Chateau Latour 1907 et une demie Chateau d’Yquem 1962
L’extraction d’un bouchon de cent ans n’est pas chose facile !
Barbue et saint-pierre. Ces poissons se marient merveilleusement avec le vin rouge.
Chateau Latour 1907 et une demie Chateau d’Yquem 1962
L’extraction d’un bouchon de cent ans n’est pas chose facile !
Barbue et saint-pierre. Ces poissons se marient merveilleusement avec le vin rouge.
Je suis fatigué par les deux jours de Grand Tasting, aussi je rentre assez tôt à la maison. Ma fille et mon gendre sont là. Les vins actuels, c’est bien, mais j’ai besoin de revenir sur mes terres.
J’ouvre Château Latour 1907 et le bouchon d’origine s’éclate en mille morceaux. Le nez est superbe. Presque trop superbe, aussi je recouvre le haut de la bouteille pour qu’il n’y ait pas trop d’aération. J’ouvre une demi-bouteille de Chateau d’Yquem 1962, à la couleur superbe d’acajou. Le nez est fantastique. Tout se présente bien. Ma femme va préparer une barbue et un saint-pierre pour le Latour et un faux sabayon de pamplemousse et orange pour l’Yquem. J’attends la suite avec impatience.
L’expérience a eu du bon et du moins bon. La bouteille du Château Latour avait un niveau bas, ce qui était un risque. Ma femme s’étant trompé sur l’heure de cuisson des poissons nous avons dû passer à table une heure plus tôt, ce qui fait que le vin n’avait pas eu le temps de se recomposer. Je saisis la bouteille pour servir et je vois à mon grand étonnement (quand j’ouvre un bouchon en mille pièces, je ne regarde que ça), que la bouteille est très antérieure à 1907. C’est en 1908 ou 1909 qu’on a utilisé une bouteille de réemploi. Je verse dans les verres et la couleur est assez pâle. J’ai pris de beaux et grands Riedel, et les arômes sont beaux. En bouche, ce n’est pas blessé, c’est du vin, mais c’est du vin fané. Plus je verse de la bouteille et plus le vin est concentré et foncé. Ce n’est qu’en fin de bouteille que les dernières gorgées ont été du vrai Latour.
Ce vin fatigué n’était pas devenu aigre ni sûr. Il était buvable. Mais franchement, ce n’est pas un grand vin. Sur le poisson, l’accord est brillant, car la chair du poisson seule, dans sa pureté, est extrêmement utile pour le vin. La chair du poisson a bien aidé le vin. Le meilleur des deux est le saint-pierre. Ma femme a fait une simple purée de pomme de terre légère qui ne perturbe pas le vin. En sentant le verre où restait du dépôt, plus d’une demi-heure après, l’odeur est magnifique. L’expérience s’arrêtait là.
Le sabayon tenté mêle jaune d’œuf et jus de pamplemousse. C’est absolument inadapté au Château d’Yquem 1962. Ce vin est doré comme un coing, plus doré en verre que dans la bouteille. Son parfum est enivrant et nous sommes touchés par sa perfection. Il dégage des saveurs de coing, de thé, de pâte de fruit. Sur les pamplemousses, il met en valeur son thé. Sur un petit pot de bébé pomme et banane, dont j’ai prélevé une cuiller, l’Yquem devient banane. Sur une mandarine, il est délicieux, chantant, poussant ses notes de pâtes de fruits et de thé. Et mon gendre poêlant quelques tranches de pommes Golden qu’il commença à caraméliser à peine, la mise en valeur fut agréable. Mais en fin de compte, ce fut tout seul que cet immense Yquem fut le plus brillant. Ayant encore le frais souvenir d’une verticale de 28 millésimes d’Yquem, c’est avec un seul Yquem que je prends le plus de plaisir. Ce 1962 est un très bel Yquem, puissant, généreux, joyeux, qui nous a enchanté par sa perfection qui contrastait avec la fatigue du Latour 1907.
