Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Alain Senderens, quel talent ! jeudi, 22 mars 2007

Le jour du 84ème dîner de wine-dinners, des amis belges, solides compagnons de table, vont déjeuner chez Alain Senderens. Après avoir dit non, pour me ménager, je les rejoins. Etant en avance, j’ai le temps de bavarder avec Madame Senderens radieuse et de choisir des  pistes pour les vins que nous partagerons. Mon choix est adopté et même amélioré, car j’avais choisi pour le rouge un millésime plus modeste. L’heure était à l’audace.

Nous commençons par un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1989 sur « asperges vertes de Lauris « crues et cuites », tagliatelle de seiche à l’huile épicée ». A noter que sur la carte il est écrit « crûtes et cuites ». L’eusse tu cru ? Le champagne a une belle couleur dorée, une bulle discrète, et son goût intense évoque le miel, la brioche, le soleil. Sur l’asperge croquante, c’est un régal. Le Clos des Goisses a une longueur et une présence exemplaires qui nous réjouissent. Il nous a séduits.

Le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1981 accompagne un « foie gras de canard poché, dans un bouillon à la chinoise ». La divine chair du foie, aérienne de subtilité, se fond dans ce Riesling extraordinaire. L’âge l’a assemblé comme une montre suisse. Il est précis, chaleureux, profond, intense, joyeux. Il a toutes les qualités.

Les « suprêmes de pigeon rôtis, cuisses en pastilla et navets caramélisés à la cannelle » profitent avec bonheur de la présence du Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape Hommage à Jacques Perrin 1990, vin extraordinaire. Dès la première gorgée, on sait que l’on est dans la perfection absolue. Déviation de l’époque, alors que je ne note jamais les vins, je me mets à penser : « ça, c’est un 100 points Parker ». Mais cette idée est vaine. A quoi sert de résumer ainsi une impression ? Ce qui compte, c’est que ce vin est du plaisir pur en bouche, avec un bois intelligent, avec un fruit joyeux, une mâche généreuse et un bonheur de vivre au-delà de tout.

Par gourmandise, je me suis pâmé sur un « macaron à la rose et au litchi » à se damner tant c’est subtil. Disons le sans détour, Alain Senderens, c’est l’anti Canada Dry : ça n’a pas l’aspect d’un trois étoiles, puisque c’est la voie qu’a choisie le chef,  mais c’est du trois étoiles. Car cette démonstration absolument brillante d’une cuisine simplifiée et magistrale, il n’y qu’Alain pour l’avoir réussie avec ce talent. Trois étoiles à nouveau, ce serait un caprice d’un raffinement rare.

L’heure passant, il était temps de courir chez Patrick Pignol pour ouvrir les bouteilles d’un nouveau dîner merveilleux.

Le millefeuille qui est ici en photo a été choisi par un de mes amis bleges.

Comme c’est l’une des icônes de la cuisine d’Alain Senderens, je me devais de faire figurer cette photo.

.

.

.

.

.

 

déjeuner de conscrits avec de beaux 1986 mercredi, 21 mars 2007

Tous les deux mois, notre petit groupe de conscrits se retrouve dans un grand cercle parisien. Le Moët & Chandon non millésimé qui a une bonne quinzaine d’années confirme une fois de plus que ces champagnes sont faits pour respirer longtemps l’atmosphère des caves. L’âge leur va bien. Un champagne Laurent Perrier non millésimé beaucoup plus jeune a de l’agrément, mais moins d’expressivité, ce qui est lié à un manque de maturité.

Le Château La Conseillante 1986 est un pomerol accompli. Le nez est serein, et en bouche, tout est assemblé d’une intelligente façon. On se sent bien avec un tel vin. C’est d’un remarquable confort si l’on pense à des vins plus jeunes qui ne peuvent l’offrir. Le Château Lafite-Rothschild 1986 a un nez très boisé. En bouche, le bois est rude, assèche toute expression entrave la sérénité et la rondeur que l’on trouvait avec le pomerol. Mais le vin avait été ouvert au dernier moment. Quand il a eu son oxygène indispensable, il s’est mis à chatoyer comme il doit le faire. Et l’on perçoit alors la richesse de la trame de ce vin précieux. Un Pommery sans année conclut un déjeuner animé où, comme il est d’usage, nous reconstruisons un monde qui n’attendait que nous.

dîner chez des amis jeudi, 8 mars 2007

Dîner chez des amis. j’ai apporté un vin que je voulais essayer. Je l’ai ouvert. Mais la profusion de ce que mon ami avait prévu nous a fait oublier de goûter mon vin (Volnay de Coche-Dury). J’espère qu’il en profitera.

