Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner à l’Hôtel des Roches jeudi, 30 août 2007

Après une partie de cartes endiablée, nos amis décident de nous inviter dans deux jours au restaurant de Matthias Dandine à l’hôtel des Roches. Je retiens une table, et quand nous arrivons, c’est à moi que l’on confie le choix des vins. Fort opportunément Matthias vient nous saluer pendant que nous buvons un Champagne Comtes de Champagne 1997 agréable et qui se boit bien. Le menu se compose alors, d’un ris de veau aux truffes d’été et d’un chapon farci.

Le Bâtard Montrachet Blain Gagnard 1990 a une belle couleur d’or citronné. Le nez est citronné mais avec de l’ampleur. Et en bouche, c’est la complexité qui est la plus évidente. Il y a des notes d’agrumes, des évocations crémeuses, mais c’est surtout l’élégance qui entraîne les suffrages.

Sur la chair du ris aussi bien que sur les truffes l’accord est d’une belle précision. Le grand plaisir, c’est de voir que ce vin serein, bien arrondi par son âge, est le compagnon parfait de ce premier plat remarquablement exécuté.

Sur le chapon à la chair goûteuse, le Châteauneuf-du-Pape Château Rayas 1999 est éblouissant.

C’est un Chateauneuf aux accents bourguignons pleins de charme. La farce étant très appuyée, l’accord se trouve mieux sur la chair pure, qui tend les bras à ce subtil Rayas, d’une puissance agréablement mesurée. La longueur en bouche est spectaculaire.

N’aimant pas être invité sans offrir aussi quelque chose, je fis ouvrir Château d’Yquem 1987 sur des fromages pâtes bleues et sur des petites gelées d’agrumes, mais mon coeur s’assombrit quand mes amis que je n’avais pas consultés m’apprirent qu’ils ne sont pas très friands de liquoreux. La joie d’être ensemble effaça cette passagère tristesse. Matthias Dandine s’affirme de plus en plus et Sébastien, sommelier fidèle, a un humour qui nous réjouit. Il était indispensable de faire cette étape avant de revenir à Paris.

Quintessence ! Vous avez dit Quintessence ? mardi, 28 août 2007

Les fêtes continuent, car nous allons jouer aux cartes chez des amis qui me disent : « tu devrais goûter ce Côtes du Rhône qui est encensé par Parker ». Je regarde la bouteille et je lis « Quintessence ». Déjà, ça part mal, car sur les milliers de vins français qui s’appellent Quintessence, combien sont bons ? Deux Quintessence en deux jours, c’est peut-être trop pour moi. Ensuite, je lis « 15° », ce qui me fait encore plus peur. Je renifle, je porte le verre à mes lèvres. Et je demande à mes amis de boire avec moi en leur posant la question : « dans ce vin, on sent nettement le poivre et le cassis. Mais y a-t-il selon vous autre chose de plus ? ». Force est de convenir que dans ce vin très court, qui pourrait être produit à l’identique dans n’importe quelle région du monde, il n’y a rien. Mon avis ne montrait pas franchement une grande délicatesse, mais mon cri de joie pour le vin qui arrive me fit pardonner. Mon ami tient en main une bouteille de forme bordelaise dont il cache l’étiquette, me sert et je crie : « ah, ça, ça c’est du vin ». C’est Château Chasse-Spleen 1990 qui est d’une délicatesse encore plus mise en valeur par le contraste qu’il forme au chouchou de Parker.

encore et encore ! samedi, 25 août 2007

Les amis de nos amis avec qui nous avons déjeuné chez Yvan Roux étaient arrivés avec un crémant de Bourgogne domaine d’Azenay de Georges Blanc. Comme d’autres amis nous rendent visite, c’est l’occasion d’ouvrir l’une des deux bouteilles. Ce pétillant sans longueur ne peut convenir que pour faire des coupages avec une liqueur de cassis par exemple, car il est exempt d’émotions. Nous buvons ensuite un rosé Tibouren Côtes de Provence 2004. De couleur très foncée, il est extrêmement plaisant en bouche, joyeux sur une friture de petits poissons.

