Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dernier (?) repas de vins dans le sud jeudi, 27 août 2009

Ce sera ce soir, sauf contrordre, le dernier dîner vineux de notre long séjour dans le sud. Nous recevons des amis qui aiment et apprécient le vin, sans en avoir la frénésie encyclopédique des passionnés. Le Champagne Dom Pérignon 1995 a quelque chose de magique. Gracieux, typé, présent, il se montre d’une grande personnalité tout en restant gracile. Nous somme bien sûr dans un registre de fruits blancs, avec un caractère aérien très délié. La poutargue tranchée en lamelles est particulièrement moelleuse, et s’accorde bien au champagne. Mais ce sont les toasts au foie gras qui montrent l’absolue pertinence de l’accord champagne et foie gras. Il faut au plus vite bannir tout mariage sauternes et foie gras, car l’on doit définitivement le pacser au champagne.

Le Champagne Salon 1983 a un bouchon qui me résiste. L’idée de sabrer vient à l’esprit. Lançant le dos d’un grand couteau le long de l’arête du goulot, je tape contre le tête, mais rien ne semble se passer. Je veux reprendre le bouchon à la main pour ouvrir. Par un heureux hasard la cassure n’était pas biseautée, car j’eus été gravement coupé. Je sortis le bouchon collé à un anneau de verre. Le Salon 1983 était sabré.

La couleur est foncée, le nez évoque les champagnes évolués. En bouche l’impression de fumé est certaine. Le vin est notoirement évolué, mais avec une délicatesse rare. Le vin est profond, mais demande une adaptation à ce style nouveau. Ma femme a prévu deux assiettes. Dans l’une, une crème de chou fleur surmontée de dés de foie gras poêlé. Dans l’autre, une crème de céleri surmontée de dés de foie gras poêlé. C’est le céleri qui emporte la mise, car le fumé du champagne et le fumé du céleri sont d’une continuité assez exceptionnelle. C’est un magnifique accord. Le champagne a une longueur appréciable et au moment où j’écris ces lignes, j’ai encore sa pesanteur de très typée en bouche. Il évoque des légumes jaunes fumés, des fruits jaunes aux saveurs calmes. L’accord est très brillant. Il se trouve que 1983 est le millésime qui m’a fait connaître Salon, j’en ai bu beaucoup en y trouvant un grand plaisir jusqu’à ce que d’autres millésimes me ravissent plus encore. Le 1983 entre maintenant dans le monde des champagnes anciens. Ce sera intéressant de vérifier comment il évolue.

Le gigot avec un gratin de pommes de terre caressé virilement par de l’ail accueille un Domaine de Terrebrune Bandol rouge 1995. Ce vin apparemment facile est d’une grande délicatesse. C’est l’archétype du vin d’été, avec ses évocations d’olives et de barbes d’artichauts. L’accord se fait bien. Sa fraîcheur est réconfortante.

Une salade de pêches que l’on pousse en prenant de goûteux macarons est trop forte pour accueillir un vin. C’est donc à l’eau, sous une moiteur de nuit chaude que nous discutons à perte de vue, en reconstruisant le monde qui ne nous demande rien. Mon classement : Dom Pérignon 1995, puis Terrebrune 1995 et Salon 1983. Le rideau du sud se baisse sur ce repas amical.

un beau dîner à l’hôtel des Roches mercredi, 26 août 2009

Le lendemain du déjeuner chez Yvan Roux, le jeune ami fidèle m’invite avec mon épouse à dîner au restaurant de Mathias Dandine à l’hôtel des Roches, où il loge. Lorsque nous arrivons sur la belle terrasse en surplomb de la mer, un trio de musiciens interprète avec talent un folklore brésilien et des chants de Claude Nougaro. Jonathan, notre jeune ami, commande un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1999 sur la suggestion de Mathias, venu bavarder à notre table. Le jaune de la couleur est beaucoup plus frais que celui prononcé du 1990 en magnum que nous avions bu la veille. Le nez est convenable, mais c’est en bouche que le spectacle se joue. Ce champagne est d’une forte personnalité, d’une longueur infiniment plus grande que celle du 1990 et le champagne frais se boit avec un plaisir sans mélange. Nous nous regardons avec Jonathan avec la même pensée : ce 1999 en bouteille est plus grand, tel que nous le buvons, que le 1990 en magnum d’hier. Cela me fend le cœur de l’avouer, tant je fantasmais sur ce rare magnum, mais c’est un fait, ce 1999 est brillant. Mathias nous fait servir des toasts huilés couverts de truffes d’été qui forment avec le champagne un accord que l’on sait brillant. C’est ensuite une cassolette de mozzarella à la truffe d’été qui tire des accents au Clos des Goisses encore plus vibrants que ceux du toast à la truffe. Le champagne est à son aise, beau champagne au grand équilibre.

