les vins que j’ai apportés :
Kébir Rosé Frédéric Lung Alger 1945
Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991
Niersteiner Königskerze Rheinhessen 1949
Les plats : langoustines, coquilles Sain-Jacques, pieds de porc purée, soufllé aux essences de pin
les vins que j’ai apportés :
Kébir Rosé Frédéric Lung Alger 1945
Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991
Niersteiner Königskerze Rheinhessen 1949
Les plats : langoustines, coquilles Sain-Jacques, pieds de porc purée, soufllé aux essences de pin
La semaine dernière, il y avait eu le dîner chez Jean-Philippe, où Luc était présent, et le casual Friday auquel assistait Juan-Carlos. Luc et Juan-Carlos se connaissent de longue date. Luc étant rarement en France et Juan-Carlos devant quitter la France pour les Amériques, ils avaient envie de fêter à deux leur dernière rencontre à Paris. Jean-Philippe l’apprenant voulut se joindre à eux. Juan-Carlos arrive à mon bureau pour m’apporter deux bouteilles du 19ème siècle que je lui achète. Il me dit : « ce soir, je dîne avec Luc et Jean-Philippe ». L’envie de partager des vins avec ces trois amis est trop forte. J’appelle vite ma femme pour la prier de se joindre à nous. Elle me répond : « vous allez encore parler de vin. Ça sera sans moi ». Elle eut raison puisque nous avons parlé de vins. Mais elle eut tort, puisque sa présence nous en eût dissuadés.
Le rendez-vous est pris au restaurant Laurent et je m’y présente une heure avant pour ouvrir deux des quatre vins que j’ai dans ma musette. Les amis arrivent et nous commençons par un Champagne Laurent Perrier 1973. Dès la première gorgée, j’ai un choc gustatif majeur. L’image que donne ce champagne est celui d’une descente. Car on peut analyser, presque comme dans un film au ralenti, la superbe évolution du champagne en bouche, en un parcours quasi infini. Et l’image de la descente est la plus pertinente. J’évoque à mes amis les films musicaux américains des années quarante où la meneuse de revue, richement déshabillée, descend les marches blanches avec des déhanchements lascifs. C’est l’impression que donne ce champagne au final ondulant infini. Quelle grâce ! Et ce qui est intéressant, c’est que le champagne est sec. Dans la majorité des cas, l’âge adoucit le goût, alors qu’avec ce Laurent Perrier le caractère sec s’est renforcé. Lorsque le champagne s’est épanoui, l’image qui m’est venue est celle d’une orchidée blanche zébrée d’un trait de violet. Il y a cette élégance dans ce beau champagne.
Nous passons à table, et faute d’oursins et de lièvre à la royale, nous prendrons des langoustines, des coquilles Saint-Jacques juste poêlées avec des petits champignons et le classique plat de pieds de porc à la purée de pomme de terre.
Le Chevalier-Montrachet Domaine Chartron 1992 devrait nous combler d’aise. Mais je suis le premier à refroidir l’enthousiasme en déclarant que le vin est anormalement court. Comme il est servi froid, nous le réchauffons, et il s’obstine à n’offrir ni largeur ni opulence. Il reste coincé, étriqué et âpre. Luc attend de son chouchou qu’il s’épanouisse au fil du temps, mais le vin restera coincé et absent tout au long du repas.
Le vin que j’ai ouvert est présenté à l’aveugle. J’avais juste dit que ce n’est pas un rouge. Le liquide clairet que nous avons dans le verre est-il un blanc ou un rosé ? Le nez est extrêmement puissant. En bouche c’est l’invasion des Sarrasins à Poitiers qu’aucun Charles Martel ne semble de taille à contenir. Le vin est beau. Jean-Philippe cherche dans la direction des maisons de Sauternes qui font des blancs secs. Luc n’a aucun repère mais évoque le goût des Condrieu. Tous, nous savourons un vin à l’incroyable personnalité, riche, puissant, fumé, à la solidité imperturbable. Et tout-à-coup, Juan-Carlos lance : « vin d’Algérie ». Chapeau bas, car c’est un Kébir-Rosé Frédéric Lung Algérie 1945. Ce vin est immense et continuera de nous étonner lorsqu’après les coquilles nous le confronterons aux pieds de porc sur lesquels il atteint de nouveaux sommets.
