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le réveillon du 31 décembre 2007 à Carqueiranne lundi, 31 décembre 2007

A 17 heures j’apporte les vins chez nos amis et j’ouvre les vins pour qu’ils s’oxygènent. Nous récitons le scénario et je suggère que l’on ajoute une viande pour pouvoir profiter un peu plus longtemps des trois vins rouges. Mon amie part en ville, fait relever le rideau métallique baissé du boucher qui avait fini son année, chambres froides quasi vides, et revient avec de l’onglet.

Après les premiers vœux télévisuels de notre Président, nous arrivons chez nos amis. Catherine nous explique qu’elle tremble depuis un mois. Elle sait en effet que j’écris le récit de mes aventures qu’elle lit toutes. La perspective d’une faute qui serait stigmatisée dans mes écrits l’a poussée à tout raffiner. Ce fut d’une délicatesse remarquée. Elle peut souffler, il n’y aura pas de critique.

Nous commençons l’apéritif avec un Champagne Ruinart non millésimé très expressif et fort agréable. Il est suivi par un champagne Laurent Perrier Grand Siècle beaucoup plus doux qui va mettre en valeur les oursins pêchés du matin. La combinaison de ce champagne charmeur avec l’iode et le sucré de l’oursin est remarquable.

Il reste quelques gouttes du champagne pour accueillir les huîtres creuses de Marennes Oléron. La cohabitation est gouvernementale, c’est-à-dire polie, et vite oubliée, car le Bâtard-Montrachet domaine Ramonet 1992 crée ce qui est sans doute le plus bel accord avec des huîtres que j’aie jamais rencontré. C’est saisissant au point que toute la table est stupéfaite. Nous restons longtemps à profiter de cette combinaison, comme si l’on pouvait la rendre éternelle. La multiplication des saveurs, le dialogue qui s’instaure entre l’huître et le vin font partie de ces moments rares où l’on comprend qu’une dimension supplémentaire est ouverte, quand la symbiose est aussi réussie.

Le plat suivant avait donné lieu à de nombreux échanges de mails entre Catherine et moi. Mon insistance pour la pureté clinique des goûts est la négation de toute fantaisie. On comprend en mangeant et buvant que c’est ce qu’il faut faire. Le tartare de rascasse sur un lit d’épinard est une chair totalement nue découpée en petits dés sur des feuilles qui n’ont pas le moindre assaisonnement. Et le Château Chalon Fruitière Vinicole de Voiteur 1966 joue juste sur ces saveurs claires. Il faut du temps pour s’acclimater et j’ai déclaré un peu trop vite que le vin jaune est trop fort et écrase l’accord. Car en fait, quand le palais est habitué, l’accord est très subtil, avec ce vin envoûtant que tout le monde aime à cette table. Notre ami s’est mis à frotter un peu de vin jaune sur la peau de l’intérieur de son poignet, pour nous faire sentir les accents de marc du vin jaune. Chacun se mit à l’imiter et nous avons comparé la noblesse et la variété de la texture de nos peaux. Nous avons inventé un parfum millésimé. La fortune nous attend.

Claude, notre ami, gère la cuisson des langoustes sur son barbecue. Il gère et gèle, car il fait un froid redoutable sous le ciel étoilé. Là aussi, c’est la simplicité qui domine, quelques feuilles de sauge étant le seul complément admis sur des demi-langoustes qui ne cuisent que sur le côté carapace. La chair délicieuse va accompagner trois vins rouges. Le Château Cheval Blanc 1994 a une belle couleur profonde et racée. Le Chambertin Edouard Jantot 1961 a une couleur d’un rose élégant. L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 a une couleur sang de pigeon très prometteuse. Tout oppose les parfums de ces trois vins ce qui va rendre l’expérience passionnante. Le nez du chambertin est séducteur dans une douceur feutrée, celui du bordelais est racé et celui du rhodanien annonce du muscle sous la chemise. La chair accueille les trois vins, trop distincts pour se neutraliser, mais c’est mon gendre qui est le premier à signaler que le plus fringuant des trois sur la langouste est le Cheval Blanc. Et c’est évident, car il contrôle le mieux la chair typée. Sur le corail de la tête, le chambertin est plaisant. Chacun des vins est d’un goût appréciable, mais le Cheval Blanc 1994 – qui l’eût cru ? – s’est montré le plus adapté des trois.

