Journée ensoleillée, mer calme, barbecue. Des olives noires bien pleines appellent un Château Laville Haut-Brion 1980. La couleur est jaune claire, comme celle d’un vin récent. Le nez du vin est tout à fait troublant. Cela sent la poudre à canon. En bouche, le vin est très citronné, très sec, presque asséchant, avec une finale courte, mais le charme de Laville est bien présent. Si on me faisait boire ce vin à l’aveugle en me demandant de trouver quel est ce 2003, je ne tiquerais pas sur l’année, car ce 1980 est irréellement jeune. Pendant que le barbecue crépite en dorant des daurades, le niveau du Laville baisse dangereusement aussi nous boirons un Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1990 sur les daurades. Instantanément, ce vin a plus de présence que le Laville. Plus dense, concentré, fumé, il a une trace insistance de réglisse. Ce vin est en dehors de toute norme. Il est à part, et les repères me manquent, mais j’aime bien. C’est manifestement un vin de gastronomie, dont le spectre de compétence me paraît très large. C’est un vin que l’on imagine vieillir avec intérêt. Belle bouteille au charme énigmatique.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
les cigales chantent tout l’été mardi, 17 juillet 2007
Au bout du fil : « François, j’ai deux cigales ». Ma réponse : « d’accord, ce soir ». Nous arrivons par un soir d’été magnifique chez Yvan Roux. Voici notre table, face à la presqu’île de Giens.
Pas de Pata Negra pour le Laurent Perrier Grand Siècle. Que se passe-t-il ? Nous aurons quelques compensations. Ce sont d’abord trois petits cigalons à la chair intense, qui excitent bien le champagne. Puis une petite friture de poissons délicieux, pour lesquels le champagne est un accompagnement naturel. Ce sont ensuite de belles girelles dont la chair est très neutre, voire un peu fade. Ce sont ensuite des anémones de mer pour lesquelles je cherche encore le vin qui se marierait bien. J’ai peur qu’un Banyuls n’écrase les anémones. Est-ce plutôt un vin rouge charnu ? Il faudra essayer. Les entrées allaient-elles finir ?
Yvan nous fait goûter un essai : des œufs brouillés aux anémones. L’évidence est criante, seul un champagne peut accompagner ce goût subtil, tout en étrangeté.
Pour les cigales au goût très pur, fait d’une mâche intense et d’une fraîcheur presque mentholée, c’est un Bastor-Lamontagne, sauternes 1995 que j’ai apporté. Bu seul, ce sont le caramel et le pain d’épices qui dominent. Avec la cigale, la continuité est assez spectaculaire. Et comme avec l’Yquem d’un essai récent, ce qui frappe, c’est qu’au-delà de la continuité, le sauternes respecte la chair de la cigale qui reste présente en bouche, sans aucune altération. La mise en valeur est concluante.
Une glace vanille avec des copeaux de pain d’épices vient apaiser un festin de haut niveau. Face à une mer calme sillonnée par des hélicoptères en quête d’on ne sait quoi, sous un ciel dégagé qui miroite d’étoiles, il fait bon vivre de produits de la mer judicieusement traités.
Lynch Bages 1978, Salon 1996, Beaucastel 1990 pour fêter Lise dimanche, 15 juillet 2007
Ça y est ! La dernière de nos petits enfants vient d’arriver dans notre maison du Sud. Les parents s’installent dans leur appartement. Midi sous un vacarme de cigales est le prétexte de fêter Lise, et c’est un champagne Salon 1996 qui s’impose avec évidence. Le champagne a une forte personnalité. Il claque sur la langue et les olives noires le provoquent avec efficacité. Il va se domestiquer, c’est logique, mais il a déjà beaucoup de charme. Sur une barigoule, faite de viande d’agneau de Sisteron, de pommes de terre et artichauts, le Château Lynch Bages 1978 prend des accents du Sud. Il chanterait presque comme les cigales qui rythment les pulsations des feuilles caressées par une brise légère. Il est beau, typé, construit et expressif, et le mariage se fait bien. Ce Lynch Bages 1978 qui coule en bouche avec facilité est un de ceux que j’aime.