Le champagne Jeanmaire 1982 Réserves Elysée Grand cru est un champagne que je ne connaissais pas. Belle couleur, bulle peu active mais qui s’anime sur le palais, goût discret, peu agressif mais très plaisant. Très fruité et beau en bouche. Sur des toasts au foie gras, un grand plaisir.

Le champagne Roederer 1999 accompagne une mousse à la truffe d’un parfum rare. Il en profite abondamment, car c’est un champagne agréable mais normalement sans grande histoire à raconter.

Sur un plat de cuisine bourgeoise où la viande blanche a cuit plus de douze heures et les pommes de terre plus de six, le Léoville Las Cases 1976 brille de façon remarquable. Très au dessus de ce que l’année suggèrerait.

 

Le Meursault Patriarche 1942 est une curiosité car il trahit son âge. Sur les fromages cela va remarquablement bien. Il est très gouleyant. J’ai du mal en revanche avec le Gewurztraminer SGN Bernard Schwach 1997, non pas à cause de la qualité du vin, mais à cause de sa jeunesse.

 

Cette boisson à la rhubarbe est une curiosité. J’étais déjà au courant des farces de mon ami, aussi à l’aveugle, même si je n’ai pas reconnu la rhubarbe, j’ai vu que ce n’était pas du vin, alors qu’on pouvait facilement se tromper, allant vers un Pacherenc ou un Loire léger.

Le Rhum Clément 1976 est un rhum intense, typé, de grand plaisir.

Grande cuisine, bons amis et vins éclectiques. Belle soirée.

Dom Pérignon 1966, une merveille partagée avec émotion mardi, 6 mars 2007

Un lecteur de mon blog m’a écrit pour me proposer des bouteilles à vendre, comme cela arrive souvent. Son ton m’a plu. Je lui achète des bouteilles intéressantes, dont plusieurs Dom Pérignon 1966. Nous bavardons de façon fort aimable et il me dit : « j’aimerais bien que vous parliez de ces vins lorsque vous les boirez. Ça ferait plaisir au grand-père de ma femme de vous lire, car ces vins viennent de sa cave ».

Le lendemain à 14h06, Jean-Philippe Durand, ami cuisinier amateur mais talentueux m’appelle : « je fais un dîner impromptu ce soir chez une amie qui a partagé nos aventures chez Marc Veyrat. Veux-tu venir avec ton épouse ? ». 14h08, j’appelle mon épouse. 14h10, j’annonce que nous venons avec un Dom Pérignon 1966 et sans doute un autre vin. Nous nous retrouvons à sept chez cette amie, avec une majorité de compagnons des expéditions dans les deux sites de Marc Veyrat. Le champagne Brut Jacques Selosse, dégorgé en septembre 2004 est bien sec, tout à mon goût. Sur l’amuse bouche, langoustine juste saisie, mousseline douce amère, Raz el Hanout, il va se comporter de différentes façons. C’est surtout sur la carotte qu’il s’anime, trouvant une belle longueur. Sur la délicieuse langoustine il est poli, aimable, mais la résonance est moins visible. Les divines épices marocaines sont envoûtantes, mais ce qui reste, lorsque le champagne se prolonge en bouche après ces folles bouchées, c’est la trace du sucré de la carotte, véritable faire-valoir du champagne.

