangé à la photo)

dans un verre, compotée de figues de Solliès-Pont, riz au lait déstructuré infusé au tilleul

assortiment de chocolats épicés « Bernard Dufoux » (sans photo)

Un passionné m’invite à Lyon avec des vins rares samedi, 2 octobre 2010

Florent a autour de trente ans. Je ne lui ai jamais demandé son âge. Il recherche les vins les plus rares dont il apporte un témoignage joliment analysé. Nous avons dégusté beaucoup de vins ensemble et une amitié est née, qui de mon côté a une dimension d’affection paternelle. Si la passion des vins anciens pour laquelle j’ai un rôle « militant » pouvait me survivre par Florent, j’en serais ravi.

Mais il n’a pas besoin de moi, et le repas que je vais raconter permettra de répondre à la question : « qui est l’élève et qui est le maître ? ». La réponse s’imposera à l’évidence : il n’y a ni élève ni maître. Nous sommes deux passionnés. Deux ? Je devrais dire trois ou plus car Florent chasse la bouteille rare avec Olivier son compère. Florent invite avec son épouse et avec Olivier ses parents, son frère, des amis cavistes, les deux collectionneurs suisses avec lesquels j’avais partagé cinq vins du 19ème siècle au château de Beaune avant les vacances, un journaliste et moi.

Nous nous rendons pour déjeuner au restaurant Le Verre et l’Assiette à Lyon Vaise, tenu par Maryline et Olivier Delbergues. Dans ce petit restaurant qui ne paie pas de mine, Olivier le chef a réalisé un repas de grande qualité ciselé pour les vins avec l’aide de Florent, qui a suggéré des choix pertinents : cubes de saumon Gravlax / panacotta d’oursins, émulsion d’eau de mer aux œufs de harengs fumés / velouté d’artichauts de Jérusalem, pulpe de boudin noir de la maison Bobosse, demi homard rôti / rouget barbet sur une galette aux deux quinoas, réduction de jus d’arêtes tout simplement / ris de veau rôti, fricassée de champignons des bois, jus infusé à la fève de Tonka / superposition de céleri, foie gras et pigeon rosé et, à la paille, petit pot de lentilles fumées / dos de lièvre, racines d’Antan, jus de carcasse émulsionné au cassis / stilton, vieil Ossau / dans un verre, compotée de figues de Solliès-Pont, riz au lait déstructuré infusé au tilleul / assortiment de chocolats épicés « Bernard Dufoux ».

Pour chacun des vins, j’accolerai à son nom la remarque de Florent pour justifier son choix, lorsqu’elle figurait sur son mail d’invitation. Elle sera en italique.

Le champagne G.H. Mumm & Co Rosé 1955 a une couleur d’un or profond. Son nez est superbe de thé et de fruits discrets orangés. Le goût est splendide de belle acidité. Il n’y a plus de bulle mais un beau pétillant. Le fruit est très beau et élégant. Le final est un peu raccourci par le gravlax délicieux mais asséchant le vin. Le champagne a une belle râpe. C’est un très grand vin. A ce stade, je n’ai toujours pas remarqué qu’il s’agisse d’un rosé, car je n’ai pas regardé le menu. Et c’est vrai que rien n’indique qu’il s’agit d’un rosé, situation fréquente pour les champagnes vieux. Le vin est doucereux, avec cette richesse que seuls les champagnes anciens peuvent avoir et l’acidité le rend délicat et grand.

Champagne Billecart Salmon NF 1964 A priori aussi mythique que le 1959 élu plus grand Champagne du siècle. Sa couleur est jeune, de miel clair. Le nez est à « tomber par terre ». Il est explosif et la bulle est belle et fine. Florent nous dit qu’à l’ouverture, le bouchon avait sauté, ce qui montre la conservation de toute sa bulle. Le nez est jeune de citron confit. En bouche, ce qui frappe sous la bulle active, c’est son extrême jeunesse. Il n’y a pas de signe d’évolution mais des signes de plénitude. La panacotta fouette le champagne, qui serait un peu discret en bouche sans elle. Il s’anime et affiche une belle race. La longueur est extrême et l’émulsion d’eau de mer donne de l’iode au goût du vin. Trouvant de l’expansion dans le verre il est réveillé, emplit la bouche, champagne quasi parfait. Le plat, lui aussi, a une belle persistance aromatique.

Pavillon Blanc Château Margaux 1928 Le plus rare et le préféré du Château. La couleur est très foncée, ambrée. Le nez est celui d’un sauternes sec. Il y a du thé, des fruits compotés. En bouche, on sent le thé, une eau de vie très douce. Le vin est astringent, d’une belle fraîcheur épicée. Le final est salin. Le vin se transforme avec le plat qui arrive assez tard. Il devient brillant et si le nez perd l’aspect sauternes, c’est en bouche qu’il le retrouve. Ce vin excellent, étrange, est un grand bonheur.