Nous faisons réfléchir Mathias aux plats qui accompagneront le vin rouge de ce repas. Il suggère langouste puis une daurade « beaux yeux. ». Cela nous paraît justifié.

Nous descendons dans la salle à manger qui ouvre un panorama sur la mer et un ciel qui hésite à enfanter un orage et dont les rares étincelles ne transformeront pas sa colère en fureur aquifère. On nous apporte quatre petits amuse-bouche sur des suggestions de tomate, de céleri à la truffe (accord diabolique), de moule et de je ne sais plus quoi. Vient ensuite, en titre de clin d’œil, une brandade de morue à la truffe d’été qui nous permet d’essayer le vin prévu, un Ermitage « le Pavillon », Chapoutier 1989. Mathias ayant lu beaucoup de mes écrits, ce n’est pas un hasard si cette brandade se présente. Car je l’ai essayée maintes fois sur des vins rouges, pour des accords parfois étonnants. Mon jeune ami, qui a lui aussi lu ces récits, sourit, car l’accord est évident, impérieux et impératif. La brandade fait s’exprimer ce vin d’une rare élégance. J’avais eu peur que le froid dans lequel ce vin ouvert il y a plus de quatre heures a été gardé n’anesthésie son goût, mais le vin ouvre progressivement sa corolle, et force est de constater qu’il s’installe dans la cour des grands. C’est un vin que je n’ai jamais bu, que je découvre avec un grand enthousiasme car le mot qui me vient immédiatement, c’est « élégance ». Il a du charme, du velouté bourgeois, de la simplicité de discours, de la force mais aussi une grande convivialité avec les plats.

L’entrée est une langouste cuite divinement bien avec des tas de petits à-côtés d’une parfaite cohérence. Quand je prêche pour une cuisine « lisible », on est ici au cœur du sujet, car tous les ingrédients s’intègrent dans un goût unique. Les girolles sont diaboliques. Nous convenons tous les trois que ce plat mérite deux étoiles.

La daurade « beaux yeux » a été cuite en croûte de sel. Sur l’assiette, il n’y a que les filets. Pas le moindre petit gramme de persil ou de romarin. Rien. La chair est dans sa nudité totale. Jamais une telle assiette ne serait servie, n’était notre amitié. A côté, un risotto au homard est absolument raffiné, lourd partenaire du riche Rhône. Le plat est lui aussi plus proche de deux étoiles que d’une. Le vin continue d’être riche et joyeux. Un grand vin du Rhône au message très délié et très lisible, qui s’est révélé parfait sur chaque chair, de la langouste et du poisson, avec un naturel confondant.

Il reste quelques gouttes dans nos verres. Je fais un caprice en demandant des madeleines au miel. Elles arrivent toutes tièdes, pour conclure dans la douceur sucrée un magnifique dîner où la complicité avec Mathias a permis de créer des accords vibrants pour mettre en valeur un bien bel Ermitage.

Clos des Goisses, Chevalier Montrachet et La Turque en un repas mémorable mardi, 25 août 2009

Ce déjeuner nécessite que je plante le décor, fait de plusieurs panneaux en relief. Le premier panneau est relatif à mon âge. Combien d’étés vais-je vivre où je boirai des grands vins ? Pas plus de deux fois les doigts des deux mains, même si la faucheuse sait m’oublier. Il me faut donc boire grand lorsque j’en ai le prétexte. Le deuxième panneau est relatif au rythme de cet été. Nous avons bu de grands vins, mais il m’en reste de brillants que j’ai furieusement envie d’essayer. Le troisième panneau est celui d’un jeune amateur de 27 ans. Depuis près d’un an, c’est le participant le plus fidèle de mes dîners. Venu sur la Côte, il fut mon invité chez Yvan Roux au début du mois d’août. Il a envie de récidiver. Le quatrième panneau est celui de mon club de conscrits. L’un des membres est en vacances avec son épouse à Porquerolles. Il lit mes bulletins où il m’arrive plus que fréquemment de dire du bien de la table d’Yvan Roux. L’occasion se présente de leur montrer que mes commentaires sont justifiés. Cinquième panneau, ma fille cadette devant partir avec ses deux petits au moment où le déjeuner aura lieu, ma femme décide de ne pas être de la partie.

