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dîner d’amateurs au restaurant de Michel Troisgros vendredi, 2 mai 2008

Nous sommes un petit groupe d’amis qui s’est formé car nous écrivons et dialoguons sur un forum où l’on parle de vins. Pour notre première rencontre, nous avions décidé de déjeuner à Jongieux dans le restaurant d’un jeune chef prometteur qui a eu depuis sa première étoile. L’un des membres de ce petit groupe vivant à Roanne et ayant une relation amicale avec la famille Troisgros, il était naturel de fixer un rendez-vous au restaurant de l’hôtel Troisgros. La générosité étant une caractéristique de ce petit groupe, nous arrivons tous avec une profusion de vins. Il est prévu que le lendemain nous dînerons chez notre ami Raymond sur la cuisine de Jean-Philippe Durand, ce cuisinier amateur qui a tant de talent. Il nous faut donc répartir les vins sur deux jours, et essayer de coller aux plats de Michel Troisgros dont ce lait caillé à la truffe noire qui nous intrigue. Nous choisissons après avoir écouté les explications du chef et j’ouvre les bouteilles dans la jolie cave du restaurant.

Je remonte dans ma chambre spacieuse, à la décoration japonisante et aux mille attentions pour l’hôte de passage. Le thé que l’on m’a offert est extraordinaire de sophistication. Lisant que c’est une composition de Marie-Pierre Troisgros, je l’en félicite. A l’heure dite, nous nous retrouvons dans le hall d’entrée puis dans la cave pour un apéritif avec Pierre Troisgros toujours aussi aimable et accueillant, riche d’une histoire de la gastronomie qu’il aura marquée. Il nous raconte par quel hasard la gare a décidé de colorier ses murs en vert et orange, en référence au légendaire saumon à l’oseille. Le Champagne Krug Grande Cuvée est assez acide, mais c’est parce qu’il est froid. Il s’anime sur la myriade de petits canapés délicats qui nous sont offerts en cave. Pierre ne restera pas à notre table car sa femme est souffrante. Nous sommes sept, deux amis suisses, les deux roannais, un amateur de Chambéry, Jean-Philippe et moi.

Le menu composé par Michel Troisgros et adapté en fonction des considérations échangées en cave est le suivant : couteau en gelée, pommes et basilic / cuisses de grenouilles poêlées, au satay, chou-fleur croquant / lait caillé à la truffe noire / coquilles Saint-Jacques « colle à la dent » au poivre « sichuan » / fricassée de homard au curry / foie gras de canard poêlé aux cèpes / long bec en salmis / fromages frais et affinés / le grand dessert. Je voudrais faire à ce sujet un parallèle avec le vin. J’entends souvent des amateurs dire : « j’aime les vins dont j’apprécie le vigneron. Le fait de les connaître me les rend meilleurs ». La transposition est ici évidente. Ayant eu la chance de partager un dîner informel avec Marie-Pierre et Michel, j’ai pu les apprécier dans une ambiance où tout portait à l’amitié. Ressentir dans chaque plat la personnalité de Michel a accru mon plaisir. C’est d’un niveau exceptionnel.

Une anecdote qui m’enchante : lorsque nous mangeons les coquilles Saint-Jacques je dis que ce qui me gêne, c’est que le plat colle aux dents. Le maître d’hôtel à l’oreille fine prend le menu et me fait lire l’intitulé du plat : «coquilles Saint-Jacques « colle à la dent » au poivre « sichuan ». J’adore. Parce que bien sûr, si c’est la volonté du chef, je la respecte.  

Le Champagne Krug 1995 nous fait connaître un saut qualitatif spectaculaire par rapport à la Grande Cuvée. Il faut dire que la température est parfaite. Mais le vin est aussi propulsé par la gelée de pomme et basilic. L’accord est d’une finesse confondante. J’en jouis bouchée après bouchée et gorgée après gorgée, l’acidité de la pomme verte faisant frétiller le champagne.

