C’est tout un programme
le rosé de la presqu’île de Giens 2009, Lou Pitchoun, aux vendanges manuelles
les plats sont sommaires
c’est surtout ça qui vaut le détour
C’est tout un programme
le rosé de la presqu’île de Giens 2009, Lou Pitchoun, aux vendanges manuelles
les plats sont sommaires
c’est surtout ça qui vaut le détour
Lorsque nous étions allés dîner chez Yvan Roux, invités par Jonathan, jeune ami français qui prépare son avenir en Australie, il nous avait demandé s’il pourrait coucher chez nous pour prendre son avion tôt le matin. Jonathan arrive dans l’après-midi et lorsque l’heure de l’apéritif sonne, il est temps de terminer le magnum de champagne Salon 1997 commencé avec mon gendre la veille. Le champagne a un peu perdu de sa bulle, mais il est toujours aussi brillant. Quelle prestance, quelle intelligence ! Nous nous régalons sur de la poutargue, qui donne au champagne plus de rectitude. Des toasts au foie gras donnent au champagne plus d’opulence et un charme capiteux.
Tout cela est si bon que le Salon s’assèche. Un Champagne Krug 1982 lui succède et il est intéressant de comparer l’incomparable. Le Krug est infiniment plus complexe, développant ses mille saveurs par vagues imprévues. Mais le Krug est beaucoup moins accueillant que le Salon. Il est comme une diva à qui tout est dû. Ainsi, il ignore la poutargue alors qu’il se complaît avec le foie gras. Au bout du compte, si la complexité du Krug est spectaculaire, mon cœur penche – ce soir – pour le Salon, plus flexible, plus adaptatif, et plus « champagne de soif ».
Nous avions bu la veille un Richebourg Anne Gros 1996 absolument magnifique. Il était tentant d’ouvrir un Richebourg 1996, lisible sur le bouchon, d’une bouteille sans étiquette ni capsule. C’est forcément un vigneron qui me l’a donnée, mais qui. Le souvenir me revient, et le bouchon le confirme, que je n’avais pas suffisamment examiné : il s’agit d’un Richebourg Anne-Françoise Gros 1996, offert lorsqu’elle est venue dîner dans notre maison du sud.
Chose curieuse, le bouchon se brise lorsque j’ouvre la bouteille, ce qui ne devrait pas arriver pour un vin aussi jeune. Nous goûtons, et le premier contact, aussi bien au nez qu’en bouche met des sourires sur nos lèvres. C’est un beau et joyeux Richebourg, solide dans sa structure. Mais plus le temps passe et plus il apparaît que la bouteille a dû connaître un problème de chaleur à un moment où à un autre. Le vin est plaisant, avec de belles évocations, mais il y a une légère amertume qu’il ne devrait pas avoir. Le poulet avec un risotto convient bien au vin que nous buvons avec plaisir.
Lorsque vient le moment du dessert, au lieu de rester à la table installée sous un toit de tuile, nous allons à une table en plein air où l’atmosphère est infiniment plus fraîche. Le vin s’est un peu rafraîchi et une tarte aux abricots, avec l’acidité prononcée des abricots, redonne un tel coup de fouet au Richebourg qu’il a totalement perdu les défauts qu’il avait il y a seulement quelques instants. Qui pourrait croire que l’acidité de l’abricot donnerait cet effet ? Nous finissons le vin avec la joie d’avoir retrouvé un Richebourg éminemment charmant, riche et profond comme nous les aimons.
Un magnum de Salon 1997 et un magnum de Laurent Perrier Grand Siècle, ça promet une belle soirée !
ajoutons donc un champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999 !
et pourquoi pas un Champagne Krug 1982 !!!