Nous avons bu ce soir un vin de juste cent ans. Il fut l’ombre de lui-même, malgré une fugace fulgurance. L’Yquem a sauvé la mise. Ce fut un petit bonheur seulement.
A la fin du dîner de l’académie du vin de France, je salue Alain Senderens et son épouse en disant « à demain », car je déjeune avec mon groupe de conscrits au restaurant Alain Senderens. J’ai réservé le joli petit salon d’angle du premier étage. Mes vins ont été ouverts à l’avance avant mon arrivée. Etant en avance, je bavarde avec Alain Senderens heureux et épanoui. Le menu est ainsi composé : amuse-bouche / langoustines croustillantes, coriandre et livèche / lièvre à la royale selon la recette d’Antonin Carème pour le prince de Talleyrand / parfaiyt glacé au curry / fine dacquoise au poivre de Séchouan, marmelade au citron confit, glace au gingembre / café et petits fours. Je tenais à ce que mes amis goûtent ce lièvre à la royale.
Alain m’avait offert une coupe de champagne Pommery 1998 de belle couleur et gentiment goûteux. Nous commençons par un champagne Elégance de Bricout (Avize) 1982 que je trouve spectaculaire. Sa couleur est d’un or bien vivant, son nez est intelligent et en bouche la combinaison de la plénitude et d’une jolie acidité en font un champagne de grande réussite. Ce champagne qui m’était inconnu m’a conquis et impressionné. Je voulais goûter de nouveau le Château Griller 1976 après l’essai malheureux au restaurant de Pierre Gagnaire. Celui-ci n’est pas mort, mais il est bien madérisé. Une moitié carafée sera fort agréable, typée, suggérant enfin ce qu’est Château Grillet. L’autre moitié restée en bouteille sera trop fatiguée pour plaire.
Sur le lièvre à la royale exécuté de main de maître, trois rouges de trois régions vont nous proposer un exercice dont je raffole. Car ces trois vins vont exprimer avec une rare exactitude l’âme même de leur région. Et l’on s’aperçoit qu’au lieu de se combattre, ces trois acceptions du vin rouge s’additionnent et montrent avec une certitude inattaquable qu’il faut aimer les trois. Un tel exercice montre que prétendre n’aimer que les bordeaux, ou n’aimer que les bourgognes est une absurdité. Il faut aimer les trois.
Le Château La Mission Haut-Brion 1981 a une robe foncée, dense et lourde. Le nez est subtil. En bouche, c’est un vin de grande race, bien construit et magnifiquement épanoui pour son année. Il est beau et expressif et c’est celui qu’Alain Senderens préfère. Le Corton Clos de la Vigne au Saint Louis Latour 1985 est d’un charme bourguignon qui me renverse. La couleur est claire, le nez est discret et le vin chuchote à ma bouche un madrigal courtois. C’est tout le charme en suggestion de la Bourgogne, où l’on n’impose rien en force. Si j’osais, je dirais que le vin de Bourgogne est comme un pli en poste restante : il faut aller le chercher. Et quand il s’ouvre, c’est un message de bonheur.
Quand la Côte Rôtie La Turque Guigal 1995 s’assoit dans ma bouche, c’est comme les deux portes du salon qui s’ouvrent sur une foule imprévue qui crie « joyeux anniversaire » quand on s’y attend le moins. Car ce message où un fruit assassin se glisse sous un vin joyeux, c’est à tomber par terre. Quel naturel et quelle joie de vivre ! Au-delà du plaisir pur que donne chaque vin, c’est le fait de saisir l’âme de chaque région qui m’émeut le plus. Et je ne cesse de repasser de l’un à l’autre pour me dire que le Mission Haut-Brion est sans doute le plus architecturalement construit des trois, que le Corton est sans doute le plus féminin et charmeur, d’une séduction subtile comme un billet doux et que La Turque de Guigal est sans doute le vin le plus sexy, joyeux, de plaisir premier. Mais c’est l’exposition de leurs différences qui me fait le plus de plaisir. Ce sont trois régions que j’adore et chacune me dit : « regarde, je suis différente des autres ». J’ai adoré cette confrontation constructive.