Jean Philippe ayant apporté deux années du même vin, 1990 et 1984, nous optons pour le Château Laville Haut-Brion blanc 1984 qui sera beaucoup plus adapté aux cuisses de grenouilles revêtues de fines lamelles de chou-fleur. Le vin a du caractère, tout-à-fait dans la lignée des Laville Haut-Brion, mais il lui manque un peu de coffre et de longueur, ce que nous supposions. La cohabitation avec le plat est polie, ce qui veut dire que cela fonctionne, sans qu’aucun des deux partenaires n’y gagne quoi que ce soit.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1990 séduit déjà par son flacon très élégant. Dans le verre, cette couleur rose saumonée est une invitation à la luxure. Et sur le lait caillé, étrange et délicieux, nous sommes embarqués dans un monde inexploré. J’adore la confrontation du plat et du vin dont aucun ne ressort indemne. Il y a une interpénétration redoutable. Nous discutons avec Alain de la transformation que subit le champagne. Point n’est besoin de savoir ce qu’il vaudrait intrinsèquement car ce dont il faut jouir, c’est de sa transformation dans un accord étrange, rare, important.

Comme je l’imaginais, l’Hermitage blanc Domaine Jean Louis Chave 2001 ne me convient pas. Ce vin anguleux, multiforme, sera dix fois plus agréable à mon palais quand l’âge aura calmé sa fougue folle. Je suis infiniment plus sensible au Château Rayas, Chateauneuf-du-Pape blanc 1999 qui est, malgré sa puissance, beaucoup plus aérien. Je reconnais que c’est une question de goût personnel. J’essaie sur le homard une goutte du Fargues 1971 que j’ai apporté, mais le vin écrase le plat de sa puissance. Je n’insiste pas, car son entrée en scène est prévue plus tard.

Je ne sais pas où me mettre. Je me cacherais volontiers sous ma serviette de table, car le Château Ausone 1978 que j’ai apporté a une odeur exécrable. C’est là que l’on reconnaît les amis, car chacun essaie de trouver quelque chose de vivant dans ce cadavre. Bien que n’étant pas responsable, je me sens honteux de cet accident. Au moment où j’écris ces lignes, Christian Vermorel, le très sympathique sommelier, me dit que l’Ausone, le lendemain matin, sent bon, sans odeur de bouchon, ce qui montre qu’il n’est pas bouchonné et qu’il est bon. Je vais garder les quelques gouttes qui restent pour en convaincre mes amis.

Revenons au diner. On sert donc plus vite que prévu la Côte Rôtie Les Jumelles Paul Jaboulet Aîné 1979 qui apparaît sur le délicieux foie gras à la chair goûteuse comme le plus tentant des bonbons. Comme pour le homard, les accords se font, mais sans que l’épine dorsale n’en frissonne. Je lance l’idée qui me vient du caractère bourguignon de cette Côte Rôtie à la salinité et au charme énigmatique des bourgognes évolués. Et j’indique : vous allez voir la similitude avec la Romanée Saint-Vivant domaine Marey-Monge, vinifié par le Domaine de la Romanée Conti 1972.

Bingo ! Les senteurs sont identiques, et le cousinage en bouche est marquant. Bien sûr, la Romanée Saint-Vivant a une plus grande subtilité et une profondeur inégalable. Sur le volatile à la chair impressionnante, nous nageons dans le bonheur tant les perfections gustatives s’accouplent. Quel grand moment !

Les gourmands prennent du fromage et quand je vois le persillé du beaujolais, fromage de vache à la salinité discrète, je demande à Christian de me verser une goutte du Château de Fargues 1971. C’est tellement prodigieux que « j’impose » cet exercice à toute la table, au sommelier et au maître d’hôtel. C’est un accord d’anthologie.

Le Fargues a tout pour lui. C’en est presque insolent et Raymond comprend mieux pourquoi j’affiche cet amour des sauternes, non pas parce que ma bouche serait sensible aux goûts sucrés, mais parce que ces vins sont parfaits. Les trois petits desserts mis au point par Michel Troisgros pour le Fargues ont été de gentils compagnons, sans créer l’émotion qu’a suscitée le bleu.

Nous avons eu l’immense chance que Michel soit venu très souvent nous expliquer ses plats et nous parler de cuisine avec un amour et un engagement, qui en font un personnage attachant au plus haut point. Cette approche humaine sereine nous a touchés.  