Ce qui est intéressant à remarquer, c’est que le Richebourg Anne gros 1996 comporte une capsule qui indique : Anne et François Gros. Sans doute par souci d’économie.
les merveilles de la cuisine basse température. Un rosé aussi frêle est assez irréel
Mon gendre va repartir. Un dîner s’impose. Il se trouve qu’Yvan Roux participe à la formation de commis dans le domaine de la restauration. Un de ses employés s’est lancé dans la boucherie, et l’on sent en lui un besoin d’excellence. Mon gendre a rapporté de sa boutique un jambon Pata Negra et un grenadin de veau. Nous allons ensemble avec mon gendre, ma fille et mon petit-fils dans les bras de sa mère chercher dans ma cave de quoi structurer le dîner. Un vent chaud et sec de type saharien recouvre notre région, au point de porter les températures au-delà de 35°. Il faut donc gérer au milli degré les températures de ce que nous boirons.
Guillaume a choisi un jambon du sud ouest de la France fait selon les méthodes ibériques et un Pata Negra. Le Champagne Salon en magnum 1997 est prévu pour les accompagner. Le premier contact avec le champagne est absolument féerique. Par rapport au Vieilles Vignes Françaises et au Krug Grande Cuvée, il n’y a pas l’ombre d’un doute, ce Salon les transcende. Ce champagne est d’une affirmation incroyable. Il y a en lui un tempérament guerrier, alors que le champagne n’est fait que de fleurs blanches et roses et de fruits des mêmes couleurs. Le jambon français est intéressant, mais il n’a rien du gras de l’espagnol. Aucune comparaison n’est possible. Le champagne réagit magnifiquement au gras noisette du jambon. Et la poutargue qui suit virilise le champagne dont l’équilibre est impressionnant. Après les millésimes 95 et 96 beaucoup doutaient de la solidité du 97, sauf Didier Depond qui me disait : « tu verras ». Ce 1997 est spectaculairement Salon, dans la ligne de ce que j’adore de ce champagne d’exception.
Le grenadin de veau a été cuit à basse température et se présente avec un rosé et une tendreté qui sont incroyables. Le Richebourg Anne Gros 1996 est, à mon sens, une des preuves de l’existence de Dieu. J’ai rarement bu un vin à l’équilibre sensoriel aussi réussi. J’ai bu des grands bourgognes typés. Celui-ci est une leçon, car il n’a aucune aspérité. C’est l’équilibre dans le charme le plus absolu. Quel grand vin subtil, caressant, féminin, intense dans la subtilité. On est dans un rêve éveillé. La viande à la chair douce épouse parfaitement le discours de ce Richebourg parfait. Si Henri Jayer a fait des vins archétypaux, je ne suis pas loin de penser qu’Anne Gros est dans cette même ligne. Dans une chaleur qui préfigure les cataclysmes de demain, il était inutile d’aller plus loin. Avoir dans un repas simple un Salon 1997 au sommet de son art, car il décline l’identité de Salon avec un talent rare, et avoir une perfection de subtilité bourguignonne grâce à ce Richebourg d’Anne Gros, c’est un privilège dont nous avons joui goulûment.
Mon gendre arrive deux jours après par l’avion. A peine sort-il de l’aéroport, quelques baisers à ses enfants et nous voici de nouveau à la table d’hôtes d’Yvan Roux. Le Pata Negra est toujours là pour nous accueillir, petite merveille d’équilibre entre le gras et le doucereux, le sel jouant en sourdine, ce qui est bien. Nous le dégustons sur un Champagne Bollinger Vieilles Vignes Française 1999. Dans le calme du soir, lorsque les nuages rosis de soleil couchant se reflètent sur la mer, le champagne dans nos verres prend des couleurs d’un rose délicat, alors qu’il est blanc comme un diamant. Le nez est un régal de subtilité. Le mot qui convient à ce champagne est grâce et féminité. Nous sommes dans de grandes subtilités et ce qui m’impressionne, c’est que le final, plus il se prolonge en bouche, plus il devient fumé, lourd et marqué d’épices, influencé par la profondeur du jambon espagnol.