Le Montrachet Marquis de Laguiche 1966 Drouhin a un nez incroyable. Il évoque immédiatement la perfection du montrachet. En bouche, c’est la complexité absolue. Il est pur, d’une complexité extrême et d’une élégance rare. Il est fort, mais sait jouer en douceur. Le bouquet de saveurs est unique, avec citron, fruits confits, épices. C’est un vin parfait dans l’élégance et le Margaux 1928 ne perd rien lors de la confrontation. Le boudin est parfait, le homard à la chair intense souffre un peu de la place prise par le boudin, et l’artichaut qui rend le plat cohérent n’apporte rien aux vins. Le plat va plus sur le 1928 que sur le 1966.

Le Bâtard Montrachet 1979 André Ramonet, le plus abouti des Bâtard de Ramonet pour Clive Coates, est d’un jaune citron. La minéralité du nez est impressionnante. On croirait un 2005. En bouche, c’est la fluidité, la perfection, l’impression que le vin coule en bouche comme une cascade chantante. L’impression qui domine, c’est celle de rencontrer la perfection absolue, celle qui fait que l’on donne une note de 100/100 sans hésitation. Le vin est délicat, citronné, minéral, élégant, puissant et fluide, et sa rémanence est celle d’un vin profond. De la cuisine, je sens les effluves du plat qui va être servi et de loin, je dis : « ce plat serait un plat de vin rouge ». Je n’ai pas lu le mail !

Et Florent dit : « pour toi, connaissant tes goûts, j’ai mis aussi sur ce plat le Château Rayas (Rouge) 1979 Clin d’oeil pour François car servi sur du poisson… L’égal du 1978 pour Bettane. Le nez de ce vin est évolué mais d’une richesse rare. On imagine un coulis de quetsche. La couleur est un peu trouble. En bouche, la richesse du fruit est immense. Le vin est puissant et évolue.

Le Bâtard est moins adapté au plat que le Rayas, qui est beau, mais pas aussi parfait que le Bâtard. Le rouge est un peu sérieux mais j’aime. Il n’est pas très sophistiqué, mais présent en bouche. La lie me montre qu’il n’est pas totalement équilibré, ce qui avait gêné un ami suisse pendant sa dégustation.

Le Chateau Montrose 1921 est d’une couleur d’un beau rouge doré, si l’on peut dire. Le nez est un peu torréfié. Il y a beaucoup de bois dans ce nez un peu poussiéreux. En bouche il y a de l’acidité mais aussi une douceur extrême. La trame est incroyable. Voilà un grand vin qui va se révéler. Avec le délicieux ris de veau, spécialité du chef, le vin exprime de la rose avec une grande délicatesse. Autour de la table, trop longue et étroite pour que nous discutions tous ensemble, j’entends que le vin est rustique. Je trouve au contraire qu’il est tout en finesse, délicat mais au final un peu limité. Il s’assemble de plus en plus et devient très grand.

Quand on boit le Clos Vougeot Cuvée Liger Belair 1923 Nicolas, on s’embarque vers le bonheur. La couleur est trouble et un peu laiteuse. Le nez est très épanoui. La bouche est riche. Il y a un fruit imposant, fruit rouge délicat. Le vin est ample et plein de charme. Son grain est velouté. Il exprime la grandeur du pinot noir et je reconnais pleinement tout ce que j’aime de 1923.

Le Château Mission Haut Brion 1934 est de l’année la plus élégante chez Mission pour Michael Broadbent. La couleur est d’une densité peu croyable. Le rouge est sanguin. Le nez est imposant, lui aussi d’une densité extrême, où la mine de crayon domine. Florent voulant que les vins ne soient pas chauds a donné un coup de froid au vin, que je ressens. Quand le vin s’étend, il est truffe, mine de crayon, et surtout d’une densité incomparable. Le pigeon goûteux fait « exploser » le Mission.

L’Echézeaux 1966 Henri Jayer a une couleur clairette. Le nez est austère mais précis. L’élégance des vins d’Henri Jayer se retrouve ici, avec des notes de café subtil, non torréfié et de léger cacao. Expressif, élégant, c’est un grand vin. La crème de lentilles fumée donne du fumé au vin. La juxtaposition du 1934 et du 1966 sur le plat est quasi naturelle sans aucune nuisance entre les deux. La pureté du vin de Jayer est exceptionnelle. Un ami qui l’a connu dit : « c’est le fruit de Jayer ». La largeur de ce vin est exceptionnelle. C’est un témoignage, la quintessence du pinot noir.

