Champagne Montebello "cuvée extra" brut 1964
Savigny Lavières Tollot Beaut 1982
Pommard héritiers H. Leneuf 1955
Malvoisie des Canaries 1828
les ormeaux (avant et après)
le cabillaud
l’agneau
Champagne Montebello "cuvée extra" brut 1964
Savigny Lavières Tollot Beaut 1982
Pommard héritiers H. Leneuf 1955
Malvoisie des Canaries 1828
les ormeaux (avant et après)
le cabillaud
l’agneau
Dans mes bulletins, on change d’un sujet à l’autre sans qu’il y ait de titre. S’il devait y en avoir un pour ce qui va suivre, ce serait : « comment approcher le nirvana ? ». Car les deux « vieux de la vieille » de ce déjeuner ne sont pas des perdreaux de l’année, mais ils ont communié lors d’un moment unique.
Plantons le décor. Lorsque je voulais que l’on parle de mes dîners dans les médias qui comptent, j’ai fait appel à une société de communication. Un soir, dans un bistrot relativement ordinaire, un des dessinateurs du Nouvel Obs a gravé dans un de mes carnets un croquis savoureux. En face de moi, il y avait Perico Légasse, journaliste truculent du vin et de la gastronomie qui n’a pas la langue dans sa poche. En moins de trois phrases, nous savions que nous étions faits du même moule. Perico m’avait promis qu’il m’inviterait chez lui pour goûter ses vins anciens. Au bout de la quarante huit millième relance, l’esprit se lasse. Mais l’espoir persiste, car je sais que Perico aime les vins que j’aime. A la trente-six millionième relance, Perico me dit : « je t’invite, c’est chez Jacques Cagna ». L’Age de Glace nous a habitué au fait que l’écureuil Scrat, quand un gland est à portée de son museau, essaie de s’en saisir. Je prends l’invitation.
Le restaurant Jacques Cagna n’est pas inscrit régulièrement dans mes transhumances. Je le connaissais, mais sans en être familier. J’arrive un peu en avance, et les décors de bois de chênes anciens créent une atmosphère chaude et sympathique. J’ouvre mes deux bouteilles et Perico arrive, bouscule mon vin rouge qui manque de s’évanouir. Perico s’impose dans le décor, fait rafraîchir son champagne, et nous nous mettons à table pour choisir le menu.
Le Champagne Montebello cuvée extra brut 1964 du château de Mareuil sur Ay de Perico est précédé de son avertissement : « le dernier que j’ai bu était plutôt fatigué ». Celui que Philippe nous sert a une jolie bulle, une couleur encore jeune, et c’est un véritable bonheur en bouche. Je dis à Annie qui attend nos commandes qu’il faut impérativement un foie gras pour ce champagne délicat. Il existe une terrine de pigeon et foie gras qui fera l’affaire. Et c’est vrai que l’accord est prodigieux, plus avec le foie gras un peu salé qu’avec la terrine de pigeon, même si l’accord se fait. Le champagne est ravissant, chatoyant, énigmatique comme tous ces champagnes qui ne délivrent jamais les saveurs que l’on imagine. Une chose m’a étonné, et c’est sans doute la seule, c’est que Perico a dit que ce champagne est madérisé. Je m’inscris en faux contre une telle assertion, car le champagne n’est pas madérisé, il est évolué. Et c’est une immense différence. Ce sera la seule divergence entre nous.
Lorsque les petits ormeaux du Cotentin rôtis, caviar d’aubergine et cébettes sautées sont servis, même s’il y a encore dans nos verres du champagne, il est évident qu’il faut prendre le Savigny-Lavières Tollot-Beaut 1982 de la cave de Jacques Cagna. Et c’est l’ail qui crée la magie de l’accord. Il faudrait être petite souris pour observer deux adultes responsables qui gloussent en buvant un bourgogne de pure émotion. Ce vin, c’est le bourgogne comme seuls des français peuvent l’aimer, disons-nous en revissant nos bérets sur nos fronts. Car le liquide clairet, au nez de rose folle, est un diablotin bourguignon. Il est léger, élégant, aux vibrations rares. Peut-on imaginer un vin plus canaille ? Jacques Gagna, venu nous raconter des histoires de cuisiniers de la grande époque, n’est pas du tout sensible à ce message, car il aime les vins dans le fruit. Mais Perico et moi sommes en extase. La longueur de ce vin est rare. Nous sommes heureux, mais encore plus de constater que nos vibrations sont les mêmes.