Yvan a préparé de nouveau le plat de carpaccio de pélamide avec son pesto et des tomates confites. La chair est toujours aussi délicate, mais l’accompagnement est un peu fort pour le champagne. Yvan nous avait montré deux magnifiques langoustes, et nous avait prévenus qu’il y aurait une surprise. Lorsque les assiettes sont servies, il faut quelques secondes d’accommodation pour comprendre qu’il y a sur chacune d’elles une demi langouste et une demi cigale. Quel bonheur ! Je commence par la langouste à la chair divine. Tout ici combine tendresse et force. Le corps est charnu, mais en même temps délicat. J’adore cette chair immense. Nous essayons le Champagne Krug Grande Cuvée dont la force très juvénile correspond à la langouste. Alors que je suis un amoureux des cigales, avec leur côté noisette, je préfère nettement la chair de la langouste. Peu après le dîner, lorsque j’indique ma préférence à Yvan, je suis bien embarrassé de dire si j’ai préféré la langouste pour sa chair pure, ou pour le fait que je l’ai mangée en premier, dans la fraîcheur de sa cuisson, alors que la cigale a été mangée plus tard, refroidie par la brise venant de la mer.
Le Krug est un bon compagnon des crustacés, même si ce n’est pas un multiplicateur de vibrations. Ce champagne est solide, demanderait quelques années de vieillissement de plus pour atteindre sa plage d’excellence. Je serais bien incapable de dire lequel des deux champagnes est le meilleur, car le Krug joue dans l’affirmation de soi, qui n’exclut pas la complexité, et le Bollinger joue dans l’élégance raffinée, juste suggérée.
Un soufflé à la vanille a trouvé un très joli écho avec le Krug qui a su faire un contrepoint à la richesse expressive de la vanille sucrée par le soufflé. Ce fut un bien agréable dîner de famille chez le prince des cuissons.
Yvan découpe du Pata Negra
Notre jolie table sur la terrasse
Les vins :
Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1988
Meursault Clos de la Barre Domaine Comtes Lafon 2000
Hermitage Chave rouge 1997
Châteauneuf-du-Pape Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 2001
Château d’Yquem 1990
les plats :
Fleur de courgette, un beignet de lotte et un « foie gras » de lotte au basilic
Carpaccio de pélamide avec son pesto et des tomates confites
Esquinade en copeaux dans sa coquille, au beurre salé, avec une ratatouille (la coquille paraît vide, mais elle ne l’est pas !)
Liche crue et cuite aux sésames avec une purée de poivron au piment d’Espelette
Chapon à l’ail rose confit et thym de Sisteron
Pêche rôtie au thé, miel en sabayon
Jonathan et Camilla (le Krug est un cadeau pour le père de Jonathan)
les bouteilles sur table
La table, vue de nuit
Jonathan, jeune complice de beaucoup de dîners amicaux, descend dans le sud avec ses parents et sa fiancée. Il souhaite montrer à son père la table d’hôtes d’Yvan Roux. Il nous invite amicalement à nous joindre à son cortège. Par une lourde soirée d’été, devant une mer sans le moindre frissonnement, plate comme un miroir, la vue de la terrasse est toujours aussi merveilleuse.
Yvan tranche de fines lamelles d’un jambon Pata Negra de Séville qui est d’un goût parfait. Le gras, la douceur de ce jambon sont dosés idéalement. J’ouvre un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1988. Ce champagne est extrêmement plaisant. Sa couleur est celle d’un minot, alors qu’il a vingt-deux ans. La bulle est fine et active, le nez est racé, et le plaisir de boire est extrême. C’est un vrai champagne de soif au goût de revenez-y. Avec le jambon, l’association est tellement naturelle qu’ils sont faits l’un pour l’autre.
