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San Francisco day 4 – day 5 lundi, 8 octobre 2007

Le lendemain du fabuleux dîner avec des collectionneurs, j’emmène ma femme goûter les délices du Cable Car. C’est d’un charme désuet émouvant. Nous allons jusqu’au terminus, debout en porte à faux sur les marches extérieures du véhicule, pour revenir presque à notre point de départ. Nous cherchons des cadeaux dans les boutiques de China Town. On ne peut pas s’imaginer comme l’invention humaine peut se débrider (excusez cette allusion assez facile) pour créer des horreurs. Elizabeth, la femme de mon ami collectionneur nous conduit à Castro, un quartier qui est en hauteur, peu éloigné des Twin Peaks. Il y a quelque chose qui ressemble à un marché en plein air où s’égaye (excusez encore cette allusion assez facile) une population homosexuelle en pleine revendication d’identité assumée.

Ce qui est assez amusant, c’est de constater que dans le souci de montrer une « altéralité », il y a un immense conformisme. Nous allons ensuite sur les Twin Peaks, ces deux collines qui surplombent la ville, observer sous un autre angle le ballet des avions de chasse, pour la dernière journée de leurs manœuvres aériennes.

(en allant voir les maisons victoriennes d’Alamo Park, je rêvais que des avions passent au dessus des toits. Ce fut fait !)

Un ami californien, James, connaisseur de vins à la sensibilité que j’apprécie, vient avec son épouse nous chercher à notre hôtel. Il nous emmène dans un quartier proche de celui bigarré que nous avions visité, au restaurant Zuni lieu assez branché où nous dégusterons des anchois (house-cured anchovies with celery, Parmesan and niçoise olives), puis des gnocchis (Bellwether farms ricotta gnocchi with chard and pistachios) et la spécialité de la maison (chicken roasted in the brick oven, warm bread salad with scallions). Le repas se finira sur Apple huckleberry tart with vanilla ice cream.

James sort de son cartable un Meursault Charmes Domaine Roulot 1999 qui titre 13,2°. Il le goûte et semble rencontrer un problème. Il demande un seau à glace, attend un peu, et après de longues minutes je suis « autorisé » à percevoir ce dont il s’agit. Le goût de bouchon qu’il avait décelé n’est plus perceptible au nez, mais il est sensible en bouche. Cela gâche évidemment la dégustation. Il se produit alors un phénomène que j’ai maintes fois observé : brusquement, sans crier gare, le goût de bouchon disparaît. Et ce n’est pas une rémission à 90 ou 95%. C’est une rémission totale. Quand un défaut peut être éliminé par l’oxygénation, il l’est à 100%. Le Meursault devient alors sur les anchois très goûteux, et glisse gentiment sur les gnocchis.

Une nouvelle plongée dans la sacoche, et c’est un Chateauneuf-du-Pape Réserve des Célestins Henri Bonneau 1992 qui apparaît. Ce bambin qui affiche 14,5° montre une précocité certaine dans le monde parkérien. Le vin est ultra puissant pour son année, et son charme n’exclut pas une certaine brutalité.

Il se savait outre-Atlantique que ma femme ne boit qu’Yquem. La sacoche devient corne d’abondance en découvrant Château d’Yquem 1986. Ma femme le trouve délicieux aussi aurais-je mauvaise grâce à ajouter le moindre commentaire à ce qui lui a plu. C’est un sauternes qui trouvera son épanouissement dans trente ans.

James est un être sensible et raffiné. J’adore parler de vin avec lui. Ce moment d’amitié est précieux pour moi, porteur de promesses d’autres grands moments de partage. Je travaillerai à l’organisation d’un voyage en Bourgogne avec ce groupe d’amis.

Le lendemain, petit-déjeuner avec Steve Elizabeth et l’un de ses fils pour se dire au revoir et se remémorer ces instants uniques de partage de grands vins. Nous allons ensuite faire du shopping. La baisse du dollar est une incitation à acheter beaucoup.

Nous allons au Pier 39 voir les « sea lions », éléphants de mer qui font la sieste sur un embarcadère. Des achats de cadeaux totalement inutiles mettent un point final à ce voyage de rêve américain. (photo d’une vitrine et les "sea lions du Pier 39)

 

(grosse surprise à notre fenêtre, un ouvrier travaille en extérieur au 39ème étage ! on voit au fond le brouillard venant de l’océan qui traverse par le Golden Gate et va envahir la baie de San Francisco)

 

Le brouillard va envelopper Alcatraz, et ce front de brouillard va progressivement ouater le centre ville.

La progression est spectaculaire.

San Francisco day 3 – le dîner de collectionneurs samedi, 6 octobre 2007

La journée du lendemain doit être calme, car le dîner marquera le point culminant de ce voyage. Ma femme fait du shopping avec Elizabeth, je fais un court shopping de mon côté, et nous prenons place dans notre chambre pour le spectacle du ballet aérien sur la baie de San Francisco. Des milliers de bateaux se sont rangés dans la baie pour se faire des sensations fortes, car les avions vont faire des piqués et raser le haut de leurs mâts. Une foule immense a envahi les quais pour suivre le spectacle particulièrement impressionnant. Le plus vibrant est quand deux avions foncent l’un sur l’autre à moins de cent mètres de hauteur, et dévient leurs trajectoires au dernier moment. Quatre avions en formation serrée passeront sous le Golden Gate Bridge. J’imagine la réaction des automobilistes qui traversent le pont à ce moment-là.