Sur l’onglet « de la dernière heure », goûteux à souhait, juste poêlé et accompagné de flageolets, j’attendais le retour en grâce du chambertin et une complicité facile avec l’Hermitage, mais c’est encore le Cheval Blanc qui ramasse la mise. C’est lui qui parle le plus clairement à cette chair typée elle aussi.

Il est fort tard, nous nous étions embrassés sous le gui depuis plusieurs heures, aussi proposai-je de faire l’impasse sur la terrine de foie gras faite par mon épouse. Nous commençons à entamer un Sainte-Maure pour rechercher le vin rouge qui lui convient, et c’est l’Hermitage qui me semble le plus adapté. Nous passons ensuite au bleu de Termignon, au bleu de Gex et à la fourme de Montbrison qui accueillent le Château d’Yquem 1976. Ce qui est assez remarquable, c’est qu’Yquem 1976 est toujours parfait. C’est certainement l’un des plus équilibrés des Yquem actuels, combinant une jeunesse joyeuse avec un beau début de maturité. Les trois fromages judicieusement choisis se marient à merveille à l’Yquem. J’ai un petit faible pour le bleu de Termignon, pour son caractère salin, mais les trois ont brillamment accompagné l’Yquem.

Il n’était plus question de boire quoi que ce soit tant nous avions honoré les vins précédents, et le champagne prévu sur les desserts resta dans son coin. Un sorbet à la framboise et une glace à la vanille, accompagnés de petits gâteaux secs de chez Ré, « le » pâtissier de Hyères, furent sectionnés de long et en large et dégustés à l’infini, supports de discussions fort tardives d’un réveillon qui ne voulait pas s’éteindre. Dans la chaleur de l’amitié, une maîtresse de maison attentive et son mari ont permis de mettre en valeur des vins très variés de nombreuses belles régions. Mais le détail à signaler, qui a réellement ajouté à notre bonheur, c’est le choix pour chaque plat ou chaque intermède d’une musique appropriée. Ce fut fort juste et d’une grande émotion.

Le plus grand vin de ce grand réveillon, c’est le Bâtard-Montrachet Ramonet 1992. Le plus bel accord, c’est le féerique mariage de ce vin avec les huîtres. En petit comité dans le Sud, ce fut un beau réveillon.

le réveillon, photos lundi, 31 décembre 2007

Délicats petits canapés d’apéritif

 

Les oursins pêchés du matin et la rascasse en tartare sur ses feuilles d’épinard

 

Les langoustes cuites au barbecue à la belle étoile et les feuilles de sauge

 Cheval Blanc 1994, Chambertin 1961 et Hermitage La Chapelle 1990, puis le Bâtard-Montrachet 1992 et le Chateau Chalon 1966 forment une belle brochette de vins.

les vins du réveillon du 31/12/2007 lundi, 31 décembre 2007

Nous allons chez des amis et j’apporte les vins.

Des changements se feront, mais voici ce que j’ai prévu :

Photo de groupe. Et maintenant, des sous-groupes :

 Les vins :

 

champagne Laurent Perrier Grand Siècle en magnum, Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992

 

Chateau Chalon 1966 Fruitière Vinicole de Voiteur, Cheval Blanc 1994

 

Chambertin Edouard Jantot 1961

 

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 et Chateau d’Yquem 1976

 Champagne Dom Pérignon 1998.