Château Troplong Mondot 1947 L‘un des 5 plus grands 1947 pour le critique Suisse Allemand R. Gabriel. Très rare ! Nul d’entre nous n’a de repère sur ce vin qu’il est impossible de trouver. Sa couleur est très belle, représentative de celles des 1947. C’est un beau rouge intense. Le nez est très précis, pointu, de fruits rouges et d’épices. En bouche l’équilibre est beau, le fruit est dosé, l’épice est aguichante et le final fruité est grand. C’est cependant un vin qui ne peut pas aller jusqu’à l’extrême, car il lui manque un petit « je ne sais quoi ». Il a la beauté des 1947 bien maîtrisés. C’est un grand vin, au beau fruité, au bel équilibre et au fruit dosé.

Côte Rôtie La Mouline 1976 Guigal Le Cheval Blanc 1947 du Rhône pour Parker... La couleur est d’un beau rouge brillant. Le nez est époustouflant. Il est profond, « énorme ». En bouche le vin est riche, opulent, pas très complexe, mais tellement complet. La bouteille est parfaite, venant directement du domaine. Ce n’est que du bonheur. On sent l’alcool, le bois trempé dans de la décoction de fruits, le fruité est presque irréel tant il est grand. C’est un vin colossal.

Y d’ Yquem 1959 Le tout premier Y de l’histoire. La couleur est ambrée, avec un léger gris. Le nez explose d’alcool avec des traces d’amande. On dirait un madère. En bouche, l’alcool domine et le mimétisme avec un madère est confondant. Avec l’Ossau, l’accord est parfait. C’est à ce stade du repas le seul vin dévié que nous buvons. Il est bon, mais ce n’est pas un « Y ».

Florent chouchoute son Vouvray Clos Petit Mont 1928 Allias. Bettane le vénère, et le classe Top 5 de l’histoire. Introuvable. Le domaine n’en possède plus… C’est avec un regard gourmand qu’il nous le sert. Le nez est beurre, miel et litchi, très Vouvray. En bouche, quand d’autres pensent mangue, je trouve litchi, kiwi, figue de barbarie. Le vin est frais, léger, citronné, délicat. Il est très beau et va bien avec le stilton. Il est élégant et intemporel. L’évocation du tilleul dans le dessert lui convient. C’est un grand vin, mais pas le rêve que Florent avait conçu.

Ayant compris que Florent ne souhaitait pas que j’apporte un vin car sa composition d’ensemble, d’un raffinement extrême, aurait été troublée par une ajoute, j’ai apporté une bouteille de Une Tarragone des Pères Chartreux années 1910/1920. Cette Chartreuse a un nez qui soignerait toutes les maladies par les plantes, car il est envahissant de pureté de fleurs de printemps. Et pour reprendre la comparaison faite tout à l’heure, on sait avant même de la goûter que l’on est dans le 100/100, la perfection divine. En bouche c’est un péché tant c’est bon. J’en suis amoureux et j’ai fait des émules.

J’avais apporté en cadeau à Florent une bouteille mystérieuse qui m’avait été offerte il y a près de dix ans. La bouteille dit « liqueur du Père Kermann », puis sur une feuille collée au dessus de l’étiquette de la liqueur, « Grenage » mot titre dont la signification est un mystère, Bonafos Jean et 1902. Florent me demande de l’ouvrir. Le bouchon est sec et fait bien son âge. La couleur est transparente. Le liquide ne sent rien. Je le goûte, et c’est de l’eau ! Mon ami pourrait croire que je lui passe une patate chaude, mais il n’en est rien. Est-ce moi qui ai reçu une patate chaude ? La méprise, impossible à imaginer est trop drôle.

Olivier, le complice de Florent, fait passer fort opportunément une bouteille de Rhum « Trois Rivières » 1953 de 45° absolument merveilleux, un régal qui se marie divinement avec les beaux chocolats variés.

Nous n’avons pas classé les vins aussi mon classement (extrêmement difficile) est fait après coup. Je mettrais hors compétition la Tarragone, nectar olympien et ensuite : 1 – Bâtard Montrachet 1979 Ramonet, 2 – Côte Rôtie La Mouline 1976 Guigal, 3 – Echézeaux 1966 Henri Jayer, 4 – Montrachet Marquis de Laguiche 1966 Drouhin, 5 – Clos Vougeot Cuvée Liger Belair 1923 Nicolas.