Le Château d’Yquem 1994, qui se présente tout seul à notre déjeuner, alors que les précédents Yquem récents que j’ai bus étaient en comparaison, dans de longues ou courtes verticales, peut jouer son jeu à sa guise. Et les lamelles de citron confit lui servent de tremplin. Il devient joyeux, plein, heureux, alors que ce n’est pas la meilleure année. Mais Yquem est Yquem, et dans ce jeu, il est toujours gagnant. Belle présence ensoleillée et final fort solide. Alain Senderens a fait ajouter un dessert au chocolat garni de petites cerises pour accompagner le Maurydoré La Coume du Roy de Volontat 1925 toujours aussi délicieux. C’est le conscrit du banyuls que j’ai ouvert pour le dîner chez Pierre Gagnaire. L’année apporte à ces deux vins une rondeur élégante qui en fait des vins de plaisir. Ce fut un magnifique déjeuner d’un Alain Senderens serein et heureux.
Avant / après, la très jolie table du petit salon du premier étage.
Délicieuses langoustines que l’on trempe à la main.
à gauche, sublime lièvre à la royale sur une recette de Carème.
des accords prodigieux (voir le compte-rendu)
Nous alons admirer Lise notre petite fille qui a un peu moins de six mois.
Mon gendre ouvre cette Cuvée Elysée du champagne Jeanmaire 1964 fort délicieux.
départ au "KUBE" filiale du joli Murano pour un brunch
Très belle décoration "trendy".
classique mais bon
Un beau moment dans un Paris géographiquement plus triste que cet endroit
On the right, the last picture taken from the taxi going to the airport. On the left, the last gamble machines in the airport.
Last views taken from the terminal, with the Pyramide and the MGM hotel.
Last views of Las Vegas from the plane.
Being in transit in Los Angeles, what do I see ? Wolfgang Chef, the brilliant chef of Spago, who gives his name to a bistrot in a terminal !
devant notre table de restaurant
ça va dans tous les sens !
ça monte haut, et ça retombe sous forme d’une petite pluie fine.
D’énormes masses d’eau aux mouvements rythmés par la musique ambiante qui berce notre dîner.
A gauche l’ami qui a organisé le dîner chez Joël Robuchon, à droite un agent de grands vins de Bordeaux au Nevado.
Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille 2004.
Chateau Grand-Puy-Lacoste 1962 et Chateau Croizet-Bages 1961
Chateau La Tour Figeac 1961 et Pedro Ximenez 1961
les plats du menu
les plats du menu
les plats du menu
Je suis avec Julian Serrano chef du restaurant Picasso devant une toile magnifique de Picasso.
Mon programme « officiel » est terminé. J’avais changé mon vol vers Paris en tenant compte de ce crochet par Las Vegas mais je m’étais trompé sur la date du dîner chez Robuchon. Il me reste un jour et j’invite mon ami de Las Vegas à dîner avec l’agent des plus grands vins de Bordeaux qui est en amont de l’immense Southern Wine & Spirits visité il y a deux jours. Le rendez-vous est pris par mon ami dans l’un des bars du Bellagio qui jouxte la zone de jeu, « le Fix ». Les serveuses de ce bar sont de véritables gravures de mode, de tous les métissages possibles, et leurs robes, si on peut appeler ainsi le minimum de tissu qui les couvre, doit avoir pour fonction de donner envie de consommer ou de jouer. Après un apéritif dont la discussion est sans cesse interrompue de coups d’œil coquins, nous allons au restaurant Picasso, restaurant deux étoiles dont le chef est le sympathique Julian Serrano qui bavardera longuement avec nous après le service. L’immense salle est entièrement décorée de tableaux de Picasso d’une rare beauté et d’une valeur impressionnante. Le restaurant paie chaque année plusieurs centaines de milliers