Le cromesquis d’ail doux du plat s’accommode mieux du champagne de 1964 que du Savigny.
Le tournedos de cabillaud rôti, lard de Colonnata, fricassée de poireaux, pommes de terre et haricots verts, coques en marinière est d’une justesse extrême et ceux qui diront que vin rouge et cabillaud ne cohabitent pas en seront pour leurs frais.
Le Pommard Héritiers H. Leneuf propriétaires à Pommard 1955 est une révélation. Car ni Perico ni moi ne connaissons ce domaine. Je l’ai pris en cave comme une énigme à découvrir à deux. Il est tout en affirmation virile après le Savigny. C’est amusant qu’on dise d’un pommard qu’il est viril. De couleur presque noire, d’une densité de plomb, il donne de la Bourgogne une image nouvelle. Le vin évolue dans le verre et Perico et moi sommes les spectateurs d’une éclosion remarquable. Le vin est riche, avec des notes mentholées, et c’est surtout sa puissance qui en impose, même s’il est moins long en bouche que le délicat Savigny.
Le carré d’agneau de lait d’Occitanie rôti à la marjolaine, petits navets farcis et haricots coco à la couenne est goûteux, « à l’ancienne », et l’harmonie est belle. Le vin est puissant, charnu, possessif. Il change au fil des minutes, trouvant de plus en plus d’équilibre.
Jacques Cagna fait ajouter à nos agapes un Château de Camensac Haut-Médoc 1961. Il est un peu bouchonné à l’ouverture, mais nous sommes accueillants. Il est tellement jeune, à la couleur si juvénile que Perico et Jacques doutent de son âge. Mais je suis convaincu qu’il est de 1961, jeune comme cette année divine peut l’être. J’aime Camensac dont j’ai plusieurs millésimes en cave, mais l’attention était aujourd’hui vers la Bourgogne avec deux versions opposées, le Savigny qui surfe sur une onde fraîche comme un galet qui fait des ricochets, et le Pommard, taureau de combat qui pousse nos papilles contre les palissades de l’arène où il perdra la vie quand nous aurons fini de nous repaître de son sang.
Vient maintenant le clou de ce repas. J’ai apporté une Malvoisie des Canaries 1828. L’année n’est pas présente sur cette bouteille, mais elle l’est sur des bouteilles du même lot que j’ai acquis il y a plus de dix ans. A l’ouverture, le parfum capiteux envahissait l’espace dès que la cire était brisée, avant même que le bouchon ne soit retiré. Quand j’ai voulu aller me laver les mains salies par les bouchons de mes deux bouteilles, on aurait pu suivre à la trace mes mains, alourdies de ce parfum musqué et indélébile. Le vin est d’une couleur qui évoque le jus de pruneau. Le nez est unique au monde, d’une densité dont les Jicky, Chamade et autres Chanel pourraient être jaloux. En bouche, le vin est aussi capiteux que les Chypre 1845 que j’adore. On retrouve la réglisse et le poivre, qui picotent délicieusement la langue, et l’on ne peut être insensible au message d’un vin de plus de 180 ans. Le vin est indélébile. Il s’accorde bien avec une fourme, mais c’est avec des financiers et une délicate pâte, façon madeleine, légèrement citronnée qu’il trouve cet infime supplément de longueur dont il n’avait pas besoin.
Dans cette atmosphère où le divin devient d’un naturel insolent, Annie Cagna nous fait servir par Philippe un verre de Cognac Eschenauer 1870 excellent, qui capterait notre attention si la Malvoisie n’avait cette présence insistante et éternelle.
