Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner chez Yvan Roux jeudi, 7 mai 2009

Après le 118ème dîner, direction le sud. A peine ai-je le temps de faire une sieste que l’on m’entraîne de force (on imagine ma souffrance) pour aller dîner à la table d’hôtes d’Yvan Roux. Les journées s’allongent et nous profitons un peu plus des plaisirs de la vue sur la presqu’île de Giens et les îles de la rade d’Hyères.

Le Champagne Delamotte brut blanc de blancs est très agréable à boire. Sa simplicité et sa clarté le rendent facile, porteur de plaisir. Babette avec sa sœur finissent de décortiquer un monceau d’araignées de mer qu’Yvan nous prépare en salade, simples, froides, avec une salade au jus de citron et quelques gousses d’ail confit. Ce plat est absolument délicieux. Dès que le saint-pierre cuit à 120° arrive dans sa simplicité sur la table, il est temps de passer au Champagne Salon 1996. La première gorgée démontre l’ampleur du saut gustatif et qualitatif entre les deux champagnes de la même maison. Et le Delamotte est un spectaculaire faire-valoir du Salon à la belle complexité. Je le trouve floral, fruité dans l’esprit des groseilles blanches, et d’une délicatesse assez inhabituelle pour le champagne Salon. C’est une merveille et le poisson blanc accompagne le breuvage divin avec harmonie. Pour ma fille et mon gendre, ce dîner a eu des parfums prometteurs de l’été et des vacances.

La salade d’araignée, dans sa pureté, avec des gousses d’ail

Le saint-pierre, c’est délicieux. Mais la tête n’est pas très belle !

mangues, avec une présentation très tropicale !

Le champagne Salon 1996 sous les sunlights, et dans une version tamisée, façon voyage au bout de la nuit

dîner au restaurant Matthias Dandine – photos vendredi, 1 mai 2009

La vue de la terrasse de l’hôtel des Roches, juste au dessus du restaurant (au fond, l’île du Levant)

amuse-bouche et homard bleu en fricassée, purée de fèves et ail nouveau, jus rouge et sucrine snackéee

Saint-pierre avec palourdes gratinées, fricassée de petits pois et fèvettes à la sarriette, sauté de seiche

Pièce de boeuf, ail confit, tapeno et olives, potimarron à l’huile d’olive, oignon paille confit croûte de parmesan

dessert fraises et rhubarbe

Troisième dessert et le Clos Mireille Domaine d’Ott en magnum 2005

Chateauneuf-du-Pape Domaine de la Janasse 1997 – Muntada Côtes du Roussillon Villages Domaine Gauby 2002

Château Vannières Bandol 1995

dîner au restaurant Matthias Dandine au Lavandou Aiguebelle vendredi, 1 mai 2009

Le soir au restaurant Matthias Dandine, j’ai le temps de féliciter le chef de son vin, car le comportement du vin lors du déjeuner a été sans faute. Le fidèle parmi les fidèles est venu avec des amis de la jeune quarantaine et nous commençons par un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1997. Ce champagne fort agréable et frais à boire me plait beaucoup plus que le dernier essai que j’en ai fait au même endroit. Est-ce que le climat marin le bonifie ? Sur de plaisants amuse-bouche, le champagne est à son aise, surtout sur un cromesquis à l’ail et un petit rouleau de sardine.

A table, nous prenons le menu intitulé « sur la Côte Varoise ». Mon ami commande un Clos Mireille Domaine d’Ott en magnum 2005. Le vin arrive trop froid et il faut de longues minutes avant qu’il ne révèle les réelles qualités qu’il possède, dont une mâche et un caractère charnu bien trempé. Le menu consiste en un homard bleu en fricassée, purée de fèves et ail nouveau, jus rouge et sucrine snackée, suivi d’un saint-pierre avec palourdes gratinées, fricassée de petits pois et févettes à la sarriette, sauté de seiche, puis d’une pièce de bœuf, ail confit, tapeno et olives, potimarron à l’huile d’olive, oignon paille confit croûte de parmesan.