Nous partons avec Steve pour ouvrir les bouteilles au restaurant « Fleur de Lys », accueillis par Marcus Garcia souriant qui se propose de nous aider. Je m’aperçois qu’il n’y a pas de longue mèche, aussi nous partons avec Steve acheter cet accessoire. Le taxi que nous trouvons difficilement, tant la ville est en plein mouvement, ne veut pas nous attendre malgré des palabres. Je serai obligé de rester dans le taxi pour éviter qu’il ne s’en aille pendant que Steve achète l’outil qui me sera utile. J’ouvre le Château Palmer 1947 dont le bouchon est très sec dans sa partie haute et très souple dans sa partie basse. Il sort entier. Ce n’est pas le cas du Château Mouton-Rothschild 1928, magnifique bouteille. Son bouchon imbibé et fragile viendra en plusieurs fois, mais aucun morceau ne tombera dans le liquide, contrairement à ce qui était arrivé pour le Carbonnieux 1928 de la veille. Nous sommes six garçons autour de la table, pendant qu’Elizabeth a regroupé les épouses pour laisser les mâles se livrer à leur passion favorite.

Le menu préparé par Hubert Keller, un chef français, alsacien de Ribeauvillé, et servi par un français fort sympathique est un vrai chef d’œuvre : passed « canapés » / tsar Nicoulaï « select » California osetra caviar accompanied with parsnips blinis / roasted Maine lobster on artichoke purée, citrus salad, porcini oil / boneless quail, scented with a juniper berry & orange essence / Colorado lamb loin & lamb cheek sausage, « tarbais » bean « cassoulet », whole grain mustard & tarragon sauce / venison topped with sauteed foie gras, served with truffled Port wine sauce / assortment of artisanal French cheeses served with rustic fig bread / classic Grand Marnier soufflé served with an orange & cardamom ice cream / assortment of petits fours & chocolates.

Le menu a été exceptionnellement bien traité par Hubert Keller comme l’indiquaient d’emblée les petits canapés d’un raffinement particulier. Le Champagne Brut Classic Deutz en magnum 1975 joue parfaitement son rôle d’ouverture. Doté d’une très belle maturité, il manque sans doute un peu de puissance et de coffre, mais il est très agréable et laisse une belle trace en bouche. Flexible, il s’adapte à tous les caprices des amuse-bouche.

Le champagne Louis Roederer 1959 a un nez très inamical, mais en bouche, si on accepte sa logique, c’est comme un toboggan : on se laisse aller, et c’est bon. On ne se laisse pas impressionner par l’amertume et il devient passionnant. Je suis assez estomaqué par le caviar d’élevage californien qui est d’un goût qui impose le respect. Avec le Roederer, l’harmonie est totale. Ce n’est pas du tout le cas pour le Montrachet Domaine Ramonet en magnum 1996 qui ne veut pas s’associer au caviar. Il est beaucoup plus accueillant envers le homard avec lequel il forme un accord de grande beauté. C’est un bon Montrachet que je trouve un peu scolaire. Il est très élégant, mais sans fanfare.

On constatera dans ce repas que chacun est particulièrement sensible aux vins qu’il a apportés, car ayant voulu faire plaisir aux autres, il les chérit particulièrement. Je ne manque pas d’adopter cette attitude, car dès que je suis servi du Château Palmer 1947 que j’ai inscrit à ce dîner, je le trouve complètement extraordinaire. Il me paraît impossible de rêver mieux. Avec la caille désossée et le ris de veau, c’est parfait. Ce vin est charmeur comme il est difficile de l’imaginer. Il incarne ce que 1947 peut créer de plus beau.

Je vacille, car le deuxième vin que j’ai apporté, rareté extrême, Château Mouton-Rothschild 1928, est encore meilleur, marqué d’une plus forte personnalité. Comme pour le Palmer 1947, le Mouton est d’une couleur d’une jeunesse folle. Le goût est fantastique, très typé. C’est un vin immense, incroyable, à pleurer. Le 1947 est un vin parfait mais équilibré. Le 1928 est invraisemblable. Il a la jeunesse, il a du sel et du poivre, une profondeur qui me touche au-delà du possible. C’est un bonheur total. La profondeur de ce vin est incroyable. Il rejoint mon Panthéon des vins de Bordeaux.

Le Château Latour 1926 de mon ami Steve donne l’impression de ne révéler qu’une partie de ce qu’il pourrait donner. Il a encore tellement de potentiel que c’en est incroyable. Quand nous goûtons le vin un convive dit : « ce vin appelle la truffe », et voilà qu’elle survient ! Ce 1926 est fruité, doux, parfait avec le foie gras, et mal à l’aise avec le gibier qui est trop fort du fait de sa sauce trop intense. Le 1926 a une force de structure qui est spectaculaire. C’est un vin très solide et jeune.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1985 a un nez très DRC (domaine de la Romanée Conti). Il m’évoque des pierres de lave encore en fusion. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1964 a un nez fatigué.

Le 1985 a un goût très poivré, très salé. Sa séduction ne se découvre que si on la recherche. Il va bien avec un fromage « tête de moine », très salé aussi. Le 1964 est plus adouci, plus aqueux, mais d’une trace plus longue. Il est très agréable. L’époisses adoucit le 1985. Le 1964 est charmeur et velouté, il joue en séduction contrairement au 1985. Son final titille et impressionne. Les deux vins du DRC font un contraste et une rupture gustative très forts avec les bordeaux.

Le fromage bleu est trop salé pour accompagner le Château Climens 1937. Ce sauternes, très différent du Suduiraut 1929 qui m’est apparu plus flamboyant a un goût de café, de thé et de tabac. C’est donc une acception moins ensoleillée du sauternes.