Pour le poulet, nous commençons par un Vacqueyras domaine de la Garrigue A. et L. Bernard 1970 qui est extrêmement plaisant, dense, et qui constitue une fort agréable surprise. C’est le contraire pour le Châteauneuf-du-Pape La Nerte 1974 qui est fatigué. C’est lui que j’attendais et c’est le Vacqueyras qui ramasse la mise.

Le repas se finit sur un Dom Pérignon 1998, pour que le souvenir de ce dernier repas – c’est ce que je croyais – soit joyeux.

Les amis partent, ma fille qui avait partagé notre demeure pour que grandisse sa petite Lise pendant six semaines s’en retourne à Paris avec son mari, mon fils repart aussi avec sa famille. C’est un grand vide qui se crée que devrait compenser l’espoir que mon foie se repose. Je vais en mer et au retour, je vois accoudé à la balustrade de la terrasse de nos voisins qui surplombe la mer, un de leurs amis qui est aussi le nôtre. Il me fait signe. Je m’avance vers lui et après quelques propos de retrouvailles je lui dis : « il me reste une demie bouteille de Dom Pérignon que je comptais jeter. Le mieux serait que tu en profites avec tes hôtes ». Je précise aux âmes sensibles que j’en avais effectivement l’intention, malgré la sainte horreur que j’ai que l’on gâche la nourriture. Mais un ange veillait. Et voilà que se met en place un dîner impromptu.

Nous arrivons chez nos amis avec la demie bouteille de Dom Pérignon 1998 à laquelle j’ai ajouté une entière. Nous constatons que la bouteille qui est ouverte depuis une journée est beaucoup plus plaisante. Car la faiblesse de la bulle, encore vivace malgré tout, met en valeur la beauté du vin, lui donnant de la douceur et un charme accru. J’ai aussi apporté un Châteauneuf-du-Pape Pauljean 1971 qui est absolument splendide, joyeux, soyeux, riche en bouche en gouleyant. Mon ami ouvre un Quintessence rouge de Rimauresq 2004 un peu frais, qui rebute tant le contraste est fort avec le Chateauneuf. Mais il s’ouvre petit à petit, montrant des qualités nettement supérieures à celles du premier contact inamical. Les glaces de chez Ré, le pâtissier et glacier qui compte à Hyères, se dégustent sur un Laurent Perrier Grand Siècle. Est-ce qu’un jour les occasions de festoyer et de boire vont réellement cesser en cette fin d’été ?

les vins rouges se goûtent sur homard et loup mercredi, 22 août 2007

L’arrivée d’amis donne encore le prétexte de retourner chez Yvan Roux. Le Pata Negra qu’ilvient de recevoir est particulièrement réussi et jongle avec Laurent Perrier Grand Siècle. Cela devient un rite.

(avant et après)

Sur un très beau homard remarquablement cuit et préparé, au corail délicieux le Château Lynch-Bages 1978 brille car ses tanins se combinent de façon précise à la chair blanche. Un très gros loup juste cuit accueille un Château Figeac 1988 au goût très prononcé et à la trame très dense.

Encore un rite avec le moelleux au chocolat et le Maury Mas Amiel Vintage 1998. Ce sont les derniers jours de l’été, alors chaque minute compte.

des champagnes éblouissants sur une cuisine raffinée samedi, 18 août 2007

Au cours du déjeuner chez Yvan Roux, nous avons discuté avec lui du dîner que nous voulons faire le lendemain avec des grands vins sur la cuisine de Jean Philippe Durand. Yvan nous propose de venir choisir quelques produits de ses chambres froides.

Nous voici de nouveau le lendemain midi ayant en main une coupe de Laurent-Perrier Grand Siècle, observant Yvan découpant un agneau entier pour nous offrir le ris.

(Jean Philippe médite en regardant Yvan)

Hélas il n’est plus là, les poumons et la trachée ayant été enlevés avec ce précieux abat. Yvan découpe pour nous de copieux pavés de thon

et nous donne des coquilles Saint-Jacques.

La cuisine va bientôt bourdonner pour préparer le festin de ce soir.

Le moment arrive. Jean-Philippe occupe l’espace avec une organisation quasi militaire.

Son ballet est très impressionnant car il gère les composantes de plusieurs plats simultanément, avec une minutie qui force le respect.