Tout est exécuté de façon chaleureuse, et j’ai particulièrement apprécié la chair de bœuf. Le Clos Mireille est généreux, avec un final d’un beau panache. Le Chateauneuf-du-Pape Domaine de la Janasse 1997 est particulièrement plaisant et raffiné. Je l’adore sur le saint-pierre qui sait lui tirer des accents vibrants. Ce vin me plait beaucoup car il ne joue pas sur la force de son soleil mais joue d’un charme sécurisant.

J’ai beaucoup plus de mal avec le Muntada Côtes du Roussillon Villages Domaine Gauby 2002. Même si ce domaine a modéré ses ardeurs de naguère, je ne trouve pas assez de finesse. J’avoue que je pourrais être mauvais juge. Le plateau de fromages est bien composé et un Salers est divinement bon. Il anime un Château Vannières Bandol 1995 très convenable sans être ni tonitruant ni vraiment émouvant. Je l’apprécierais sans doute plus en une autre occasion.

Les desserts sont talentueux et l’un des convives insiste pour avoir un vin de plus. Ce sera un Champagne Gosset fort agréable à boire sur la terrasse, sous un ciel illuminé d’étoiles.

Matthias Dandine est toujours souriant et optimiste. Son équipe fidèle est très motivée avec un sens du service exemplaire. Par une des premières journées réellement belles dans cette région qui a souffert d’un hiver particulièrement arrosé, nous avons passé un excellent dîner.

deux beaux crustacés chez Yvan Roux vendredi, 1 mai 2009

Après avoir fréquenté six étoiles dans la même journée en déjeunant au restaurant Ledoyen et en dînant au restaurant Guy Savoy, il était urgent de faire une pause. Dans le sud, l’ordre du jour est au repos. Mais un ami fidèle ayant choisi la même destination me propose que nous dinions ensemble et j’accepte. A peine ai-je dit oui qu’un message arrive sur mon portable par lequel Yvan Roux m’annonce avoir reçu mes crustacés préférés. Ça ne se refuse pas.

Lorsque j’arrive pour déjeuner à la table d’hôtes d’Yvan Roux, deux cigales sont encore emballées dans un papier journal. Yvan prépare des beignets de calamar avec des violets.

Je m’assieds sur la terrasse et Yvan me dépose une assiette où un pesto va me permettre de faire trempette aux beignets de calamar. Peut-on imaginer goût plus franc et plus généreux ? J’ai apporté avec moi un Château Belle-Brise Pomerol 2002 que Matthias Dandine m’avait offert lors de ma précédente visite à son restaurant en me disant : « goûtez-le et donnez-moi votre avis ».

L’accord du pomerol avec les beignets se fait divinement bien. Ce pomerol très puriste est d’une définition très claire, et ce qui me séduit, c’est le final un peu rêche mais raffiné. Ce vin n’a pas l’ampleur des plus grands, année oblige aussi, mais il tient sa place à un niveau que je n’aurais pas soupçonné.

Yvan me sert la première cigale dont je saurai plus tard qu’il s’agit d’une femelle. En le goûtant, je repense à ce que disait Emma, sommelière à la Grande Cascade à propos du Bollinger Vieilles Vignes Françaises : « c’est un champagne d’initié ». Et la phrase qui s’impose est : « cette cigale a une chair d’initié ». Elle me fait l’effet d’être plus langouste que cigale, et je ne trouve ni la noix ni la noisette que l’on ressent dans la chair de la cigale. Babette me sert un verre de « R » de Rimauresq Côtes de Provence 2001 pour que je puisse comparer les sensations. Il est évident que le vin local est plus ensoleillé, mais il fait simple, et son final boisé s’accorde à la chair subtile beaucoup moins bien que le pomerol.