J’avouerai que mon plus grand plaisir fut la communauté d’émotion, la synchronisation de nos réactions sur des merveilles mises encore plus en valeur par la chaleur de l’amitié.
Une fois de plus Perico évoqua mille pistes de découvertes que nous conduirons ensemble. Je dois m’attendre à quelques millions de relances. Mais au vu de ce repas mémorable, je suis prêt à passer par d’interminables procédures si c’est pour atteindre un nouveau nirvana.
Le lendemain du Casual Friday, je retrouve deux participants de ce déjeuner pour un dîner de folie. Lionel est un des fidèles parmi les fidèles, contaminé par l’amour des vins anciens. Son épouse est un vrai cordon bleu. Qu’on en juge par le menu : Sablés au parmesan, sablés au roquefort / crabe au citron vert, thon mi-cuit sauce soja, soupe crevette lait de coco et citronnelle / Crème brûlée au foie gras, terrine de foie gras frais sur pain d’épice ; sucette de foie gras au gros sel / Coquilles Saint-Jacques au jambon Serrano haché d’ail / Filet de bœuf en étouffée de truffe, purée de pommes de terre aux truffes / Fromages Quatrehomme : Comté 30 mois, brie de Melun, Saint Marcellin, Saint Nectaire, gouda étuvé 24 mois / Mangues poêlées et fruits de la passion / Macarons au citron. Le dîner fut remarquable de saveurs délicates et originales.
L’ami fou de vin ne lésine pas sur le programme de ce soir. Pour calibrer le palais, nous commençons par un Champagne Bollinger Spéciale Cuvée sans année très agréable à boire, vrai champagne de soif.
Il faut recadrer le palais pour accueillir le Champagne Initiale Jacques Selosse non millésimé, qui est un champagne non dosé et sans concession. Quand on s’y habitue, on comprend à quel point ce champagne a du sens, belle expression de chardonnay.
J’ai du mal à imaginer que le Champagne Grand Siècle Laurent Perrier 1973/70/69 combinaison de ces trois millésimes soit aussi vieux que cela. En effet le bouchon n’est pas entièrement chevillé, montrant quelques boursouflures, la couleur est d’un blanc clair juvénile, et le goût ne montre pas de trace d’évolution. Ce champagne est superbe. Lionel est si sûr des années de son champagne, non indiquées sur l’étiquette, que je goûte à nouveau. On ne peut pas exclure qu’il ait raison, mais c’est un miracle.
Lionel ouvre encore une bouteille avant que nous ne passions à table. Le Champagne Pommery & Gréno 1964 fait vraiment son âge. Sa couleur est légèrement ambrée. Il a le charme des champagnes anciens, avec la complexité qui appelle la gastronomie. Quatre champagnes pour quatorze convives avant de passer à table, cela annonce un programme musclé.
Le Corton-Charlemagne Mise Nicolas 1961 est bouchonné. Le crabe au citron vert lui enlève le goût de bouchon et le vin est presque buvable, mais l’intérêt se porte vers le Château Bouscaut blanc 1924. La couleur est foncée avec de l’ambre gris. Le nez est expressif. Si les traces de vieillissement sont fortes, le vin se boit comme un intéressant témoignage d’un domaine qui sait braver les ans. L’expérience vaut la peine. Pour que nous revenions sur des goûts plus habituels, un Bâtard Montrachet Pierre Morey 1991 se situe dans des saveurs familières, sans cependant apporter une excitation particulière.
Nous franchissons une étape vers l’émotion pure avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1974 qui est ce qu’il doit être, beau, charmant, élégant et discret. Nous adorons ce vin qui réagit remarquablement sur l’ail de la coquille saint-jacques.
Nous sommes bouche bée lorsque nous prenons connaissance du Château Lafite-Rothschild 1928. Quel cadeau ! Le nez est d’une densité invraisemblable, la couleur est belle d’un rouge et noir profond et en bouche ce vin est l’expression de ce que Lafite peut atteindre dans l’absolu. C’est un vin riche, profond, expressif, d’une trame dense. C’est une merveille. Alors, le pauvre Clos de Gamot Cahors 1961, qui en d’autres circonstances brillerait sans doute, n’éveille aucun réel intérêt.
