Archives de catégorie : dîners ou repas privés

un beau Volnay à La Table de Joël Robuchon lundi, 28 septembre 2009

Un nouveau fidèle des dîners de wine-dinners m’invite à déjeuner à la Table de Joël Robuchon. Il y a apporté deux vins. Nous trinquons sur une coupe de Champagne Bruno Paillard en magnum dont le goût un peu dosé n’est plus dans la gamme de ce que je recherche.

Nous composons le menu pour le vin rouge en choisissant : le pied de cochon sur une tartine gratinée au parmesan / le cabillaud avec une barigoule d’artichaut aux olives noires / le bœuf : la noix d’entrecôte de Normandie ou de Bavière avec une tartine de moelle.

Le Volnay-Caillerets Domaines Jaboulet-Vercherre 1976 est d’une belle couleur où le rose domine le rouge. Le nez est généreux. En bouche, je le trouve beaucoup plus joyeux, rond et généreux que ce que l’année suggère. C’est un très bon vin qui s’anime avec chacun des plats, le cabillaud le rendant plus droit, plus strict, mais aussi plus vibrant, le pied de cochon formant le plus sensuel des accords.

Un essai du Château Doisy-Védrines 1996 sur la chair de l’entrecôte est original mais à ne pas refaire. Ce beau sauternes déjà bien lourd est d’une belle expression. Un soufflé au citron est le meilleur compagnon possible sur la liste des desserts.

La Table de Joël Robuchon est un agréable restaurant dont les plats sont très correctement exécutés. La purée légendaire crée un lien avec la mémoire des repas extraordinaires du « bon vieux temps » de Jamin et la rue Raymond Poincaré. Cette table mérite qu’on y retourne.

un bien beau Figeac 1989 chez Gérard Besson samedi, 19 septembre 2009

Le président de l’association des antiquaires du Louvre des Antiquaires ouvre sa galerie pour la signature du livre « L’histoire de la faïence fine » de Christian Maire, une somme avec des centaines de photos sur les recherches qu’il a conduites sur plus de vingt ans. Comme c’est l’occasion de retrouver l’ami antiquaire, nous nous rendons à cette invitation. Les allées sont presque désertes un samedi après-midi. Vincent a la gentillesse de nous servir un champagne qu’il a commandé au café du premier étage, « le Marengo ». Ce champagne au nom inconnu est particulièrement agréable à boire. Ma femme et moi emmenons ensuite, après avoir acheté le livre, Vincent et un ami écrivain, que nous allons revoir dans peu de jours à « Livres en Vignes » au château de Clos-Vougeot, au restaurant de Gérard Besson.

Le chef nous offre une coupe du champagne Duval-Leroy Blanc de Blancs 1999 bien typé et qui ne fait pas ombrage au « petit » champagne du café Marengo. Après un vol-au-vent au ris de veau, nous profitons des premières grouses qui n’ont pas encore la dureté de chair des volatiles plus tardifs dans la saison. Ces oiseaux sont d’un grand plaisir.

LA GROUSE

Dans la carte des vins très riche mais aux prix parfois dissuasifs, j’ai choisi deux vins. Avec Gilles, le fidèle sommelier au grand savoir, nous hésitons sur l’éventualité d’une décantation qui serait en fait une aération, mais les parfums des deux vins indiquent qu’il ne faut pas transvaser ces vins, à déguster dans le charme de leur fraîcheur. Le Château Figeac 1989 me conquiert instantanément. C’est un beau vin riche mais subtil, élégant, qui profite à plein d’avoir vingt ans. Cette réussite m’enchante. Sa densité est grande, son final est charmant. C’est un bonheur de boire un tel bordeaux.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1987 mettra plus de temps à se révéler. Je lui trouve un léger voile et une grande timidité, mais quand il se réveille, il délivre les beautés de ces Côtes Rôties, avec toutefois un manque de puissance qui contraint le plaisir. Ce sont surtout les conversations avec un antiquaire et un écrivain, ajoutant leurs éruditions, qui ont fait le bonheur de cette soirée.

sagesse, sagesse, m’as-tu quitté ? samedi, 12 septembre 2009

L’esprit encore empli de la grâce du vin de Constance de 1791 qui me donne encore le tournis, je m’envole vers le sud. Ma fille cadette est revenue dans notre maison avec ses deux enfants dont le nouveau-né tant célébré, qui a puisé au sein de sa mère de quoi devenir un gentil sumo. L’esprit sera à la diète, avec les produits bio dont ma fille est une experte. Son mari la rejoint. Les plus belles bouteilles de l’été, je les ai partagées avec mon gendre. Aussi, quand tombe le soir, vient une interrogation silencieuse : serons-nous à l’eau ? La chair est faible hélas et je n’ai pas lu tous les livres diététiques.