Il fallait bien commencer par ce Selosse pour apprécier toute l’immensité du champagne Dom Pérignon 1966. Sa couleur est déjà d’un or foncé, la bulle est active, le nez énigmatique. Le premier contact révèle l’âge. Mais le risotto à la truffe blanche va servir de catapulte et donne au champagne une jeunesse exquise. La personnalité du champagne est immense. Il nous raconte des milliers d’histoires. Il est plus discret sur les noix de St Jacques poêlées qui accompagnent le risotto mais Jean-Philippe a sa botte secrète. En ajoutant un peu de sel de sa composition, le champagne est tout excité. C’est surtout sur la truffe blanche que ce champagne émouvant est magistral. Un très grand champagne.

Je suggère un intermède avant le vin rouge que j’ai apporté. Un Domaine Ollier Taillefer, Castel Fossibus Faugères 2004 est ouvert. Ce vin est nettement meilleur que ce que je pouvais supposer. De bel équilibre, joyeux, juteux, il a su éviter l’excès de bois et se marie bien à un jambon ibérique typé.

Le suprême de pigeon à la goutte de sang, côtes de blette au fumé virtuel, sauce aux foies et baies noires est un des plats que je préfère de Jean-Philippe. On sait à l’avance que l’accord avec la Côte Rôtie La Landonne E. Guigal 1997 sera parfait. Cette Landonne est éblouissante, et l’accord transcendant. J’ai de plus en plus d’amour pour cette année 1997, année de plus faible puissance, car c’est ainsi que l’on découvre le mieux les infinies variations et complexités de ce vin faussement simple. Ce moment est magique. La bouche n’est remplie que de bonheur.

.

.

.

.

Le Comté de 36 mois est un gentil clin d’œil de Jean-Philippe, car il sait que je déconseille les très vieux Comtés pour les vins du Jura. Or celui-ci, de Roland Barthélémy, est sage et onctueux. Le Vin Jaune Château d’Arlay 1987 y trouve son compte, vin fort agréable qui n’est pas handicapé par son jeune âge.

Le « Madame Figaro » de Pierre Hermé, dessert talentueux et facile d’accès a tout pour créer une harmonie avec le Vouvray Moelleux "Le Haut Lieu", Domaine Huet, 1997. J’aimerais bien un jour comprendre l’engouement pour ce vin qui fait se pâmer les amateurs de vins, car je ne lui ai trouvé que de gentilles évocations sans grande imagination. Notre hôtesse ayant par mégarde entrouvert une armoire à alcools avec des flacons extravagants, c’est sur des saveurs étrangement exotiques que se conclut un repas charmant, où l’amitié souriante fut l’épice la plus envoûtante de ce festin.

 

Bistrot du sommelier vendredi, 2 mars 2007

Avec deux amis, nous allons dîner au Bistrot du Sommelier qu’anime l’excellent Philippe Faure-Brac avec une belle sérénité. Sa carte des vins est intelligente, ce qui ne surprendra personne. Si nous n’avons pas eu de vins dans un état irréprochable, ce n’est qu’un manque de chance, car je ne peux que me féliciter de ce que j’ai bu jusqu’alors chez Philippe. Le champagne Charles Heidsieck brut blanc des millénaires 1995 doucereux, dosé, manque un peu de souffle. Le Château Laville Haut-Brion 1983 dont j’attendais beaucoup porte plus que son âge, avec un fumé prononcé. L’Hermitage Chave rouge 1998 aurait dû trompeter de joie mais il était en RTT, le Volnay Les Caillerets La Pousse d’Or 1969 offert par Philippe ne manquait pas de charme mais souffrait un peu. Et mon Coteaux du Layon Les Aunis de Chaume R. Dubreil 1947 au niveau très bas et à la couleur fatiguée faisait presque meilleure figure dès qu’il s’est ouvert par son élégance évocatrice. Tout ça n’est pas très grave, mais j’attendais plus du Laville et du Chave. La cuisine simple et directe est fort agréable. Il faudra que je revienne prendre une belle pépite choisie par ce meilleur sommelier du monde et écrivain du vin et de la gastronomie.