Le gratin d’aubergines à l’huile de noix, pignons et pesto est d’un goût juste et parfait, mais c’est un peu fort si l’on pense au vin. Vient maintenant le tour de la deuxième cigale, un mâle maintenant. La chair est dix fois plus excitante. Elle est moins typée, moins « initiée », plus doucereuse et incroyablement charmeuse. Comme la première, elle est servie pure, avec son jus de cuisson, sans aucune ajoute. Comme Yvan était venu aimablement me montrer comment manger la quasi-totalité de la tête de la première cigale, la tentation était grande de lui demander une nouvelle démonstration. J’ai préféré lui demander de me préparer la chair de la tête à sa façon, ce qu’il fit avec maîtrise, utilisant certains composants du gratin pour réaliser un mélange où la chair est mise en valeur. Le pomerol est à son aise et rend plus frustre le final du « R ». L’accompagnement de cœurs d’artichauts violets est très astucieux, car il modère et pondère la force de la cigale. Le pomerol s’est vraiment inscrit dans la continuité de la chair, ce qui constitue un test probant pour le Château Belle-Brise.

Après un dessert au chocolat et son sorbet au fruit de la passion, la sieste réparatrice avait un plaisir d’initié.

déjeuner à la table d’hôtes d’Yvan Roux – photos vendredi, 1 mai 2009

Les cigales encore dans leur emballage de papier journal. Yvan Roux fait frire des beignets de calamar avec de pets artichauts violets

La vue de ma table : à gauche l’Almanarre, e face la presqu’île de Giens

Une assiette artistiquement décorée de pesto, pour que j’y trempe calamars et artichauts

Château Belle-Brise Pomerol 2002

La première cigale est une femelle (à gauche, j’ai respecté la consigne "interdit d’en laisser")

La chair de la deuxième cigale est divine. A droite, sa présentation, comme avec des oreilles de lapin

Yvan a préparé la chair de la tête avec des condiments, de l’aubergine et du vinaigre de noix

Le dessert au chocolat et son sorbet au fruit de la passion

Quand on est assis avec cette vue, n’est-ce pas le bonheur ?

 

Les amis de l’ami de Marc Veyrat au restaurant Ledoyen mercredi, 29 avril 2009

Nous nous appelons les amis de Marc Veyrat. Il serait plus logique de nous baptiser : « les amis d’un ami de Marc Veyrat », car un seul d’entre nous, notre cornac dans l’univers merveilleux de Marc Veyrat, peut prétendre à ce titre. Il y a longtemps que nous ne sommes pas allés déjeuner ou dîner dans un restaurant de Marc Veyrat, du fait des restructurations et convalescences du Maître, aussi rendez-vous est-il pris au restaurant Ledoyen car nous apprécions tous la cuisine de Christian Le Squer.

Avec l’ami (le vrai), nous explorons tous deux la carte des vins où il est possible de dénicher de belles pioches. C’est à signaler. Il y a bien sûr comme partout des prix inaccessibles, mais d’autres sont convenables. Le Champagne Jacquessson non dosé 1988 à dégorgement tardif est un champagne qui a déjà pris un bel or. La bulle est active et le champagne combine élégamment une belle jeunesse et un début de maturité. Il est agréable, mais il manque quand même un peu d’une petite once de folie. Les amuse-bouche donnent un aperçu de la sensibilité culinaire du chef. J’aime beaucoup son art des suggestions et sa mise en valeur des saveurs marines.

Dès la première gorgée du « Y » d’Yquem 1985, nous savons que nous avons gagné le gros lot. Car ce vin est un miracle. Tout en lui est au faîte de la gloire. Le nez est opulent, généreux, évoquant la magie d’Yquem. En bouche le vin est évidemment sec mais il aime esquisser le mystère du botrytis dont il n’est pas atteint. Ce vin est immense. Et la variation sur le thème du mousseron le fait chanter plus encore. Nous sommes au septième ciel culinaire.

Hélas, trois fois hélas, nous pensions avoir fait une bonne pioche en commandant un Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1991, année que le « vrai ami » et moi adorons en Bourgogne, mais ce n’est pas ça. La couleur du rouge est assez grisée. Le nez est légèrement acide et le goût du vin est coincé, délavé. Le vin n’a aucune ampleur, aucune générosité. Alors bien sûr il se boit, bien sûr on reconnaît le travail bien fait. Mais on est loin du plaisir que nous attendions d’un vin d’un domaine que nous aimons.