J’ai fait mon classement des vins de ce soir, avec en premier Fargues 1971, si riche, si grand, puis Krug 1995, Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972 et le Dom Ruinart rosé 1990. Ce choix, à des variantes minimes, pourrait être le vote commun. L’accord le plus excitant est celui du Krug 1995 avec la gelée des couteaux. L’accord le plus énigmatique est celui créé par le lait caillé à la truffe, qui nous a fait voyager dans l’inconnu.

Lorsque j’étais entré dans ma chambre quelques heures avant le dîner, je me rendis compte que je n’étais pas seul. Une grosse mouche noire occupait l’espace aérien et je pus me rendre compte de l’angoisse de mes aïeux pendant la guerre, lors des alertes aériennes. Ayant mis la climatisation pendant la nuit, je pus connaître un sommeil sous une trêve des hostilités. A peine le plateau du petit déjeuner fut-il posé dans ma chambre, voilà ma Luftwaffe personnelle qui vient instantanément se poser sur tous les délicieux canapés et les tartines alléchantes. La gourmandise est un vilain défaut qui fut fatal à l’insecte. Je rendis un hommage discret mais sincère à cet animal ailé qui avait si bon goût, car les confitures, crèmes et marmelades sont d’un raffinement exceptionnel. N’ayant plus la crainte de devoir partager, ce petit déjeuner fut divin, confortant l’impression d’excellence absolue de ce temple de la gastronomie.

Je considère que Michel Troisgros invente un monde de saveurs d’un raffinement rare et d’une ouverture gustative élargissant les zones de plaisir et d’intérêt. Il y a une recherche qui me passionne, d’autant que tous les goûts, même surprenants, sont étonnamment lisibles. Nos vins ont contribué à rendre un hommage à sa cuisine unique dont je suis tombé amoureux.

dîner chez Troisgros – le repas vendredi, 2 mai 2008

La jolie table.

Couteau en gelée, pommes et basilic

Cuisses de grenouilles poêlées, au satay, chou-fleur croquant

Lait caillé à la truffe noire avant et après la coupure au couteau

Coquilles Saint-Jacques « colle à la dent » au poivre « sichuan » (c’est écrit que ça colle aux dents !)

Fricassée de homard au curry

Foie gras de canard poêlé aux cèpes

Long bec en salmis

Fromages frais et affinés

Le grand dessert.

Mon petit déjeuner avec de succulents petits pots.

chez Troisgros – les vins vendredi, 2 mai 2008

Champagne Krug 1995

Château Laville Haut-Brion blanc 1984

Champagne Dom Ruinart rosé 1990

Hermitage blanc Domaine Jean Louis Chave 2001

Château Rayas, Chateauneuf-du-Pape blanc 1999

Château Ausone 1978

Côte Rôtie Les Jumelles Paul Jaboulet Aîné 1979

Romanée Saint-Vivant domaine Marey-Monge, vinifié par le Domaine de la Romanée Conti 1972.

Château de Fargues 1971.

Le tableau final.

des vins assez étonnants chez mon fils jeudi, 1 mai 2008

Je vais déjeuner chez mon fils. Il y a dans ma cave une zone de bouteilles à boire, dont le niveau a dangereusement baissé. Je prends un Richebourg Domaines G. Renaudot(j’imagine, car il y a un gros trou dans l’étiquette), d’une année inconnue mais que je situe autour de 1959 ou avant. Je prends dans d’autres secteurs de la cave un Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Forgeot Père & Fils 1984 et un Ruster Trockenbeerenauslese 1994 autrichien.

Mon fils ouvre un champagne Henriot 1998. C’est un vin de soif qui coule en bouche avec un goût de revenez-y presque aussi pressant que les chocolats Lindor, drogue addictive.

Nous passons à table et le Richebourg Domaines G. Renaudot vers 1959 a une sale couleur. Son  odeur est de viande en état d’évolution avancé. En bouche, on ne peut pas dire que c’est totalement mauvais, mais c’est quand même mort. Je m’amuse à faire comme le météorologue de village qui prédit que si demain il ne pleut pas, il pourrait faire beau et je dis que s’il ne s’effondre pas dans les heures à venir, il pourrait devenir buvable. Mais la chance est faible.