Guy Savoy éblouissant mercredi, 28 février 2007

Il y avait bien longtemps que je n’étais pas allé au restaurant Guy Savoy. Quelle erreur. Y aller le jour de la parution du guide qui fait la piste aux étoiles, cela ne manque pas de sel, car je me souviens de la liesse chez Guy le jour de la troisième. Constater que le restaurant Laurent et celui de Patrick Pignol perdent une étoile me fait mal. Car un ami, écrivain du vin, est venu avec le guide qui ne paraîtra que demain et nous informe de ce que nous ne savions déjà. Et nous constatons les joies et les peines que le soubresaut du Michelin va créer. C’est le prix à payer pour que cette institution, toujours critiquée, mais toujours écoutée, prouve qu’elle est vivante.

Nous sommes quatre, cet ami écrivain, le cuisinier fétiche de dîners privés et de plus ami, et un correspondant de forum qui devient réel, de chair et d’os. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1989 a été ouvert à notre arrivée. J’implore quelque chose à manger, car la première gorgée, sur la bouche du matin, paraît pâle. Le délicieux foie gras qu’un jeune garçon étage sur une pique fait vivre le champagne. Le 1988 bu récemment est plus monumental. Le 1989 est plus subtil et romantique. C’est un grand champagne.

Nous prenons le menu prestige dont voici l’intitulé : mini millefeuille d’hiver / Coquilles Saint-jacques « crues-cuites », pommes de terre et poireaux / saumon à la vapeur, jus « anis-réglisse », brochette de légumes en côtes / veau cuit lentement en bouillon, chou farci, quelques racines en compote / soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / pigeon « poché-grillé »,  salsifis et saveurs d’agrumes / fromages affinés / exotique / fondant chocolat au pralin feuilleté et crème chicorée.

 Je préfère annoncer la couleur, je persiste et signe, Guy Savoy est le chef avec lequel je suis en totale harmonie. Cela ne veut pas dire amour aveugle, car le veau, dont il nous avait annoncé l’originalité avant qu’il ne soit servi, ne m’a pas convaincu. Mais il y a des plats d’une telle grandeur, d’une telle sensibilité, que je suis anesthésié de bonheur. Le millefeuille d’hiver où des chips de betterave s’entrelacent de truffes est d’un équilibre absolu. C’est aussi parfait qu’un vin extraordinaire dont on vante la sérénité. La soupe d’artichaut est aussi un plat d’un équilibre parfait. Dans ces deux plats, pas une virgule ne pourrait être changée. Et puis il y a l’homme. Aucun chef ne dégage une telle empathie. J’ai fait vœu, en écrivant mes aventures de ne jamais être objectif et de ne suivre que mes sentiments. Ce chef est mon préféré. Je n’en ferai jamais mystère.

Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1997, au moment où il se présente, est un vin intellectuel. Il faut en effet faire appel à des codes pour entrer dans sa logique. Et les coquilles Saint-jacques s’empressent de me le faire aimer. C’est assez extraordinaire comme sur la coquille crue ce Corton est sucré, et comme sur la coquille cuite il devient profond, long, sec et précieux. L’adaptabilité de ce vin remarquable est un immense plaisir. Je dois avoir un sixième sens, car c’est d’instinct que j’ai commandé Château Rayas Châteauneuf-du-Pape blanc 2001. Ce vin « est » réglisse. Vous avez sans doute déjà éprouvé l’usage du verbe être : Marion Cotillard « est » Edith Piaf, ou Sandrine Bonnaire « est » Jeanne d’Arc. Là, le Rayas « est » réglisse, ce qui crée un accord phénoménal avec le saumon qui ne vit que pour s’accoupler avec cette saveur. Ce qui est particulièrement étonnant, c’est que le Rayas restera réglisse même après le plat, sur le veau au bouillon rural et agreste.

Le vin qui suit est une suggestion d’Eric Mancio : Nuits-Saint-Georges Clos des Forêts Saint Georges Domaine de l’Arlot 1989. Il apparaît sur la fameuse soupe, mais reste sur son strapontin. Ce vin est une belle définition du Nuits-Saint-Georges, mais il n’est que cela. Trop scolaire, trop bon élève, il joue son rôle, mais ne m’entraîne pas, comme il devrait, dans une farandole. Sur le pigeon subtil, il n’est que le gardien de square.