de dollars pour avoir le droit d’utiliser le graphisme exact de la signature de Picasso. Notre table en extérieur est sur une terrasse au bord d’un lac. Nous avons la même impression que celle du grand restaurant qui borde le lac d’Enghein, ou que celle d’un élégant lac italien. La seule différence est qu’ici nous avons en face de nous la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe côte-à-côte, d’une taille divisée par trois. Un spectacle aquatique de centaines de jets d’eau synchronisés avec la musique ambiante va me pousser à prendre une myriade de photos. Quand le final de chaque morceau projette en l’air des tonnes d’eau à cent mètres de hauteur ou plus, nous avons par la suite une délicieuse brise fine comme un brumisateur. Le menu a déjà été composé par mon ami et nous commençons par un champagne Laurent Perrier rosé non millésimé qui se marie à la perfection au caviar Osciètre posé sur des tranches de pommes de terre. Nous goûtons ensuite un Puligny-Montrachet 1er cru le Cailleret, domaine de Montille 2004 qui est plaisant riche et de belle longueur. Mon ami a apporté trois rouges que nous goûtons à l’aveugle. Je trouve la région mais je me trompe de vingt ans sur les années. Il s’agit de Château Grand Puy Lacoste 1962, de Château Croizet-Bages 1961 et de Château La Tour Figeac 1961, domaine que j’avais visité, qui enjambe le Pomerol et le Saint-émilion, mais est un saint-émilion. Le menu est assez spectaculaire : filet de flétan, sauce safran et mousseline de chou-fleur / salade tiède de caille, salade frisée à la truffe et cœur d’artichaut / pigeon rôti, asperges vertes, risotto de riz sauvage et pignons de pin / mignon d’agneau, ragout de flageolets au jus / assortiments de fromages, saint-marcellin, époisses, camembert, fleur de maquis, manchego, cabrales / symphonie de desserts Las Vegas. L’exécution est très semblable à celle de Patrick Pignol. C’est de la cuisine bourgeoise élégante. Les vins sont d’une belle jeunesse, le 1962 étant moins épanoui que les 1961. Je crois que c’est le meilleur Croizet-Bages que je n’aie jamais bu et le La Tour Figeac est le meilleur des trois, avec un velouté charmant. Les desserts sont accompagnés d’un Pedro Ximenez Emilio Lustau 1961 que je devine rien qu’à son odeur, sans avoir besoin de goûter. Non loin de nous, nous voyons une table avec deux hommes et quatre jeunes filles qui ressemblent à s’y méprendre aux playmates de Play Boy. Le corps est bodybuildé, le bronzage est aussi précis que la cuisson des œufs coque, l’usage du silicone est largement distribué, et le sourire de gorge indique que le petit cadeau de fin de soirée sera royal. Cette vision entraîne de la part de mes jeunes convives des réactions exorbitées qu’on ne voit que dans les dessins animés, et chaque fois qu’une de ces beautés aux émotions tarifées traverse la salle, ce que nous voyons à travers les vitres car nous sommes en terrasse, c’est une traînée de langues pendues et de silence qui accompagne leur démarche aussi discrète que sur la scène du Crazy Horse. Rappelons que le Fix et le Picasso sont dans mon hôtel, le Bellagio, dans une aile que je n’avais pas encore visitée. Le retour à ma chambre est une promenade digestive, au milieu de milliers de tables de jeu fréquentées pas des milliers et des milliers de personnes. Las Vegas est une ville superlative. Lorsque je me rends à l’aéroport pour rejoindre Paris, j’ai une petite tristesse, car cette ville de toutes les extravagances est attachante, justement du fait de ses exagérations. La pluie à Paris et ma valise perdue sifflent la fin de la récréation.