Le vin que j’ai ouvert il y a plus de trois heures est un monument absolu. C’est la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991. Ce vin, c’est la Vénus de Milo avec des bras. C’est Grace Kelly, Gisele Bundchen, ou toute autre symbolisation de la beauté parfaite. Le nez est un parfum pur, enivrant, qui donne l’image de la perfection. En bouche, c’est le plaisir total où chaque instant du parcours en bouche est un sans faute. C’est le parcours de sauts d’obstacles d’un Pierre Jonquères d’Oriola ou d’un Nelson Pessoa sans aucune barrière même effleurée. Car à aucun moment le goût de ce vin ne quitte la perfection la plus accomplie. J’avouerais volontiers que ce vin surpasse La Mouline 1990 qui est pourtant mon étalon de la perfection des vins actuels. Inutile de dire que nous nous trémoussons sur nos sièges, nous gloussons presque, tant le contentement qu’apporte ce vin est orgasmique.
J’attendais que Luc ouvre son Tirecul la Gravière Cuvée Madame 1996 annoncé, mais le perfide me dit : « j’ai senti au téléphone lorsque je te l’ai nommé que tu faisais la moue ». Mensonge et perfidie. Il ne me reste plus qu’à ouvrir un de mes vins, le Niersteiner Königskerze Rheinhessen 1949. J’aurais imaginé un vin doux du Rhin, mais en fait ce vin est sec voire un peu perlant. Chacun des amis est conquis. Comme avec le vin d’Algérie, il n’y a pas de repère. Et c’est très agréable de découvrir un goût pur, original, déroutant, dérangeant mais diablement passionnant. J’aime mettre mes amis face à l’inattendu, après les avoir conduits à la perfection d’une Landonne. Sur un reblochon, ce vin sec et complexe, se montre excitant.
Juan-Carlos nous offre un Château d’Yquem 1985 sur un soufflé délicat et neutre aux essences de pin. Comme on pouvait l’imaginer, le vin est rassurant parce que sa signature est celle d’Yquem, que l’on retrouve à chaque instant. Mais le vin fait « service minimum pendant la grève ». Car il ne cherche pas à délivrer une émotion où un étonnement qui provoquerait un ravissement. C’est le petit doigt sur la couture du pantalon que cet Yquem nous joue le minimum syndical.
Patrick Lair souriant est venu nous féliciter de l’atmosphère joyeuse que nous créons par nos propos enflammés et enthousiastes. Je suis assez fier de mettre mes amis au contact de saveurs hors des sentiers battus. Nous n’avons pas formellement voté mais mon vote a été assez largement approuvé : 1 – Kébir-Rosé Frédéric Lung Algerie 1945, 2 – Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991, 3 – Champagne Laurent Perrier 1973.
Juan-Carlos va nous quitter. Nous avons voulu l’honorer. Nos rires résonneront certainement encore longtemps dans ses nouvelles terres américaines. Il reste encore un vin dans ma musette, un Fleurie de 1967. Nous trouverons bien un prétexte pour recommencer…
Château Beychevelle 1982
Clos de Gamot Cahors 1929
Château La Haye Saint-Estèphe 1929
Nuits-Saint-Georges Pierre Olivier 1966
Vin inconnu doux 19ème siècle
Madère vers 1870
Château Respide Graves Supérieures 1960
les mentions en haut de la bouteille sont intéressantes :
"qualité Graves sec" et " 1960 garantie par le syndicat viticole des Graves – Graves Supérieures"
les vins ouverts par le sommelier avant mon arrivée
les amuse-bouche
l’huître chaude et le damier foie gras et magret de canard
l’oreille de veau et l’oiseau long bec
le lièvre à la royale et la tourte aux pommes, poivre et amandes
Gérard Besson préparant la tourte
cédrat et mignardises
la richesse des couleurs des vins
Ce sera le dernier « Casual Friday » de cette année. Le Casual Friday est né il y a deux ans à la suite de l’achat d’une cave murée. J’avais acquis des bouteilles de présentations hasardeuses, aux contenus incertains, dans lesquelles de bonnes pioches pouvaient apparaître aussi bien que des échecs. L’idée de faire profiter de ces hasards quelques amis fidèles à l’occasion de repas informels s’est imposée. Elle a évolué vers un concept d’un fonctionnement simple qui est en fait une micro-réunion de l’académie des vins anciens. Apporte du vin qui veut, et j’essaie de coordonner les vins avec le menu d’un chef ami.