Steve a ajouté un vin surprise. C’est un Tokaji Essencia 1856. J’ai déjà bu des Essencias très anciens. Mais ici, on quitte tout repère. Le vin, si l’on peut encore appeler cela du vin, est très épais, incroyablement sucré. On penserait à un « canard », sucre qui aurait trempé dans une liqueur de cassis, de prune et de raisin. C’est un vin qui est différent de tout ce que l’on peut connaître. Il a encore une acidité énorme, qui compense la sucrosité. Il emporte la bouche dans laquelle il a une présence infinie. Une curiosité passionnante que l’on imagine avoir une vie éternelle.

Nous sommes six et nous procédons aux votes de ces dix vins. Neuf d’entre eux auront un vote, ce qui est plus que satisfaisant. Bien évidemment chacun vote pour les vins qu’il a apportés, car il les aime. Le Mouton 1928 recueille trois places de premier, soit pour la moitié de la table, ce qui me fait plaisir après l’ennuyeuse contre-performance du Carbonnieux 1928, et le Latour 1926 en recueille deux. L’Essencia 1856 reçoit un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Mouton 1928, 2 – Latour 1926 et Richebourg DRC 1985, 4 – Palmer 1947.

Mon vote : 1 – Mouton 1928, 2 – Palmer 1947, 3 – Louis Roederer 1959, 4 – Latour 1926.

Le service a été excellent et attentif, la cuisine fut originale, goûteuse, précise. Les amis de Steve sont de grands amateurs de vins, joyeux, décontractés mais réfléchis lorsqu’ils dégustent. Ce fut un dîner d’une rare qualité, amical, aux vins particulièrement brillants. Il justifie sans aucune hésitation le voyage que nous avons fait en terres californiennes.

San Francisco day 2 vendredi, 5 octobre 2007

Avec Elizabeth, la femme de mon ami, nous allons faire du shopping. Dans un immeuble immense, un centre d’achats ressemble à la fois à un souk de Marrakech, aux Puces de Saint-Ouen et à un fourre-tout de China Town. L’objet essentiel de cet ensemble de magasins, ce sont les cadeaux, les bijoux et les diamants. Il y a de grandes tentations à des prix rendus plus doux par la faiblesse du dollar. Nous visitons ensuite le MOMA, le musée d’art moderne de San Francisco, et nous allons déjeuner à Sutro’s, un restaurant qui surplombe la mer sur la côte Pacifique, à côté d’une immense plage de sable où un vent violent projette des vagues qui attirent des kite-surfs. Une barmaid aux gestes adroits, saccadés et efficaces prépare des cocktails pendant que nous attendons qu’une table se libère dans la salle à manger qui donne sur une mer déchaînée.

Nous faisons ensuite une promenade touristique en voiture qui nous conduit au Golden Gate au moment où les « Blue Angels », la patrouille de voltige de l’armée de l’air fait de nouveau des exercices au dessus de la baie de San Francisco.

A 17 heures, je vais avec mon ami Steve ouvrir les vins du dîner familial. Ce sera au restaurant Masa’s, dont le chef est Gregory Short, le chef sommelier Alan Murray, et le maître d’hôtel Adam Lovelace. J’ouvre mes deux bouteilles et Steve les ouvre hors de ma présence, car il ne veut pas que je sache à l’avance les surprises de ce soir. Le bouchon du Carbonnieux 1928 vient en mille morceaux. Les odeurs que révèle la bouteille me paraissent saines. Le bouchon du Suduiraut 1929 vient entier et c’est un parfum capiteux qui envahit la pièce. Nous retournons à l’hôtel pour nous préparer et nous nous retrouvons, Steve, Elizabeth, les deux enfants de Steve, la fiancée de l’aîné, ma femme et moi dans une salle toute petite, qui est l’antichambre de la cave du restaurant. Une table de sept y est dressée. La confidentialité de notre groupe est préservée, mais les émanations de vins dans cette cave mal aérée vont tirer des bâillements toute la soirée de la part de nos hôtes, sensibles au manque d’oxygène.

Le menu est tout un programme : butternut squash soup, brown butter foam / bone marrow custard, truffle sauce, crispy bone marrow / farm raised Siberian Osetra caviar, melted leeks, salsify purée, chive infused oil / German butterball potato salad, applewood smoked bacon, Spanish capers, French cornichons, micro celery, whole grain mustard vinaigrette / whole roasted Hiramé, wilted young spinach, maitake mushrooms, preserved meyer lemon infused broth / sweet butter poached Maine lobster, caramelised baby lettuce, brioche toast, lobster vinaigrette / whole roasted Mallard duck foie gras, French green lentils, jonathan apples, red shiso, apple gastrique / sautéed Paine farmes squab breast, honey roasted quince, wilted young chard, confit leg, “jus de grenadine” / pan-roasted rack of Millbrook farms venison, poached seckel pear, roasted chestnuts, sauce “au poivre” /  Artisan cheese, fleur de maquis (sheep), capricious (goat), Montbriac (cow) / petit sorbet, ginger-orange-carrot “slurpee” / pear charlotte, carmelized pears, raspberries, blackberries, streusel, caramel sherbet.

Tous ces intitulés sont révélateurs de la volonté du chef. Il a réussi un repas de très grande qualité, valant au moins une étoile. Les accords avec les vins n’ont pas toujours été pertinents, mais cela n’a pas empêché de bien les déguster.

Le Champagne Cristal Roederer 1990 est une agréable surprise. Je ne bois pas fréquemment ce champagne, favori d’Elizabeth, et celui-ci me ravit. Donnant déjà des signes de maturité, il a des accents de fruit confit. Dense, typé, de forte personnalité, c’est un grand champagne.