Après ces vins, le ton des journalistes qui commentent l’étape de montagne du Tour de France est le plus sûr garant d’une sieste profonde. Un petit tour en mer, de l’iode plein les narines, et le calme du soir impose un Côtes de Provence Rimauresq rosé 2004. Ça chante le Sud mais je ne suis pas convaincu. Ce vin n’est pas bouchonné mais en a l’amertume. Une erreur de bouteille. Deux petits coquelets accueillent un Chateauneuf du pape, Château de Beaucastel 1990 qui est une pure merveille. Il évoque la peau du fruit de cassis, l’anis étoilé, le poivre, et séduit par la facilité apparente de son langage. C’est bon, calme, serein, accompli. Par une magnifique journée d’été, il fait bon vivre en famille.
Un homard qui épouse un champagne dimanche, 8 juillet 2007
Mon épouse préférée a accompli son devoir de grand-mère et je vais l’accueillir à l’aéroport. Le pied à peine sur la terre ferme, celle où chantent les cigales, je lui annonce que nous allons dîner chez Yvan Roux. Le contraste avec la vie parisienne est assez fort. Yvan me montre un homard de 1,5 kilo et montre à mon épouse un beau petit chapon rouge, et le dîner est lancé. Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle avec Pata Negra, c’est le point de passage obligé.
La cuisson du homard est spectaculaire de fraîcheur et ce qui me fascine, c’est qu’Yvan, d’instinct, a trouvé la cuisson qui convient au champagne. La correspondance qui se forme est judicieuse. Les énormes pinces mériteraient un accompagnement, alors que la chair de la queue se doit d’être pure. Un sorbet à l’abricot fait respirer après la lourdeur de la chair intense. C’est une magnifique soirée de retrouvailles de notre couple de grands-parents, dans le lieu magique et amical dirigé par Yvan.
Un merveilleux Bâtard sur une viande rouge ! vendredi, 6 juillet 2007
J’écris sur un forum américain où une question récurrente est : “que buvez-vous ce vendredi soir?”. Et les membres du forum répondent assez volontiers. Ayant laissé mon épouse materner sa fille et sa petite fille, je suis bien seul dans le Sud. Une partie de tennis, un massage, une promenade endiablée en jet ski sur des vagues poussées par le mistral, une marche en forêt ont peuplé mon vendredi. Je me mets devant mon ordinateur et je vois ce message. L’idée de ne rien boire quand d’autres vont ouvrir de beaux flacons a quelque chose d’assez frustrant. Je me souviens alors que j’avais tellement aimé un Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 2002 il y a un an, j’avais demandé que l’on me réserve le solde dans la cave du restaurant de Matthias Dandine à l’Hôtel de Roches au Lavandou.
Je réserve une table et indique que je prendrai cette bouteille, et ainsi, mon vendredi ne sera pas vide face à ceux de mes interlocuteurs américains.
Matthias me voyant arriver seul me dit en riant : « tiens, voilà l’inspecteur du guide Michelin qui vient incognito ». Je souris et Matthias me propose un coupe de champagne Comtes de Champagne de Taittinger que je trouve idéal pour étancher une belle soif. Un DJ (disc jockey) tricote une musique guimauve de bon aloi.
(le Batard-Montrachet sur la ligne d’horizon, c’est une belle vision)
Je demande à Matthias de venir goûter le vin avec moi pour que nous décidions du menu. J’ai envie ce soir de créer des accords de combat, voire provocants. Assez rapidement le consensus se fait sur des langoustines avec des févettes et un concassé d’olives noires, puis sur un faux-filet aux pommes Pont-Neuf. Quand Matthias me dit qu’il ajoutera une sauce bordelaise, je n’y crois pas mais ne dis rien.
Ma table domine la mer en un soir calme et serein, précieux après tant de jours venteux. Quand on est seul, on entend les conversations et auprès de moi un groupe de six septuagénaires assez bruyants égrène les nouvelles de toutes les générations de leurs familles respectives. Leur dîner aura été un carnet mondain et je crois qu’à aucun moment ils ne se sont parlés entre eux d’un sujet qui aurait pu les intéresser. Je me concentre sur le vin et les accords. Le Bâtard Leflaive a une belle couleur jaune citron. Le nez évoque le citron et surtout une subtilité rare et une minéralité poussée. En bouche c’est le citron qui s’impose le plus à l’attaque, puis, ce qui frappe, c’est la légèreté aérienne du final mentholé.