Nous sommes sept, tous des habitués de mes dîners ou de l’académie des vins anciens. Nous ne sommes que deux à apporter des vins, l’un des plus fidèles de mes dîners et moi. C’est cet ami qui nous invite tous. Le déjeuner se passe au restaurant de Gérard Besson.
L’apéritif débute sur un Champagne Bollinger R.D. 1996 dégorgé en septembre 2006. C’est vraiment un champagne agréable, confortable et racé. On se sent bien avec ses saveurs attendues et orthodoxes, finement traitées. Sur les amuse-bouche où la truffe abonde, l’entrée en matières est appétissante.
Avec le Champagne Dom Pérignon 1969, on entre dans un autre monde. C’est une porte qui s’ouvre sur les bains turcs lascifs où de callipyges odalisques exsudent les parfums les plus lourds. Car on a quitté le monde des champagnes pour celui de la luxure, de l’encens, des fragrances perverses. D’un or de miel, ce champagne décrit des pages de parfums et de saveurs dont la douceur est la clef.
Après ces deux champagnes connus vont se succéder des vins inconnus pour la quasi-totalité : sept inconnus sur neuf vins. Ai-je aujourd’hui le palais particulièrement accueillant ou s’agit-il de bonnes pioches miraculeuses, je ne sais, mais ce fut spectaculaire.
Le Sancerre Comte Lafond Ladoucette 1979 m’a fait découvrir que le baron de Ladoucette est un héritier de Comtes Lafond qui sont bien réels et non pas une de ces fréquentes tricheries à l’homonymie de domaines célèbres. Son Sancerre est une petite merveille. L’or est clair, le nez est aguichant et précis et ce qui me frappe au-delà de la jeunesse certaine, c’est la précision citronnée de ce vin au beau final. Jamais je n’aurais attendu une telle générosité d’un Sancerre de trente ans. Avec l’huître chaude, toute en douceur, l’accord se trouve naturellement.
Le Château Respide Graves Supérieures 1960 accompagne divinement le damier de foie gras et magrets de canard. J’adore ces vins simples, au message d’une lisibilité évidente mais qui jouent pleinement leur rôle : apporter une douce fraîcheur. Ce vin joliment citronné à qui l’on ne donnerait jamais 49 ans mais au plus quinze est d’un grand plaisir.
J’avouerai à ma grande honte que l’oreille de veau panée est un plat dont l’esthétisme m’échappe. Gratouiller dans l’oreille d’un veau n’est pas l’un de mes phantasmes. Je lui ai pourtant associé deux beaux vins. Le Château La Haye Saint-Estèphe 1929, est pour moi une première et même une grande première. Car ce vin à la couleur presque noire tant il est riche et dense est une divine surprise. Comment un cru bourgeois peut-il avoir cette richesse de trame ? Le vin est dense, profond, d’une belle plénitude. Et même s’il n’a pas une longueur infinie, il dégage un plaisir très inattendu.
Son compagnon sur le plat, le Clos de Gamot Cahors 1929 va être l’objet de controverse. Le sommelier avait détecté avant moi le nez de bouchon, bien réel au moment où on le sert. Mais ce nez désagréable ne dévie en rien le goût assez exceptionnel de ce Cahors à la richesse structurelle beaucoup plus affirmée que celle du bordeaux. Ce vin clair par rapport à son congénère est d’une race certaine. Alors, abîmé ou non abîmé ? Quand on sait que ce Cahors sera voté premier par deux d’entre nous, on peut comprendre que la bouche n’a réellement pas été affectée par le nez repoussant.
L’oiseau au long bec est traité par Gérard Besson avec un grand art. Il est associé à Château Beychevelle 1982 qui est au sommet de son art. Je le trouve parfait. Suis-je lyrique, suis-je devenu cool, ultra-cool, je trouve que tous ces vins sont absolument remarquables. L’équilibre du Beychevelle qui semble à pleine maturité, qu’il ne quittera pas de sitôt, est confondant. Le volatile et le Beychevelle volent de conserve.