A 19 heures précises, j’arrive au restaurant de Joël Robuchon situé au centre de l’hôtel MGM. Il faut bien un kilomètre entre la dépose du taxi et cet endroit. Nous en ferons bien deux avec des amis au retour, car nous nous sommes perdus dans les méandres des allées qui serpentent entre les tables de jeu. La décoration du lieu est luxueuse, avec des teintes noires, jaune vif et cristal. Les matériaux sont beaux. Tout ici donne une impression de luxe serein. Nous serons peu nombreux à ce dîner, pas plus d’une quinzaine. Je reconnais l’acheteur de vins du Caesar’s Palace dont j’avais fait la connaissance impromptue dans les caves de la Romanée Conti. Pierre Lurton est tout sourire, et bavarde avec la responsable des relations publiques de Joël Robuchon et la journaliste d’une revue de luxe de Las Vegas. Je suis avec Bipin Desai venu exprès pour ce dîner de Los Angeles, un ami suisse, l’agent pour le Nevada de plusieurs grands châteaux bordelais et mon ami de Las Vegas qui a organisé ce dîner est venu avec sa ravissante épouse. Il y a aussi des propriétaires de restaurants ou leurs sommeliers.
Ce dîner fait partie de la tournée de promotion qu’effectue Pierre Lurton dans l’ouest américain. En voici le titre : dégustation de Chateau Cheval Blanc and Chateau d’Yquem. Dîner du jeudi 8 novembre 2007, imaginé par Joël Robuchon. Invité d’honneur : Pierre Lurton.
Le menu : L’avocat – Dans une infusion juste prise aux herbes et une caillebotte à l’huile d’olive / Les crustacés – La langoustine truffée à l’étuvée de chou vert, le homard rôti à la citronnelle avec une semoule végétale, l’oursin accompagné d’une purée de pomme de terre au café / Le Matsukaté – Aux capucines en ravioli, escorté d’un bouillon parfumé au gingembre / Le thon blanc – Confit à l’huile pimentée et relevé d’une nage d’endives aux pistils de safran / Le veau de lait – En mille-feuille de tofu aux délices d’Alba sous une voilette parmesane / Le bœuf de Kobe – Grillé aux matsukatés, cristalline au poivre, cresson en tempura, raifort à la moutarde / La poire William – Glacée aux saveurs fruitées et confite à la crème de cassis / Le Victoria – Ananas parfumé au praliné- noisette givré de thé au jasmin.
Je suis venu surtout pour retrouver la cuisine de Joël Robuchon, mais les vins valent le détour. J’étais un habitué des restaurants de Joël Robuchon d’abord rue de Longchamp chez Jamin puis avenue Raymond Poincaré. Joël était mon Dieu vivant de la cuisine et lorsqu’il a voulu prendre du recul, ce que je comprenais, je n’ai pas voulu me rendre à l’Atelier car l’image immaculée que j’avais de ce chef eût été écornée. J’étais donc impatient de le retrouver avec l’envie de vaincre et d’accrocher trois étoiles à son carnet de notes. En buvant le champagne Dom Pérignon 1999, les petits canapés qui nous sont proposés sont dans la droite ligne du talent que j’ai connu. Il y a des saveurs pesées au trébuchet qui n’appartiennent qu’à son génie. Le Dom Pérignon 1999, malgré l’avis de l’homme qui le fait, Richard Geoffroy, ne m’émeut pas beaucoup. Il est bien fait, mais sans cette pointe de charme et de folie qui doit caractériser ce champagne de fête. Nous passons à table, et l’avocat est tout simplement divin. Joël est le seul qui peut définir des goûts d’une justesse absolue. La langoustine est extraordinaire et ce qui m’intéresse c’est que les emprunts aux cuisines orientales ne nuisent en rien à une expression purement européenne du goût. C’est de la cuisine bourgeoise sublimée. Le champagne Dom Pérignon 1996 est un de ceux que j’aime. Sa personnalité est forte. C’est un grand champagne de gastronomie. L’oursin traité en crème n’a pas l’explosion iodée qu’il pourrait avoir et le homard est relativement conventionnel.