La porte du réfrigérateur s’ouvre, je zyeute le mot « substance ». La messe est dite, nous fauterons. J’ouvre le champagne Substance de Jacques Selosse dégorgé le 20 juin 2005. Ce vin, élevé selon la technique de la solera, qui consiste à incrémenter chaque année les tonneaux de stockage d’un nouveau millésime sans jamais remettre les niveaux à zéro, est d’une couleur merveilleusement ambrée, fort inhabituelle pour des millésimes jeunes. Et en bouche, c’est une extravagante maturité qui s’impose à notre palais. D’une personnalité exceptionnelle, ce champagne est très fumé, riche de fruits entre orange et marron qui seraient fumés. Alors que la trace en bouche est extrême, le vin n’est pas très long, l’attaque étant saisissante mais peu suivie. On imagine mille combinaisons possibles avec ce champagne de gastronomie. Nous grapillons des petits amuse-bouche pour faire virevolter le talent du champagne.

A force d’essais, la bouteille se vide vite. Et quand il faut passer à table, il fait soif. J’ai envie d’ouvrir un autre champagne, je le dis et un œil noir, celui de ma fille, me morigène. C’est péché, mais l’objet du péché fait passer outre. J’ouvre un champagne Dom Pérignon 1995. Immédiatement nos yeux s’illuminent. A côté du champagne extrême de Selosse, nous revenons vers le champagne de plaisir, à la séduction irrésistible. Tout ce qu’il y a de féminin, de romantique, de roses foulées à pied nu par d’évanescentes beautés se trouve dans ce breuvage. Le Selosse a son territoire d’expression, extrême et guerrier, d’un talent rare, et le Dom Pérignon exprime la séduction naturelle. Ce n’est pas que le fait du hasard si Eva Herzigova a été choisie pour en être l’égérie sensuelle. L’abondance de produits bio fait voyager nos papilles sans que forcément nourriture et champagne embarquent sur le même quai mais peu importe. Ce champagne est en pleine possession de sa séduction. Il se déguste sans la moindre modération de notre approbation.

dîner impromptu chez des amis mardi, 1 septembre 2009

Nous rendons visite à nos voisins qui nous accueillent avec un champagne Moët & Chandon non millésimé qui me plait plus que d’habitude. Il a dû se bonifier de quelques mois de plus. Sur un veau très tendre, le Quintessence de Rimauresq 2005 me plait lui aussi beaucoup plus qu’un récent 2004. Ce vin des Côtes de Provence est tout à son aise sur la viande et aussi sur le fromage.

Le dessert est un melon au basilic et mon ami apporte une bouteille que j’avais offerte il y a bien un an, un Tokaji Eszencia Aszu 1988. L’accord du melon avec le Tokaji est absolument saisissant. Le vin se place en continuité parfaite avec la chair orange du fruit marquée par la feuille verte. Avec un peu d’imagination, ce sont les couleurs du drapeau hongrois qui créent cet accord absolument syncrétique, dans son sens fusionnel. La diète restera, comme souvent, un acte manqué.

café chez Yvan Roux mardi, 1 septembre 2009

Les enfants, petits-enfants et cousins sont partis. Il reste une semaine de diète et de sport pour se préparer à affronter une reprise fertile en événements. L’ami fidèle qui était venu me trouver pour partager des vins chez Yvan Roux et chez Mathias Dandine m’annonce qu’il va venir déjeuner avec des amis chez Yvan Roux. « J’aurais mauvaise grâce à y aller sans t’inviter », me dit-il. Je refuse, pour des raisons diététiques.