En revanche, sur un bar en papillotte, le Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Forgeot Père & Fils 1984 nous surprend par sa qualité. Je ne connais pas Forgeot, et je sais que 1984 n’est pas une année à miracles. Or ce vin plait à nos papilles par la précision de sa définition, jointe à une joie de vivre évidente. Nous en profitons largement. Le Ruster Trockenbeerenauslese 1994 autrichien Prädikatswein est d’une couleur ambrée comme du thé fort. C’est étonnant pour un vin jeune qui titre 12° et annonce 162 g de sucre résiduel. Il est de Hügelland ce qui pourrait en faire un lointain cousin des Hugel, n’était le tréma. Il est extrêmement goûteux et expressif, sans aucun excès que l’on trouve dans des vins trop sucré. Il ne se marie pas à la tarte Tatin. Il faut le boire seul, avec bonheur. La belle surprise est celle d’un Clos de Bèze inconnu d’une petite année qui arrive à briller autant.

 

 

lendemain du 100ème aux Crayères – déjeuner vendredi, 25 avril 2008

Le lendemain du 100ème dîner, dans la cour du château de Saran, les embrassades sont longues, ainsi que les promesses de recommencer. Un des plus fous de notre bande a réservé pour ce soir trois chambres à l’hôtel les Crayères à Reims. Nous partons en petit convoi avec une lenteur qu’explique la fatigue de la veille. Nous prenons possession de nos chambres dans ce petit château. La décoration évoque un peu ce qu’auraient pu être certaines maisons « non ouvertes » d’il y a un siècle. Nous hésitons à aller déjeuner au restaurant et, sans l’avoir vraiment voulu, nous voilà assis à une table. Les plus mâles d’entre nous disent : « repas à l’eau ». Cela s’appelle planter le décor. Puis Satan intervient avec un perfide : « il faut quand même un peu de champagne pour nous éclaircir le gosier ». Suivi d’un : « on ne prendra qu’une seule bouteille ». On me demande de choisir sur la merveilleuse carte des champagnes et c’est un Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 qui atterrit sur notre table. Quel champagne ! Ce qui impressionne, c’est sa sûreté. Il affiche une personnalité affirmée, investit le palais d’un discours fort. C’est très grand. C’est la force tranquille qui s’impose. La cuisine de Didier Elena est assez surprenante. Voulant déjeuner léger, j’ai demandé des asperges. Mais mon assiette ressemble à un inventaire à la Prévert. Il y a un œuf mollet, des calamars, une huître, des petits légumes, et sur une petite assiette additionnelle, un pot de yaourt rempli de lait caillé. Et l’asperge ? Ah oui, en creusant tel le mineur de fond, on trouve un tapis de petites asperges pressées au point d’en devenir carrées. Où est la cohérence ? Je ne l’ai pas vue. L’heure est à la sieste, car le véritable repas est ce soir.

lendemain du 100ème aux Crayères – dîner vendredi, 25 avril 2008

A l’heure dite, deux amis fidèles qui avaient assisté au centième repas et leurs épouses, ainsi que le fils de l’un des couples se retrouvent au bar de cette belle maison.

J’avais repéré sur la carte un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1980 d’une année qui normalement n’inspirerait pas beaucoup d’amateurs, mais que j’avais adorée lorsque je suis allé visiter le champagne Philipponnat. Ce champagne dégorgé en février 2006 me donne un coup de poing au cœur dès la première gorgée. Le nez est splendide, mais c’est surtout un miel chatoyant qui conquiert mon esprit. Le Winston Churchill avait la classe. Le Clos de Goisses a un charme à succomber. C’est immense.

Nous avons pris un menu dégustation qui est normalement prévu pour s’associer aux vins de la maison Moët & Chandon. Comme nous avons été immergés dans des délices incommensurables de cette maison, nous choisissons de ne pas écorner l’irréalité de notre expérience par des champagnes trop récents. Lorsqu’il s’agit de choisir les vins, le jeune sommelier extrêmement sympathique qui avait lu les intitulés de quelques dîners que j’ai organisés faillit tomber par terre quand je lui dis que nous ne chercherons pas des accords mets et vins. C’est un petit peu comme si Zidane disait à un de ses fans qu’il n’aime pas le football. La raison que je n’ai pas commentée outre mesure, c’est que l’on sent que la cuisine de Didier Elena est autiste. Il ne sera pas possible dans le foisonnement de saveurs contraires de faire surgir des accords. Alors faisons vivre les plats et les vins chacun dans leur monde.