Le pigeon traité comme un orientaliste peindrait un paysage, a la peau qui craquelle d’un doré de sérail. Les épices abondent et c’eût été un mauvais choix de plat avec un Clos de la Roche parfait, aussi savourons-nous le plat pour lui-même. On est loin du Le Squer défendant sa Bretagne dans ces recettes-là. Les dattes fourrées au citron parviennent à tirer deux ou trois mots du bourgogne bégayant.

Le Château Climens Barsac 1976 n’en parait que plus beau. D’une belle année de Sauternes et Barsac, ce vin opulent et chaud illumine nos sourires par sa richesse dorée. Le dessert où cohabitent le pamplemousse et l’écorce d’orange confite se marie au Barsac dans la consanguinité assumée.

J’avais écrit aux participants du dîner de ce soir : « surtout ne buvez pas de vin au déjeuner et ne mangez pas trop ». Quand j’ai quitté la table vers 16 heures, je mesurai avec effroi que j’allais remettre le couvert pour un dîner de onze vins. Mais je ne regrette pas ce déjeuner d’amitié dont le « Y » d’Yquem représente un bijou.

déjeuner au restaurant Ledoyen – 13 photos mercredi, 29 avril 2009

Le chic de Ledoyen, qui rappelle le chic de la période des Lejeune, où l’on dînait sur des nappes en dentelle avec des couverts en vermeil.

Cette photo doit vous donner envie de cliquer sur la suite, pour voir les douze autres.

Les quatre vins que nous avons partagés entre amis

Champagne Jacquesson 1988 non dosé et « Y » d’Yquem 1985

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1991

Château Climens Barsac 1976

apéritif et amuse-bouche

raviolis de mousserons et pigeon

Le sublime dessert parfait pour le Climens (surtout la peau d’orange caramélisée)

Grande Cascade – photos samedi, 25 avril 2009

Champagne Egly-Ouriet 2000

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992

amuse-bouche

lisette pochée aux condiments, gelée de crabe vert, rémoulade de céleri et raifort wasabi

pavé de cabillaud, grosse morille farcie aux légumes verts, avec une émulsion de chorizo (avant et après service de l’émulsion)

merveilleux dessert à la fraise et mignardises

 

Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992 au restaurant de la Grande Cascade samedi, 25 avril 2009

Il fait beau depuis dix jours à Paris. La météo nous annonce un samedi pluvieux. Spéculant sur une incertitude des professionnels de la prévision, nous réservons à déjeuner au restaurant de la Grande Cascade. Un de nos jeunes amis, ancien partenaire de squash, est entrepreneur. Il a investi à Tahiti il y a peu de temps et ses plans changent avec l’ampleur de la crise. Il est de passage à Paris. C’est l’occasion de l’inviter.

L’accueil dans cette bonbonnière Second Empire est toujours aussi chaleureux. Les météorologues ne se sont pas trompés mais cela ne changera rien à notre humeur joyeuse. Dans la carte des vins du restaurant, je commande deux champagnes.

Le premier est un Champagne Egly-Ouriet Brut 2000, issu de vieilles vignes d’Ambonnay. Le champagne est hélas trop froid, ce qui limite considérablement le plaisir. Dès la première gorgée, on sent qu’il s’agit d’un grand champagne. Il a été dégorgé en janvier 2008 et a donc connu un passage en cave de 78 mois. Extrêmement typé et vineux, il est fortement imprégnant et jamais je ne me départirai de la gêne que sa bulle me cause. Elle est tellement lourde et pénétrante qu’elle darde la langue comme le croc d’une vipère. Quand je m’en ouvre à Emma, charmante sommelière et de plus compétente, elle me dit qu’elle avait hésité à nous proposer de carafer ce champagne. C’eût été une bonne initiative. Un petit amuse-bouche à base de homard prépare bien le palais, suivi d’une petite croquette de cabillaud et un jus d’asperge au lait d’amande. A chaque saveur le champagne répond présent. Puissant, multiforme, il est à son aise. Mais la lourde bulle m’obsède toujours.

Dans le menu suggéré dont le prix est très doux, j’ai choisi la lisette pochée aux condiments, gelée de crabe vert, rémoulade de céleri et raifort wasabi. Le plat est délicieux, et la lisette est délicieusement adaptée au champagne dont la robe est déjà ambrée d’un or guerrier.