(on notera que la courbure du dos de Jean Philippe est signe d’intense concentration)

(nous avons bien ri, car ce Domaine des Myrtes qui a servi à faire la cuisine est devenu notre référence. Quand un plat était bon, c’était forcément "les Myrtes")

Le restant d’un Laurent-Perrier Grand Siècle sera utilisé pour la cuisine mais aussi pour nous éclaircir le palais. Quelques gouttes du Dom Pérignon 1998 qui est prévu à un stade ultérieur du repas ont la même fonction, pour que l’on aborde le repas qui démarre en fanfare avec un palais accordé comme un instrument de musique.

La mise en bouche est une petite endive confite à la compotée d’oignons nouveaux et copeaux de Serrano. Le champagne Salon 1990 annonce par ses fragrances que l’on est déjà dans le sublime. Ce qui frappe en bouche c’est la noblesse de ce champagne. Pensant au compte-rendu que je ferai de ce repas, j’essaie d’imaginer comment le caractériser. Et nous en discutons. Toute saveur que l’on exprimerait serait réductrice et ne décrirait pas l’immense complexité de ce champagne brillant. Doit-on parler de fleurs blanches, de poire, peut-être, mais c’est partiel.

Je suis un peu gêné par les oignons nouveaux doucereux et je fais l’essai d’une feuille d’endive seule, qui a cuit dans un bouillon de fenouil, mélisse et cardamome et l’accord est beaucoup plus convaincant, car l’amertume de l’endive fait vibrer le Salon.

Le plat qui est prévu pour Salon 1990 est du thon mi-cuit présenté sur des bâtons de rhubarbe et accompagné d’un coulis de poire et un soupçon de rhubarbe et de citron vert. La chair du thon que nous avait donné Yvan Roux est prodigieuse. Alors que j’écris souvent que je préfère l’accord de la chair pure avec un vin, le résultat inverse est spectaculaire. Le Salon 1990 avec le thon, c’est bien. Mais avec le coulis de poire, c’est tout simplement prodigieux. Ma fille a reconnu la poire dans les arômes du Salon. L’osmose thon, poire et Salon 1990 est éblouissante. Nous sommes ici de plain-pied dans la gastronomie la plus raffinée. Et le Salon sur le thon est totalement différent du même Salon sur l’endive, ce qui montre que la flexibilité d’un champagne est l’une de ses caractéristiques et que sa description est un exercice difficile.

Le deuxième plat est composé de noix de Saint-Jacques poêlées aux courgettes avec une sauce à la pomme au thym citronné. Et c’est là que l’on comprend le génie créateur de Jean-Philippe. Cet ami connaît les vins et s’il ne les connaît pas, il se renseigne sur le web. Le champagne Salon 1988 qui se présente à nous ce soir est plus évolué que celui que nous avons bu il y a quelques jours. On se demande même un instant s’il n’y a pas une légère trace de bouchon, mais nous vérifierons qu’il n’en est rien. C’est seulement un champagne beaucoup plus évolué qu’il ne devrait, montrant un goût plus vieux d’au moins vingt ans que celui du Salon 1990. La pomme au thym citronné crée un lien spectaculaire avec le champagne. On se situe à un niveau de cuisine où le produit pur, la chair du plat est nécessaire mais non suffisante, car le lien se crée par les accompagnements qui ne sont pas des accessoires mais des pièces maîtresses de l’harmonie.

(Salon 88 et 90 côte à côte, c’est assez rare)

Le Salon 1988 nous a plu par ses côtés toastés, pain d’épices, fruits bruns, mais ce n’est pas le flamboyant Salon 1988 ancré dans nos mémoires.

Ayant rapidement goûté le champagne Krug Clos du Mesnil 1982 avec Jean Philippe, nous sommes convenus qu’il fallait que le plat soit assez neutre pour laisser éclater la grandeur du champagne.