Le Matsutaké est délicieux et met en valeur le Petit Cheval 2001. Si ce vin était seul à boire, le nez affirmé et le goût, même un peu sec, nous pousseraient à l’aimer. Mais il va servir de faire valoir au Cheval Blanc 2001 qui n’en paraît que meilleur. C’est un grand vin. Le thon blanc est moins convaincant que certains autres plats, même si la dextérité est évidente. Le délicieux veau de lait met en valeur deux vins, le Cheval Blanc 1989 et le Cheval Blanc 1990. Alors que le match était sans conteste à l’avantage du 1990, je trouve qu’aujourd’hui le 1989 a retroussé ses manches et sort enfin un grand jeu. Les deux vins sont d’un épanouissement total et je mettrais volontiers ex aequo les deux, même si la feuille de match couronnerait le 1990 plus élégant et charmeur par rapport au 1989 plus puissant et massif.
Le bœuf de Kobe est fondant en bouche, avec un gras extraordinaire. Il est accompagné de deux vedettes, le Cheval Blanc 1998 et le Cheval Blanc 2000. Cette soirée serait-elle révolutionnaire ? Car le Cheval Blanc 2000 ce soir est plus épanoui que le 1998. Ceci montre à quel point les avis ne sont jamais définitifs, car les conditions dans lesquelles on boit les vins changent. Malgré cela, je continue de penser que 1990 est au dessus de 1989 par son charme et son équilibre et que 1998 est au dessus du 2000, même si c’est une extraordinaire réussite, parce qu’il est plus pur, l’exemple historique de ce que Cheval Blanc doit être.
Les desserts ont montré des pistes intéressantes pour explorer Yquem. La crème de cassis est à exclure car les fruits rouges et noirs n’aiment pas Yquem. Mais les autres saveurs mettent en valeur Yquem.
Le château d’Yquem 1996 est assez limité pour mon goût alors que le château d’Yquem 1988 est en pleine force. Il est puissant, équilibré, serein et passe en force tout en ayant une palette aromatique large. Le château d’Yquem 2001 a toujours, c’est vrai, le potentiel de devenir un immense Yquem mais je trouve que ces trois essais en une semaine déboulonnent un peu le 2001 de son piédestal. Je ne le vois plus aussi stratosphérique que l’image que je m’étais forgée.
L’Yquem qui vient maintenant est un Yquem de connaisseurs, d’aficionados. Le Château d’Yquem 1962 en magnum a du thé et de l’abricot. Il est très complexe, énigmatique même. C’est un vin qui surprend à chaque goutte. En dégustation comparative, il aurait de mauvaises notes car il a perdu de son sucre. Les suggestions de thé le rendent assez amer. Mais sa finale d’une fraîcheur invraisemblable en fait un Yquem envoûtant, pour celui qui sait le lire. Car il faut de la patience et de la sérénité pour apprécier cette énigme et cette déroutante expression. Le 1988 et lui sont deux Yquem opposés, le 1988 dans la joie et l’épanouissement, le 1962 dans l’ésotérisme et l’énigme. Quel bonheur.
En écrivant ces lignes, je grignote le cake qui nous fut donné au moment de notre départ, en souvenir de la délicate attention qui existait il y a vingt ans. En sortant du restaurant, Bipin Desai, mon ami suisse et moi nous nous demandions où situer cette cuisine. Joël Robuchon, qui aurait dû nous rejoindre n’est pas venu. C’est son adjoint, Claude Le Tohic, meilleur ouvrier de France, qui a fait la cuisine. Ce n’est sans doute pas la même que si Joël y avait mis la main, même si aujourd’hui ces différences sont peu sensibles. On peut dire que le guide Michelin qui va venir ausculter le lieu dans moins d’une semaine n’aura aucune difficulté à donner trois étoiles, car on est à ce niveau, sans hésitation. Mais est-ce le Robuchon que j’ai déifié ? Si certaines saveurs sont au niveau irréel que Joël a su atteindre, l’ensemble du dîner ne met pas Robuchon très largement au dessus des autres comme il l’était il y a vingt ans. Est-ce que sa table vaut le voyage ? Assurément oui, car c’est certainement l’une des plus grandes tables de la planète. Et faire sa connaissance avec les plus beaux fleurons de Cheval Blanc et d’Yquem, que demander de mieux ?