Il insiste : « viens au moins pour l’apéritif ». Il est sûr que si j’accepte, je resterai à table, aussi ma réponse est : « je viens pour le café ». J’arrive avec dans ma musette un Champagne Perrier-Jouët rosé 1969. Le bouchon resserré a fait disparaître la bulle, le champagne est d’un rose isabelle, le nez est délicat. En bouche, si l’on admet que ce que l’on boit est éloigné du goût du champagne, on profite de saveurs qui sont celles d’un champagne rosé qui aurait fauté avec un muscat. C’est doux, délicat, et extrêmement plaisant. C’est nettement meilleur que le 1966 de la même maison que j’avais ouvert récemment. Les trois jeunes compères sont encore sur une glace vanille qui ne paraît pas adaptée, aussi, fort opportunément, Babette nous apporte des biscuits roses de Reims qui apaisent le goût du champagne. Jonathan me fait goûter l’Ermitage Ex Voto Guigal 2005 qui fait partie des vins qu’ils viennent de partager et je suis très impressionné par la finesse, l’élégance et l’équilibre de ce vin très chaleureux et expressif. Un grand plaisir.

Yvan Roux est fier du Pata Negra qu’il vient de recevoir, d’une qualité très remarquable, Un champagne blanc irait mieux que le champagne rosé, trop faible pour l’amadouer. Aussi est-ce sur l’Ermitage que je me délecte de quelques tranches de cet excellent jambon.

dernier (?) repas de vins dans le sud jeudi, 27 août 2009

Ce sera ce soir, sauf contrordre, le dernier dîner vineux de notre long séjour dans le sud. Nous recevons des amis qui aiment et apprécient le vin, sans en avoir la frénésie encyclopédique des passionnés. Le Champagne Dom Pérignon 1995 a quelque chose de magique. Gracieux, typé, présent, il se montre d’une grande personnalité tout en restant gracile. Nous somme bien sûr dans un registre de fruits blancs, avec un caractère aérien très délié. La poutargue tranchée en lamelles est particulièrement moelleuse, et s’accorde bien au champagne. Mais ce sont les toasts au foie gras qui montrent l’absolue pertinence de l’accord champagne et foie gras. Il faut au plus vite bannir tout mariage sauternes et foie gras, car l’on doit définitivement le pacser au champagne.

Le Champagne Salon 1983 a un bouchon qui me résiste. L’idée de sabrer vient à l’esprit. Lançant le dos d’un grand couteau le long de l’arête du goulot, je tape contre le tête, mais rien ne semble se passer. Je veux reprendre le bouchon à la main pour ouvrir. Par un heureux hasard la cassure n’était pas biseautée, car j’eus été gravement coupé. Je sortis le bouchon collé à un anneau de verre. Le Salon 1983 était sabré.

La couleur est foncée, le nez évoque les champagnes évolués. En bouche l’impression de fumé est certaine. Le vin est notoirement évolué, mais avec une délicatesse rare. Le vin est profond, mais demande une adaptation à ce style nouveau. Ma femme a prévu deux assiettes. Dans l’une, une crème de chou fleur surmontée de dés de foie gras poêlé. Dans l’autre, une crème de céleri surmontée de dés de foie gras poêlé. C’est le céleri qui emporte la mise, car le fumé du champagne et le fumé du céleri sont d’une continuité assez exceptionnelle. C’est un magnifique accord. Le champagne a une longueur appréciable et au moment où j’écris ces lignes, j’ai encore sa pesanteur de très typée en bouche. Il évoque des légumes jaunes fumés, des fruits jaunes aux saveurs calmes. L’accord est très brillant. Il se trouve que 1983 est le millésime qui m’a fait connaître Salon, j’en ai bu beaucoup en y trouvant un grand plaisir jusqu’à ce que d’autres millésimes me ravissent plus encore. Le 1983 entre maintenant dans le monde des champagnes anciens. Ce sera intéressant de vérifier comment il évolue.

Le gigot avec un gratin de pommes de terre caressé virilement par de l’ail accueille un Domaine de Terrebrune Bandol rouge 1995. Ce vin apparemment facile est d’une grande délicatesse. C’est l’archétype du vin d’été, avec ses évocations d’olives et de barbes d’artichauts. L’accord se fait bien. Sa fraîcheur est réconfortante.