La lecture du menu est éclairante pour justifier mon pessimisme : foie gras de canard aux champignons blancs et amandes, truffes noires et vin d’orange / lard fermier du pays basque à la broche, calamars farcis d’herbes, praire, poulpe, et haricots blancs cuisinés ensemble / homard bleu au beurre de crustacés, macaroni gratinés et coquillages, sucs de tomates truffés / bar de ligne, oursin, citron-fenouil au goût légèrement aillé / veau de lait en fines escalopes roulées dans une concassée de noix, asperges vertes, sabayon de Macvin et vieux gouda / fromages (préférés au dessert à la pomme qui n’irait pas avec mon vin) / pamplemousse rose en amertume, douceur d’un biscuit rose de Reims. On comprend à ces intitulés pourquoi je n’ai pas cherché à concilier l’inconciliable.

Le Champagne Alfred Gratien Brut Cuvée Paradis n’arrive pas du tout à se positionner après le génial Clos des Goisses 1980. Quand nous avions passé la commande, nous ne pensions pas boire autant. Il était évident qu’il eut fallu inverser l’ordre des champagnes, car cet Alfred Gratien est trop désavantagé. Un certain manque d’imagination apparaît dans ce contexte, alors que nous aurions sans doute aimé ce champagne s’il avait débuté.

Le Meursault les Rougeots J.F. Coche Dury 2001 est un hymne à la joie. Le tuner est mis sur le volume maximum. Il y a la joie de vivre, la puissance et l’explosion aromatique d’un vin riche et tout fou. J’adore ce vin totalement sans complexe.

Rien dans le menu ne pouvait justifier que nous buvions un Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2001. Seules l’opportunité et l’envie ont commandé ce choix. Quelle grâce, quelle finesse se montrent à nos papilles conquises. Bien sûr c’est jeune. Mais la jeunesse a aussi du charme du fait de la naïve exposition de tous ses trésors gustatifs, sans chercher à les ordonner. Vin de charme, de plaisir, il est d’une immense séduction.

J’avais apporté au château de Saran quatre bouteilles supplémentaires, « pour le cas où ». Aucune n’ayant été nécessaire, compte tenu de l’amitié qui me lie à ces deux amateurs, j’ai décidé de leur offrir ce vin dit « de réserve », Château d’Yquem 1959. Le vin est d’origine, jamais rebouché et d’un niveau parfait. La couleur est d’un orange ambré soutenu. Le parfum est renversant et l’un de mes deux amis se pâme. Il considère que c’est l’un de ses plus grands Yquem. Je lui fais remarquer que ce 1959 sublime est quand même nettement surpassé par le 1904 de la veille, mais je n’insiste pas trop, car je sens que mon ami vit une extase. Cet Yquem aux tons de pamplemousse, d’un charme totalement équilibré est d’une race absolue. C’est la définition du grand Yquem quand il a cinquante ans alors qu’hier c’était la perfection de l’Yquem centenaire. Il va sans dire que ce vin surpasse les vins de ce dîner. Nous n’avons pas voté, car ce n’était pas l’endroit, mais les deux plus beaux de ce soir sont l’Yquem 1959, de très loin, que je ferais suivre du Clos des Goisses 1980.

Le matin au réveil je lis l’article de François Simon qui critique le choix qui a été fait des cinquante plus grands restaurants de la planète par une revue anglaise. J’aime la pertinence des remarques parfois acerbes, et je les confronte à mon impression sur la cuisine de Didier Elena.

La première remarque concerne la générosité. Je trouve absolument anormal que les deux tiers de la charge calorique du repas viennent d’éléments que l’on n’a pas commandés. Une jeune fille absolument charmante vient en début de repas nous proposer une dizaine de pains différents. On les prend comme on se choisirait des macarons, et en y ajoutant un peu de beurre, on est déjà saturé avant même que n’arrive le premier plat. La seconde remarque concerne le patchwork gustatif de tous les plats. Le palais est perdu au milieu de ces compositions hétéroclites. Ce chef a sans doute du talent. Mais je crois qu’une certaine forme de restauration excessive se doit d’être déclarée obsolète. Je souhaite malgré ces remarques beaucoup de succès à ce chef qui est un peu l’enfant chéri des critiques.