Nous passons à table sur la grande terrasse, et l’entrée consiste en une fleur de courgette, un beignet de lotte et un « foie gras » de lotte au basilic, la préparation des foies ressemblant visuellement à s’y méprendre à un foie gras. Cette partie de l’entrée se marie très précisément avec le champagne. La fleur de courgette est agréable et le beignet de lotte, absolument délicieux, donne envie d’aborder le Meursault Clos de la Barre Domaine Comtes Lafon 2000. La couleur du vin est d’un beau citron clair. Le nez donne une image de sérénité et d’équilibre. Et en bouche, le vin qui n’est pas trop puissant joue agréablement de sa fraîcheur mariée à des effets de beurre et de lait discret. C’est un beau vin, qui profite de l’accord avec la lotte.
Mais le véritable régal pour ce vin, c’est un divin carpaccio de pélamide avec son pesto et des tomates confites. La chair de cette bonite est d’une douceur extrême. Elle fond en bouche et le meursault répond au quart de tour à sa douceur. Un meursault plus puissant eût dominé. Celui-ci ajoute sa grâce à celle d’une chair rose terriblement fondante.
L’esquinade est présentée en copeaux dans sa coquille, au beurre salé, avec une ratatouille. Ma femme est ravie de la qualité expressive de cette chair. L’Hermitage Chave rouge 1997 est exactement ce qui convient pour créer un accord de texture de première grandeur avec le décapode. On retrouve avec ce vin les problèmes de l’été : très sensible à des variations infimes de températures, il ne nous a jamais donné ce qu’il est capable, n’arrivant pas à passer à la vitesse supérieure. Il a fallu attendre deux plats pour qu’il soit assez frais et décline sa finesse extrême.
A l’inverse du Chave, le Châteauneuf-du-Pape Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 2001 est immédiatement glorieux. Quel beau vin. Il se marie très bien à une liche crue et cuite aux sésames avec une purée de poivron au piment d’Espelette. Le vin est riche, charnu mais aussi élégant et accueillant.
Le chapon à l’ail rose confit et thym de Sisteron a une chair que j’adore. Quel beau poisson ! Sur cette chair, les deux vins conviennent. Mais mon cœur va pencher vers le Chave, devenu enfin spirituel, qui a l’élégance des années calmes, ce qui lui va bien. Les deux vins sont passionnants. Le Châteauneuf a été constamment grand. L’Hermitage, quand il a brillé, a montré une délicatesse et une richesse expressive remarquable. Il est clair que boire de grands vins par de grandes chaleurs n’est pas le meilleur service à leur rendre.
La pêche rôtie au thé, miel en sabayon se marie avec une grande pertinence au Château d’Yquem 1990 à la robe très jeune. Ce sauternes à la couleur encore pâle est d’une grande solidité. Il est droit dans ses bottes, fidèle à la ligne historique d’Yquem. C’est un très bel Yquem jeune.
Yvan Roux a démontré une fois de plus que ses choix de poissons sont pertinents et que ses cuissons sont d’une exactitude absolue. Les chairs les plus belles ont été pour moi le carpaccio de pélamide, l’araignée de mer et le chapon à l’ail. Les accords les plus beaux sont le Pata Negra avec le champagne, le chapon avec le Chave, le carpaccio avec le meursault. Pour les vins, ma préférence va au champagne Henriot, qui profite mieux des fortes chaleurs puisqu’il rafraîchit le palais, puis au même niveau les deux vins rouges du Rhône. Dans une ambiance amicale, sur un panorama grandiose, une cuisine exacte, de beaux produits et de grands vins, les vacances ont un sel particulier.