La langoustine très bien cuite, c’est-à-dire peu, va bien avec le vin, mais c’est assez convenu. Ce qui m’excite en revanche, c’est l’olive noire qui fait battre le cœur du Bâtard. La févette est subtile, alors que la roquette ajoutée en garniture doit être ignorée.
La belle chair rouge du faux-filet crée un accord avec le vin blanc qui est à couper le souffle. Je réclame au moins dix fois de suite que Matthias vienne en prendre connaissance. Mais c’est le moment chaud du service, car les deux restaurants sont pleins. Je demande à Fabien Dandine s’il veut goûter mais il décline, laissant sa place à Sébastien, le fidèle sommelier. Sébastien s’assied à ma table et me dit que c’est la première fois qu’en plein service il s’assied à la table d’un client. Il goûte la viande, boit le vin et prend conscience de l’extase culinaire que représente cet accord. J’en jouis pendant un temps très long, découpant des petits morceaux de cette chair très ferme qui a vieilli dix jours et prenant bien soin d’ignorer tous les autres composants du plat, car il faut impérativement rester sur ce goût très pur.
C’est assez ennuyeux de dîner seul dans un restaurant, mais dans le cas d’un tel accord, cela m’a donné le temps d’en jouir en disséquant mon plaisir. C’est un de mes moments de grande joie quand j’ai trouvé l’accord pur.
Les mignardises desserrent d’un cran les ceintures, et sont opposées au blanc.
Je remonte écouter la musique en terrasse et boire abondamment de l’eau minérale, et Sébastien m’offre un Cognac Paradis de Hennessy, délicieux comme d’habitude.
Je bavarde avec Matthias qui me montre et m’offre un livre de photos de la French Riviera dans les années trente, où l’hôtel des Roches figure et il m’annonce tout de go que je suis son invité ce soir. Une telle générosité m’émeut. Ce soir le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 2002 a été exceptionnel, mais son mariage avec le faux-filet est un grand moment de mes essais gastronomiques. Merci à Matthias d’avoir été brillant et généreux.
celebration of Lise mardi, 3 juillet 2007
I am grandfather for the fourth time, and Lise, daughter of my daughter Agathe appeared on June 28.
My wife was still in Paris to help Agathe and after Vinexpo I had driven directly to the South.
So I flew back to Paris when Agathe left the clinic and arrived at her home nearly at the same minute as she arrived.
Guillaume, the father, opened a Chateau Laville Haut-Brion 1979 which we had enjoyed already, but we could check with evidence how Laville reacts to the temperature. The wine, being too warm (even if it was cold), was flat, did not talk, and had no interest. I asked Guillaume to serve it very cold, and then, we had a real Laville, full of charm, and really talking this time.
As we were dissatisfied by the beginning of the Laville, Guillaume opened a half Riesling Domaine Weinbach, Faller frères 1979. When this one was cold enough it was an exciting Alsatian Riesling, with no real trace of age. Very enjoyable on a delicious chicken. Guillaume had the idea to cut some slices of “poutargue” (pressed eggs of a white fish), and the combination was nice too.
I came back today to spend the day with Agathe and my wife and Lise, and this time, I had ammunitions.
It should be stressed how the corkscrews are important. Because having the corkscrew of the house, I had an extreme difficulty to lift the cork of Chateau d’Yquem 1976 which broke.
And I saw like in an horror film the last part of the cork play as a submarine, answering to the appeal of the abysses and falling in the liquid. It made me mad.
I found another corkscrew in a drawer to try to lift the cork of Romanée Conti DRC 1980.
When the capsule was away, as usual I found some earth on the top of the cork, with a typical smell of the earth of the cellars of Romanée Conti. I tried to lift, and the cork resisted strongly. It took me nearly 30 minutes to lift the cork entire. It is a very sound cork. The level in the bottle is at the maximum possible level nearly reaching the capsule.
I smelt the wine and : wow ! This is a perfect Burgundian smell.
As I write these words, I will have to wait for 5 hours between smelling and serving the wine to check if this wine is as good as this smell suggests.
Of course I will comment the tastes, but to celebrate Lise, an Yquem and a Romanée Conti had to be opened. I hope it will be a good sign for her life.
More news to come.