Salon 1990 sur camembert et truffe, à comparer au 1988 lundi, 31 décembre 2007

Les enfants arrivent avec la petite dernière – six mois déjà – dans notre maison du Sud. Ils se joindront à nous pour le réveillon qui aura lieu chez des voisins amis. Catherine, notre voisine, m’a déjà annoncé le menu du soir et j’ai apporté de Paris des vins pour composer un beau réveillon. Je vais avec mon gendre chercher quelques victuailles pour le premier jour de l’An, nous achetons quelques fleurs pour nos épouses respectives, et nous voilà proches du déjeuner. Je risque un : « qu’est-ce qu’on boit ? » immédiatement contré comme en un passing-shot de revers par la mère et la fille : « ce midi, que de l’eau ». Guillaume ne s’en laisse pas compter et exhibe un torchon en forme de bourse qu’il nous fait sentir. Même un anoure de l’appendice nasal aurait reconnu le parfum de la truffe. Je jette un œil dans le réfrigérateur et j’extirpe un flacon qui ne se peut refuser.

Nous tranchons quelques parcelles de poutargue, et le champagne Salon 1990 s’ébroue. On sent instantanément que ce champagne de grande noblesse n’aura pas l’épanouissement du Salon 1988. Il va compenser par une hauteur de vue assez rare. Intéressant mais sans plus sur la poutargue qui le titille gentiment, le Salon sera le compagnon poli de coquelets qui avaient été prévus. Comme il faut quand même provoquer ce Salon, Guillaume va chercher deux petites truffes, fait toaster un pain biologique, l’inonde d’huile d’olive, et lorsqu’on a pris soin de recouvrir de noir toute trace de pain, on a une bouchée royale qui tire du Salon des chants d’amour. Quel grand champagne. Le mot qui me vient est « noble ». C’est effectivement un champagne racé. On n’a pas du tout l’émotion qu’a créée le Salon 1988, d’un romantisme inoubliable, mais on a la pureté du blanc de blancs, avec cette patte qui n’appartient qu’aux plus grands. Le camembert de Noël a fait ses classes. Il vibre avec le Salon d’un unisson que l’on ne trouverait avec aucune autre saveur. Lorsqu’on essaie ensuite avec un peu de foie gras, juste pour voir, on prend conscience que rien ne vaut le champagne sur le foie gras. Mais on est loin de la vibration du camembert avec le champagne. L’histoire de ce repas de midi s’arrête là. Dans à peine deux heures j’apporterai chez ma voisine les vins du réveillon. Le Salon 1990, que j’ai encore en bouche est un champagne noble, quand le Salon 1988 est un jeune premier.

Le Salon du lendemain samedi, 29 décembre 2007

Reprise du combat par un chaud soleil. Nous déjeunons dehors. Sur le faux-filet seul, le reste du Salon 1988 est un interlocuteur poli. Je verrais très bien ces dames qui accompagnent les visites privées d’un musée confidentiel. Il y a la délicatesse et la connaissance, mais la situation ne brille pas par une sensualité débridée.

Sur des fettucini que ma femme a cuits sans aucun adjuvant et sans contact avec la truffe qui est en lamelles dans un petit bol, le Salon, qui a perdu à peine de sa bulle, mais suffisamment pour le faire paraître un peu plus âgé, gagne en noblesse. Je le verrais bien déambuler dans les salles capitulaires de l’Escurial, comme toute la noblesse espagnole. Car il est noble le gaillard, avec toujours des évocations florales et fruitées, mais devenues plus raffinées et strictes. Et quand le camembert arrive, avec un jour de plus qui lui va à merveille, le Salon devient le loulou de banlieue. Ça surine sec à Noisy-le-Sec. Ça danse la java dans mon palais et je suis aux anges. Il reste dans mon verre quelques gouttes pendant que j’écris, et le champagne est fruité, a gardé son teint de rose et des évocations florales et de fruits blancs, roses et rouge pâle. Il est vineux bien sûr mais avec un romantisme certain.

Mon Dieu que c’est beau.

Je pose l’équation : Salon = Oréal + Nespresso vendredi, 28 décembre 2007

Je pose l’équation : Salon = Oréal + Nespresso qu’il faudrait trouver avant que je ne donne la réponse. Je suis de bonne humeur. Ma fille cadette nous a envoyé une grosse truffe qui aurait dû arriver à Noël, mais en ces temps d’ « instant communication », elle a dû rouler toute seule jusque chez nous (la truffe). Mais elle est là et sent bon. Ma femme va préparer des pommes de terre à la crème et à la truffe. Je suis allé au village, j’ai acheté des fleurs et un très joli bijou que ma femme avait repéré avant Noël. De retour, j’ai décidé d’ouvrir champagne Salon 1988, pour deux raisons :

1 – parce que je le vaux bien

2 – what else ?