Le ris de veau sauce réglisse amande et risotto aux girolles est donc traité par le chef en discrétion pour que l’impériale grandeur du champagne soit mise en valeur. On mesure l’extrême différence de ce champagne avec les deux Salon. Les Salon sont plus typés, plus fous, plus expansifs. Le Krug Clos du Mesnil est serein, calme, sur une trame d’une complexité inégalable. Il donne l’impression d’un diamant étincelant sur son écrin. C’est l’accord avec la réglisse qui est le plus beau, le goût de miel et de sucré du champagne accrochant cette racine, le ris très goûteux mais très sobre jouant les accompagnateurs. Ce champagne constitue un sommet absolu.

C’est la première fois que je mange un râble de lapin traité tout en douceur.

(voici les râbles avant cuisson)

Il est ici présenté avec des morceaux de pêches à la lavande. Comme dans une course de relais, c’est la lavande qui joue le témoin que l’on se passe de main en main, car elle crée le pont entre le plat et le champagne. Et encore une fois Jean-Philippe a saisi ce qui susciterait l’accord, car la lavande, distribuée un peu trop fortement à mon goût est l’exact pendant du champagne Dom Pérignon 1998 qui ne souffre pas de passer après le Krug. Il ne joue pas dans la même cour, mais il a un charme totalement convaincant.

Le foie gras poêlé posé sur une tranche de céleri est un plat à se damner. C’est follement bon. C’est tellement bon que l’on n’a presque pas besoin du champagne Contraste de Jacques Selosse dégorgé en février 2005.

Et pourtant, ce champagne est immense. C’est presque un extraterrestre, car je ne vois aucun repère proche de ses saveurs. Je serais bien embarrassé de le décrire car il est déroutant. Son caractère sauvage le rend passionnant. Voulant que ce compte-rendu soit plus précis, nous avons goûté le Selosse le lendemain midi sur le reste du lapin. Ce champagne ultra confidentiel, puisqu’il n’existe qu’en mille cinq cent exemplaires, se présente avec des senteurs fumées, une odeur de fumée de tabac blond, et une grande minéralité. Ces caractéristiques se retrouvent en bouche, la minéralité s’associant à une très jolie amertume. C’est sur le foie du lapin que ce champagne brille le plus. Mais revenons à notre dîner.

Des tranches de mangue sont poêlées avec des figues blanches du jardin et arrosées de jus de pamplemousse rose dont des grains de pulpe sont saupoudrés comme les grains de riz sur une robe de mariée. Le dessert est un plaisir pur et nous sommes une fois de plus surpris de l’élégance et de l’intelligence du Château Filhot 1990, puissant et conquérant, qui trouve dans le plat un partenaire à sa mesure.

Il est assez difficile de classer ces champagnes qui nous ont offert une extraordinaire variété de goûts, au moins aussi forte que si nous avions choisi des vins de plusieurs régions différentes. Deux champagnes ressortent du lot, le Clos du Mesnil 1982 et le Salon 1990, mais chacun des autres était porteur de grandes émotions. J’ai noté l’intelligence culinaire de Jean-Philippe sur les cuissons, sur la dextérité, mais surtout sur le choix des accompagnements qui arrivent à capturer l’essentiel des vins qu’ils accompagnent. La poire, la pomme et la réglisse sont de grands moments.

Il est plus de deux heures du matin quand nous rangeons la cuisine et la table. Nos sourires en disent long sur l’événement mémorable de grande gastronomie que nous avons partagé.

Essai de deux vins puissants, un Filhot et un Toro sur langouste et cigale vendredi, 17 août 2007

Jean-Philippe avait lu de nombreux récits de repas chez Yvan Roux. L’occasion se présente pour qu’il connaisse enfin ce haut lieu du poisson. La vue est merveilleuse, le vent fort donne à la mer des irisations grises aux couleurs d’ardoises. Le site aux proportions harmonieuses apaise l’esprit. Dans l’immense cuisine nous bavardons avec Yvan pendant qu’il prépare les produits que nous mangerons.

Un champagne Laurent-Perrier Grand Siècle accompagne un jambon d’Auvergne au verbe mesuré comme celui des habitants de cette région discrète. Le champagne est rassurant. C’est vraiment un champagne de soif car il se boit sans difficulté, le message ne comportant aucune complexité particulière. Une friture de bébés rougets est délicieuse avec le champagne ainsi que quelques morceaux de bébés seiches.

Chacun de nous a une ou deux demies langoustes, et une cigale est partagée entre les six de notre table.