——
While my daughter is feeding her baby, I have some minutes between Romanée Conti and Yquem.
We began with Dom Pérignon 1998. But my son in law has them too warm. The pleasure was divided by two.
On a lamb "gigot" with traces of garlic and potatoes perfectly cooked in their skin, the Romanée Conti is "the" wine.
My son in law and I, we have enjoyed every drop as a gift of God.
The wine behaves exactly as the meat. What is bitter in the meat is bitter in the wine. What is salty in the meat is salty in the wine.
This is the type of Burgundy that I love absolutely.
Is it my taste : yes.
Am I influenced by the label : probably yes, but who cares.
We have enjoyed every drop as a pure gift.
And I recognise in this wine what I adore in Burgundy : a wildness that is understandable only by conquered people.
I am on a cloud.
I have had the last drops with sediment, and it was as if I had liquorice in small pieces.Yquem is waiting for me !
Then we had Yquem 1976 with mangoes served in two ways : the crude fruit, and the mango just cooked for some seconds.
Yquem 1976 (this bottle) drunk alone is a pure apricot.
We begin with a Stilton which is already advanced, and it works very well.
Then, we have the mango, prepared in two ways.
With the natural fruit, it is fantastic, and the combination works wonderfully.
But on the grilled mango, it is to die. The mango just grilled is like a sweet which disappears in the mouth. And the Yquem gets a taste of tea.
I adore this combination.
What strikes us is the solidity of Yquem, which is perfect at any moment.
What can be said ?
Yquem is the absolute solidity; Romanée Conti is the pure dream.
As Lise did not want that the star would be the wine, she begged for milk for a long time.
But as we were enjoying a rare night, we were ready to accept any attempt of Lise to let us know that the real star is Lise.
être ou ne pas être mardi, 3 juillet 2007
Je suis songeur devant l’extrême plaisir de boire cet Yquem 1976 pour célébrer chez ma fille Agathe la naissance de Lise.
La bougie reprend l’or de l’Yquem.
Romanée Conti et Yquem pour Lise mardi, 3 juillet 2007
Je remonte à Paris pour aller voir la petite Lise, nouveau membre de la famille. L’avion a une heure de retard, la circulation parisienne est bloquée et la température quasi polaire quand on la compare à l’éden du Sud. Mon gendre a ouvert Château Laville Haut-Brion 1979 pour trinquer à la beauté de Lise, mais ce vin est extrêmement sensible à la température de service. C’est lorsqu’il fut bien froid que sa grâce se révéla, les trois quarts de la bouteille ne nous ayant montré qu’une pâle image de ce vin que j’adore. Un Riesling Domaine Weinbach, Faller frères 1979 ouvert pour se consoler des prémices du Laville, lorsqu’il fut bien froid lui aussi, révéla un talent alsacien très sympathique, sans trace d’âge et un beau fruit. La vedette est évidemment la petite Lise, qui connaîtra le 22ème siècle, si les errements de l’espèce humaine ne conduisent pas à des dérèglements irrémédiablement mortels.
Le lendemain, je reviens chez ma fille, avec des munitions cette fois. On ne dira jamais assez à quel point les tirebouchons sont cruciaux. N’ayant pas mes instruments, j’ouvre le Château d’Yquem 1976 avec un limonadier à un seul levier. Le bouchon de très grande qualité se brise net et je vois le reste du bouchon jouer les grands jaunes et non pas les grands bleus, succombant à l’appel des abysses, et j’assiste impuissant à cette plongée. Lorsque je découpe la capsule de la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1980, il y a très peu de poussière noire sur le bouchon. L’odeur est terreuse, comme d’habitude, mais discrète cette fois. Ayant réussi à trouver un autre ustensile, je lutte avec le magnifique bouchon sans pouvoir trouver de prise, car il est fort serré dans sa gaine, mais au bout de vingt minutes je réussis à extraire un beau bouchon entier, qui libère l’odeur du vin la plus romantiquement bourguignonne qui soit. Il reste environ quatre heures avant que je ne puisse mettre mes lèvres à ce grand vin, mais j’ai le sourire, car je sais qu’il sera grand.