Ça y est, ça me reprend ! Je m’amourache de ce gentil Nuits-Saint-Georges Pierre Olivier 1966 qui est une belle expression d’une Bourgogne calme et précise. Il faut dire que ce vin est l’introduction sur le très orthodoxe lièvre à la royale du chef. Il laisse maintenant la place à deux vins inconnus que j’ai apportés, fruits de cette cave murée. Le Vin inconnu 19ème siècle placé en premier est d’une fiole très classique, neutre, qui ne donne aucune indication de région. J’avais pu penser à un Constantia d’Afrique du Sud car il y en avait dans l’inventaire de ce que j’ai acheté. Mais le goût indique que ce n’est sûrement pas le cas. Ce vin est doux. Il n’est pas fortifié car il n’y a aucune lourdeur alcoolique. D’une subtilité raffinée, il est d’une élégance légère. Il n’y a aucune épice et aucun poivre, ce qui exclut beaucoup de vins des îles méditerranéennes. Alors, n’ayant aucune envie d’attribuer des étiquettes à des vins quand les indices sont trop faibles, ce vin restera « Vin doux inconnu 19ème siècle », car la seule certitude que l’on a est sur son âge qui dépasse largement les cent ans. Je suis émerveillé par la précision gracile de cette douceur extrêmement complexe, qui se marie à ravir au gibier coureur.
C’est un de nos amis qui est péremptoire sur l’origine du vin de bouteille illisible que nous buvons maintenant : « c’est un Madère ». C’est vrai. C’est un Madère vers 1870 car aussi bien l’état de la bouteille que ce goût inégalables nous conduisent à cette période. Le vin est beaucoup plus riche et plus fort que le vin précédent, d’un beau rouge noir dans le verre. Le vin glorieux et envoûtant est-il plus noble que le précédent ? Nos avis seront partagés. Même si je trouve le madère parfait, j’ai un petit faible pour le précédent soldat inconnu au message plus en douceur et en discrétion.
Sur la fourme et sur la traditionnelle tourte aux poires, pommes et amandes, le Château Guiraud 1943 à la couleur caramel foncé brille de mille feux. Alors que j’avais prévu que nous reprendrions du Dom Pérignon 1969 pour adoucir le feu du madère avant le Guiraud, dans l’action nous avons pris le raccourci ce qui évidemment désavantage la lecture du beau message du Guiraud. Ce sauternes combine élégamment les agrumes et le caramel. Il n’a pas aujourd’hui la longueur qu’il pourrait avoir, mais c’est la faute des deux liquoreux qui le précèdent, qu’il fallait absolument associer au lièvre.
La cuisine de Gérard Besson est traditionnelle, rassurante par sa perpétuation de recettes historiques. Alors que je suis volontiers bavard, je n’arrivais quasiment pas à placer un mot tant l’ambiance était à la décontraction et à la gaminerie des propos. Que tant de vins inconnus ou quasi inconnus brillent autant est un message à retenir : il existe dans le patrimoine des vins anciens de belles découvertes à faire, à des budgets qui sont loin du maelstrom que constitue l’achat des vins actuels, beaucoup plus chers.
Nous avons voté de façon informelle. L’hésitation était entre le Madère et le vin inconnu mais deux ont préféré chouchouter le Cahors. Mon vote serait : 1 – vin inconnu, 2 – Sancerre, 3 – La Haye, 4 – madère. Mais ce vote n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui en a plus, c’est l’accumulation de tant de grandes surprises.
les vins que j’ai apportés : Ausone 1900, deux 1/2 Haut-Brion 1992, un Tokaji Aszu probable avant 1910, un probable Madère d’avant 1850 et le reste d’un Bourbon ex cave du duc de Windsor
le Tokaji
l’Ausone 1900 (ou supposé tel, avant qu’on ne ne boive)
photos des plats
le champagne Dom Pérignon 1978 à la belle couleur dorée
la suite des plats (voir intitulés dans le compte-rendu)
la couleur de l’Ausone 1900
le Stilton est déjà à moitié dévoré !
L’ensemble des vins dans l’ordre de service
merci à Jean-Philippe Durand pour sa merveilleuse cuisine.
Nous nous sommes connus aux restaurants de Marc Veyrat. Nous sommes huit et cela fait bien longtemps que les amis de Marc Veyrat ne s’étaient pas réunis au complet. Il y a longtemps aussi que Jean-Philippe Durand, notre cornac et cuisinier de rêve n’avait pas fait la cuisine pour nous. C’est ce soir chez lui. C’est une occasion superbe de mettre le talent de notre ami en face de saveurs vineuses inconnues. J’ai donc choisi dans ma cave un voyage dans l’inhabituel et l’énigmatique. Pour permettre à Jean-Philippe d’adapter ses préparations aux vins, mon épouse et moi sommes arrivés une heure avant les autres amis, pour que j’ouvre à temps des flacons originaux.