La femme de mon conscrit est très intriguée et prudente, car elle ne sait pas où nous allons. Un vilain chemin cahoteux aux pentes que même Contador ne saurait avaler mène à une maison privée qui semble encore en chantier. La camionnette d’Yvan est bien sale. Je gare ma voiture sous la terrasse et prends les bouteilles de ce déjeuner. Nous grimpons un petit chemin bien raide. J’embrasse Yvan qui nous accueille. La vue est à couper le souffle. La femme de mon ami montre un large sourire.

Comme d’habitude, j’explore la monumentale cuisine qui ferait rêver plus d’un grand chef. Il y a de beaux chapons et dans un plat, deux cigales et deux langoustes. Yvan ayant fait la cuisine pour ma maison pendant près d’un mois, j’ai tendance à vouloir jouer profil bas et je propose à Yvan que nous prenions la plus petite des cigales et la plus grosse des langoustes. Dans un dialogue qui aurait pu être écrit par Molière ou Feydeau, Yvan nous dit qu’il a pensé ainsi : ne mettre que deux chapons à partager à quatre, me réserver la petite cigale, car il sait que je préfère les petits crustacés, partager la grosse cigale entre les trois autres convives, et partager les deux langoustes en quatre parts. La proposition d’Yvan est redoutablement maligne. Car quatre crustacés, c’est plus que deux, et comme il me réserve la plus belle pièce, la carte est forcément gagnante.

J’ai bu un certain nombre de Clos des Goisses de Philipponnat, mais pas de ce millésime et pas dans ce format. Aussi, ouvrir un Champagne Clos des Goisses Philipponnat en magnum 1990 est pour moi d’une grande émotion. Car je ne sais pas si je pourrai un jour en retrouver, celui-ci étant unique dans ma cave. Le vin est d’une couleur d’un bel or, déjà bien prononcé. La bulle est lourde, forte. En bouche, ce champagne est d’un grand plaisir. Mes amis disent qu’il est fumé, mais je ne le crois pas. Je dirais plutôt confit, comme des fruits. La couleur me suggère irrésistiblement ce que lit mon palais : des mirabelles à maturité avancée. Le Clos est chaleureux, remplit la bouche et ce qui me frappe, c’est qu’il n’est pas complexe, c’est qu’il n’a pas une grande longueur, mais cela ne gêne en rien de l’apprécier comme un champagne plein, heureux, et flamboyant. Je suis conscient que la rareté de ce flacon influence mon plaisir, mais je l’assume.

Nous trinquons et croquons des beignets de fleurs de courgettes, ainsi que des petites seiches croquantes, juste saisies sans aucune préparation. La femme de mon ami, qui a toujours refusé de manger ces céphalopodes est toute surprise de constater qu’elle aime. L’accord de la seiche avec le champagne se fait bien. On sent que ce vin est taillé pour jouer les accords les plus fous.

Yvan avait prévu que les crustacés précéderaient le poisson. Pour les vins je lui demande d’inverser l’ordre. Flexible comme il sait l’être Yvan s’adapte.

La chair des chapons est miraculeuse. Je pense n’avoir jamais mangé meilleure chair de chapon, dans sa grande pureté. Un cœur d’artichaut violet mis sur une assiette séparée est le seul accompagnement. Le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1998 a un nez annonciateur de mille et une nuits. Les arômes se multiplient à l’infini. En bouche le vin est majestueux. Sa complexité contraste avec la simplicité du Clos des Goisses. Faire l’inventaire de ses saveurs prendrait un temps infini. Je nage dans le bonheur bachique. L’accord est très judicieux, mais, reconnaissons-le, le Chevalier est d’une telle stature qu’il transcende la notion même d’accord. C’est un vin d’un rare plaisir.