Le deuxième champagne est une pépite, une rareté, une légende, c’est le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992. C’est un blanc de noirs. Emma m’annonce que c’est la dernière de la cave du restaurant. Je lui ai servi un verre, car il ne faut pas laisser passer de telles occasions. Le champagne avait été ouvert en même temps que l’Egly-Ouriet aussi a-t-il eu le temps de se réchauffer. Là aussi, la première gorgée est déterminante. L’image qui me vient instantanément est celle d’un « glockenspiel », d’un carillon qui fait sonner une multitude de petites clochettes. Car ce champagne est d’une complexité infinie. Sa bulle est extrêmement fine, et son goût est merveilleux. Ce vin d’une parcelle minuscule provient de deux vignes de pinot noir non greffées et non touchées par le phylloxéra, cultivées en foule comme on le faisait jadis, selon une technique de développement de la vigne par provignage et assiselage qui donne une impression de joyeux désordre mais répond à un usage séculaire de reproduction de la vigne en s’affranchissant de la linéarité. C’est assez intéressant puisqu’il s’agit de vignes pré-phylloxériques, ce qui est rare, mais quelle est l’influence sur le goût, je ne le sais pas. C’est un champagne d’esthète qui ne se livre pas facilement, car il faut un dictionnaire gustatif pour savoir le lire. J’ai choisi un pavé de cabillaud, grosse morille farcie aux légumes verts, avec une émulsion de chorizo. J’ai pris la précaution de faire déposer l’émulsion à part, pour tenter l’accord du champagne avec la chair seule. Et c’est absolument divin. Le champagne est noble, prenant des notes de fleurs et de fruits blancs comme la chair du goûteux poisson. L’accord avec l’émulsion fonctionne aussi, mais la virilité du chorizo correspond peu au pianotage discret du champagne subtil. La confrontation est malgré tout excitante. Le dessert est à base de fraise gariguette, comme un fraisier à la pistache. Ces saveurs tirent aussi des accents charmants du champagne à la longueur inextinguible. J’avais gardé un verre du précédent champagne. Il a perdu de sa bulle et il devient charmant, floral, printanier, et beaucoup plus amène. Il n’a pas la complexité du Bollinger qui continue à distiller sa palette de saveurs. Les deux champagnes sont brillants. Je suis heureux d’avoir eu accès à ces champagnes grâce à la politique tarifaire intelligente pratiquée par la Grande Cascade. Il pleuvait légèrement sur le beau jardin printanier. Mais sur des plats bien exécutés, dans une ambiance agréable, ces vins rares ont mis du soleil dans nos cœurs.

repas de famille restaurant Astrance jeudi, 23 avril 2009

De longue date, un repas de famille est prévu au restaurant Astrance. Nous serons huit dont mes trois enfants et leurs conjoints, ma femme et moi. J’ai envie de programmer des vins des années de naissance de chacun. Mon fils est de 1969. Il y aura un Champagne Besserat de Bellefon 1969. Mon gendre est de 1970. Il y aura un Champagne Dom Pérignon 1970. Mon autre gendre est de 1966. Il y aura Château Palmer 1966. Ma fille aînée est de 1967. Il y aura un Chambolle-Musigny Bouchard Père & Fils 1967. Ma fille cadette est de 1974. Il y aura La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1974. Mais ma fille est enceinte. Alors ce sera un magnum ! Je suis de 1943 (mille fois hélas). Il y aura un Château La Mission Haut-Brion 1943. Ma femme est de XXXX. Alors, il y aura un Clos Haut-Peyraguey qui a eu la délicatesse d’effacer son millésime.

Ma bru (quel affreux mot pour ma belle-fille) est de 1966. Ce sera Château d’Yquem 1966. Mais j’apprends que ma bru ne sera pas là. Quel dommage qu’elle ne puisse venir. Le vin ne sera pas ‘bru’.