Les amis arrivent et nous commençons par un velouté de potiron à la noix de coco et au gingembre pour préparer nos palais. Les noix de St Jacques juste saisies et ananas aux épices douces voisinent avec deux demi-bouteilles de Château Haut-Brion blanc 1992 provenant de la cave de la Tour d’Argent dont je voulais tester le goût puisque j’en ai acheté beaucoup. Le nez du vin est superbe, la bouche est très Haut-Brion, sans l’opulence des grandes années, mais suffisamment de puissance pour que le plaisir soit grand. Le final très citronné est d’une grande fraîcheur. L’ananas est d’une belle originalité mais je trouve que le vin est surtout mis en valeur par l’onctueuse coquille. Mon achat est une bonne pioche.
Le foie gras poêlé, caramel acide à l’orange amère est une merveille de texture et crée un accord invraisemblablement joli avec le Tokaji Aszu, vers 1910 qui est le seul Tokaji que j’ai acquis d’une cave belge entièrement constituée avant 1930. J’ai indiqué « vers 1910 », mais à la réflexion, compte tenu de la lie, nous pourrions bien être au 19ème siècle. C’est une amie qui a expliqué les irisations extrêmes du verre de la bouteille : elle a été enterrée pendant de longues années pour atteindre cette érosion colorée du verre. Le nez du vin est envoûtant et pur. En bouche, il n’y a rien de plus séduisant, doucereux, riche et extraordinairement frais. Quel Tokaji ! Le temps d’un siècle a construit patiemment cet équilibre spectaculaire.
Jean-Philippe l’a travaillé cet accord ente l’escalope de ris de veau, sauce au café, risotto au génépi et ce vin totalement inconnu que nous avons appelé finalement : Brown Madera,1828. La bouteille est à coup sûr du 18ème siècle puisque j’en ai une quasiment semblable de 1780. Quant au contenu, que dire ? Le nez est sublime, lui aussi très pur, plus rêche que le Tokaji qui explose de douceur. L’attaque en bouche me fait penser la forme ronde de la bouche du poisson-chat. C’est une attaque frontale très large. On est dans des saveurs de douceurs jaunes. Puis très vite l’alcool s’affirme et le final est allongé comme la queue de ce même poisson, et évoque la sécheresse des Xérès. Il y a des notes de café, d’épices, qui permettent à l’un de nos amis qui fut professeur d’œnologie d’affirmer qu’il s’agit de madère. Mes références aux vins de Chypre de 1845 me permettent de dire que ce vin est d’avant cette date. Et comme j’ai bu plusieurs vins de 1828, nous concluons de façon péremptoire qu’il s’agit d’un Madère 1828. Mais une chose est sûre, c’est qu’aucun d’entre nous n’a rencontré un goût aussi étrange, exotique, aussi profondément parfait, dans un style opposé à celui du Tokaji qui joue sur sa douceur et non sur son alcool, alors que celui-ci joue sur l’alcool et un style très sec. Je suis personnellement « pris aux tripes » en découvrant une saveur que je n’ai jamais connue.
Le plat suivant s’appelle Souvenir de Toscane : lardo di Colonnata, gnocchi al parmigiano, crema di funghi porcini. C’est le plat le plus abouti de la cuisine de Jean-Philippe où tout est subtil dans les dosages. Luc a apporté un Champagne Dom Pérignon 1978 dont il est fier, car il chérit cette année oubliée des amateurs. Alors il nous en parle comme de ces livres interdits qui se passent sous le manteau. Le champagne doré est à l’opposé du 1975 Œnothèque que je viens de boire récemment. Le 1975 était fluide, délicat, très Dom Pérignon. Celui-ci est atypique, puissant, conquérant, et séduisant par sa vinosité virile. Il faut bien ce champagne pour changer son palais après le madère. Mais le plat accueille si bien le madère qu’il faut reprendre du champagne pour étalonner à nouveau nos capacités gustatives.
Le pigeon à la goutte de sang, sauce mûre-framboise, marrons glacés au sang est une merveille de subtilité traitée en douceur. Et c’est le bon choix pour le Château Latour 1975 qui est un Latour aux folles promesses. Comment peut-on parler d’un vin de 34 ans en disant : « il est encore jeune, il faut le laisser vieillir » ? Car c’est la jeunesse de ce vin révélée et exacerbée par la frémissante sauce au sang qui emporte notre adhésion.