Le menu sera : olives noires, crème de sardines sur toasts, foie gras en terrine sur toasts, pommes de terre à la truffe et à la crème, et pour la fin, on verra, car il faut qu’il reste du Salon pour demain, pour pâtes et truffe sur un faux-filet. Pour l’instant mes papilles s’échauffent.

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Avec l’olive noire assez salée, c’est la sonnerie de Diane, qui annonce le réveil du Salon, faisant apparaître un tombereau de fruits blancs et roses. Avec le foie gras en terrine, délicieux, c’est un accord poli, bien construit. Mais avec la mousseline de sardines très douce, c’est complètement tonitruant. Le Salon se met à gambader tout seul, comme, pour ceux qui s’en souviennent, la scène finale de Benny Hill, quand l’acteur se met à poursuivre une créature dévêtue, lui même poursuivi par une meute policière. Salon se débride. Et c’est un jaillissement extraordinaire. Je vois de la groseille blanche, de la groseille à maquereau, de la rose, du coing, et tout ça sur une bulle qui sert de catapulte. Je vais voir ce que ça va donner sur la truffe, mais sur cette mousseline de sardine, c’est fou ! La mousseline de sardines je la tartine sur une baguette à l’ancienne, pure. C’est ainsi que j’avais commencé pour le foie gras. J’essaie maintenant le foie gras avec un peu de pain brioché à peine sucré. Et l’accord se fait mieux, car le léger sucré de la brioche excite le Salon 1988 pour lui donner un charme redoutable.

Ce sont deux accords très différents. Et à chaque fois, Salon 88 s’en sort comme un Oscar de la Hoya, le Golden Boy. Je vais de merveille en merveille !

La pomme de terre à la crème et à la truffe est une recette de Bruno que ma femme a adoptée. Sur ce plat délicieux, ce qui est invraisemblable, c’est que Salon perd son côté fruit généreux pour devenir vineux, et dans la ligne historique de Salon la plus pure. C’est le vineux qui a fait la réputation de Salon. Et il est, pour cette année, d’une pureté exemplaire. J’ouvre ensuite un Saint-Marcellin fermier (je ne savais pas qu’il en existait de fermiers), particulièrement jeune, et l’image qui me vient est la suivante : dans la jungle, Nicolas Hulot accompagné d’une chercheuse du CNRS, est à la recherche de serpents. La scientifique en prend un avec un compas qui enserre le bas de sa tête. Et le serpent se tortille dans tous les sens. C’est cela que fait Salon : il se tortille dans tous les sens. Il reste Salon, mais il est complètement affolé.

J’ouvre ensuite un camembert bien de chez nous qui sera mûr dans deux à trois jours. Et là, miracle du champagne, miracle de Salon, le champagne se met à ressortir tous ses fruits, devenant aussi flamboyant qu’il l’était à l’ouverture. Il est joyeux, opulent, fruité, heureux d’être là. Fregoli, je vous dis, Fregoli. Pendant que j’écris ces lignes (j’ai abrégé le repas pour avoir du Salon demain), je le bois sans accompagnement, car il est inutile de penser à un dessert après l’accord camembert et Salon, et j’ai en bouche une imprégnation infinie, faite de fruits roses et rouges maintenant, d’une bulle lourde comme du plomb et d’une trace en bouche longue comme un plaisir sans fin.

Noël dans le Sud, les photos lundi, 24 décembre 2007

Les vins sont partis avec nous dans cet avion ou l’un de ses frères.

Sans nos enfants, le ciel est morose et le sapin de Noël est chichounet.

Mais il faut faire haut les coeurs !

 

Yvan Roux est venu nous apporter des oursins et les a ouverts pour nous.

 

Mon fils nous a envoyé trois nains qui représentent nos trois enfants. Ils seront avec nous, à notre table !