Christophe Rohat m’a demandé de ne venir qu’à 18h30, car tout le monde prend une pause entre les deux services. A l’heure dite, j’entre par une porte dérobée du côté de la minuscule cuisine qui bourdonne pour préparer les plats du dîner. Et je suis déjà en place quand arrive Pascal Barbot toujours aussi souriant. Je profite de sa présence pour lui faire sentir les bouteilles que j’ouvre ce qui permet de composer le menu ensemble. Le Palmer 1966 a une odeur prometteuse. La Tâche 1974 combine assez bien salinité et fruits rouges. La Mission Haut-Brion 1943 a une odeur un peu fanée mais on sent que le retour en vie sera rapide et que la puissance sera au rendez-vous. En ouvrant la bouteille je découvre l’année du sauternes qui est 1959, une grande année. Deux bouteilles ne seront pas ouvertes, celle de 1967 et l’Yquem 1966. J’ai le temps de me promener dans les rues avoisinantes par un printemps ensoleillé qui fait percer les boutons des fleurs. Les cônes de fleurs blanches tachées de rouge des marronniers pointent vers le ciel, formant des chandeliers qui célébrent le sacre de cette belle saison.

Le menu composé par Pascal Barbot est le suivant : parmesan crémeux, thym / brioche tiède, beurre au romarin et citron / foie gras mariné au verjus, galette de champignons de Paris, pâte de citron confit / langoustine pochée, pâte d’algue Kombu, condiment langoustine / rouget au naturel, feuille d’arroche, pok, chaï, crème d’anchois, sardine et anchois fumé / carré de veau de lait, fondue de parmesan, tomme d’Auvergne gratinée, morilles cuisinées, jus de viande / épaule de cochon de lait, premiers petits pois au chorizo / pigeon de Sologne cuit au sautoir, condiment griottes-amandes, chou nouveau / vacherin glacé au miel-orange, crème au beurre au thé vert / mangue caramélisée, tuile aux fruits de la passion / madeleines au miel de châtaignier / capuccino amande / lait de poule au jasmin. C’est un festival de saveurs qui nous a émerveillés.

Nous commençons par le Champagne Besserat de Bellefon 1969. La couleur est délicatement ambrée, la bulle est active. Le goût de ce champagne est merveilleusement multiforme et à chaque seconde on découvre une nouvelle saveur. On ne se lasse pas de ce Fregoli. Je le trouve un peu amer sur la première gorgée mais tout le monde réfute cette impression et le parmesan remet les choses en place. Sur la brioche le champagne s’épanouit encore et le sommelier Alexandre est ébloui par sa richesse. Je ne cesse de dire à quel point les champagnes anciens sont d’une créativité gastronomique exemplaire.

Le compagnon de ma fille aînée venant pour la première fois en ce lieu, je lui vante à l’avance la mâche spectaculaire du plat phare de ce restaurant, le foie gras au champignon de Paris. Hélas, dès la première morsure dans ce beau gâteau, je constate que Pascal Barbot innove et intercale de fines tranches de pomme verte, qui enlèvent complètement la sensation « Pullman » de la mâche de ce plat délicieux. Je m’en ouvrirai à Christophe d’abord, puis en fin de repas à Pascal Barbot qui constate que cette innovation a plus de partisans que d’opposants dont je fais partie. Ce plat est bon bien sûr, mais je ne retrouve plus la jouissance de mordre avec confort dans ce délicat gâteau. Le Champagne Dom Pérignon 1970 est brillant. Son aîné d’un an que nous venons de finir faisait « vieux champagne », alors que celui-ci respire la jeunesse. Sa couleur est encore d’un jaune pâle, la bulle est incroyablement fine, et son goût est racé. C’est fou comme il est confortable. La petite crème au citron excite le champagne avec un bonheur d’esthète. Nous serions bien incapables de dire quel champagne nous préférons tant ils sont différents.