La canicule s’installe. Lorsque l’on fait du sport, les polos dégoulinent de sueur. Après une partie de tennis acharnée et une douche réparatrice, des amis arrivent pour dîner. Le vrai coup d’envoi des vacances, c’est lorsque explose dans les airs un bouchon de Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle en magnum. Car à cet instant, les vacances s’installent. Et la première gorgée de champagne, juste après le sport, provoque une sensation de plaisir qui est la même que de boire un bière juste après une séance de sauna. Le corps aspire le liquide avec envie et volupté. La bulle du champagne est fine et picote agréablement le palais. La couleur est pâle et le vin évoque les fruits blancs, comme la groseille blanche et la pêche blanche. C’est manifestement un champagne de soif car il désaltère avec une franche joie de vivre. Je me laisse conquérir par son charme. Son équilibre, sa longueur sont très convaincants, nettement plus enthousiasmants que lors de dégustations d’hiver. Si l’on accepte d’effacer ce que la formulation a de péjoratif pour d’autres vins, je dirais volontiers que ce champagne est un champagne de piscine, c’est-à-dire qu’il atteint son excellence en été. Un très bon Pata Negra met en valeur son côté floral, de la poutargue fait apparaître de l’iode. Sur un foie gras que l’on peut à sa guise frotter d’une confiture de citron, le champagne trouve sa plus belle expression, toute de sérénité.
Sur un grenadin de veau cuit plus de trois heures à basse température, tendre et rosé comme un cuisse de nymphe émue, la Côte Rôtie La Turque Guigal 2000 est une pure merveille. Ce vin est enthousiasmant car il est un hymne à la joie. Le nez est la joie de vivre et en bouche le vin est juteux, joyeux, multiforme, naturel. On aime chaque gorgée. Il y a dans ce vin du poivre en grain et des feuilles de menthe. Il combine force et fraîcheur. Ma femme a préparé de minuscules pommes de terre juste plongées dans l’huile, que l’on croque avec la peau. Et cette saveur apaisante enhardit La Turque qui devient, à cet instant, le plus beau cadeau du monde. Qu’y a-t-il de plus joyeux, de plus voluptueux que ce vin riche et entraînant ? Ce soir, comme sans doute chaque fois, il nous a transportés aux cimes du bonheur.
Nous avons fini le champagne toujours aussi floral sur des petits palets qui ont entretenu nos discussions juste que tard dans la nuit.
champagne Alexandra rosé Laurent Perrier 1998
Champagne Krug Vintage 1990
Vin de l’Etoile Chateau de l’Etoile Vandelle 1959
l’étiquette de ce vin de Mascara des années 40 crée en moi une grande émotion. C’est si beau et si évocateur !
Chateau Cheval Blanc 1983 et Chateau Haut-Brion 1975
Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1973
Ermitage le Pavillon Chapoutier 1991
Chateau d’Yquem 1986
Chateau Filhot 1972
Jonathan ayant quitté sa nouvelle Australie pour un court séjour parisien, il enchaîne à un rythme endiablé les grands repas. Ce soir, il nous reçoit au domicile parisien de son père, et confie la cuisine à Jean-Philippe. La salle de la cuisine est immense, toute en longueur, très haute de plafond, et équipée comme la force de frappe nucléaire française. Au moment où nous arrivons, ma femme et moi, une gentille brigade commandée par Jean-Philippe s’affaire autour de produits merveilleux.
Lorsque j’avais annoncé les deux vins que j’apporterais, Jean-Philippe, suivi par Jonathan, a fait la moue soit du snob, soit de l’enfant gâté (vous cochez la case qui vous paraît la plus appropriée). Vexé comme un pou, caractéristique caractérielle de cet insecte un peu tirée par les cheveux, je viens avec cinq bouteilles dans ma besace, en tonitruant : « à vous d’en choisir deux, puisque vous n’aimez pas mes vins ». Mais à force de vanter les mérites de chacun pour convaincre de leur pertinence, j’ai fini par ouvrir les cinq, doublant presque le nombre de vins de cette olympiade gastronomique.
Jonathan a invité deux de ses amis dont j’avais fait la connaissance chez Yvan Roux, Jean-Philippe a invité deux de ses amis que j’ai connus en diverses circonstances, et mon épouse qui redoutait un dîner où l’on parle de vins a été servie !