Le Jurançon Clos Uroulat Charles Hours 1996 est une fantaisie de mes deux jeunes amis. C’est une gymnopédie destinée à délier le palais. On a de tout, du litchi, du kiwi, de la mangue, et des agrumes à profusion. C’est évidemment plaisant mais c’est une récréation. Cela excite les papilles pour les faire chanter. Et c’est bien agréable. Mais j’attendrais à ce moment du pastel plus que du flamboyant. La profusion des desserts crée une confusion mentale dont on ne se remet pas.

Guy Savoy est venu bavarder à notre table, car je prépare un dîner redoutable dont il sera le dompteur. Ce fut l’occasion de parler des plats car il est à l’écoute de tout. Grand moment de partage de sensations.

Le service est toujours précis, parfois amusant car il y a aussi de l’humour dans cette brigade. Les propos d’Hubert se dégustent comme des bonbons tant son accent est charmant, avec le même décalage désuet que la présentation du homard chez Jacques Le Divellec. Et moi, bon public, je marche. Le nouvel ami dira qu’en ce déjeuner il a connu plus d’accords merveilleux qu’en des dizaines d’autres. Des repas comme celui-ci sont des moments précieux de la vie.

 

Le mini millefeuille d’hiver est éblouissant. Regardez à gauche du saumon ces trois petites traces. C’est une poudre à base de réglisse qui donne au Rayas une puissance émotionnelle extrême.

Mouton 2001 ????? mardi, 27 février 2007

De retour à Paris, je vais chez Jacques Le Divellec le lendemain de la parution du bulletin 216. C’est un peu comme le joueur de foot qui vient de marquer un but : je peux courir dans la salle de restaurant en ouvrant les bras, la tête cachée par mon maillot, je peux me dépoitrailler en hurlant de façon hystérique, car je suis dans mon camp. Sur une brouillade d’oursins fort goûteuse, le Champagne Bollinger Grande Année 1997 est agréable. Encore très vert, il expose sa race avec élégance. Le numéro du homard à l’américaine est gentiment désuet. L’argumentaire, mille fois rôdé, est charmant dans son exposé décalé. J’adore ce retour aux valeurs qui datent au moins d’un demi-siècle. Et l’on peut se le permettre, car la sauce est redoutablement bonne, juste dosée mais pénétrante. Olivier m’a trahi, car lui posant la question de Mouton 2001, il acquiesça. Or Château Mouton-Rothschild 2001, c’est un vin que je n’aime pas. Il m’est plus facile de le dire car je suis amoureux de Mouton, qui peut être grandiose dans des années de rêve. Mais franchement, ce 2001 est raté. Il n’est que bois. Il ne raconte rien. Quel dommage que la belle étiquette couvre un vin qui ne donnera rien de bien. A oublier bien vite tant il existe de grands Mouton.

Il fait beau dans le Sud samedi, 24 février 2007

Les hirondelles volètent au mois de février dans le Sud de la France. Les pulls s’enlèvent. Il fait fort beau. C’est l’occasion d’aller déjeuner à la table d’hôte d’Yvan Roux. Un champagne Laurent-Perrier cuvée Grand Siècle est fort gouleyant sur des tranches de pata negra. Des montagnes d’oursins pêchés de la veille sont confrontés à un Vin Jaune Victor Richard 1990. Il faut prendre une infime gorgée de ce vin au lourd parfum pour ne pas écraser l’oursin. Le plus subjuguant, c’est que malgré la présence extrême de ce vin profond de 13°, la dégustation des langues d’oursin n’est pas altérée. C’est le goût pur qui est mis en valeur par ce vin typé qui ne dévie pas le palais. Je sens que la brouillade d’oursins appelle un rouge, ce qui, convenons-en, est assez peu orthodoxe. Et le Château Lynch-Bages 1978, qui a entamé sa période de maturité avant l’heure, a l’intelligence de s’effacer pour respecter le fumet intense et délicat à la fois. Les beignets d’anémones de mer repoussent le rouge de leur acidité finale en bouche et c’est le champagne qui leur convient. Nous revenons au rouge pour des fritures de crevettes, petites seiches et petits crabes que l’on croque. Les cigalons, préparés dans leur plus grande pureté, sont d’un goût passionnant où apparaissent les noisettes et le pain d’épices. Avec eux, le vin jaune chante à tue-tête. Un risotto à l’encre de seiche et jus de cigalons permet de finir joyeusement le Lynch Bages 1978, vin de grand confort, expressif même s’il s’est assagi. Sur un sofa profond mis au soleil d’une journée annonciatrice du printemps, les yeux clos, il m’apparaît que la vie est belle.