Des dés de ris de veau à la truffe noire de Richerenches accompagnent un autre vin de la cave murée acquise il y a un an. Rien n’est lisible sur la bouteille et le bouchon ne m’en dira pas plus tant il est noir tout du long. C’est par un indice de nombre de bouteilles identiques que je suis convaincu qu’il s’agit d’un Château Ausone 1900. A l’ouverture le nez était poussiéreux, mais l’espoir existait. Tout au long de la soirée nous avons senti le vin s’éclore. Avec les amis, mais surtout Luc, nous dégustons le vin en cherchant s’il est cohérent qu’il soit de 1900 et s’il est logique qu’il s’agisse d’Ausone. C’est amusant de croiser ainsi les souvenirs, mais aussi d’exclure petit à petit des hypothèses autres. Tout en réfléchissant, nous jouissons du vin qui m’a profondément ému. Alors que j’aurais il y a dix minutes annoncé que le madère serait mon favori, ce vin, Ausone, puisque c’est Ausone, me transporte de joie, car je retrouve sans aucun doute la perfection que m’a donnée le millésime 1900, le plus grand sans doute de tous, comme je l’avais écrit dans mon livre. Je retrouve une richesse, un aplomb, une assise, un équilibre, une maturité qui ne peuvent exister que dans les années de première catégorie. Alors, comme nous avions déjà un peu bu, j’ai eu ma minute d’émotion, en pensant que je venais de faire ressusciter sur une cuisine de rêve trois vins aux saveurs aujourd’hui inconnues : un Tokaji que l’âge magnifie, un madère extra-terrestre et un Ausone 1900 au sommet de perfection que le vin rouge peut atteindre. Cela m’a donné le tournis.
Le Stilton (Nicole Barthélémy) est le plus beau Stilton du monde. Hélas, trois fois hélas, la magnifique bouteille de Château Climens 1924 est frappée d’un petit goût de bouchon. Alors, même si le vin est bon, car il combine de discrets agrumes et un charmant caramel, on ne voit que le bouchon comme l’on ne voit que la feuille de salade collée aux dents, même sur le plus beau des sourires. Yann était triste car à l’ouverture son vin avait un merveilleux nez d’agrumes. Que s’est-il passé ? Je comprends sa tristesse car Climens est l’un des plus sublimes sauternes. Les deux tartes de Philippe Conticini, la tarte Tatin et la tarte douce à l’orange sont d’une magnifique délicatesse qui comme deux infirmières nursent le Climens.
Ma femme a réalisé à la dernière minute des petites madeleines façon Astrance (euh, mieux qu’Astrance) juste sorties du four pour accompagner un chocolat noir à la vanille de Tahiti et une ganache noire aux épices douces (Jacques Génin) qui doivent donner un écho au très vieux Bourbon vers 1900 que j’avais ouvert à Clos de Tart il y a un mois et dont il me restait presque la moitié. Curieusement cet alcool est devenu trouble, sans doute du fait des transports, et il a perdu une bonne partie de son éclat que j’avais alors trouvé miraculeux. Malgré ces blessures récentes, l’évocation de Bourbon me remplit d’aise. Cet alcool qui provient de la cave parisienne du Duc de Windsor, mais maintenant de la mienne, m’évoque toutes les splendeurs du passé, que l’on idéalise forcément.
Jean-Philippe a confirmé une fois de plus son immense talent, sa préscience des accords, son raffinement d’exécution. Les amis ont apporté des vins de bonheur et j’ai pu leur faire découvrir des saveurs totalement inconnues, fruits de mes achats tous azimuts, car il y a dans ces vins obscurs ou inconnus une richesse – fort heureusement pour moi – totalement insoupçonnée. Nous avons voté de façon peu formelle et nous étions tous d’accord pour placer en un l’Ausone 1900, en deux le madère 1828 (mais je n’exclue pas qu’il soit plus vieux encore), en trois le Tokaji vers 1910 que l’on verrait bien ex-æquo avec le Dom Pérignon 1978, suivis du Latour 1975. Ce fort moment d’amitié et de partage de merveilles sur une cuisine d’un art consommé, c’est le plus beau prélude aux fastes de Noël.
La demoiselle des toilettes ne perd pas une occasion de m’observer !
Quel regard !