Nous essayons deux vins. D’abord Château Filhot Sauternes 1990 qui m’a piégé car je n’attendais absolument pas cette puissance et cette affirmation. Le vin est presque torréfié, abondant en bouche et il écrase un peu la langouste cuite de façon parfaite. Il se retrouve sur la cigale qui lui offre du répondant. Le goût de noix très prononcé de la chair appellerait un vin jaune. Mais Filhot m’a surpris par sa sérénité et la précision de son message.

L’autre vin est celui que j’ai bu récemment, el Titan Dominio del Bendito, Toro 2004 qui titre 15°. Si ce vin venait d’une région française où j’ai des repères, j’aurais peut-être du mal à le supporter. Comme il m’évoque les saveurs particulières des vins espagnols de sa région, je l’accueille avec plaisir. Puissant, fruité au-delà du raisonnable, il est plein en bouche et jouit d’une finale élégante et charmeuse. Avec la langoustine, la combinaison se fait très bien car la chair dense mais souple calme les ardeurs du vin.

Mes convives se partagent deux gros saint-pierres pendant que je goûte un chapon,

cadeau d’Yvan, goûteux et tendre à la fois. Je me souvenais que Jean-Philippe avait apprécié le Château Mouton Rothschild 1987. C’était l’occasion de le goûter à nouveau sur ces poissons et le vin très plaisant, pur, a su jouer son rôle. Il a des charmes bourguignons, car il n’y a aucune recherche de séduction. Le risotto aux cèpes s’accorde au Mouton en toute complicité.

Une glace vanille conclut ce festin où l’amitié et la bonne humeur réjouirent le festival des saveurs.

Jean Philippe Durand, cuisinier émérite, arrive dans le sud jeudi, 16 août 2007

Jean philippe Durand, notre ami amateur de cuisine vient nous rejoindre dans le Sud. L’accueil se fait avec un champagne Dom Pérignon 1998 qui, plus que ses prédécesseurs de la même année, ajoute aux classiques évocations de fleurs blanches des fleurs et fruits rouges. Sur une tarte à la tomate confite et aux artichauts c’est un indéniable bonheur. Il devient canaille sur des fraises mara des bois.

Après un après-midi sportif, le barbecue crépite pour un agneau de Sisteron. J’ouvre un champagne Salon 1996. Il arrive un peu trop froid, pas assez oxygéné, aussi l’impression est assez négative. On se dit qu’il faudrait le garder dix ans de plus. Mais de délicieux anchois citronnés le réveillent et, la température aidant, on sent que le champagne s’ébroue. Il nous gratifiera d’un réveil extrêmement lent mais assuré, et lorsque nous le goûterons sur un camembert « le Rustique », il deviendra sublime. Ce champagne mérite d’être mis en cave quelques années.

Lorsque les 54° impératifs sont atteints, les experts ès découpe nous offrent des morceaux particulièrement fondants de l’agneau. La Côte Rôtie La Landonne Gérin 2001 veut manifestement plaire. Elle sent la pâte de fruit au cassis. En bouche, elle en fait un peu trop et s’essouffle vite. Aussi, malgré son désir de bien faire, on juge ce vin bien court, flatteur, trop aguicheur.

L’opposition est très nette avec le Châteauneuf-du-Pape Beaucastel 2001 qui, lui, est du vin pur. C’est un guerrier affûté pour la coupe du monde de rugby. Il est encore brut de forge, car dans dix ans, il jouera les Rudolf Valentino. Mais aujourd’hui il se boit bien, vin très pur, sans concession, forçant notre palais.

Sur le camembert, la Landonne Gérin redevient comme par miracle exactement ce qu’il devrait être, car l’amertume asséchante du camembert gomme tous les excès gustatifs de ce vin. Et sous cette forme, je l’adore. Mais sur le même fromage, c’est le Salon 1996 qui trompette de joie.

Une mirifique tarte aux quetsches s’amuse avec le Beaucastel qui  se sirote pendant qu’irrésistiblement avec mon  gendre, nous accumulons les points à la belote contre Jean Philippe et ma femme pour une victoire sur méritée.