Le Gevrey-Chambertin Clair Daü 1961 provoque sur Juan-Carlos, ami passionné fou de vin, la même réaction que sur moi. La salinité de ce vin est exactement celle que l’on trouve dans les vins de la Romanée Conti. Ce vin évoque les charmes les plus purs des vins du prestigieux domaine et confirme que Clair Daü savait jouer dans la cour des grands. Ce bourgogne est superbe, canaille comme je les aime, le régal de dieux mutins.
Lionel a voulu me faire plaisir car il sait que j’aime ce vin : Vin du Jura L’Etoile cuvée spéciale 1947. Quel régal sur le comté. Ce vin du Jura a tout pour lui, diablement expressif, à la longueur infinie, sur un message chatoyant. Je me régale.
Le Domaine de Morange Saint Croix du Mont 1943 est une petite merveille. Doré à souhait, il montre une fois de plus que les grands bordeaux liquoreux ne naissent pas qu’en sauternais. Même si l’on franchit une étape majeure avec le vin qui suit, ce riche Morange ne fait pas pâle figure.
Un empereur entre maintenant en scène, le Château d’Yquem 1967. Cet exemplaire de l’icône tient son rang. Il est superbe. Il a la puissance, l’équilibre et la longueur, mais je ne lui trouve pas tout à fait la complexité que j’attendais. Cette remarque est à la marge, car nous sommes à un niveau de perfection rare.
Alors qu’un ami propose que nous votions, ce qui sera difficile pour une telle assemblée, je demande aux fidèles parmi les fidèles de deviner ce que serait mon vote. Et ils le trouvent avec une facilité surprenante : 1 – Château Lafite-Rothschild 1928, 2 – Gevrey-Chambertin Clair Daü 1961, 3 – Vin du Jura L’Etoile cuvée spéciale 1947, 4 – Château d’Yquem 1967.
Ces vins ont brillé au sommet de leur art sur la brillante cuisine de Valérie. L’heure avait tourné au-delà de nos appréciations. Malgré cela Lionel ouvre un Champagne Exquise Jacques Selosse non millésimé, pour nous remettre de nos émotions. J’avouerai sans honte que mon souvenir de ce champagne est imprécis. Ce qui restera gravé dans ma mémoire, en revanche, c’est l’extrême générosité de Lionel, la virtuosité de Valérie, et plusieurs vins d’une qualité exceptionnelle dont un Lafite 1928 éblouissant.
La jolie table
Les plats conçus par Valérie (il manque des photos du fait des discussions animées qui m’ont fait oublier de faire clic-clac)
Les bouchons des bouteilles ouvertes par Lionel
L’ensemble des vins
Photos de groupes
Les « Casual Friday » regroupent quelques amis fous de vin pour un déjeuner amical. Nous partîmes onze au fil des inscriptions, et nous finîmes sept en arrivant au porc. Un ami me prévient le matin même qu’il est dans un train pour Londres, un autre qui devait venir avec un ami me dit qu’il est coincé en Suisse car le moteur de son avion a eu quelques faiblesses. J’ai raccroché par les cheveux un ami qui voulait annuler car il se sentait un peu faible pour affronter un tel déjeuner. Il est quand même venu, accueilli par un citron chaud qui l’a requinqué. Et la quatrième défection, partielle celle-ci, se fit au milieu du repas, car l’épouse de l’ami avait des contractions annonciatrices d’un bel événement. L’événement fut remis à plus tard, mais Bruno a raté le beau sauternes qu’il avait apporté.
Dans cette géographie variable l’équipe du restaurant Gérard Besson a su réagir avec efficacité, changeant les plans de table, les services et les plats. Le menu conçu par Gérard Besson est composé avec pour objectif de mettre en valeur les vins : Pomme de terre Pompadour truffes, andouillette varoise / Gâteau de topinambour, ris veau, truffe / Lieu jaune, asperges du Lubéron / Crépinette de cochon de lait / Gigot d’agneau de lait, coco Tarbais, truffe de Bourgogne / Tourte de caneton rouennaise / Long bec / Tarte confite, tarte à l’orange, cédrats et mignardises.