Une salade de pêches que l’on pousse en prenant de goûteux macarons est trop forte pour accueillir un vin. C’est donc à l’eau, sous une moiteur de nuit chaude que nous discutons à perte de vue, en reconstruisant le monde qui ne nous demande rien. Mon classement : Dom Pérignon 1995, puis Terrebrune 1995 et Salon 1983. Le rideau du sud se baisse sur ce repas amical.

un beau dîner à l’hôtel des Roches mercredi, 26 août 2009

Le lendemain du déjeuner chez Yvan Roux, le jeune ami fidèle m’invite avec mon épouse à dîner au restaurant de Mathias Dandine à l’hôtel des Roches, où il loge. Lorsque nous arrivons sur la belle terrasse en surplomb de la mer, un trio de musiciens interprète avec talent un folklore brésilien et des chants de Claude Nougaro. Jonathan, notre jeune ami, commande un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1999 sur la suggestion de Mathias, venu bavarder à notre table. Le jaune de la couleur est beaucoup plus frais que celui prononcé du 1990 en magnum que nous avions bu la veille. Le nez est convenable, mais c’est en bouche que le spectacle se joue. Ce champagne est d’une forte personnalité, d’une longueur infiniment plus grande que celle du 1990 et le champagne frais se boit avec un plaisir sans mélange. Nous nous regardons avec Jonathan avec la même pensée : ce 1999 en bouteille est plus grand, tel que nous le buvons, que le 1990 en magnum d’hier. Cela me fend le cœur de l’avouer, tant je fantasmais sur ce rare magnum, mais c’est un fait, ce 1999 est brillant. Mathias nous fait servir des toasts huilés couverts de truffes d’été qui forment avec le champagne un accord que l’on sait brillant. C’est ensuite une cassolette de mozzarella à la truffe d’été qui tire des accents au Clos des Goisses encore plus vibrants que ceux du toast à la truffe. Le champagne est à son aise, beau champagne au grand équilibre.

Nous faisons réfléchir Mathias aux plats qui accompagneront le vin rouge de ce repas. Il suggère langouste puis une daurade « beaux yeux. ». Cela nous paraît justifié.

Nous descendons dans la salle à manger qui ouvre un panorama sur la mer et un ciel qui hésite à enfanter un orage et dont les rares étincelles ne transformeront pas sa colère en fureur aquifère. On nous apporte quatre petits amuse-bouche sur des suggestions de tomate, de céleri à la truffe (accord diabolique), de moule et de je ne sais plus quoi. Vient ensuite, en titre de clin d’œil, une brandade de morue à la truffe d’été qui nous permet d’essayer le vin prévu, un Ermitage « le Pavillon », Chapoutier 1989. Mathias ayant lu beaucoup de mes écrits, ce n’est pas un hasard si cette brandade se présente. Car je l’ai essayée maintes fois sur des vins rouges, pour des accords parfois étonnants. Mon jeune ami, qui a lui aussi lu ces récits, sourit, car l’accord est évident, impérieux et impératif. La brandade fait s’exprimer ce vin d’une rare élégance. J’avais eu peur que le froid dans lequel ce vin ouvert il y a plus de quatre heures a été gardé n’anesthésie son goût, mais le vin ouvre progressivement sa corolle, et force est de constater qu’il s’installe dans la cour des grands. C’est un vin que je n’ai jamais bu, que je découvre avec un grand enthousiasme car le mot qui me vient immédiatement, c’est « élégance ». Il a du charme, du velouté bourgeois, de la simplicité de discours, de la force mais aussi une grande convivialité avec les plats.

L’entrée est une langouste cuite divinement bien avec des tas de petits à-côtés d’une parfaite cohérence. Quand je prêche pour une cuisine « lisible », on est ici au cœur du sujet, car tous les ingrédients s’intègrent dans un goût unique. Les girolles sont diaboliques. Nous convenons tous les trois que ce plat mérite deux étoiles.

La daurade « beaux yeux » a été cuite en croûte de sel. Sur l’assiette, il n’y a que les filets. Pas le moindre petit gramme de persil ou de romarin. Rien. La chair est dans sa nudité totale. Jamais une telle assiette ne serait servie, n’était notre amitié. A côté, un risotto au homard est absolument raffiné, lourd partenaire du riche Rhône. Le plat est lui aussi plus proche de deux étoiles que d’une. Le vin continue d’être riche et joyeux. Un grand vin du Rhône au message très délié et très lisible, qui s’est révélé parfait sur chaque chair, de la langouste et du poisson, avec un naturel confondant.

Il reste quelques gouttes dans nos verres. Je fais un caprice en demandant des madeleines au miel. Elles arrivent toutes tièdes, pour conclure dans la douceur sucrée un magnifique dîner où la complicité avec Mathias a permis de créer des accords vibrants pour mettre en valeur un bien bel Ermitage.