Beau Bandol samedi, 11 août 2007

Les autres grands-parents de Lise viennent de nouveau contempler cette nouvelle merveille du monde. J’ouvre au déjeuner un magnum de Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle. C’est assez significatif de constater que le format du magnum épanouit le goût de ce grand champagne. Mais il donne aussi à mes convives le sentiment qu’ils sont honorés. Ce champagne d’agréable soif, si facile à boire, est toujours au rendez-vous. Il est suivi d’un magnum de Pibarnon Bandol 2002. Il est incontestable que ce vin, bu dans le Sud, est absolument brillant car il rassure par ses arômes et saveurs purement locaux.

 (mon gendre est un expert du barbecue)

Salon, Dom Pérignon, Yquem Chateau Chalon pour mettre en valeur poissons et crustacés vendredi, 10 août 2007

Yvan Roux, qui tient table d’hôtes à proximité de chez moi, l’un des plus grands metteurs en scène des poissons et crustacés de la Méditerranée, est un ami de Michel Troisgros, le célèbre restaurateur de Roanne. Yvan avait émis l’idée depuis plusieurs mois de nous présenter l’un à l’autre et une date fut prise. Yvan me dit : « je te donnerai le menu à midi, et tu apporteras les vins que tu veux ». Et il ajouta cette phrase incroyable : « j’ai refusé toutes les autres tables ce soir, car je veux que nous soyons tranquilles pour dîner entre amis ». Une telle décision en pleine saison au bord de la mer montre l’esprit de liberté du personnage.

Je reçois le menu, et l’exercice s’annonce difficile pour deux raisons, l’une est que j’ai l’habitude de faire l’inverse, qui est de choisir des vins et de demander au chef de trouver des recettes adaptées à mes vins, et l’autre est que dans le Sud, ma cave est très peu fournie. Mais Yvan allait me compliquer encore la tâche en décidant certains plats qui ne sont pas naturellement des amis du vin. Voici le texte que je reçus : Beignets de Rasteigues (Anémones de Mer) / Cru, Cuit de Thon aux Graines de Sésame et au Soja / Fleurs de Courgette Farcies (Aubergines, Tomates confites, Echalotes, Oignons nouveaux, Basilic, Pignons) et fleurs de Courgettes Tempura. / Carpaccio de Loup sauvage à L’huile d’olives parfumée à la Vanille de Madagascar et citron vert. / Seiches en Papillote au Lard de « Pata Negra ». / Demi langouste rôtie dans son jus. / Soufflé à la Vanille et son sorbet aux fruits de la Passion.

J’ai choisi les vins sans demander de modifier des plats, afin que l’exercice soit le plus pur possible, mais sachant que Babette, la femme d’Yvan, adore les Maury, j’ai suggéré à mon arrivée à Yvan de mettre un fondant au chocolat à la place du soufflé.

Yvan me voyant ranger mes bouteilles dans son réfrigérateur me dit : « ah, sur le Dom Pérignon, je te bats », ce qui lui valut cette réponse : « montre un peu, pour voir ». Et Yvan qui nous invitait eut une générosité supplémentaire en ouvrant de sa cave un champagne Dom Pérignon 1983 en magnum.

Les convives arrivent, Michel et son épouse Marie Pierre, Jean Max et Patricia, amis d’Yvan et grands amateurs de vins et de bonne chère, ma femme et moi. Babette et Yvan nous accueillent et sur une table posée sur la terrasse je sers, car ce soir je serai sommelier, le Dom Pérignon. Sa couleur est d’un or de blé éclatant de soleil, son nez est d’une noblesse et d’une rare pureté. En bouche je sens une évocation furtive d’écorce d’orange suivie d’un goût salin. Michel le trouve très sec. Il est particulièrement racé, noble et élégant. C’est un très grand champagne, embelli encore par le format de la bouteille. Les admirables beignets d’anémones vont très bien avec le champagne car il y a une juxtaposition de sucré et de salé et un iode discret. Michel Troisgros pose beaucoup de questions à Yvan sur sa façon de préparer tous les produits de la mer, ce qui permet de prendre conscience de l’extrême érudition d’Yvan Roux. Mais cela montre aussi la grande simplicité de Michel qui s’émerveillera avec sincérité des prouesses d’Yvan, n’essayant jamais de faire un quelconque étalage de sa science. Ce sont les grands hommes qui sont les plus modestes.