Le joli petit salon du restaurant
Les verres. Nous avons fait changer cette flûte pour boire notre champagne
Les plats du repas
la perle de mangoustan qui est à droite sur le photo ci-dessus est en fait le fruit d’une nèfle dont le cul du fruit est incroyablement sculpté
champagne Pol Roger Cuvée Sir Winston Churchill 1986 (la cave de Michel Bettane, dans des Crayères, est très humide)
Nuits-Saint-Georges blanc « Clos de l’Arlot » 2002
Château Lafite-Rothschild 1997
Château Mouton-Rothschild 1997
Maury Domaines et Terroirs du Sud 1959
Nicolas de Rabaudy invite des amis en fin d’année. Nous nous retrouvons au Carré des Feuillants. Autour de Nicolas, un banquier, un vigneron, Michel Bettane et moi. Le champagne Pol Roger Cuvée Sir Winston Churchill 1986 apporté par Michel me fait un plaisir immense. Car je retrouve avec ce 1986 toute la splendeur que je n’arrivais pas à trouver avec le 1990. Ici, ce 1986 est parfait. Il a la puissance d’une bulle intacte pour ses 23 ans, un fruité agréable et un léger beurré, et son final est brillant.
Le menu d’Alain Dutournier est un roman : huître de Marennes, caviar d’Aquitaine et algues marines, spéciale « Gillardeau en gelée d’eau de mer, tartare d’algues et écume crémeuse / noix de Saint-Jacques snackées, compotée de potimarron, bouillon d’herbes parfumées / les deux envies de lièvre, quelques gourmandises de braconnier, râble simplement servi en médiéval « Saupiquet », en prestigieuse « Royale » avec truffe et foie gras / Fougeru briard travaillé à la truffe / perles de Mangoustan, marrons glacés, parfait vanillé, gelée de rhum, chocolat croustillant.
Le Nuits-Saint-Georges blanc « Clos de l’Arlot » 2002 est une curiosité apportée par Michel, car ce vin contrairement aux blancs de Bourgogne, n’est pas à 100% chardonnay, mais contient aussi du pinot blanc, à part quasi égale. Ce blanc est très sympathique et donnerait volontiers des idées de Condrieu. Le vin est juteux, mais son final est court. Il est plus que plaisant sur les huîtres.
Michel n’aime pas les coquilles Saint-Jacques et quand il n’aime pas, ça se sait. Il est vrai que l’excès de safran, de coriandre et autres épices orientales fait perdre le goût de la coquille.
L’objet de ce déjeuner, au-delà de l’amitié, c’était de comparer deux vins apportés par Nicolas, le Château Lafite-Rothschild 1997 et le Château Mouton-Rothschild 1997. Même si ces vins n’ont pas la puissance suffisante pour dominer le transcendant « lièvre à l’impériale », pardon, lièvre à la royale, que j’ai anobli tant il est bon, nous avons tout loisir pour bien déguster ces deux vins et les comparer.
Le nez du Lafite est absolument exceptionnel. En bouche, il est l’exacte définition d’un grand Lafite. Et ce qui est plaisant, c’est qu’une petite année montre de façon beaucoup plus évidente la pureté du terroir. Très tramé, d’une grande finesse, au final très frais ce vin est un grand vin. Si l’on doit parler de toucher de bouche, ce Lafite a une pesanteur exceptionnelle. A côté le Mouton me donne l’impression d’un Noureev qui marche avec des bottes en caoutchouc. Son parfum est plus imprécis et velouté. En bouche, c’est évidemment un vin très agréable, mais moins bien composé. Il va très bien avec le fougeru, car la truffe l’excite bien.
Pour le dessert, remarquablement exécuté, même si l’usage du rhum porte à la controverse, le Maury Domaines et Terroirs du Sud 1959 est une douceur sensuelle. Il y a du pruneau, bien sûr, mais ce qui frappe, c’est la fraîcheur mentholée du vin, et le final interminable et léger.
Pour s’amuser, j’ai fait voter notre petit groupe de cinq, et le Lafite a recueilli quatre places de premier, la cinquième allant au Pol Roger. Le vigneron et Michel ont le même classement qui se trouve être celui du consensus : 1 – Lafite, 2 – Pol Roger, 3 – Maury, 4 – Arlot, 5 – Mouton.
Mon vote intervertit deux vins : 1 – Lafite, 2 – Pol Roger, 3 – Arlot, 4 – Maury, 5 – Mouton.