Clos des Goisses, Chevalier Montrachet et La Turque en un repas mémorable mardi, 25 août 2009

Ce déjeuner nécessite que je plante le décor, fait de plusieurs panneaux en relief. Le premier panneau est relatif à mon âge. Combien d’étés vais-je vivre où je boirai des grands vins ? Pas plus de deux fois les doigts des deux mains, même si la faucheuse sait m’oublier. Il me faut donc boire grand lorsque j’en ai le prétexte. Le deuxième panneau est relatif au rythme de cet été. Nous avons bu de grands vins, mais il m’en reste de brillants que j’ai furieusement envie d’essayer. Le troisième panneau est celui d’un jeune amateur de 27 ans. Depuis près d’un an, c’est le participant le plus fidèle de mes dîners. Venu sur la Côte, il fut mon invité chez Yvan Roux au début du mois d’août. Il a envie de récidiver. Le quatrième panneau est celui de mon club de conscrits. L’un des membres est en vacances avec son épouse à Porquerolles. Il lit mes bulletins où il m’arrive plus que fréquemment de dire du bien de la table d’Yvan Roux. L’occasion se présente de leur montrer que mes commentaires sont justifiés. Cinquième panneau, ma fille cadette devant partir avec ses deux petits au moment où le déjeuner aura lieu, ma femme décide de ne pas être de la partie.

La femme de mon conscrit est très intriguée et prudente, car elle ne sait pas où nous allons. Un vilain chemin cahoteux aux pentes que même Contador ne saurait avaler mène à une maison privée qui semble encore en chantier. La camionnette d’Yvan est bien sale. Je gare ma voiture sous la terrasse et prends les bouteilles de ce déjeuner. Nous grimpons un petit chemin bien raide. J’embrasse Yvan qui nous accueille. La vue est à couper le souffle. La femme de mon ami montre un large sourire.

Comme d’habitude, j’explore la monumentale cuisine qui ferait rêver plus d’un grand chef. Il y a de beaux chapons et dans un plat, deux cigales et deux langoustes. Yvan ayant fait la cuisine pour ma maison pendant près d’un mois, j’ai tendance à vouloir jouer profil bas et je propose à Yvan que nous prenions la plus petite des cigales et la plus grosse des langoustes. Dans un dialogue qui aurait pu être écrit par Molière ou Feydeau, Yvan nous dit qu’il a pensé ainsi : ne mettre que deux chapons à partager à quatre, me réserver la petite cigale, car il sait que je préfère les petits crustacés, partager la grosse cigale entre les trois autres convives, et partager les deux langoustes en quatre parts. La proposition d’Yvan est redoutablement maligne. Car quatre crustacés, c’est plus que deux, et comme il me réserve la plus belle pièce, la carte est forcément gagnante.

J’ai bu un certain nombre de Clos des Goisses de Philipponnat, mais pas de ce millésime et pas dans ce format. Aussi, ouvrir un Champagne Clos des Goisses Philipponnat en magnum 1990 est pour moi d’une grande émotion. Car je ne sais pas si je pourrai un jour en retrouver, celui-ci étant unique dans ma cave. Le vin est d’une couleur d’un bel or, déjà bien prononcé. La bulle est lourde, forte. En bouche, ce champagne est d’un grand plaisir. Mes amis disent qu’il est fumé, mais je ne le crois pas. Je dirais plutôt confit, comme des fruits. La couleur me suggère irrésistiblement ce que lit mon palais : des mirabelles à maturité avancée. Le Clos est chaleureux, remplit la bouche et ce qui me frappe, c’est qu’il n’est pas complexe, c’est qu’il n’a pas une grande longueur, mais cela ne gêne en rien de l’apprécier comme un champagne plein, heureux, et flamboyant. Je suis conscient que la rareté de ce flacon influence mon plaisir, mais je l’assume.

Nous trinquons et croquons des beignets de fleurs de courgettes, ainsi que des petites seiches croquantes, juste saisies sans aucune préparation. La femme de mon ami, qui a toujours refusé de manger ces céphalopodes est toute surprise de constater qu’elle aime. L’accord de la seiche avec le champagne se fait bien. On sent que ce vin est taillé pour jouer les accords les plus fous.

Yvan avait prévu que les crustacés précéderaient le poisson. Pour les vins je lui demande d’inverser l’ordre. Flexible comme il sait l’être Yvan s’adapte.