Notre jeune sommelier a été parfait. Le service est irréprochable. Le petit déjeuner du lendemain est délicat, ce qui est bon baromètre pour juger d’un hôtel. La chambre est spacieuse, le soleil nous a permis de profiter du parc. Ce prolongement du centième dîner dans une chaude amitié fut un grand moment.

séjour aux Crayères – les photos vendredi, 25 avril 2008

Un champagne rare : Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996

 

Voici les deux composantes du plat qui s’appelle "asperges". Bien sûr on ne demande pas un plat nu. Mais cette variété invraisemblable n’est pas nécessaire. Pourquoi ce pot de lait caillé ?

 

C’est le velouté de morilles, gentiment ajouté par le chef, qui est le plat le plus cohérent et compatible avec un vin.

Nous sommes maintenant à l’heure du diner :

 

Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1980, champagne exceptionnel.

Très joli foie gras et champagne Alfred Gratien cuvée Paradis.

Deux plats très goûteux, le lard et le homard.

 

Meursault les Rougeots JF Coche Dury 2001

 

Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2001

 

"Avant et après". Une cuisson excessive de la viande a rendu le plat très sec à cause de l’enrobage de noix qui rend le goût très astringent.

 

J’ai eu l’idée de photographier les pokémons du fils de mon ami, mais on m’a urgemment demandé d’ajouter le bout de ma cravate pour le photo. Plus sérieusement, la couleur de ce Chateau d’Yquem 1959 est divine.

 Le dessert est très adapté à l’Yquem, surtout la peau d’orange confite.

 

Il fait beau !

 

Jaune et rouge, des couleurs polytechniciennes !

 Le très joli hôtel, d’un grand confort.

dîner au restaurant de l’hôtel Crillon samedi, 19 avril 2008

De retour à Paris, je vais rejoindre ma fille cadette et son mari qui ont retenu une table au restaurant de l’hôtel Crillon. Nous sommes trois car ma femme est dans le sud. Mon gendre indique qu’il m’invite et saisit la carte des vins. Je pousse un « oh ! » d’admiration quand arrive un champagne Krug Clos du Mesnil 1990. Car il est difficile de chasser avec un plus gros calibre. Le champagne est purement exceptionnel. Nettement supérieur au 1983 bu la veille au Domaine de Chevalier, il a une classe, une race, une complexité qui en font la perfection absolue du champagne. Il va s’épanouir tout au long de la soirée et développer une myriade de saveurs plus raffinées les une que les autres. Il combine une grande jeunesse malgré ses presque dix-huit ans, et l’aplomb décontracté du héros à qui tout sourit. Les saveurs délicates des amuse-bouche se marient parfaitement au Krug, même un original jus de betterave, et un cromesqui de brandade de morue.

Nous passons commande de nos plats, et avec une gentillesse  charmante, le maître d’hôtel a fait rajouter une entrée, une langoustine associée à des saveurs complexes et du caviar qui fait chanter le Clos du Mesnil. Il a voulu nous faire croire que c’était une erreur de commande, mais nous avons compris la gentillesse. J’ai pris un œuf mollet dans une coque en croûte et des asperges. Ce plat est divin. Il appelle un Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1998 qui est une bombe olfactive et gustative. Ce vin tonitruant est du plaisir pur. On le boit avec une jouissance goulue et l’accord se fait naturellement, même avec les croquantes asperges vertes. Décrire l’étendue des arômes et des saveurs prendrait plus de temps que le dîner lui-même.

L’arrivée de la Côte-Rôtie La Landonne Guigal 1991 est un grand moment. Le nez est d’un raffinement généreux, et la bouche est splendide, sereine, accomplie, pour un plaisir parfait. Ce qui frappe particulièrement, c’est la sérénité. J’ai la chance de goûter un plat qui est un trésor gastronomique de première grandeur, car Jean-François Piège interprète très probablement une recette du patrimoine culinaire français. Il s’agit d’un pigeonneau désossé et recomposé fourré au foie gras. C’est d’un goût riche et raffiné, et La Landonne, absolument exceptionnelle pour cette année, est sublimée par le plat goûteux. Comme il reste un peu des deux vins, nous prenons des fromages pour mesurer à quel point le Bâtard-Montrachet est à l’aise, tandis que La Landonne se prête moins à cet exercice. J’ai pris pour dessert un échantillonnage de desserts traditionnels français qui sont traités avec talent.