J’ai pensé à créer des accords plutôt inhabituels pour que l’on puisse en bavarder. Sur le thon, fondant en bouche comme un bonbon, chair absolument exquise, j’ai servi un Château Chalon Jean Bourdy 1952, d’une année dont je raffole, d’autant plus qu’elle était un peu restée dans l’ombre dans les annales de la famille Bourdy alors qu’elle se montre éblouissante.

Michel est très surpris de l’acidité juvénile de ce vin. L’accord est judicieux et d’autant plus que, sans aucune concertation préalable, Yvan a ajouté des copeaux de noix au coulis qui caressait le thon. Ce Château Chalon est puissant, d’une belle acidité qui ne masque pas le côté chaleureux du vin. L’accord m’a plu car la chair du thon est exceptionnelle.

Sur les fleurs de courgettes, j’ai choisi un Châteauneuf-du-Pape « Les Olivets » Roger Sabon 1974. Le vin va délicieusement bien avec la fleur farcie mais refuse toute alliance avec les beignets de fleurs au sucre prononcé. C’est un Chateauneuf de compétition. Il en a la définition pure, un équilibre serein. Je suis amoureux de ces vins qui sont d’un jeu parfaitement juste, sans la moindre exagération de l’une quelconque de ses caractéristiques. Il est très aidé par le calme de l’année 1974 qui ne pousse à aucun excès.

J’avais demandé à Yvan de ne pas exacerber le citronné de son carpaccio de lotte, et l’accord avec le champagne Salon 1988 est absolument exceptionnel. Michel signala sa réussite particulière. Le Salon 1988 est transcendantal. Il m’évoque un roman policier. A la page 82, on croit avoir trouvé le meurtrier et le mobile, mais les rebondissements vont être nombreux jusqu’au mot « fin » de la page 320. Avec Salon 1988, on croit avoir saisi de nombreuses saveurs, mais il en arrive des tombereaux supplémentaires qui surprennent à chaque gorgée. Enigmatique, d’une complexité rare, c’est un champagne merveilleux, accouplé à une chair de lotte parfaite.

Je n’avais aucune ambition particulière pour l’accord du champagne Salon avec les seiches, et la surprise vint du plat, sans doute le plus cuisiné de tous ceux qu’Yvan a faits, ce qui lui valut des félicitations appuyées de Michel Troisgros. Le plat est d’une rare élégance, d’un goût affirmé où la seiche se reconnaît bien, et le Salon a suivi le mouvement avec dignité, laissant la vedette au plat délicieux.

Les langoustes que nous mangeons ce soir sont particulièrement goûteuses.

Le Château d’Yquem 1988 que j’ai associé à cette chair est très puissant. L’accord qui est intéressant fonctionne beaucoup moins bien qu’avec la cigale de mer au goût plus typé. Il eût fallu un Yquem 1987 pour que l’équilibre se fasse. Avec la partie brune de la tête qui côtoie le corail, l’accord est brillant. Cet Yquem épanoui est magistral, mais trop fort pour que le mariage soit émouvant.

Sur le fondant au chocolat, le Maury La Coume du Roy, de Volontat 1925 joue sur son terrain, avec l’appui du public. Je fais la remarque de ne pas commencer par le sorbet au fruit de la passion, mais à ma grande surprise le Maury accepte le sorbet, tout en restant plus à l’aise avec le fondant.

Si je dois classer les vins de ce dîner je mettrais en tête le Salon 1988, suivi du Dom Pérignon 1983, les deux étant absolument passionnants. Vient ensuite l’Yquem 1988, plus pour sa valeur intrinsèque que pour l’accord qu’il a créé.

Il se dégage de plus en plus qu’Yvan Roux met en valeur les produits de la mer d’une façon remarquable, et les commentaires de Michel Troisgros ne peuvent que le conforter dans la voie qu’il a choisie. L’ambiance fut amicale, décontractée, souriante et Michel Troisgros s’est révélé être un convive chaleureux, simple d’approche, bon vivant, soucieux de comprendre les cuissons, les recettes et les vins. Ce fut une inoubliable soirée.