La chair des chapons est miraculeuse. Je pense n’avoir jamais mangé meilleure chair de chapon, dans sa grande pureté. Un cœur d’artichaut violet mis sur une assiette séparée est le seul accompagnement. Le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1998 a un nez annonciateur de mille et une nuits. Les arômes se multiplient à l’infini. En bouche le vin est majestueux. Sa complexité contraste avec la simplicité du Clos des Goisses. Faire l’inventaire de ses saveurs prendrait un temps infini. Je nage dans le bonheur bachique. L’accord est très judicieux, mais, reconnaissons-le, le Chevalier est d’une telle stature qu’il transcende la notion même d’accord. C’est un vin d’un rare plaisir.

Yvan présente maintenant nos assiettes qui mêlent en une composition colorée les chairs des cigales et des langoustes, servies dans la nudité de leur pure cuisson. Le nez de la Côte Rôtie La Turque Guigal 2005 est un Etna de cassis, de pruneau et de prune. Instantanément à l’ouverture en début de repas, mon jeune ami qui avait bu avec moi ici-même La Mouline 2005 et moi, savions rien qu’au nez que cette Turque est très largement au dessus de La Mouline du même millésime.

Lorsque nous buvons cette Turque nous prenons conscience qu’il s’agit d’un vin immense. Yvan qui essaie rarement les vins que j’apporte m’indique que c’est à son goût le plus grand vin rouge qu’il ait goûté parmi mes apports. Le vin est riche, intense, avec une pénétration gustative forte. Comme toujours avec les vins de Guigal, la fraîcheur est exceptionnelle. Le vin est d’une élégance et d’une séduction folles. L’accord avec la cigale et la langouste est totalement naturel. Je raconte à mon jeune ami qui avait goûté avec moi Rayas 1995 sur une langouste que sur un forum du vin la pertinence de cet accord jugé impossible a été violemment refusée. Mon ami qui connaît les rebuffades que j’ai dû subir sur ce forum a un large sourire qui en dit long. Cet accord langouste et cigale avec La Turque est un modèle de justesse. Alors que je préfère généralement la cigale à la langouste, j’ai été aujourd’hui plus impressionné par la langouste, d’une fraîcheur de chair particulièrement remarquable.

Une glace vanille n’appelait aucun vin. Nous avons voté pour les vins et nos votes furent tous différents. J’ai mis en tête le Chevalier-Montrachet 1998, suivi de La Turque 2005 et du Clos des Goisses 1990. C’est un classement de pure forme, car les trois vins furent absolument sensationnels. Je voulais les ouvrir pour créer un repas mémorable. Sur des produits de la mer cuits à la perfection, il me semble que ce fut le cas.

Deux magnums de Laurent Perrier Grand Siècle contre la canicule samedi, 22 août 2009

Pour une tablée à géométrie variable, tant les va-et-vient familiaux se succèdent plus vite que les portes ne s’ouvrent au théâtre de boulevard, d’excellents pavés de mérou à la belle chair blanche sous la peau épaisse accompagnent un pressé de pomme de terre que l’on peut à son gré fourrer d’ail doux. Pour accompagner ce plat délicieux, je n’innove pas trop. C’est Champagne Laurent Perrier Grand Siècle en magnum non millésimé qui correspond le mieux à la chaleur caniculaire du jour. Ses évocations de fruits roses et de fleurs blanches, avec une fraîcheur pétillante ne sont pas là pour créer un accord doctrinal mais pour nous désaltérer. Ceci fut fait.

Un Bandol à pleine maturité vendredi, 21 août 2009

Notre séjour dans le sud se poursuit, avec un afflux familial particulièrement dense. Nous avions bu un Château Laville Haut-Brion 1979 absolument majestueux. Le lendemain, sur des moussakas, ce vin assied encore un peu plus son socle de sérénité. Ce vin est grand avec un final citronné extrêmement marqué. C’est un plaisir de le boire. Mon gendre ouvre un Château Pibarnon Bandol 1990 pour lequel je lui fais cette remarque : « pas besoin de sentir, ce sera majestueux ». Et force est de constater que le parfum de ce vin respire sa région. Les herbes, les épices locales explosent leur épanouissement. En bouche, l’épice est sensible, l’olive noire est suggérée. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’accomplissement de ce vin à ce stade parfait de sa vie. Nous savons tous que ce vin, s’il était bu à Paris à l’automne, n’aurait pas le charme auquel nous succombons. C’est comme cela, ne cherchons pas plus, il est là, au bon moment pour nous séduire. Un vin de grand bonheur.