Yvan présente maintenant nos assiettes qui mêlent en une composition colorée les chairs des cigales et des langoustes, servies dans la nudité de leur pure cuisson. Le nez de la Côte Rôtie La Turque Guigal 2005 est un Etna de cassis, de pruneau et de prune. Instantanément à l’ouverture en début de repas, mon jeune ami qui avait bu avec moi ici-même La Mouline 2005 et moi, savions rien qu’au nez que cette Turque est très largement au dessus de La Mouline du même millésime.

Lorsque nous buvons cette Turque nous prenons conscience qu’il s’agit d’un vin immense. Yvan qui essaie rarement les vins que j’apporte m’indique que c’est à son goût le plus grand vin rouge qu’il ait goûté parmi mes apports. Le vin est riche, intense, avec une pénétration gustative forte. Comme toujours avec les vins de Guigal, la fraîcheur est exceptionnelle. Le vin est d’une élégance et d’une séduction folles. L’accord avec la cigale et la langouste est totalement naturel. Je raconte à mon jeune ami qui avait goûté avec moi Rayas 1995 sur une langouste que sur un forum du vin la pertinence de cet accord jugé impossible a été violemment refusée. Mon ami qui connaît les rebuffades que j’ai dû subir sur ce forum a un large sourire qui en dit long. Cet accord langouste et cigale avec La Turque est un modèle de justesse. Alors que je préfère généralement la cigale à la langouste, j’ai été aujourd’hui plus impressionné par la langouste, d’une fraîcheur de chair particulièrement remarquable.

Une glace vanille n’appelait aucun vin. Nous avons voté pour les vins et nos votes furent tous différents. J’ai mis en tête le Chevalier-Montrachet 1998, suivi de La Turque 2005 et du Clos des Goisses 1990. C’est un classement de pure forme, car les trois vins furent absolument sensationnels. Je voulais les ouvrir pour créer un repas mémorable. Sur des produits de la mer cuits à la perfection, il me semble que ce fut le cas.

Deux magnums de Laurent Perrier Grand Siècle contre la canicule samedi, 22 août 2009

Pour une tablée à géométrie variable, tant les va-et-vient familiaux se succèdent plus vite que les portes ne s’ouvrent au théâtre de boulevard, d’excellents pavés de mérou à la belle chair blanche sous la peau épaisse accompagnent un pressé de pomme de terre que l’on peut à son gré fourrer d’ail doux. Pour accompagner ce plat délicieux, je n’innove pas trop. C’est Champagne Laurent Perrier Grand Siècle en magnum non millésimé qui correspond le mieux à la chaleur caniculaire du jour. Ses évocations de fruits roses et de fleurs blanches, avec une fraîcheur pétillante ne sont pas là pour créer un accord doctrinal mais pour nous désaltérer. Ceci fut fait.

Un Bandol à pleine maturité vendredi, 21 août 2009

Notre séjour dans le sud se poursuit, avec un afflux familial particulièrement dense. Nous avions bu un Château Laville Haut-Brion 1979 absolument majestueux. Le lendemain, sur des moussakas, ce vin assied encore un peu plus son socle de sérénité. Ce vin est grand avec un final citronné extrêmement marqué. C’est un plaisir de le boire. Mon gendre ouvre un Château Pibarnon Bandol 1990 pour lequel je lui fais cette remarque : « pas besoin de sentir, ce sera majestueux ». Et force est de constater que le parfum de ce vin respire sa région. Les herbes, les épices locales explosent leur épanouissement. En bouche, l’épice est sensible, l’olive noire est suggérée. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’accomplissement de ce vin à ce stade parfait de sa vie. Nous savons tous que ce vin, s’il était bu à Paris à l’automne, n’aurait pas le charme auquel nous succombons. C’est comme cela, ne cherchons pas plus, il est là, au bon moment pour nous séduire. Un vin de grand bonheur.

de nouveaux vins un soir caniculaire jeudi, 20 août 2009

Comment fêter une énième fois la naissance de mon petit-fils ? Yvan Roux nous a annoncé des « petits farcis ». Dans mon esprit, ce sont de petits artichauts farcis. Mais ici, il s’agit aussi bien de courgettes que d’aubergines, de champignons ou de gros oignons, gavés d’une farce au goût intense. C’est l’occasion d’ouvrir deux flacons. Le Champagne Perrier-Jouët rosé 1966 se justifie car c’est l’année de mon mariage avec la grand-mère du nouveau-né, et le Château Laville Haut-Brion 1979 se justifie par l’année en neuf, qui a juste trente ans à la naissance du nouveau venu.