Le chef a fait une cuisine exemplaire, avec des produits aux goûts profonds. Florent a imaginé des accords d’une belle intelligence, et son ordre des vins, peu conventionnel, s’est révélé cohérent. Autour de la table il n’y avait que des fous de vins. C’est l’amitié qui gagne le premier prix.

deuxième journée gastronomique photos samedi, 25 septembre 2010

Astérix en Corse (ou son ancêtre)

Les vins du dîner

Champagne Dom Pérignon 1996 / Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989

Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 1998 / Domaine Comte Abbatucci Cuvée Général de la Révolution 2007

Château Haut-Brion 1950

Château d’Yquem 1935

Les bouchons

Amuse bouche : marinato de mérou, gingembre, huile d’olive vierge sur un pané caraçao, bouillon de bonite et de soja, sucette à la tomate cerise caramélisée

Foie gras à l’absinthe, gelée cacao, mantecato noix de pecan / Fregola au tourteau frais, écume laurier girofle / Langoustines croustillantes, émulsion poivron-pomelos-menthe

deuxième langoustine / Saint-pierre poché, pois chiches, topping, sauce muscat / Agneau glacé à la moutarde, parfum orange-mandarine, nems de châtaigne

Cannolo pamplemousse ananas / La boule violette (entière et entamée)

deuxième journée gastronomique à Casadelmar samedi, 25 septembre 2010

(pour lire le récit complet du séjour au Casadelmar, il faut commencer par le texte du 22 septembre et remonter)

La pluie tombe toute la nuit. Au matin, le vent est tellement violent que les bateaux que l’on peut louer à l’hôtel sont tous déplacés sur l’autre rive de la baie, de peur qu’ils n’arrachent leurs amarres. Un remorqueur, qui paraît minuscule à côté du bateau de la SNCM qu’il tire, l’empêche de dériver car il offre une prise au vent gigantesque. Dans la salle à manger, Jean-Philippe bavarde avec Davide avec lequel « ils refont le match », commentant les plats et les accords de la veille. Je me joins à la conversation et constate que mes remarques portées sur le blog ont été lues par le chef. On sent que Davide recherche la perfection et est avide de partager les analyses et suggestions. Davide ne pourra pas être avec nous ce soir car il s’est engagé à une partie de pêche nocturne en mer. Il regrette cette absence.

Nous partons tous les sept de notre petit groupe gastronomique admirer les paysages de la Corse du Sud, avec les alignements de mégalithes qui montrent qu’il y a cinq mille ans, les corses travaillaient.

De retour à l’hôtel, une rapide collation me permet d’enchaîner avec l’ouverture des bouteilles. Les odeurs des trois blancs et du Haut-Brion 1950 sont plus que prometteuses, celle du Haut-Brion étant éblouissante. Nous décidons de ne pas ouvrir l’Yquem 1935 sans l’assentiment de l’ami qui l’a apporté, pour éviter une éventuelle extinction de ses feux par une ouverture trop précoce.

Le deuxième dîner gastronomique au Casadelmar commence. Le menu composé par Davide Bisetto est : Foie gras à l’absinthe, gelée cacao, mantecato noix de pecan / Fregola au tourteau frais, écume laurier girofle / Langoustines croustillantes, émulsion poivron-pomelos-menthe / Saint-pierre poché, pois chiches, topping, sauce muscat / Agneau glacé à la moutarde, parfum orange-mandarine, nems de châtaigne / Cannolo pamplemousse ananas / La boule violette.

Pour ne pas démarrer par un Dom Pérignon 1966, nous avons commandé au restaurant un Champagne Bollinger R.D. 1996. Et Davide qui venait de recevoir un gros mérou a décidé que ce champagne se prendrait sur un marinato de mérou, gingembre, huile d’olive vierge sur un pané caraçao. Le mérou est léché d’une trace de poutargue et sa chair crue est parfaite pour le champagne à l’énorme présence. Le caractère japonisant de cette entrée est accentué par un petit bouillon de bonite et de soja très subtil et déroutant. Une sucette à la tomate cerise caramélisée apporte sa petite touche de fête à cet amuse-bouche impromptu. Le champagne est pénétrant. Son final est riche. Le fruit qu’il affiche est insistant. C’est un champagne de forte personnalité.