Le Château Olivier, Graves blanc 1945 est d’une couleur d’un or presque mangue. Le nez est policé. En bouche, ce vin pourrait constituer une leçon de choses. Car trop de gens pensent qu’un vin blanc évolué est madérisé. On est en présence d’un vin élégant à qui la maturité a donné une autre personnalité, d’un talent certain. Ce vin de gastronomie est d’un immense plaisir.

Le Château La Gaffelière, Saint-Emilion 1959 est d’une jeunesse folle. Son nez est frais et expressif, et en bouche, on jurerait un 1986. Je suis tellement dérouté par sa jeunesse que je ne profite pas comme il conviendrait de son équilibre joyeux.

Le contraste est fort avec le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1934 qui lui, fait vraiment son âge. Sa couleur est étonnamment claire, d’un rose maigrelet, mais en bouche, c’est un agréable témoignage de 1934. Pas le meilleur car il accuse une certaine fragilité, mais j’aime beaucoup sa façon de se présenter, l’acidité ne gênant pas le plaisir.

Le Château Carbonnieux 1928 que j’avais senti avec intérêt à l’ouverture affiche maintenant une odeur de bouchon. Ça m’énerve au plus haut point, car cela fait deux bouteilles faibles que je partage avec mon ami Steve, l’Issan 1899 fatigué et ce Carbonnieux 1928 bouchonné. Heureusement, la sauce au poivre du daim permet d’apprécier le vin qui en bouche ne se ressent pas trop de son nez de bouchon. Mais quand même, on ne peut le déguster comme il pourrait être, car il sait être brillant, l’un des beaux exemples de 1928.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée-Conti 1964 me fait sourire en le sentant, car il y a cette signature poivrée qui n’appartient qu’au domaine. Le vin très bourguignon ne peut que me séduire. C’est un vin très agréable et complice même s’il manque un peu de coffre. Il compense par une belle joie de vivre.

Le Château Suduiraut 1929 avait un nez d’une puissance rare à l’ouverture. Il confirme maintenant. D’une couleur très foncée, il offre des arômes d’orange confite, de datte. C’est un vin exceptionnel de plénitude, de joie, de perfection. Il va très bien avec les saveurs de noix et de caramel.

Je n’ai pas fait voter l’ensemble de la table, mais j’ai recueilli le vote de Steve. Il classe ainsi : 1 – Château Olivier 1945, 2 – Château Suduiraut 1929, 3 – Echézeaux DRC 1964, 4 – Château La Gaffelière 1959.

Mon vote est : 1 – Château Suduiraut 1929, 2 – Champagne Cristal Roederer 1990, 3 – Château La Gaffelière 1959, 4 – Echézeaux DRC 1964.

La performance du Suduiraut que j’avais apporté compense ma vexation d’avoir apporté un vin bouchonné. Les vins furent tous très bons à part celui-là. Le chef a réussi son dîner et particulièrement le foie gras et le pigeon, le service fut impeccable. N’était l’absence d’aération de notre salle où nous étions cernés par des rangées de bouteilles de la cave et submergés par des odeurs de vin, ce fut un dîner très agréable, marqué par le désir de partage que nous avons structuré avec cet ami américain.

The wines which were brought to California jeudi, 4 octobre 2007

I used the freight company which works for my friend.

I was highly anxious to ship wines for such a long distance.

 Chateau Carbonnieux 1928 from Nicolas cellar that I have drunk several times, for the first family dinner.

 Chateau Suduiraut 1929, one of my favorite Sauternes, for the family dinner.

 Chateau Palmer 1947 for the collectors’ dinner (the label went apart. My friend put some glu on it to fix it on the bottle)

 

Chateau Mouton Rothschild 1928 with a very nice label, for the collectors’ dinner.

 

A "Chypre Ferré" with no indication of year but should be from 1845 as my other Cyprus wines. A gift to my friend.

 

Chateau Palmer 1966 bottled by Mähler Besse, a gift to my friend.

Californie – day one jeudi, 4 octobre 2007

Départ aux Etats-Unis pour retrouver un ami collectionneur. Le voyage débute dès Roissy, où l’on peut prendre la mesure des effets du gigantisme. Dès que l’on est enregistré après avoir serpenté dans les files d’attente, ce ne sont pas moins de huit contrôleurs qui vérifieront successivement que nous sommes bien porteurs de titres de voyage et de papiers d’identité conformes au chemin que nous suivons. Autre signe : lorsque les portes de l’avion se ferment après vérification de la présence de tous les voyageurs, il nous faudra une demi-heure avant que les roues de notre avion ne quittent le macadam. L’humanité reprendra le dessus avec notre steward, jovial, drôle même, qui égaye notre voyage par des remarques souriantes, naïves parfois mais d’une grande gentillesse.  Les repas qui sont servis dans le ciel, au lieu de prendre de la hauteur, sont d’un morne horizon. Et les vins que l’on propose, qui ont peut-être plu à l’acheteur de la compagnie aérienne pour leurs prix attractifs, sont un rempart contre la propagation de l’alcoolisme, car on n’y touche pas. Faut-il absolument manger cantine quand on est transporté par une compagnie française ?

Les formalités douanières sont conformes à leur réputation, pour montrer que l’entrée dans le paradis du  Far West se mérite. L’arrivée sur San Francisco en taxi est riche d’impressions et d’évocations. Nous entrons à l’hôtel Mandarin Oriental où le chef concierge s’adresse à moi comme si j’étais l’empereur de Chine. Il risque quelques mots en français, du meilleur chic, et tout dans l’accueil est ici feutré, policé, motivé et concerné. Notre chambre d’angle, au 39ème étage a deux fenêtres qui regardent vers le centre ville et une autre qui offre en spectacle le Golden Gate Bridge ainsi que la baie de San Francisco et Alcatras. Le luxe fait du bien.