Entre temps, passant à ma cave pour préparer les vins d’un futur dîner, je repère un Château L’Evangile 1964 qui a perdu du volume. Je le prends avec moi pour ce soir, pensant que démarrer le dîner sur la Romanée Conti serait brutal, mais mon raisonnement est idiot, car lorsque j’ai ouvert le vin à l’odeur fort désagréable, j’ai compris que le vin ne renaîtrait qu’après plusieurs heures, ce qui rendait illusoire qu’il serve de mise en bouche. Il fut donc laissé sur la touche. Je ne connaîtrai pas son retour à la vie. Ce fut donc un champagne Dom Pérignon 1998 qui débuta la célébration de Lise. Pas assez froid, il ne déploya son charme qu’en fin de bouteille, lorsqu’il fut suffisamment frappé.
Sur un gigot d’agneau du pays d’Oc et des pommes de terre en robes des champs, la Romanée Conti DRC 1980 nous transporte sur des territoires émotionnels infinis. Elle décide de parler la langue de l’agneau. Quand la viande montre une trace d’amertume, le vin prend la même. Quand la viande suggère un goût salin, le vin fait de même. Ce mimétisme est passionnant, mais le vin vaut plus que cela. Son parfum est austère, subtil, ascétique puis se fait matois, enjôleur, cajoleur. En bouche, c’est une montée au ciel. C’est la Bourgogne telle que je l’aime, terrienne, travailleuse, qui expose les souffrances du travail bien fait. On n’est pas du tout sur le terrain de la séduction mais sur un exposé de toutes les facettes de la grandeur du vin de Bourgogne. On boit ce vin comme on visite un musée de la perfection vinicole. Je suis aux anges, cherchant à capter à chaque gorgée de nouvelles subtilités. Les premières gouttes versées étaient plus claires, les dernières plus foncées, et en mangeant la lie dont la mâche est la même que celle d’une myriade de pastilles de zan, je croque un morceau de bonheur. Ce vin est-il à mon goût ? Assurément et je me complais de ses complexités bourguignonnes. Suis-je influencé par le nom du vin pour le trouver bon ? Assurément aussi, et alors ! Le plaisir d’ouvrir ce vin devenu quasiment inaccessible participe au panorama général. Quand la bouteille est finie, c’est un vide qui se fait tant on est triste que ce moment soit terminé. Mon gendre est subjugué, tétanisé et sans voix par la découverte de sa deuxième Romanée Conti.
Lorsque le Château d’Yquem 1976 est servi, il remet toutes les pendules à l’heure. Yquem, c’est le David de Michel-Ange. On peut le regarder sous tous les angles, l’aborder sous tous les aspects, il est toujours parfait. Ce vin a la couleur d’un abricot doré, et en bouche, il est abricot. Ne cherchons pas ailleurs, il est abricot. Avec un stilton bien mûri, l’Yquem révèle toutes les facettes de son charme, la suavité étant exacerbée par la salinité du Stilton. Nous allons nous livrer à une expérience passionnante. Sur des tranches de mangue crues, l’Yquem est un fruit. La continuité est spectaculaire. Il renie à peine son abricot pour devenir lentement mangue. Et avec des tranches de mangue juste poêlées, qui fondent dans la bouche avec une incroyable douceur, l’Yquem devient thé, Yquem sec, et l’accord est diabolique. C’est ce deuxième accord que je préfère.
Alors, que conclure ? L’Yquem, c’est la solidité la plus affirmée, la plénitude du charme assumé. La Romanée Conti, c’est la folie du charme énigmatique et romantique, qui requiert une attention de chaque instant pour ne rien perdre du drame qu’elle nous joue. Mais Lise s’adresse à nous, en quête de lait maternel. Son insistance nous rappelle que la vraie vedette de cette émouvante soirée, c’est bien elle.
de nouveau des cigales, mais à l’hôtel des Roches mercredi, 27 juin 2007
Ma femme est restée près de ma fille qui va accoucher sous peu. Le sport, c’est bien, mais il y a aussi des moments d’ennui. Je décide d’inviter des amis au restaurant de l’hôtel des Roches.
Sur la belle terrasse au dessus du restaurant, un trio joue des chants brésiliens aux accents joyeux et entraînants. Il est tentant de prendre à l’apéritif un champagne Krug Grande Cuvée particulièrement arrondi et chantant comme ces airs gracieux.