Le Champagne Perrier-Jouët rosé 1966 a une couleur qui m’inquiète un peu, car elle vire vers le marron. Le nez est superbe. La bulle a presque totalement disparu et le goût, avec un peu d’aération, est radicalement charmeur. Plus le temps passe et plus l’impression de la complexité de ce champagne s’affirme. On l’imagine en compagnon idéal de folies gastronomiques et je verrais bien un pigeon juste rosé sur ce beau champagne. Mais le temps passant, le charme agit moins. Me remémorant de magistraux rosés de cette maison et de cette même année, il me semble qu’on est très loin de ce que ce champagne peut offrir.

Le Château Laville Haut-Brion 1979 a un parfum impérial. Pénétrant, envoûtant et racé, il impressionne. Sa couleur est d’une folle jeunesse, car il est encore d’une clarté juvénile. En bouche, ce qui frappe, c’est son extrême longueur. Ce blanc est magnifique, en pleine sérénité, donnant des notes mentholées dans le final et des fleurs blanches au milieu de palais. Le vin est splendide, mais par un soir de canicule, dès que le vin se réchauffe, une impression glycérinée bloque tout le talent de ce grand vin.

Les petits farcis jouent poliment leur rôle de faire-valoir en ânonnant leur texte.

On sait bien qu’il faudrait cesser de boire des grands vins dans les chaleurs de l’été caniculaires. Mais si on est condamné à ne plus fêter un petit-fils, alors, oublions vite toute sagesse.

un accord improbable et deux « vieux » Chateauneuf mardi, 18 août 2009

Nous avons envie d’essayer des Chateauneuf-du-Pape offerts par mon gendre. Deux jours après, il reste un fond du Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 et dégorgé en 2000. C’est l’occasion de couper des tranches de poutargue. A notre bonne surprise, le champagne a encore une bulle active et confirme son impression de charme et de raffinement. Le champagne est assez doucereux, fruité, avec une petite amertume délicate en fin de bouche.

Il reste aussi un fond de Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996 qui a maintenant trois jours et a affronté des journées d’une lourde chaleur. Une idée folle me vient : que dirait La Mouline sur la poutargue ? Sur le papier et dans nos têtes, c’est pure folie. Le vin ayant gardé l’essentiel de sa vigueur et le temps n’ayant que peu altéré sa spontanéité, on peut remarquer que le caractère salé et iodé de la poutargue sur un support moelleux excite le fruité opulent du vin sans en rien gauchir le goût. Cela signifie que contre toute attente, la salinité de la poutargue accompagne bien le vin. C’est un accord improbable qu’il fallait tester.

Yvan Roux nous a tranché des pavés de mérous sur une sauce de cuisson et des aulx très doux. Une purée de pomme de terre quasiment sans crème et frottée d’ail confit accompagne le poisson.

Le Chateauneuf-du-Pape blanc Bérard P&F 1955 a une robe d’un or très soutenu. Le premier contact est d’un nez de bouchon léger, qui altère le goût mais sans le rendre imbuvable. La deuxième gorgée est horrible, tant au nez qu’en bouche.

Le Chateauneuf-du-Pape rouge Bérard P&F 1959, par opposition, nous ravit totalement. Le nez est agréable et charmeur. La bouche est chatoyante, opulente car il fait très chaud, et le final est très court. Mais ce vin limité est plaisant à boire et il se marie de façon excitante avec la chair du poisson. Mais c’est surtout sur la purée « sèche » que l’accord est soyeux. Ce vin ne laissera pas une trace indélébile dans nos mémoires mais le moment fut agréable.