Le foie gras à l’absinthe, est d’une extrême subtilité et il faut mêler toutes les composantes du plat pour en profiter au mieux. Je vois une coquille sur le menu puisque l’on annonce : Champagne Dom Pérignon 1996 et je signale l’erreur à Jérémie. L’air gêné, il me dit que c’est bien cela. Honte sur moi ! Je croyais offrir à mes amis un 1966 et celui qui est servi est un 1996 ! Je me dissimule sous la nappe, rouge de honte. Et l’explication est simple. Dans les cases de ma cave, ce que l’on voit des bouteilles est le cul. Dans la case où j’ai prélevé cette bouteille, c’est le col qui attendait ma prise. L’année lue rapidement à l’envers m’a poussé à cette inversion de chiffres. Faute de grive, que raconte ce champagne ? Par une chance extrême, il est en phase totale avec l’évocation de cacao. Il colle au plat de façon remarquable. L’absinthe, le cacao, la noix de pécan et la badiane de la brioche trouvent des échos réactifs dans ce merveilleux champagne, très différent du Bollinger. Le premier servi est l’affirmation de soi. Le second est la flexibilité gastronomique absolue. L’accord est merveilleux et le champagne nous enchante, mais quelle honte !

La fregola au tourteau frais est un plat tout en douceur. Chaque saveur est suggérée avec délicatesse. Et la résonance se trouve merveilleusement avec le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989 car chaque qualificatif qui convient au plat s’applique aussi au vin : délicat, fin, subtil. Le nez du vin est riche et en bouche, c’est un festival d’élégance, combinant le minéral, le citron sur des fruits jaunes. La persistance du Bonneau est accentuée par le poivre. L’attaque est fraîche et citronnée, le vin prend de l’ampleur avec le poivré et le final garde le citron vert.

La langoustine croustillante est superbe la sauce propulsant ses saveurs à des hauteurs rares. Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 1998 est un vin imposant, d’une richesse infinie, mais qui garde la capacité de capter les saveurs du plat. J’aime le caractère kaléidoscopique du fruité de ce Montrachet puisqu’il est plus que Chevalier. L’accord est sublime. Faisant remarquer avec humour à Marie-Charlotte au sourire toujours aussi brillant que « ça manque un peu de langoustine », toute l’équipe s’organise pour qu’en un temps record le plat soit doublé, la deuxième version étant encore meilleure que la première, la cuisson de la langoustine étant plus pertinente. Quelle réactivité ! La Cabotte est d’une rare diversité et Jean-Philippe, poète, nous dit qu’il a : « le beurre du chardonnay et le menthol du terroir ».

Le saint-pierre poché est un peu trop cuit. Par un clin d’œil rappelant l’un des dîners de l’an dernier, nous buvons un Domaine Comte Abbatucci Cuvée Général de la Révolution 2007, vin original, au beau fumé et à la grande fraîcheur. Il est imprégnant, solide et frais. Je le trouve très bien fait et très adapté au plat, notamment avec le pois chiche. Le vin est très puissant en milieu de bouche et son final est plus mince. Son caractère fumé est ce qui convient au plat.

Pendant la pause, j’ouvre l’Yquem 1935 à la capsule sans année et très neuve qui indique un rebouchage. Mais le haut du bouchon est très sombre et poussiéreux. Extirpé, il a de sales traces de moisi vert, sauf dans sa partie basse et le nez confirme que rien n’a été altéré dans ce vin. Il n’y a aucune indication d’année de rebouchage. Il n’est pas exclu que l’on ait utilisé le bouchon d’origine au rebouchage.

Nous reprenons le cours du repas avec l’agneau glacé à la moutarde qui est un plat à la cuisson parfaite. La chair est sanguine avec une lourde pellicule de jus réduit. Le Château Haut-Brion 1950 a un nez extraordinaire. Il annonce une richesse hors du commun. Et le vin est en bouche un festival de distinction. C’est un Haut-Brion « pure race », complexe, avec de petites notes d’agrumes qui réagissent à la sauce. Le vineux est extrême. C’est un très grand vin. Et l’accord est merveilleux. C’est le meilleur accord et le meilleur vin de notre séjour. Les notes poivrées du vin et un léger fumé cacaoté sont d’une délicatesse ravissante.

Le Cannolo pamplemousse ananas accompagne le Château d’Yquem 1935. Son nez évoque les Yquem qui n’ont plus de sucre, très fréquents dans les années trente. Il faut donc « lire » ce vin avec les lunettes qui conviennent car les saveurs subtiles où le thé a sa place sont absolument charmantes. C’est sur la subtilité qu’il faut profiter de cette belle évocation d’Yquem.

La boule violette est une création diabolique où se mêlent des saveurs précieuses à base de myrte et de myrtille, dans des tons qui sont ceux de l’hôtel Casadelmar. Nous finissons les dernières gouttes du Porto Niepoort 1957 qui a bien profité d’un jour de plus.

Nous applaudissons une équipe qui a fait un travail remarquable. Ce séjour gastronomique fut un enchantement.