Nous passons à table et le bon plan semble être de prendre artichauts et truffes d’été en entrée, puis des belles et grosses cigales. Je choisis un Domaine d’Ott blanc Clos Mireille 2004 qui est un vin fort agréable, riant d’un fruit complexe, qui déride l’artichaut et se love à la truffe. Un mariage fort agréable et un vin de belle longueur fruitée.
Pour les cigales, je n’avais pas envie de recommencer l’accord brillant avec Yquem tenté aussi bien sur la cuisine de Matthias Dandine que sur celle d’Yvan Roux. J’ai cédé à une envie en commandant un Richebourg Anne Gros 1997.
Ce vin est un pur bonheur. Dès la première gorgée, on est bien, ravi de retrouver le charme bourguignon interprété sur un instrument bien accordé. Car chaque note de ce vin est d’une justesse rare. On se sent bien, rassuré de constater qu’Anne Gros travaille si bien. J’avais aimé son 1996 plus tonitruant, mais j’aime la finesse qu’offre en ce moment l’année 1997.
La cigale de Matthias est évidemment goûteuse, mais je lui préfère la tendreté de celle d’Yvan Roux. C’est évidemment une remarque à la marge, car la cuisine de Matthias est d’un raffinement qui se mûrit chaque jour.
Dans le cadre à la décoration motivante, avec le sourire de Sébastien de plus en plus à son aise dans son rôle de sommelier, avec toute une équipe dynamique et attentionnée, nous avons passé une excellente soirée.
Le trio continuant d’égrener ses mélopées il fallait un armagnac pour les écouter. Ce fut un Bas-Armagnac La Fontaine de Coincy 1973 d’une pureté exemplaire. L’armagnac, quand il est de cette sincérité, rend la nuit lumineuse. Une halte chez Matthias Dandine est un grand moment de bonheur.
un chapon chez Yvan Roux samedi, 23 juin 2007
Quittant la fête de la fleur, je tourne ma route vers ma maison du Sud. L’ordre du jour est au sport. Leçon de gymnastique, marche sur une colline qui fait pousser les pulsations, cinquante longueurs de piscine le tout finissant sur une table pour un massage tonique, tout était sérieux jusqu’alors. Le mistral pousse des moutons sur une mer agitée. C’est trop tentant. Je prends mon jet ski et je vais faire des montagnes russes à des vitesses insensées. Je reviens cassé et trempé mais ivre de ma folie. Le programme n’allait pas s’arrêter là, car je vais chez Yvan Roux.
Comme l’habitué du café qui reçoit sans l’avoir demandé son ballon de Muscadet ou son petit crème sans sucre, c’est Laurent Perrier Grand Siècle / Pata Negra qui est mon badge d’accès. Ce Pata Negra est un peu plus sec, filandreux et salé que le précédent, mais quelques morceaux du cœur ont un gras moelleux qui fait sourire le champagne.
(la photo est prise alors que j’avais déjà largement entamé ma portion).
Les anémones de mer frites sont les plus réussies depuis que je viens en ce lieu.
Ce qui est hallucinant, c’est qu’en mangeant ces lamelles panées, j’ai la représentation visuelle des anémones, sortes de cannelés tentateurs prêts à user de leurs tentacules. Il n’est pas interdit au lecteur de tenter des anagrammes, voire des contrepèteries dans cette phrase.
Les anémones accueilleraient volontiers un rouge ou un liquoreux tant on peut exciter la saveur dans le sens de son iode ou de son sucre.
Un chapon se présente sur une assiette où sa tête semble prête à faire douter de qui mangera l’autre. Yvan Roux a traité la chair du chapon d’une façon brillante au point que je me plais à penser que c’est le meilleur chapon que j’aie jamais mangé. Là aussi, un rouge serait à son aise, mais le grand Siècle, imperturbable, a pris la devise de Pierre Dac et Francis Blanche dans le sketch du sar Rabindranath Duval : « vous pouvez le faire ? Mesdames et messieurs, il peut le faire ». Oui, le champagne est ici à son aise comme je le suis.
Une glace à la vanille et mascarpone est devenue un rituel comme la câpre avec la raie ou le cumin avec le munster. Il me la faut. La bouche apaisée, le champagne Laurent Perrier Grand Siècle délivre des notes florales qui démontrent sa justesse jusqu’au bout du repas.