C’est amusant de constater que l’impression en relief de la capsule se retrouve presque parfaitement sur le haut du bouchon

Chateauneuf-du-Pape blanc Bérard P&F 1955

Chateauneuf-du-Pape rouge Bérard P&F 1959

un beau repas avec deux vignerons amis vendredi, 14 août 2009

Il y a dix-huit mois, nous avions été invités dans leur maison du Vaucluse par Anne-Françoise Gros et François Parent avec le cousin que nous logeons cet été, pour une mémorable dégustation verticale de onze millésimes du Pommard Epenots Domaine Parent depuis 1886, avec des millésimes légendaires comme 1904, 1915, 1928, 1933, 1947, 1959. La générosité et l’amitié de ces deux vignerons nécessitaient une réciproque. Nous les recevons dans le sud. Pas question bien sûr de leur faire boire leurs propres vins. Le choix se fait avec mon gendre dans les stocks dont nous disposons. J’ai demandé à Yvan Roux de nous faire un agneau de sept heures, car il n’y a pas de meilleur ami des vins rouges. Le menu n’est pas franchement d’été, mais les vins priment.

Sur de fines tranches d’une poutargue très moelleuse, le Champagne Henriot 1996 montre son caractère joyeux. C’est un beau champagne coloré, clair à lire, qui est même un champagne de soif tant on le boit facilement. J’ouvre ensuite un magnum de champagne Salon 1997 pour la poutargue et aussi des tranches tartinées de foie gras. Les conversations vont bon train. Le champagne est blanc clair quand l’Henriot était légèrement doré. Alors qu’un an sépare les deux champagnes, l’Henriot semble mature quand le Salon fait gamin. La structure du Salon est plus forte, ses promesses sont plus grandes, mais je resterai un peu sur ma faim, tandis que les vignerons et mon cousin préfèreront le Salon au Henriot.

Sur l’agneau de sept heures, ma femme a préparé un pressé de pommes de terre à l’ail doux confit. Le Rimauresq Côtes-de-Provence 1990 dont le nez à l’ouverture était absolument envahissant de générosités provençales est un exemple parfait de l’achèvement que peut atteindre un Côtes-de-Provence, quand on donne du temps au temps. Mon cousin déclare avec force que ce 1990 est très nettement au dessus du 1989 de la veille. Je n’ai pas cette analyse. Car le 1990 est extrêmement rond, charmeur, presque doucereux, alors que le 1989 avait l’amertume et la râpe qui signent classiquement les Côtes de Provence. J’aime donc les deux, le 1989 pour son authenticité provençale et le 1990 pour son accomplissement généreux.

Mon cousin qui vit dans le Vaucluse tête depuis sa plus grande enfance les Chateauneuf-du-Pape comme Obélix tétait la potion magique. Nous le voyons sonné, groggy, presque K.O. tant il est subjugué par le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1989. Ce vin est absolument parfait. A l’ouverture, son nez était le plus discret des trois rouges. Il s’est rattrapé depuis. Ce vin est d’une rare élégance. Alors qu’il fait chaud dans le calme du soir, ce vin n’impose aucune trace alcoolique. Il est élégant, raffiné, d’une structure élégante. Mon cousin me dit : « je me demandais pourquoi dans tes bulletins tu es si laudatif pour le Domaine Beaucastel, maintenant je comprends pourquoi, car c’est le plus grand Chateauneuf-du-Pape que je bois ce soir ». Ce vin offert par mon gendre est effectivement un grand moment. A l’ouverture, le troisième vin était une bombe olfactive. Alors que sept ans seulement le séparent du rouge précédent, la Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996 est un monde de différence. Le Beaucastel fait vin classique, à l’ancienne, alors que La Mouline est résolument un vin moderne. Mais quel vin ! Il allie une puissance dévastatrice à une fraîcheur mentholée invraisemblable. Mon cousin tient à dire que le Beaucastel est notablement au dessus mais je ne vois pas les choses comme cela. Ce sont deux directions très différentes qui sont explorées, le Beaucastel dans l’élégance et la finesse, La Mouline dans le modernisme, dans la puissance et la fraîcheur. La Mouline va progresser considérablement dans les vingt à trente ans à venir, alors que le Beaucastel est à un sommet de son art qui ne sera pas dépassé dans les vingt ans qui viennent.