Il faut du temps pour accorder l’heure biologique à l’heure locale. Et nous ne sommes pas aidés par une alerte au feu qui se déclenche vers 3 heures du matin. Quand on est au 39ème étage, les réflexions ne sont pas les mêmes, et l’on ne peut s’empêcher de penser au 11 septembre. Le temps de trouver ce que j’emporterais avec moi, je me retrouve dans le couloir quand l’on annonce fausse alerte. Si l’alerte avait été réelle et avait entraîné une panique, ma lenteur aurait conduit à graver mon nom sur un mémorial.

Golden Gate, Japanese Tea garden, Union Street shops, Lombard Street et ses rues serpentines, Union Square où l’on prend un café, et soudain, le ciel vrombit. Pendant trois heures, tous les avions les plus rapides de l’armée de l’air, et les antiques avions de voltige vont sillonner le ciel dans un vacarme étourdissant. Revenus dans notre chambre nous assistons à des exercices de voltige extraordinaires, en préparation d’une grande parade qui aura lieu dans quelques jours. Nous sommes aux premières loges pour contempler ce spectacle frissonnant. Voir des simulacres d’attaques de buildings pourrait paraître de mauvais goût, mais l’Amérique est ainsi faite.

Nos amis arrivent au même hôtel, où ils séjourneront avec nous, bien qu’ils habitent dans le voisinage. C’est une preuve certaine d’amitié, et une sage précaution en prévision de ce que l’on va boire.

Nous invitons nos amis à dîner au restaurant de l’hôtel Mandarin Oriental. C’est ici même que nous avions dîné il y a un peu plus d’un an avec cet ami, sur Cristal Roederer 1949 et Mouton-Rothschild 1926. Le jeune chef avait fait alors un repas admirable. Celui de ce soir marque une baisse sensible de qualité. Une huître perd son âme sur une mousse trop épicée, des coquilles Saint-Jacques sont en procédure de divorce avec la garniture trop épicée à base d’avocat (seared scallop, crab carbonara, smoked avocado). Le bœuf de Kobe japonais, traité de façon classique (Japanese Kobe beef skirt steak, sunchoke puree), est parfait. Le dessert (pear cake, buttermilk panna cotta, shiso green apple sorbet) crée une rupture gustative qui tue les vins. Et l’après dessert à base de chocolat chaud et de bière brune fait crier au secours un palais chaviré.

J’ai manqué de réactivité en ne renvoyant pas un champagne Krug Grande Cuvée trop amer et acide. Je m’en ouvris trop tard au chef sommelier qui visiblement n’avait pas envie de reprendre ce vin. Les deux grands moments furent d’une part le Corton-Charlemagne Vincent Girardin 2003 absolument délicieux, goûteux, expressif, d’une belle définition et d’une longueur appréciable. Ce vin élégant a beaucoup de qualités. L’autre fut le Clos de Vougeot Grand Cru domaine Méo Camuzet 2002, bourgogne d’un charme particulier et d’une authenticité remarquable. Ce vin accompagne le bœuf avec une fidélité exemplaire. Au moment des retrouvailles après nos agapes d’il y a cinq mois, marquées par un Mouton 1945 et un Pol Roger 1921, on ne retiendra que ces deux vins, le blanc et le rouge, au plaisir certain.

déjeuner chez Pierre Gagnaire – les photos d’Hervé This vendredi, 21 septembre 2007

le décor lorsqu’on s’assied

je cherche un vin

le menu d’automne

les amuse bouche

le pain et le vin

gelée de bœuf au pain brûlé, boudeuses nature aux oignons, pâte de betterave rouge légèrement fumée, beaufort frais fondu au chorizo

marinière de crevettes impériales au pamplemousse, dominos de poire, noisettes fraîches, aspic de tourteau parfumé de verveine

gras de seiche déclinés, raviole de tomate, poivron vert et rouge, ventrèche de thon et supions grillés à la diable

girolles, cornes d’abondance et datte fraîches au lait de coco, glace de rainette à la tagette

tranche de bar pochée au beurre fondu, feuille d’algue kombu et cresson, bouillon de poireau aux graines d’amarante

poissons de roche : rouget au citron raidi au chardonnay, peau croustillante, lichette de saint-pierre au paprika, soupe d’étrille liée d’avoine, piments noras au fenouil, bouillabaisse glacée, chair d’aubergine violette de Florence

pour mettre en scène le cèpe … volaille gauloise blanche et homard bleu cuisinés – ail doux et gingembre –

le couteau !

fromages cuisinés : chèvre du Gers, crème d’amande, bleu d’auvergne, cœur d’artichaut maco, sirop de porto, infusion gélifiée de cumin grillé, munster fermier, citeaux monastique, navet au vinaigre de riz

les desserts Pierre Gagnaire

 

 

 

Voici ce que nous avons goûté. Un vrai spectacle.

 

entrée dans l’univers gastronomique de Pierre Gagnaire vendredi, 21 septembre 2007

La mémoire encore souriante des saveurs savoyennes, je me précipite au restaurant de Pierre Gagnaire où je retrouve pour déjeuner Hervé This, le pape de la gastronomie moléculaire. Hervé est un ami de Pierre et son complice dans certaines de ses créations. Qui, mieux que lui, pourrait me faire entrer plus profondément dans le monde créatif de Pierre Gagnaire qui a accepté de réaliser prochainement un dîner de wine-dinners ? J’ai eu la chance en effet que Pierre Gagnaire accueille favorablement l’idée, alors que son monde créatif n’est pas naturellement tourné vers les vins anciens.