Le champagne Moët & Chandon Dry Impérial 1952 est éblouissant. Il va beaucoup mieux avec les oursins de couleur ‘corail rouge’ qu’avec les huîtres goûteuses, mais trop typées pour lui.

 

La capsule et le dessus du bouchon. Le niveau du vin est absolument parfait. Je l’ai ouvert à 14 heures pour le boire à 22 heures.

 

Chateau Latour 1989, un très grand vin.

 

Le pigeon, tout simple avec des crosnes et des petites pommes de terre sautées a joué magnifiquement pour mettre en valeur le vin rouge. La tarte aux pommes a joué une partition séparée.

Un réveillon à en pleurer lundi, 24 décembre 2007

Nous sommes le 24 décembre. Nous sommes descendus dans le Sud et nous sommes loin de nos enfants et petits-enfants. C’est sans doute la première fois et je me demande si je vais le supporter. Ma femme ne boit pas, sauf les liquoreux de compétition. Je serai donc seul à boire. Les vins venant en avion, il faut du solide. J’ai pris du solide. Le premier vin que j’ai choisi à Paris est Château Latour 1989 car la dégustation récente à laquelle j’ai assisté au George V avec Frédéric Engerer m’a remis en piste pour aimer ce vin. Je n’ai jamais franchement cessé de l’aimer, mais il ne fait pas toujours partie des choix naturels. Le deuxième vin est un péché et je le confesse d’emblée. On sait que j’ai fondé l’académie des vins anciens et l’on sait que quelques vignerons soutiennent ma démarche. Moët & Chandon est un fidèle parmi les fidèles et Jean Berchon avait prévu d’apporter le 3 décembre un champagne Moët & Chandon Dry Impérial 1952. La bouteille était annoncée et ne fut jamais livrée. Elle apparut en mes bureaux le lendemain de la réunion. Je demandai à Jean quel sort je devais réserver à cette pépite et Jean eut cette phrase admirable : « tu la bois pour Noël ». Il existe deux catégories d’individus sur Terre. Ceux qui disent : « mais non Jean, je la boirai avec toi », et ceux qui disent : « Jean, tu parles d’or ». Je suis dans la deuxième catégorie.

A 20h00, le fidèle Yvan Roux, sortant juste de son bateau vient à notre domicile pour ouvrir un monticule d’oursins qui émergent à peine de l’eau. Il les sectionne et va vite se changer pour son Noël familial. J’ouvre le champagne Moët & Chandon Dry Impérial 1952 dont le bouchon fait un pschitt moins retentissant que celui de notre ancien président, mais dont la bulle est active dans le verre. Les demi-oursins bougent sur nos assiettes comme les échassiers des Landes en ripant sur leurs piquants, et l’association des oursins et du champagne fait partie des plaisirs d’une vie. Quand un accord est parfait, l’image qui me vient à l’esprit est celle d’un gant avec les doigts d’une main. Quand tout s’emboîte naturellement on se rend compte que quelque chose de merveilleux se produit. Et c’est le cas. Il y a trois sortes d’oursins, qui ne sont pas très enflés du fait de houles récentes. Il y a les blancs laiteux, les ‘corail rose’ et les ‘corail rouge’. Les blancs laiteux ne vibrent pas trop. Les ‘corail rose’ ont un sel marqué et sont intéressants. Mais ce sont les ‘corail rouge’ qui font vibrer le Moët. Ce champagne est dosé à 30 grammes et ses 55 ans ont absorbé le sucre pour ne garder que l’élégance. Et l’accord de la langue d’oursin iodée mais sucrée avec le champagne fait partie de ces moments d’exception où l’on se demande comment tout cela est possible. Il est très rare que je rencontre des accords d’une telle sensualité. Car le champagne et les langues se reconnaissent totalement. Chaque bouchée et chaque gorgée sont des moments inoubliables.

Ma femme m’apporte ensuite une douzaine d’huîtres creuses d’Oléron de petite taille, comme je les aime. Les huîtres sont goûteuses mais viriles, altières, ce qui effarouche un peu le champagne qui a pourtant un sursaut assez extraordinaire, car c’est lui qui domine dans le couple, malgré la force des huîtres.