Il faudrait qu’on m’explique comment on peut retirer toute étoile à un MOF (meilleur ouvrier de France), artiste des gibiers, qui est capable de réaliser de tels menus.
Le Casual Friday est, dans sa philosophie, une annexe ou une succursale de l’Académie des Vins Anciens. Car l’esprit est le même. Comme c’est plus informel, apporte du vin qui veut. Aujourd’hui, j’avais envie d’en apporter beaucoup, aussi ai-je fourni six vins sur les neuf du repas. Pour une autre réunion, les apports seront différents.
Le Champagne Dom Ruinart blanc de blancs 1990 est extrêmement charmant. Le mot qui lui convient le mieux est « rond ». Il a de belles qualités exprimées en toute simplicité. C’est un grand champagne, un beau champagne très confortable, jouissant de la puissance d’une grande année, à la longueur prononcée.
Le Champagne Maurice d’Arhanpé à Mareuil sur Ay 1942 est d’un producteur inconnu et sans doute disparu. Dès la première gorgée, je suis conquis. Que ce champagne est beau ! Il est doré aussi bien à l’œil qu’en bouche, plein, précis, sans altération. Il n’a plus de bulle, mais sa riche complexité emporte les suffrages.
Le Champagne Mumm Cordon Rouge 1959 a un défaut. Ce n’est pas métallique, c’est plutôt giboyeux. Le plaisir est moins grand, et par compensation, ce 1959 rend le 1942 encore plus beau, plus précis, plus net. Le Mumm se boit, mais manque d’âme.
J’ai eu peur que le Châteauneuf-du-Pape blanc Chapoutier magnum 1977 ne soit un peu bouchonné. Mais le défaut disparaît, n’altérant pas le goût. Le vin n’est pas désagréable, mais il n’a pas la classe d’un grand Châteauneuf blanc. On le goûte quand même avec gourmandise sur le lieu jaune.
Le Château Gruaud Larose Sarget 1921 a un nez de framboise. En bouche, le vin est d’un charme pur. Fruité, joyeux, il émane de lui une belle plénitude. Il est assez semblable au magnum de Château Léoville Las Cases 1924 qui m’avait tant plu à l’Académie des Vins Anciens. Sa richesse, son équilibre et sa longueur sont très plaisants.
Le Château Mouton Rothschild 1972 est d’une très petite année. Et comme souvent, les plus grands vins réussissent leurs petites années. Le Mouton est vraiment charmant, un peu en demi-teinte, bien sûr, mais il se boit avec un grand plaisir. Il ferait plus que de la figuration dans un grand repas.
Tout le monde a cherché l’énigme de l’étiquette du Château illisible (probable Beychevelle) vers 1900. A la forme, et un peu au goût, l’idée de Beychevelle est assez cohérente. Lorsque nous le goûtons, tous mes amis préfèrent le 1921. Il est vrai que le vin a de légers défauts qui peuvent gêner l’approche. Mais je sens que derrière le voile, il y a un vin d’une rare structure. Et quand le vin s’épanouit, on prend conscience que la charpente de ce vin est plus complexe et attirante que celle du Gruaud-Larose. Plus que d’autres je suis capable de ne pas tenir compte de petits défauts, quand ils ne rendent pas illisible le message général du vin. J’ai pris un très grand plaisir à ce vin qui est un beau témoignage, et qui se boit bien. Pour tous ces bordeaux, c’est le dernier quart de la bouteille, le plus dense, qui révèle la forte personnalité des vins.
Avec le premier bourgogne, nous sentons et goûtons le charme inimitable de cette belle région. Le Beaune rouge Bouchard Père & Fils 1955, vin d’une appellation générique, joue dans la cour des grands. Son plaisir est intense, même si la complexité n’est pas très grande. Mais la longueur en bouche m’impressionne. C’est un témoignage qui étonnerait plus d’un amateur.
Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 est toujours une ravissante surprise chaque fois que je présente ce vin. Il est riche, apparemment simple, mais plein, complet, goûteux et serein. Une discussion s’instaure sur l’éventuelle addition de vins du Rhône dans ce chambertin. Même si ce n’est pas exclu, le vin est d’un grand équilibre, ce qui nous enchante. Il emplit la bouche de fruits noirs généreux. Je l’adore.
Le Château d’Yquem 1969 apporté par le futur père parti depuis quelque temps est d’une couleur plus foncée que ce que j’attendais. En bouche il est très sucré, profond, peut-être un peu doctrinaire. Mais il est très accueillant pour les desserts, avec une présence réconfortante sans faille. Avec les cédrats, c’est un régal, comme avec l’imposante tarte aux poires.
Nous avons voté et six vins sur neuf ont eu des votes. Le vote du consensus serait : 1 – Château Gruaud Larose Sarget 1921, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – Château illisible (probable Beychevelle) vers 1900, 4 – Beaune rouge Bouchard Père & Fils 1955. Mes joues rosissent quand je constate que ces quatre vins font partie de mes apports. Les autres vins cités dans les votes sont l’Yquem 1969 et le champagne 1942 apportés par des amis.
Mon vote est : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 2 – Château illisible (probable Beychevelle) vers 1900, 3 – Champagne Maurice d’Arhanpé à Mareuil sur Ay 1942, 4 – Château Gruaud Larose Sarget 1921.
Tout le monde a apprécié la qualité des vins ouverts lors de ce déjeuner. La cuisine de Gérard Besson est rassurante, les produits de qualité étant traités selon la tradition de grands cuisiniers légendaires de la précédente génération. L’équipe est soudée pour offrir un service attentif et de qualité. Nos rires, nos blagues et nos discussions sans fin ont dû retentir dans tout le restaurant. Chacun des présents se félicita d’un Casual Friday réussi.
Champagne Dom Ruinart blanc de blancs 1990
Champagne Maurice d’Arhanpé à Mareuil sur Ay 1942
Champagne Mumm Cordon Rouge 1959
Chateauneuf-du-Pape blanc Chapoutier 1977
Château Mouton-Rothschild 1972
Château Gruaud Larose Sarget 1921
Château illisible (Montrose ou Lynch Bages) vers 1900 (estimé Beychevelle par des décrypteurs habiles)
Beaune rouge Bouchard Père & Fils 1955
Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961
Chateau d’Yquem 1969
Le menu conçu par Gérard Besson est composé avec pour objectif de mettre en valeur les vins :
Pomme de terre Pompadour truffes, andouillette varoise
Gâteau de topinambour, ris de veau, truffe
Lieu jaune, asperges du Lubéron
Crépinette de cochon de lait
Gigot d’agneau de lait, coco Tarbais, truffe de Bourgogne
Tourte de caneton rouennaise
Long bec
Tarte confite, tarte à l’orange, cédrats et mignardises.
mes verres et l’impression finale de la table (la photo ne montre pas la densité des verres sur table)
C’est un nouveau déjeuner au Yacht Club de France, dans la belle salle de réception. Le directeur est un amoureux de cuisine et de vins, et fait tout pour nous plaire. Le ris de veau n’est pas extraordinaire, mais les filets de sole aux gambas rattrapent largement la mise.
Le Château Talbot 1998 a une belle structure solide. Son nez est profond, typé, de grande expression.
Le Château Rauzan Gassies 1998 est très différent. Il a plus de rondeur, de fruit, de grâce. Il est très Margaux. Le Talbot est plus profond et le Rauzan-Gassies est plus charmeur. Les deux vins sont bons et montrent que 1998, sans exubérance, se boit bien.
Entre les deux rouges, nous avons intercalé un bourgogne blanc, un Vougeot premier cru les Cras domaine Bertagna 2007 qui est une belle surprise, car je ne l’attendais pas si gouleyant.
Comme à chacun de nos repas, les conscrits refont le monde dans l’amitié.