Hervé et Pierre ont travaillé ensemble ce matin et lorsque j’arrive, Hervé me dit : « connais-tu l’œuf à 62° ? ». Il me décrit les écarts gustatifs entre l’œuf à 62° et l’œuf à 65°. Il avise un maître d’hôtel et lui dit : « pouvez-vous m’apporter un œuf à 65° ? ». Et Hervé prépare l’œuf et me fait constater les textures particulières du blanc comme du jaune, très différentes de ce que l’humain moyen côtoie. Nous rejoignons notre table pour commander le menu d’automne, dont l’intitulé est à peu près aussi long qu’un discours de Fidel Castro. Jugez plutôt : gelée de bœuf au pain brûlé, boudeuses nature aux oignons, pâte de betterave rouge légèrement fumée, beaufort frais fondu au chorizo / marinière de crevettes impériales au pamplemousse, dominos de poire, noisettes fraîches, aspic de tourteau parfumé de verveine / gras de seiche déclinés, raviole de tomate, poivron vert et rouge, ventrèche de thon et supions grillés à la diable / girolles, cornes d’abondance et datte fraîches au lait de coco, glace de rainette à la tagette / tranche de bar pochée au beurre fondu, feuille d’algue kombu et cresson, bouillon de poireau aux graines d’amarante / poissons de roche : rouget au citron raidi au chardonnay, peau croustillante, lichette de saint-pierre au paprika, soupe d’étrille liée d’avoine, piments noras au fenouil, bouillabaisse glacée, chair d’aubergine violette de Florence / pour mettre en scène le cèpe … volaille gauloise blanche et homard bleu cuisinés – ail doux et gingembre – / fromages cuisinés : chèvre du Gers, crème d’amande, bleu d’auvergne, cœur d’artichaut maco, sirop de porto, infusion gélifiée de cumin grillé, munster fermier, citeaux monastique, navet au vinaigre de riz / les desserts Pierre Gagnaire.

La chute de cet texte, « les desserts Pierre Gagnaire » est d’un minimalisme étonnant par rapport à l’infinie variété de ce que nous goûterons. Lorsque j’ai relu ce menu, je me suis rendu compte que tous ces intitulés se justifient, car chaque composante est une pierre d’un édifice cohérent. Hervé a commenté avec Pierre chacun de ces plats pendant la séance de travail qu’ils ont eue ce matin, aussi ai-je le cornac le plus compétent qui se puisse inventer. Ne connaissant pas le sommelier, je préfère suivre ses conseils pour pouvoir mieux comprendre son approche. Dans une proposition vaste et judicieuse, je choisis un vin que je n’ai pas l’habitude de boire, un vin blanc de pays des côtes catalanes domaine Gauby 2004. Le vin a un nez énergique qui montre une petite note de caramel. En bouche on sent un léger côté laiteux, mais aussi minéral, ardoise mouillée, salin.

Malgré l’ampleur du menu, nous recevons des petits amuse-bouche déjà complexes, comme une tuile au parmesan avec une petite saucisse, une tuile de roquette absolument délicieuse, et un wurz à l’ancienne, qui est une mousse de blanc d’œuf montée à la gentiane. A cela s’ajoutent des dés de comté et des grains de maïs. On entre de plain-pied dans un monde fou, fou, fou où les papilles se régalent. Nous avons aussi (nous n’avons toujours pas commencé le repas) une petite choucroute avec une purée de pomme de terre ludique à souhait, qui accompagne délicieusement le vin. Ça démarre bien. Hervé, croyant que je suis capable de comprendre, m’informe d’un élément essentiel : la crème mousseuse est faite au siphon.

Le premier plat est spectaculaire. La gelée de bœuf, la betterave et l’huître forment un goût hors du commun. Le vin se marie très bien à l’huître. Je commence à me sentir confiant, car la cohérence du plat en fait un compagnon certain d’un grand vin. Je pense à un champagne déjà mûr.

Les crevettes et pamplemousses ont des saveurs uniques, formant un kaléidoscope. Ça se croque bien. Ce plat irait très bien avec un vin et je pense à un Meursault. Hervé et moi faisons un contresens, car les gras de seiches déclinés selon plusieurs préparations ne sont que des appendices. Le principal du plat, c’est le thon qui est grillé et laqué. Nous étions troublés par la profusion gustative qui fait partir dans de trop nombreuses directions, mais en fait, comme nous l’explique Pierre, il faut considérer les dés de seiche comme des pauses ludique par rapport au plat. Je verrais bien un vin d’Arbois pour ce plat qu’il faut expliquer aux convives pour éviter que l’on ne s’égare.

Ayant une aversion au lait de coco que je considère comme un ennemi déclaré des vins, je ne vois aucun accord possible avec le plat de girolles. Le bar est délicieux, très doux. La graine d’amarante l’alourdit un peu et le cresson est un peu fort pour un vin ancien. En fait, il ne faut pas prendre le cresson seul mais l’incorporer dans une bouchée. Cette remarque vaut pour beaucoup d’autres plats, car il ne faut pas céder à la tentation de séparer les ingrédients mais au contraire les marier en bouche. Sur le bar, je verrais bien un bordeaux ancien.

Nous bavardons beaucoup et Hervé me dit qu’il considère Pierre comme étant dans une phase « velours », la cuisine de ce chef à l’imagination infinie se coulant dans le moule de sa propre vie, constatation que l’on a pu faire aussi pour Marc Veyrat. Je constate à ce stade que le vin blanc de Gauby se comporte bien avec les plats.