C’est ensuite au tour d’un foie gras frais de toréer avec le Moët. Il est gras, opulent, simple d’approche. Avec un soupçon de poivre, il fait chanter le champagne. Et l’image qui m’apparaît instantanément est celle de la précision. Je suis un fan de Valentino Rossi, el Doctor de la catégorie reine en moto Grand Prix et je vois en l’accord du foie avec le champagne la même chose qu’un accord divinement trouvé pour sa moto et la piste d’un grand prix. Je vois aussi Einstein trouvant l’objet mathématique qui expliquera la masse manquante ou Leprince Ringuet inventant le méson mu. Car le champagne est fait pour ce foie gras. Et je l’analyse. Il y a des fruits comme la pomme mais réinventés, il y a des infusions comme celles d’une feuille qui n’existerait pas. On est dans une jungle de parfums où l’on renifle de liane en liane. L’accord est mécaniquement parfait. C’est Bréguet inventant le tourbillon. Et c’est là que l’on perçoit toute la différence. L’accord de ce divin champagne avec l’oursin est d’une sensualité classée X, l’accord avec l’huître est d’une politesse diplomatique, c’est-à-dire qu’on se quitte sans avoir cédé un pouce de terrain, et l’accord du Moët et Chandon avec le foie gras est d’une certitude scientifique inébranlable. A ce stade on fait ouf, car le champagne a affiché une perfection absolument impressionnante.

De beaux petits pigeons arrivent alors, et je verse Château Latour 1989. La chair du pigeon juste cuit sans être gibier, d’un rosé nature joyeux fait vibrer le pauillac, et je me mets à rêver. Ce vin est d’une complexité invraisemblable. Et je suis son valet. Il me domine et je l’accepte. Il m’annonce une complexité inouïe dont je suis le scribe. Et la grille de lecture de ce vin est unique, car elle fait appel à ma connaissance du vin, qui est par nature différente de celle de tout amateur. Je me prends à trouver en ce vin tous les repères que je recherche. Tout est complexe, tout fait appel à des codes, mais ce qui est passionnant, c’est que Latour parle le langage que je comprends. Nous sommes dans l’étalage d’une complexité hors norme, mais qui s’est mis à parler dans mon univers. Je suis submergé par la complicité qui s’instaure ente le vin et moi. Avec les crosnes et avec les proustiennes pommes de terre sautées, le vin pianote sur ma sensibilité. Tel que je le bois, ce vin est une splendeur. Mais quelle complexité. Je suis entré dans son jeu. Mais j’admets qu’on puisse ne pas y entrer. J’ai vibré à ce Latour comme je ne l’ai rarement fait. Et je suis conscient que cette communion n’appartient qu’à moi, car rien d’objectif ne lui appartient.

C’est alors qu’une bouffée de sentimentalité m’a submergé. Mes enfants loin de moi, alors que cela ne se produit jamais, c’est lourd à supporter. Je suis sorti dans le jardin, dans le froid hivernal et j’ai pleuré, avec cet étrange sentiment qui fait qu’une immense tristesse apporte son pendant de sérénité.

N’ayant pas prévu de liquoreux, je ne savais quel dessert irait avec Latour. Celui que j’avais demandé à ma femme ne convenait pas. Il n’était plus question d’insister. En ce Noël où le vide créé par l’absence de nos enfants et petits enfants est quasiment insoutenable, j’ai ressenti avec deux vins un nirvana unique de sensations parfaites, l’oursin rouge avec le Moët 1952 dont le dosage a atteint avec l’âge une perfection inimaginable et le Latour 1989 embelli par la chair du pigeon, qui montre une complexité bordelaise d’un charme sans limite. Ce fut un réveillon fort à m’en casser le cœur.

partie de belote et Dom Ruinart rosé 1990 samedi, 22 décembre 2007

Des amis nous invitent à dîner. Il faudrait qu’on m’explique pour quelle raison une blonde et une rousse peuvent mettre une déculottée à la belote à deux mâles en pleine possession de leurs moyens. Les voies du Seigneur ne sont définitivement pas déchiffrables.