Pensant que démarrer par un champagne sublime est un départ trop rapide, j’ai insisté pour que l’on boive « mon » Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998 pour se faire le palais. J’y étais conduit par la présence de copeaux de saucisse de Morteau que Jean-Philippe agrémenta de mizuna. Le rose du champagne est joli, frais, alors que le champagne ne l’est pas, puisqu’il a été mis au froid tardivement. La bulle est belle et je suis agréablement surpris de voir que c’est un bon rosé. Il a de la consistance, et il manque un peu de folie. C’est un exercice de style très appréciable, mais qui ne crée pas une grande émotion. L’accord avec la saucisse est très pertinent.
Dès qu’est servi le Champagne Krug Vintage 1990, nous montons quatre à quatre les marches de l’ascenseur gustatif, et cette phrase me plaît tant elle est dans la ligne des légendaires discours du maire de Champignac. Ce champagne est d’une classe extrême, délivrant un flot de complexité dont on saisit des bribes sans jamais embrasser la totalité des messages. Le foie gras poêlé, fève Tonka et fleur de coriandre est parfait, goûteux, d’une extrême qualité. Mais ce qui est curieux, c’est que si la logique de l’accord est respectée, il n’y a aucune valeur ajoutée pour l’un comme pour l’autre. Pas de changement de niveau.
Lorsque j’avais fouiné dans la cuisine, au moment des préparatifs, j’ai mis mon nez dans une casserole pleine de coques. Et une réminiscence à l’évidence criante m’est venue : il faut Yquem pour ces coques. Jean-Philippe les avait prévues en accompagnement du cabillaud. Il fut d’accord de scinder son plat. Aussi le dos de cabillaud est-il accompagné d’épinards à la poire, sur le merveilleux Meursault 1er Cru Perrières – Domaine Coche-Dury 1997. C’est divin. Le cabillaud est un millimètre trop cuit pour mon goût, mais il est goûteux et délicieux. Le meursault a un nez de gaz paralysant. Il nettoie les narines comme on nettoie les banlieues. Et en bouche, il montre une fois de plus le talent extrême de Jean-François Coche-Dury. Ce vin est une bombe gustative, qui trouve dans le cabillaud le répondant parfait. Ce meursault aux variations nacrées, irisées, infinies est un bonheur.
Le homard, céleri, sauce à l’anis et à la réglisse est prévu pour mon chouchou, le Vin de l’Etoile, Château L’Etoile, Vandelle 1959. La chair du homard est parfaite, mais de Jean-Philippe, on s’attend à ce que l’idéal soit standard. Le trait de génie, c’est le céleri, qui apporte au vin du Jura une dimension galactique. Le plat est un rêve avec un céleri diabolique, le vin est un rêve, car il emmène dans des saveurs intouchables et le tout est un rêve.
On s’en souviendra de l’accord entre les coques au bouillon iodé et le Château d’Yquem 1986. Car la correspondance est parfaite. La coque, mais encore plus le bouillon, arrive à accrocher l’iode d’un Yquem puissant, impérieux, presque insolent de charme assumé. Je suis particulièrement heureux d’avoir suggéré cette entorse au programme, qui se justifie pleinement et donne un rare plaisir.
Le lard de Colonnata est présenté sur un pain grillé et c’est l’occasion de servir le Vin de Mascara, vin d’Algérie de Herber-Préau à Oran et à Sète, des années 40. La datation n’est pas évidente, mais le vin est sûrement entre 1930 et 1950. Son nez est impérieux, riche, costaud. En bouche, ce vin annoncé à 13° est d’une puissance certaine, d’une couleur noire, et d’une conviction indestructible. Par son côté légèrement torréfié, café et chocolat, il me fait penser au Vega Sicilia Unico. C’est un vin simple, mais d’une richesse souriante et l’accord avec la Rolls du lard est joyeux.