Nous avons pris trois vins qui sont certainement des sommets dans leurs catégories. Le plus complexe et racé est certainement le Clos du Mesnil. Le plus joyeux en bouche, de plaisir premier, c’est le Bâtard. Mais tous les trois sont des vins parfaits. Les ors et les stucs de cette magnifique salle poussent au bonheur raffiné. David Biraud et Antoine Pétrus nous ont assisté dans le parcours de ces trois monstres sacrés. Le service est parfait. Que dire de la cuisine de Jean-François Piège ? Le mot qui s’impose est « talent ». Il a dans les mains le don de faire s’exprimer les saveurs. Il y a aussi un raffinement dans les dosages, et une esthétique des couleurs et des formes. Y aurait-il une critique à faire ? S’il y en a, c’est à la marge, et cela ne s’applique pas qu’à lui. La profusion des desserts et pré-desserts est excessive. Lorsque l’on est gourmand comme moi, on est sûr de dépasser les bornes. L’autre critique, qui procède de la même intention, est l’abondance. Jean-François est généreux et a l’attitude du premier de la classe, qui veut montrer qu’il est le meilleur sur toutes les matières du programme. Mais, se plaindra-t-on d’avoir fait un tel festin ? Je garde en tête d’abord le sublime pigeon, ensuite le Krug, le Leflaive et le Guigal, et cette atmosphère joyeuse créée par une équipe au service parfait.

dîner au Crillon – les photos samedi, 19 avril 2008

amuse-bouche

 

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Générosité du restaurant, le maître d’hôtel a préetndu s’être trompé dans la commande et a ajouté ce classique, la langoustine délicieuse,

Immense plat que cet oeuf et asperges

le pigeonneau fourré au foie gras est un plat extraordinaire qui ressuscite les recettes du passé,

 fromages pour finir les vins…

 

desserts à la française, à ne manquer sous aucun prétexte.

 

Krug Clos du Mesnil 1990 et Batard Montrachet Domaine Leflaive 1998

 

Texte sur le domaine Leflaive au dos de la bouteille.

 

Côte-Rôtie La Landonne Guigal 1991.

 

Trois bouteilles de légende dans un cadre de rêve.

déjeuner au Saint-James et dîner à Pujols avec de grands vins jeudi, 17 avril 2008

Me rendant à Bordeaux, je vais loger à l’hôtel Saint-James à Bouliac que j’ai connu il y a plus de trente ans du temps du bouillant Jean-Marie Amat. A déjeuner, je suis raisonnable, commandant des grenouilles et un bar. La cuisine très épicée est faite de cuissons très exactes mais l’addition de saveurs contraires ne doit pas faciliter la tâche de Richard Bernard, sommelier très titré qui fut nommé entre autres meilleur sommelier de France et sommelier de l’année. Le foisonnement de Michel Portos, au-delà de son art certain, doit effrayer les vins, ce qui est dommage, car la carte des vins est spectaculaire. Le bar est submergé de poivrons, d’oignons et de copeaux de gingembre qui chavirent le palais. Je suis à l’eau, aussi Richard m’apporte un verre de Château Guiraud 2001 pour le dessert. Quand je lui ai dit que je l’avais déjà bu il y a deux jours, je le sentis triste de ne pas avoir trouvé un vin à découvrir. Ma chambre surplombe la plaine de Bordeaux et un vent soutenu fait chanter les structures métalliques de cette architecture avant-gardiste. Le parc et les vastes couloirs de la belle bâtisse sont envahis de sculptures qui évoquent les maigreurs de Giacometti et les spectres qui sortent de terre dans le clip le plus génial de Michael Jackson, Thriller. Ce n’est pas très motivant par un temps triste et pluvieux.