Nous discutons beaucoup et nous nous enrichissons des commentaires pertinents des vignerons amis. Il faut être fou pour prévoir un moelleux au chocolat avec une crème au caramel salé. Car ce n’est pas franchement le plat pour une lourde nuit d’été. Mais autour de la table les appétits sont solides. Le Maury Mas Amiel Quinze ans d’âge que j’ai acheté il y a plus de quinze ans est un miracle pour le chocolat fondu. Evoquant les pruneaux et les prunes sur le chocolat, il arrive en caméléon à se faire caramel sur le caramel, avec des petites touches de noisettes.

Nous parlons vin bien sûr et quelqu’un lance le rituel du vote. A ma grande surprise François Parent, qui annonce que son vote est celui d’un vigneron, met en premier le Rimauresq ce qui est un bel hommage pour ce Côtes de Provence. Les ordres ensuite, que je n’ai pas notés, se ressemblent entre les convives. Ils mettent Salon avant Henriot ce qui ne sera pas mon cas. Mon vote est le suivant : 1 – Beaucastel 1989, 2 – La Mouline 1996, 3 – Maury de 30 ans environ, 4 – Henriot 1996, 5 – Salon 1997 et 6 – Rimauresq 1990. Mon dernier est le premier de François Parent (Anne-Françoise rejoignant son mari sur ce vote). Cela provient des critères de choix. Les vignerons ont jugé en vignerons. Si le Rimauresq avait été seul, je l’aurais adoré. C’est la présence de deux rouges que je trouve immenses qui a fait reculer le Rimauresq dans mon classement.

La pertinence de l’ordre des vins et des accords a ravi tout le monde. Nos amis vignerons ont été heureux de ce repas. C’est ce que nous souhaitions.

Les Côtes-de-Provence se bonifient en vieillissant jeudi, 13 août 2009

Un Rimauresq Côtes-de-Provence 1989 trône sur notre table. Ce vin est d’un charme extrême. Il a la râpe que l’on a dans les jeunes Côtes de Provence et l’amplitude que donnent vingt ans. Le poulet au curry et au riz n’est pas forcément le meilleur compagnon, mais je retiens la chaude sympathie que suscite ce beau vin du sud.

cannellonis et cigarettes russes mercredi, 12 août 2009

Mon gendre invite des amis avec leurs enfants. Le champ de bataille crépite des rires, des joies et des pleurs d’une ribambelle d’enfants montés sur pile. En fin de journée le vent se calme, et le couteau aiguisé comme une lame de rasoir débite des tranches de jambon Serrano. Pour chacun, la première gorgée du Champagne Laurent Perrier Grand-Siècle en magnum non millésimé fait claquer la langue, avec ce commentaire : « ah, c’est bon ». Car ce champagne de soif capture nos envies. Le couteau tranche et tranche, mon poignet se plie et se plie pour remplir les verres.

Ma femme crie : « à table » et d’immenses plats de cannellonis nous attendent. L’un est nature, l’autre au comté et le troisième au parmesan. C’est le comté qui gagne sur un Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005. Riche, chaud car la température ambiante est forte, ce vin puissant et lourd est porteur de grandes promesses. Les cannellonis sont des accompagnateurs parfaits du vin rouge.

La transition avec le Chateauneuf-du-Pape Beaucastel 1994 est saisissante. On grimpe sur l’échelle des saveurs, des complexités et du charme. 1994 est une année qui correspond mieux aux chaleurs estivales, car l’alcool n’est pas étouffant. Ce vin est très subtil, complexe et raffiné. Comme malgré tout on le boit plus chaud qu’on ne le devrait, on trouve des similitudes avec les Bandol et Côtes de Provence, car l’alcool, même discret, monte plus aisément sur le devant de la scène.

Ma fille, gourmande comme moi, a acheté des cigarettes russes Delacre. Elle propose d’en ouvrir. Je crie : « ah, non ! », car je sais que je succomberais. Le paquet est ouvert. Au mépris de toute éducation je m’empare d’une Delacre et, l’utilisant comme une paille, je me mets à aspirer le jus de pamplemousses roses de ma coupelle, avec des bruits d’une absence totale de raffinement. Mais le plaisir est là, diabolique, primitif, sauvage et sensuel.

Un été sans cigarette russe est presque impossible à imaginer.