Tout le monde se recueille quand il nous est donné de goûter une viande transcendantale, un Wagyu, sauce au boudin noir, poêlée de girolles. Ce bœuf venu dans les bagages de Jonathan est d’une qualité qui est introuvable en Europe. On le mange comme une hostie, tant on veut communier avec ce privilège. Et, comme la chance sourit à ceux qui la méritent, nous buvons un Château Cheval Blanc 1983 qui est exceptionnel. Carafé depuis longtemps, ce vin est aérien, gracieux mais aussi noble et racé. Il emporte nos papilles en des cieux inaccessibles. Ce vin sera unanimement couronné comme le plus grand de cette soirée. La sauce crée un pont merveilleux avec le vin. Nous sommes dans l’exception gastronomique.
Lorsque nous sommes servis du Château Haut Brion 1975 le vin fait pataud, collant à la glaise alors que le précédent était sur un petit nuage. Et par la magie de l’accord avec le ris de veau à la cubaine, le vin gagne en hauteur de façon spectaculaire. Cette transformation est inouïe. Le ris est d’une qualité extrême et l’accord crée de la valeur ajoutée.
Le quasi de veau basse température, est accompagnée d’une sauce que Jean-philippe aime à appeler Grand Cru, alors qu’il n’y a pas une goutte de vin. Cette sauce est rose, et la petite pointe de framboise rappelle l’odeur des bondes de fûts en Bourgogne. Ce plat est le velours qui convient au Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1973. Tout en ce vin est subtil, mais un peu timide. On sent qu’il a des choses à dire, mais qu’il reste sur le pas de la porte pour ne pas déranger. C’est un grand vin mais qui joue un peu discrètement malgré la sauce divine qui lui va comme un gant.
Le suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de févettes est une merveille de la cuisine de Jean-Philippe. En lui associant un Ermitage "Le Pavillon" M. Chapoutier 1991, on sait qu’on a acheté un ticket gagnant. Le vin est sûr de lui, lisible comme une évidence, plein, équilibré, parfait. Et le plat n’a pas besoin de faire d’effort pour coller à lui comme tenon et mortaise. C’est de la gastronomie pullman, fondée sur une dextérité du cuisinier et du vigneron.
Le Stilton est goûteux. Peut-être un peu trop fort et trop salé, mais goûteux. Il en faudrait plus pour faire vaciller le Château d’Yquem 1986 qui est toujours un roc, dans la définition d’un Yquem puissant, archétypal.
Et ce qui est intéressant, c’est que l’Yquem ne porte pas du tout ombrage au Château Filhot 1972 dont le nez était renversant à l’ouverture, avec des notes de poivre et de menthol. La raviole de mangue au pamplemousse rose est née pour Filhot. Dès que je goûte, je demande à Jean-Philippe d’ajouter une jetée de poivre sur la mangue, car le Filhot appelle ce poivre. Et l’accord est merveilleux, confondant, au point que l’on ne sait pas si le goût vient du mets ou du vin. Le Filhot 1972, ayant mangé une partie de son sucre, donne une image du sauternes frais et délicat qui est aussi merveilleuse que celle de l’Yquem, plus guerrier et conquérant.
La tarte Tatin du pâtissier fétiche de Jean-Philippe est bonne, mais elle n’ajoute rien au sauternes. J’aurais aimé qu’on double la portion de mangue plutôt que ce très bon dessert.
L’ennui, quand on « fait du social » en invitant le cuisinier à table, c’est que quand il est à table, il n’est pas en cuisine. Aussi est-ce vers trois heures du matin que nous avons fini un repas qui restera dans nos mémoires comme un moment de justesse culinaire extrême et de choix de vins variés faisant voyager nos papilles dans des jungles inviolées. Quand on y rajoute la mayonnaise de l’amitié souriante et joyeuse, on est très proche du bonheur parfait.