Le plat de poissons de roche est d’une subtilité extrême. Tout est composé, rien n’est dû au hasard, et je suis bien embarrassé pour définir le vin qui accompagnerait ce plat. Le fenouil me pousserait vers un vin rouge, mais les piments accepteraient un grand vin d’Alsace, même en vendanges tardives si le vin a de l’âge. Les recherches terre et mer mettent ensemble un homard et une volaille, liés entre eux par un jus qui reprend les deux. Un bourgogne ancien conviendrait à ce plat. Il faudrait faire attention au gingembre, car l’expérience montre qu’il raccourcit notre blanc. Les fromages cuisinés me semblent difficiles dans le contexte de mes repas, mais l’exercice est brillant, la gelée au cumin est superbe.

Les desserts ne peuvent pas se raconter tant il y en a. Un vieux banyuls irait très bien, à doser cependant pour éviter qu’il n’en écrase certains. Dans un dessert il y a une meringue à l’alcool de sorbier qui se prendrait sans vin mais qui est un délice.

La cuisine de Pierre Gagnaire est éblouissante, inventive et créatrice sans aucun désir de prouver. C’est l’expression d’un talent libre. Le foisonnement est sain. Avec les explications d’Hervé, ami de Pierre, c’est un privilège d’être ainsi entré dans son monde. J’ai pu constater qu’en grande partie, les plats s’adapteront aux vins anciens. Nous en ferons prochainement l’expérience. Il y aura des mises au point, car la carte de ce jour n’existera plus le jour du dîner. C’est un  beau projet qui se dessine.

un cocktail prestigieux; il a tant de succès que je m’en échappe pour aller dîner chez Guy Savoy jeudi, 20 septembre 2007

Une société financière invite des clients et prospects. Le président est un gourmet et n’envisage que le meilleur : buffet créé par Guy Savoy, vins présentés par 1855 en présence de quelques vignerons dont Alexandre de Lur Saluces. On ne résiste pas à de tels arguments. Mais je ne serai pas le seul, car une foule immense se presse sur le lieu de ce cocktail. Il est quasiment impossible de s’approcher des buffets regorgeant de subtiles nourritures car une foule même distinguée reste toujours une foule. Je demande alors à Guy Savoy qui veut retourner dans ses bases : « puis-je venir dîner ? ». La réservation est vite prise. Avant de quitter cette manifestation de prestige, je bois un délicieux champagne rosé Billecart-Salmon, puis Château Mouton-Rothschild 2001 qui semble s’épanouir, un Hermitage La Chapelle Jaboulet 1998 qui est très plaisant dans les conditions dans lesquelles je le bois. Je vais maintenant aller goûter le talent de Guy Savoy dans le calme feutré de sa belle salle à manger.

Guy me suggère le menu qui sera composé ainsi sans l’intervention de son truculent et pince sans rire adjoint. Je ne peux pas ne pas prendre les petits pois. Ce sera ensuite un quasi de veau et enfin un foie gras avec des cèpes.

Nous discutons avec Eric Mancio du vin qui conviendrait à ce curieux assemblage de saveurs et je jette mon dévolu sur un Hermitage Chave blanc 1997.

Une première bouteille est bouchonnée ce qui nous attriste. La seconde est parfaite. Le petit amuse-bouche se compose d’une crème aux champignons et d’une petite pomme de terre au goût profond. L’Hermitage chante avec le champignon. Comme il est très poivré je demande un des délicieux toasts au foie gras sur pique et l’accord est vibrant. Il y a dans le vin un goût de miel.

Malgré ma légitime appréhension, le vin arrive à mettre en valeur le petit pois, ce qui avouons-le, n’est pas évident. Il exhausse sa crudité alors qu’il se fait réservé sur l’œuf. L’Hermitage a des évocations de lait, de crème, de brioche et un fort poivre. J’avais hésité sur la carte entre le Chave et le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe blanc 1992. Eric m’en apporte un verre. Immédiatement le Vieux Télégraphe apparaît plus ouvert, plus complexe, plus varié. Mais en y revenant on s’aperçoit que le Chave a plus de longueur et de race. Alors ? Comme souvent, il faut aimer les deux.

Je découpe la chair du quasi de veau sous les yeux de Guy qui me demande : « est-il trop ferme ? ». Je dis oui. « Est-il goûteux ? ». Je dis oui. Je fais remarquer à Guy Savoy que le chou farci qui est en garniture pourrait jouer un ton en dessous, car il monopolise le palais. Comme toujours, ce sont des remarques à la marge. Le Chateauneuf est plus rustique, le Chave est plus noble, le Chateauneuf est plus ensoleillé, le Chave est plus tendu. Le bouillon de veau est un bonheur gustatif. Le foie gras qui arrive est accompagné d’une sauce à la betterave, de copeaux de cèpes et de cèpes.

L’accord de l’Hermitage avec les cèpes est tellement éblouissant que j’en redemande une assiette pour partager ma joie avec Guy Savoy. Mais la préparation que j’ai dans l’assiette et faite pour plat ne peut être recommencée, aussi je reçois une assiette de cèpes juste poêlés. Et Guy me fait la gentillesse de venir communier avec moi sur un accord d’anthologie.

Il y a dans la salle de beaux bébés, car les rugbymen ou leurs supporteurs irlandais abondent. Le plat est comme eux, d’une grande virilité, mais l’exécution rend les saveurs prodigieuses, et le Chave produit un vrai miracle. Guy me dit que l’essence de l’accord vient de l’acidité. Je pense personnellement que l’accord vient du miel présent dans la cuisson des cèpes et dans le vin. Nous ne nous querellerons pas sur ce sujet car ce qui compte, c’est la perfection de ce que l’on goûte.