Ça démarre sur champagne Laurent Perrier Grand Siècle. Jusque là tout va bien. Les canapés sont agréablement comestibles. Rien ne peut permettre de penser que nos épouses sont dopées.

Le champagne Ruinart rosé est intéressant, mais j’ai un faible pour le blanc. J’ai apporté un Nuits Saint Georges A. Lair 1959 qui joue dans la cour des grands. Il accompagne un délicieux homard cuisiné par notre amie. Il est suivi d’un fort honnête Château Pichon Longueville Baron 1989, mais c’est un champagne Dom Ruinart rosé 1990 qui montre qui est le mâle dans la maison.

Savoir que la belote n’est qu’un jeu, d’accord. Mais aligner les humiliations, même avec Dom Ruinart rosé, ça casse.

L’appel du cigalon jeudi, 20 décembre 2007

Les yeux encore éblouis par le dîner au restaurant Laurent avec de grands vignerons, je mets cap sur le Sud avec mon épouse. Un coup de fil : « j’ai deux kilos de cigalons. Ça te tente ? ». La réponse fuse : « nous arrivons ». Par une journée où l’air frais est réchauffé par un soleil intense, il fait bon contempler une mer qu’un vent d’Est fait frissonner. Nous commençons par des crevettes roses qu’il faut manger avec la carapace, car le jus de cuisson d’Yvan Roux lui a donné un parfum d’herbes provençales. C’est avec des doigts tout entachés de mes décorticages que je saisis le verre du champagne Laurent Perrier Grand Siècle, indispensable outil de notre bonheur.

Ce sont ensuite des bébés seiches qui n’ont pas encore eu le temps de se fabriquer l’os plat crayeux que l’on connaît. On les croque et la sensation lorsque l’on casse leurs yeux globuleux est étrange. Il faut faire le vide dans son esprit. Le jus d’encre, d’une encre fragile, est délicat.

Lorsqu’arrivent les cigalons, c’est une véritable bouffée de bonheur. La chair est ferme, typée, subtile, d’une profondeur remarquable. Il faudrait évidemment un vin rouge. Yvan m’entend et apporte un magnum de Château Lamarque, cru bourgeois de Médoc 2002. Il arrive à me convaincre que prendre un verre n’empêchera pas de le servir le lendemain pour des clients qu’il connaît. J’accepte donc. L’accord de ce vin rouge avec les cigalons est pertinent. Mais quel vin ! Ce vin représente tout ce que Parker souhaitait et que je ne désire point. Il a en lui toutes les tendances modernes qui ne conduiront nulle part. Or c’est bon, car c’est flatteur. Mais ce vin que l’on aurait pu faire à Cape Town, à Camberra ou à Napa, c’est une forme de vin que je refuse, malgré la séduction primaire, car c’est la négation de l’histoire. Comme il n’était pas question de refaire le monde, je croque les cigalons sur de belles lampées de ce vin nommé bordelais. A la réflexion, cette chair est extrêmement typée, mais n’a pas la subtilité de la langoustine. Plus virile, plus intense, mais moins charmeuse que la princesse des crustacés.

Nous goûtons ensuite des seiches d’un calibre plus élevé dont la chair du crâne est doucereuse dans son encre prononcée. Une gousse d’ail vient attendrir le goût pour notre plus grand bonheur. Une nouvelle lampée de Lamarque se boit avec un plaisir immédiat et un dédain d’esthète.

Une daurade rose pêchée à trois cent mètres de profondeur, cuite sans aucune ajoute, juste accompagnée d’une aubergine coiffée de tomates cerise, c’est un grand plat. Le Laurent Perrier accompagne parce qu’il est poli, mais il eût été opportun d’ouvrir un rouge en mettant de côté les tomates.

Le repas se conclut par un soufflé à la lavande, subtil, romantique, beau comme l’onde qui frissonne à nos pieds. J’aime l’appel du cigalon, le soir auprès de chez moi.