Nicolas Sarkozy ayant cité cent fois Jaurès, il s’ouvrait un boulevard vers la victoire. C’est le boulevard que j’ai suivi, pour me ressourcer au Boeuf Couronné (188 av Jean Jaurès).
J’ai fait un rapide calcul. Ayant travaillé 40 ans au moins, avec 250 jours par an, cela fait environ 10.000 déjeuners possibles pendant mon expérience professionnelle. Si l’on me disait qu’il y en a mille au Boeuf Couronné, je ne serais pas forcément étonné. Car travaillant à La Courneuve, puis à Aubervilliers, puis à Garges lès Gonesse, le Boeuf était le plus proche des restaurants possibles.
J’ai même hésité à le racheter quand les propriétaires depuis 3 générations ont eu envie de céder et m’en ont parlé. Mais le 19ème n’est pas le quartier où l’on ouvre des vins rares.
Depuis au moins trois ans je n’y avais pas mis les pieds. La nouvelle direction s’installait, avec de grosses hésitations.
J’y reviens, et je vois Christine tout sourire qui m’embrasse affectueusement. Nous parlons du bon temps.
Je vais passer ma commande en fonction des vins. Comme depuis toujours il y a des vins vraiment moyens et une ou deux pépites. Je commande Mouton-Rothschild, mais le mouton a dû être mangé par un loup avide car on me répond qu’il n’est plus là. On me propose des solutions alternatives, qui sont mi-chèvre mi-loup.
Je décide donc que ce sera Dom Pérignon 1998.
Pour me rappeler le bon vieux temps et me souvenir des centaines de kilos que le Boeuf Couronné ajoutait à mon tour de taille, j’ai pris l’os à moelle. Et j’ai pris le pavé des mandataires, dans le coeur de filet avec les pommes soufflées, qui sont l’article 1 de la constitution du bon mangeur.
L’os à moelle du Boeuf, c’est un monument. On devrait ajouter au plat la présence d’un docteur qui pourrait à tout instant faire une piqûre de survie. Car de la moelle, y en a, et y a que ça (cf Tontons Flingueurs). Avec du gros sel, ça concerne. Et le Dom Pérignon là-dessus s’amuse comme un collégien.
La chair du filet de boeuf est précise et exactement cuite. La béarnaise n’est pas nécessaire tant la chair se suffit. J’ai eu droit à deux services de pommes soufflées, délicieux bonbons et le plus sûr médicament contre la morosité.
Là dessus, le Dom Pérignon fait un peu le snob, pour montrer qu’il vaut mieux que ces nourritures d’équarrisseur. Mais il est suffisamment poli pour que ça passe très bien.
Christine était toute attention, donnant à l’endroit le rayon de soleil indispensable. Et moi, déjeunant seul, car mon emploi du temps le voulait ainsi, j’ai vu réapparaître mille souvenirs de ce lieu que j’ai connu quand les halles étaient encore à la Villette, avec les tabliers blancs au comptoir, rouges de sang, puis comme entrepreneur quand mille contrats, projets, associations, rachats se sont négociés ici. Et une petite larme est venue au coin de mes yeux, tant la nostalgie est un bonheur premier.
Un sabayon aux agrumes est assez banal à côté des piliers incontournables de cette belle maison.
Amis du cholestérol, c’est au Boeuf Couronné qu’il faut impérativement aller.
L’os à moelle est premier ministre
Le coeur de filet de boeuf est ministre de l’intérieur,
et les pommes soufflées sont le ministre de l’identité nationale.
Malgré une carte des vins sans aucun intérêt, il faut aller à ce lieu de tous les souvenirs d’une gastronomie antédiluvienne mais chère au coeur de la France du solide manger.