Le Lafite 1997 s’est montré sous un jour d’une rare perfection, avec une précision et une finesse remarquables. Le Pol Roger m’a enchanté. La cuisine d’Alain Dutournier qui présente les plats en trois parties est d’un art accompli. Son lièvre avec une partie douce et une partie brutalement sauvage est de toute première grandeur. Ce fut un beau repas amical.
Il y avait tant de vins pour le dîner de vignerons au restaurant Laurent que j’avais réservé au même endroit une table pour le lendemain, pour « finir les restes ». Peu de mes enfants étant disponibles et ma dernière fille allaitant encore, il fut décidé que le dîner « du lendemain » se ferait chez elle. Philippe Bourguignon m’avait prévenu que les vignerons ont une solide descente, mais je croyais bien pouvoir profiter encore des trésors de ce magnifique dîner. Daniel, le sommelier, a rangé les bouteilles très soigneusement.
Il ne reste en fait que des fonds de magnums, toutes les bouteilles, partagées en treize buveurs, étant vides. Mon gendre aime cuisiner et s’est préoccupé de trouver de beaux produits. Il s’est lié d’amitié avec le légumier qui livre les plus grands restaurants de la capitale. En croquant les champignons de Paris, on a en bouche le goût de ceux de l’Astrance, si délicieux. Et si l’on tartine un peu de foie gras sur les champignons, on se trouve en rêve à l’Astrance. Nous croquons ces champignons sur le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill en magnum 1990 qui a gardé beaucoup de fraîcheur, a perdu sa bulle du fait des transports et se révèle toujours aussi agréable. Mais l’absence de complexité et de folie apparaît un peu plus.
Lorsque nous passons au Champagne Salon en magnum 1985, le champagne n’a pas perdu une once de sa vigueur et de son expressivité. Il est assez extraordinaire. Et je l’adore encore plus. Avec champignon et foie gras, mais aussi avec des bulots cuits à la perfection, le champagne se régale.
Le Champagne Krug Collection en magnum 1976 est lui aussi encore plus brillant que la veille, car la bulle s’étant sensiblement atténuée, le caractère vineux du champagne est plus resplendissant. Ayant la chance de goûter ces deux champagnes l’un après l’autre alors qu’ils étaient séparés hier, je constate la sérénité du Krug et sa solidité à côté de la fougue du Salon. Mon cœur penche aujourd’hui pour le Krug.
Après ces fonds de bouteilles il reste encore une petite soif qu’un Champagne Krug 1996 va étancher. Ce champagne est à un des multiples sommets qu’il connaîtra dans sa vie. D’une précision de structure extrême, riche, ce champagne est d’un plaisir total.
Mon gendre ayant trouvé un poissonnier de compétition, les petites langoustines sont de vraies merveilles. Pures, quasiment non assaisonnées, elles font vibrer le divin Corton Charlemagne Bonneau du Martray en magnum 1982 qui développe une complexité sur fond de légèreté qui est admirable. Les coquilles Saint-Jacques juste poêlées sont délicieuses, mais le Corton-Charlemagne est plus vibrant sur la douceur des langoustines.
(à peine ai-je eu le temps de prendre mon appareil, une coquille s’était déjà envolée !)
Le poissonnier a préparé des filets de rougets sans aucune arête. Il fallait un pomerol. Guillaume ouvre un Château Gazin 1979 qui est fortement bouchonné, aussi est-ce un Château Trotanoy 1999 qui accompagne le poisson. L’accord est divin. Le pomerol a une belle astringence combinée, oh paradoxe, à un velouté rare, qui met en valeur le rouget qui lui rend la pareille.
(merveilleuse cuisson des filets de rougets)
Les champignons de Paris sont maintenant poêlés pour accompagner le petit reste du Richebourg Domaine de la Romanée Conti magnum 1946. Il s’agit du fond de la bouteille qui a été aéré un jour de plus. Nous captons donc une richesse qui ne correspond plus au millésime discret. Ce vin riche enchante nos palais, même si le vin a perdu un peu de ses caractéristiques du domaine de la Romanée Conti.
Mon gendre a adopté une cuisine fondée sur des produits d’une pureté extrême, avec une simplicité de présentation pleine de talent. Va-t-il se mettre à concurrencer Jean-Philippe Durand, l’ami médecin qui cuisine comme un Dieu ? Je me prépare à compter les coups.