Lorsque Pascal Barbot m’avait proposé de mettre des langoustines dans le menu, alors que je n’avais prévu aucun vin blanc sec, il fallait du courage pour dire oui. J’ai répondu : « oui, mais pures ». Et le plat qui nous est servi est exactement ce que j’aime : la langoustine est pure, divinement cuite, et à côté, il y a deux petites crèmes, l’une à l’algue et l’autre au contenu broyé de la tête de langoustine. C’est mon rêve de gastronomie. Sur ce plat le Château Palmer 1966 se présente sous une étiquette blanche, comme le négatif de l’étiquette noire habituelle. C’est l’étiquette de Mähler-Besse, distributeur et actionnaire de ce château à l’époque. La robe du vin est d’un rouge rubis fou de jeunesse. Le nez est pur, dense, poivré. En bouche, le vin est spectaculaire. Mon souvenir de ce vin ne se situait pas du tout à ce niveau de perfection. Combiner langoustine et Palmer demande une acclimatation, mais j’adore. Et c’est avec la crème faite avec la tête que l’accord est absolument divin. Ce Palmer 1966 est vraiment une réussite totale.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti en magnum 1974 va accompagner trois plats de viande. Enfin, un poisson et deux viandes. Le sommelier Alexandre est né en 1974 ce qui, on le comprendra, joue dans son appréciation du vin, qu’il trouve merveilleux. Il nous fait part de sa divine surprise. Le vin est délicat, velouté, charmeur, et autour de moi, je sens qu’on apprécie. Mais je le trouve quand même un peu fatigué, comme essoufflé. Mais c’est un vin du Domaine, aussi sait-il bien se tenir. Là aussi, oser un rouget sur La Tâche, il faut le faire, et cela se justifie. L’anchois fumé étant en toute petite portion, j’ai apprécié l’accord fugace qui s’est créé sur cette bouchée hasardeuse. Il faut savoir oser. Ce plat ne réservait que de bonnes surprises pour se marier au vin bourguignon.

Sur le carré de veau de lait, on retrouve des accords gastronomiquement corrects et le vin développe son caractère velouté. L’accord ne se fait pas avec le cochon de lait, alors que c’est la viande de cochon que j’avais suggérée au moment du débouchage des vins, et c’est à cause du chorizo, trop fort pour respecter la finesse du vin de Bourgogne.

Le pigeon est d’un charme absolu. Cette cuisine en suggestion, en douceur, est celle qui a mes préférences. Et le Château La Mission Haut-Brion 1943 est d’une divine bonté. La couleur est encore très jeune, le nez est noble et la densité du vin est remarquable. Ce vin est racé, riche, avec un velouté qui ne masque pas la solide structure. Ce vin est une leçon et rejoint le peloton de tête des Bordeaux de 1943 que j’ai aimés. C’est à dessein que j’avais séparé les deux bordeaux par le bourgogne, pour que l’on n’ait point la tentation de les comparer. Mais c’est aussi parce que ce vin, le plus fort des trois rouges, serait le meilleur compagnon de la chair de pigeon. Accord sublime, vin resplendissant, tout nous était bonheur.

Le Clos Haut-Peyraguey Sauternes 1959, dont l’année a été révélée à l’ouverture, est d’un or légèrement rose, qui se rapproche comme par mimétisme du vieux rose de la jolie capsule. Le nez est délicieux, de mangue, de poivre et de pomelos. En bouche,  c’est un sauternes charmeur, séduisant et subtil. Il n’a pas la puissance des plus grands des sauternes mais il est particulièrement plaisant. Dans un petit panier d’œufs en papier mâché, les œufs de poule sont arrivés avec l’un d’entre eux ayant une bougie à la place du lait. Il me fallut la souffler puisque c’était mon anniversaire. Nous avons discuté fort tard, dans une ambiance familiale joyeuse et heureuse.

Nous n’avons pas classé les vins et ce serait bien difficile. Trois vins me semblent ressortir du lot, la Mission Haut-Brion 1943, le Palmer 1966 et le Dom Pérignon 1970. Mais c’est bien injuste car le Besserat de Bellefon 1969 et La Tâche 1974, deux vins qui ont impressionné Alexandre, étaient aussi brillants. Alors, ne classons rien et applaudissons une cuisine  légère et sensible qui correspond à mes désirs et mes attentes, pour des combinaisons attendues ou osées, mais desquelles on apprend chaque fois quelque chose. Ce fut un beau repas familial.