Lorsque Cédric est apparu à l’un de mes dîners, son amour du vin, sa compétence, ses envies ont immédiatement enfanté une amitié coup de foudre. Nous avons bâti mille plans pour goûter le plus extrême, le plus subtil et le plus charmant. Un petit pépin de santé a mis un frein à ces projets et Cédric m’a demandé un an de répit. Au terme de sa pause sabbatique, je l’appelle pour des retrouvailles. Il me dit : « rendez-vous chez Alain Passard. Je t’invite et tu apportes le vin ».
Le jour dit, je suis très en avance. J’ai donc le temps de bavarder avec Gaylord, le sommelier qui en d’autres endroits a participé au service du vin lors de certains de mes dîners. Il se souvient que grâce à moi, il a bu Yquem 1907 dont il garde un souvenir impérissable. Cédric arrive et dès les premiers mots, c’est comme si nous nous étions quittés hier. Et avec la même folie et le même enthousiasme, nous bâtissons mille projets, comme s’il fallait absolument rattraper le temps perdu.
Cédric est un habitué du restaurant Arpège, et il a demandé à Alain Passard de mettre les petits plats dans les grands. Le menu impromptu veut voler à Ferran Adria la palme du plus grand nombre de plats. C’est un voyage dans l’univers créatif d’Alain. Sur deux plats je n’ai pas vibré outre mesure : un carpaccio de coquilles Saint-Jacques dont l’acidité de la sauce bride le sucré naturel de la coquille, et une asperge blanche emmitouflée elle aussi dans des saveurs citronnées qui mettent une camisole autour des amertumes naturelles délicieuses de l’asperge. Mais sur tous les autres, ce fut un festival exceptionnel, la palme revenant au pigeon à l’hibiscus et au blini de saumon sauvage.
J’ai apporté deux vins dont Cédric doit choisir un seul. Un Marquès de Riscal Rioja 1992 et un Mission Haut-Brion 1978. Après l’assaut de politesse où chacun dit : « non, c’est toi qui choisis », je fais ouvrir le Mission Haut-Brion 1978. Gaylord n’a pas les outils pour extraire un bouchon qui part en charpie. Je l’aide à finir l’ouverture pour éviter un carafage. Le parfum de ce vin est éblouissant. Au jeu des sept familles, il joue dans la famille Haut-Brion, avec une richesse aromatique rare. En bouche, l’attaque est riche, pleine, solide comme un Graves. Et ce qui est étonnant, c’est que le final au goût précis s’arrête instantanément. Le vin est court tout en étant riche, son temps d’exposition étant réglé sur le minimum.
Selon les plats le vin déploie de nouveaux charmes. Il est impérial sur un plat de foies de poulet. J’aime sa sérénité, son côté très prévisible dans la complexité. Nous parlons, nous parlons, les plats se multiplient, et ce qui devait arriver est arrivé : la marée est devenue basse. Il faut ouvrir le vin espagnol. Alain qui passe à proximité se moque de nous, raillant les simagrées que nous avions faites sur le choix du vin à boire, puisqu’il eût été plus simple d’ouvrir immédiatement les deux. A l’ouverture, nous sommes saisis par le nez du vin espagnol, d’une fraîcheur rare, et par le côté opulent et frais qu’il a en bouche. C’est un vin agréable, qui n’a pas la complexité du bordelais, mais dont la joie de vivre est charmante. Ce que j’aime, c’est que sous la puissance certaine, il y a une expression de fraîcheur et de gracilité.
Cédric est le premier à signaler que le vin se referme. Il aura suffi de moins de dix minutes pour que la fraîcheur aérienne se transforme en rigidité, le vin perdant de son charme, tout en étant un vin qui n’entraînerait que des approbations dans d’autres contextes.
Alain Passard est en pleine forme et sa création s’en ressent. Les plats montrent une belle inventivité sur une structure raisonnée des goûts. Le personnel est joyeux, aimable, créant une atmosphère tonique. C’est un vrai grand restaurant sympathique où l’on mange bien. Les retrouvailles avec un gourmet furent une réussite et appellent des suites.
Champagne Charles Heidsieck 1985
Côte Rôtie La Turque Guigal 1995