Il me faut me battre contre le souriant maître de salle pour ne pas recevoir les desserts ou mignardises. Mon combat est perdu d’avance. Quelle bonne idée que d’avoir décidé au pied levé de venir dans ce tabernacle de la grande cuisine !

de grands vins avec des amis au restaurant Laurent lundi, 17 septembre 2007

Un des amis présents au dîner chez Ledoyen m’invite avec un autre des convives, à déjeuner au restaurant Laurent dans le beau jardin où les feuilles de marronnier qui tombent en virevoltant sont autant de confettis qui donnent à notre table un air de fête. Patrick Lair est tout sourire, et la brigade attentive. Les vins sont déjà préparés et cela me fait tout drôle d’être spectateur alors que lorsque je rencontre ces amis, c’est plus souvent, sinon toujours, sur un programme que j’ai préparé.

Nous commençons par un « Le Montrachet » de Delagrange Bachelet 1988 (personne ne m’a encore expliqué pourquoi Montrachet s’écrit parfois précédé d’un « Le » péremptoire) à la couleur très jeune, au nez discret de belle race. En bouche le vin est charmeur. Son acidité de citron vert qui aurait épousé une liqueur de dosage est absolument séduisante. Il manque à ce vin un peu de gras et de puissance, mais c’est vraiment charmant et romantique. Sur le foie gras à peine poêlé qui est d’une fraîcheur rare, on est dans des tons d’aquarelle.

Il ne faut pas toucher au canapé sur lequel repose le foie qui  gâcherait cette harmonie en légèreté.

Les canons vont maintenant trompeter car  on nous sert l’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998, le même que celui que j’avais fait goûter à mon hôte lors d’un réveillon dans ma maison du Sud. Ce vin est la définition du bon vin. Il est ample, riche, fruité, mâchu, goûteux et surtout il est simple. On le comprend tout de suite et on se laisse griser par cette limpidité de message qui amplifie le plaisir. On est loin des complexités de certaines cuvées sophistiquées mais on ne perd pas en finesse. Si j’osais une comparaison, ce serait la voix du regretté Pavarotti. Là où d’autres ténors sont obligés de forcer leur talent pour respecter des livrets exigeants, Pavarotti place chaque note avec une facilité incomparable. Il y a un peu de cela dans le Chave où tout est dosé, mesuré, pour le plus beau résultat.

Inutile de dire que mon pigeon est à son aise, même si son pané nuit un peu à la lisibilité, mais le canard de mes amis est peut-être encore plus adapté.

N’aimant pas être en reste, j’offre à mes amis un Riesling Shwarzhofberger Spätlese  Egon Muhler 2005 qui titre 8,5° et je commande le dessert, petite tartelette fine croustillante aux fraises des bois sur une crème légère à l’amande.

La combinaison est diabolique. Ce vin n’est normalement pas dans mes démarches car il fait un peu penser à un vin de glace perlant, dont le sucre insistant marque le final. Mais avec le dessert, c’est éclatant de sensualité. Ce sont les jeunes filles de David Hamilton jouant avec des voilages.

Le jardin du restaurant Laurent est magnifique, le service est l’un des plus engagés de la capitale. Le charme du lieu opère, la cuisine est solide et le tout est enveloppé par une chaude amitié.

un menu d’affaires excellent à Hiramatsu mercredi, 12 septembre 2007

Un ami gastronome me dit : il faut absolument aller à Hiramatsu, leur repas d’affaires à un prix défiant toute concurrence est de grande qualité. Ayant envie de revoir cet ami et de retourner à Hiramatsu, j’accepte avec enthousiasme. La salle de restaurant est spacieuse, de couleurs gaies. On est loin de la confidentialité exiguë mais sympathique de l’Ile Saint-Louis. Attendant mon ami, je scrute la carte des vins abondante et intelligente et j’y repère une envie. Mon ami arrive avec dans sa musette un Apremont 1989. Nous le goûtons sans grande conviction. Nous n’irons pas plus loin.

Le repas d’affaires offre du choix et nous prendrons chacun une branche différente des alternatives. Un sorbet sert d’amuse-bouche, mais ce n’est pas avec du froid qu’on émoustille les papilles. La suite est infiniment plus belle. Le thon rouge en trois préparations est d’une grande finesse. Le turbot est goûteux et joyeux et le dessert, sabayon de whisky, montre une vraie science des desserts. Le service est impeccable souriant et attentionné, l’ambiance générale est très deux étoiles. On peut dire sans hésiter que c’est un sans faute  à un prix imbattable. Oui mais le vin dans tout ça ? Eh bien, j’ai jeté mon dévolu sur un Chambertin Armand Rousseau 1999. Ce domaine fait de sublimes chambertins. Le premier nez est d’une pureté extrême, et nous décidons avec le sommelier de laisser le vin s’épanouir tout seul dans le verre. C’est un vin dans sa pleine jeunesse, rassurant car on le comprend très vite. Le fruit est beau, l’amertume est discrète. Il y a un léger manque de coffre, car j’attendais que cela trompette un peu plus, mais l’élégance et la finesse ravissent le palais.

M. Hiramatsu est venu nous saluer. Il possède une quinzaine de restaurants au Japon, il s’occupe de restaurants de Paul Bocuse au Japon, et il vient tous les deux mois superviser son antenne parisienne. Il fait ici une vraie cuisine française qui fut aujourd’hui d’un niveau de deux étoiles. Une belle expérience.