Je me rends à l’hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion pour retrouver mon ami S., collectionneur américain avec lequel je vais dîner. Le propriétaire du Château des Fougères, Patrick Baseden et son épouse Corinne nous emmènent au milieu de nulle part, à Pujols, au restaurant « La Poudette », du nom de cet instrument en forme de serpette qui sert à tailler la vigne. Un couple charmant nous accueille, Frédéric Jombard aux fourneaux et Sophie Cabantous qui claudique car leur coq vient de la blesser de ses ergots. Elle souffre encore. Nous commandons du jambon d’un cochon noir avec un toast aillé et un tournedos à la sauce réduite au vin. Tout est délicieux, goûteux, respirant la France profonde qui peut faire des miracles dans la simplicité. Nous commençons par un champagne Krug Grande Cuvée assez jeune mais très signé « Krug ». Ce champagne apporte la joie. Patrick nous fait goûter le Château des Fougères, La Folie de Montesquieu Graves 2006. Corinne est la descendante de Charles-Louis de Montesquieu. Le vin a un nez très expressif, d’un bouquet généreux du fait de ses 14°. A ce stade de jeunesse, ce vin qui pulse fort est assez difficile à apprécier, mais l’on sent que quelques années de plus vont lui profiter. Le Château Haut-Brion blanc 1985 ressemble plus à mes goûts familiers, car l’âge l’a arrondi, a agencé toutes ses harmoniques et son équilibre le rend séduisant. La légère acidité est très contrôlée. C’est un grand blanc sans toutefois le petit grain de folie qui le rendrait charmeur.

La divine surprise de ce soir, c’est le Château Latour à Pomerol 1964. La couleur est d’une jeunesse rare comme le nez très pur. En bouche, il subjugue par son fruit généreux et sa jeunesse folle. Qui pourrait dire qu’il s’agit d’un 1964 ? J’avais bu avec mon ami S., qui a fourni les vins de ce soir, un magnum de Pétrus 1964 de ma cave qui était absolument sublime. Le Latour à Pomerol boxe dans cette catégorie-là, un cheveu en dessous.

Avec un sourire gourmand d’homme généreux, S. nous sert maintenant un Romanée Saint-Vivant Morey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1969. Le charme bourguignon est impressionnant. Ce vin est d’une folle séduction. Le contraste entre bordeaux et bourgogne est saisissant, et les deux me plaisent, l’un par sa trame parfaite et l’autre par sa séduction subtile. Le chef nous offre un Bas Armagnac Château de Gaube Francis Darroze 1971 fort précis.

Dans ce restaurant perdu d’une grande qualité, nous sommes allés nous encanailler comme cette jeune fille du 16ème arrondissement qui oserait s’aventurer dans le 20ème arrondissement. Impensable, non ? Sur une cuisine authentique et sincère, les vins de mon ami ont brillé plus encore. Les trois hommes de ce repas ont rendez-vous demain à dîner au Domaine de Chevalier.

De retour dans ma chambre, sorte de cube vitré qui surplombe la ville, toute les lumières de la ville forment un décor hollywoodien. Mais lorsque l’on veut dormir, les choses changent. Des six stores électriques, le seul qui ne se baisse pas, c’est celui qui est en face de mon lit. Je dresse mes valises sur des fauteuils pour faire écran, je joue avec les oreillers pour me protéger, mais rien n’y fait. Ma chambre ressemble à ce flic tortionnaire qui crie : « nous avons les moyens de vous faire parler » en aveuglant le suspect. Et malgré mes désirs d’échapper au supplice, je rumine dans ma tête éveillée tout ce que je pourrais avoir à avouer. Le plus insolent de l’histoire, c’est lorsque l’on m’apporte le petit déjeuner. Racontant mes mésaventures à cet aimable maître d’hôtel, il fait remonter les stores puis les baisse. Horreur ! Le store marche à nouveau. Le petit déjeuner est fort bon, avec des saveurs plaisantes. Lorsque je vais prendre ma douche, je pense aux gens d’un certain âge qui ont un blocage envers l’informatique et l’internet. Dans mon cas, ce sont plutôt les douches qui veulent jouer aux spas. Quand je vois tous ces robinets, toutes ces manettes et tous orifices d’où pourrait jaillir de l’eau, je guette avec angoisse le moment où de l’un de ces bulbes troués jaillirait une eau glacée que je ne pourrais stopper. Ce matin, rien de tout cela, mais le designer qui trouve sans doute vulgaires les bonnes vieilles pommes traditionnelles a inventé un tuyau en forme de gyrophare qui a fait de moi le pompier d’un jour.