 

Saint-Valentin à l’Astrance mercredi, 14 février 2007

Obtenir une table à l’Astrance le jour de la Saint-Valentin est un privilège rare. Christophe Rohat et Pascal Barbot sont tout sourire mais disent : « ce n’est pas encore officiel, ça pourrait ne pas se faire ». C’est de la 3ème étoile qu’il s’agit bien sûr. Nous sommes quatre, ma femme mon fils, son épouse et moi. Nous bénéficions d’une table en étage où nous sommes seuls, alors qu’une table de plus aurait pu être mise. C’est la stratégie de la maison : 25 couverts et pas plus. Ce n’est pas la recherche du profit à tout prix, mais celle de la qualité.

Le menu, qui restera (presque) secret pendant toute la soirée est à base de truffe : Brioche tiède, beurre à la truffe noire / Parmesan fondu au thym-citron / Purée de morue, yaourt au thym, truffe noire / Langoustines et ormeau avec une salade de mâche, truffe noire / Cabillaud caramélisé, fondue de chou pointu  à la truffe noire, jus de persil / Brandade de morue à la truffe noire, beurre de homard / Velouté de céleri, coulis de truffe noire, parmesan / Poulet de la Bresse cuit au sautoir, poireau et truffe noire / Chocolat au lait sur un sâblé / Sabayon au sirop d’érable, poire et pistache, truffe noire / Praliné noisette, lait d’amande, glace au lait d’amande / Mignardises / Lait de poule au jasmin. C’est un festin réalisé avec une extrême sensibilité qui nous retiendra fort tard dans la nuit.

Nous commençons par un champagne Substance de Jacques Sélosse dont le choix est approuvé par Alexandre, fin sommelier. Ce champagne dégorgé en 2004 est composé comme une Solera, c’est-à-dire que l’on rajoute dans des foudres de bois le vin de l’année qui se mélange à ce qui reste des récoltes précédentes. Le champagne arrive trop frais. Il faut attendre pour qu’il s’épanouisse et délivre un aspect fumé, crème brûlée, pain d’épices. C’est manifestement un champagne de gastronomie, très original. J’ai ressenti moins d’émotion que lorsque nous avions goûté ce champagne au délicieux restaurant de Jongieux en Savoie. Je l’ai trouvé ici plus monolithique, salin, manquant un peu d’étoffe. Mais c’est un grand champagne, la critique ne concernant que l’écume des sentiments.

Le Château Chalon Auguste Macle 1959 a une robe d’un or épanoui. Le nez à l’ouverture est une bombe. Rien ne peut égaler la perfection de ce parfum enivrant. En bouche, c’est du plaisir pur. Je ne connais pas de vin blanc qui pourrait rivaliser avec la perfection gustative de ce vin du Jura. Un grand Montrachet trompettera plus fort. Mais il n’aura pas cette trace en bouche. Et l’on a une fois de plus la démonstration que ces vins doivent se boire âgés. Car ce vin jaune a gagné une plénitude, une cohérence qu’aucun vin jeune ne pourrait offrir. Ce vin est un miracle. La noix est présente bien sûr. Mais c’est la personnalité, la longueur immense, qui frappent. Par certains aspects, il me rappelle les vins de Chypre, envoûtants et entêtants en bouche. Par d’autres il me fait penser aux plus beaux des Clos Sainte Hune de Trimbach par les gymnopédies gustatives fringantes qu’ils pianotent tous les deux.

Le Château Rayne-Vigneau Sauternes 1942 a une couleur d’un beau cuivre doré. Le nez est noble. En bouche, la précision de ce Sauternes est exemplaire. Mon fils vient à la même conclusion que moi : ce vin est « la » définition du Sauternes. Il évoque la tarte Tatin, les coings, les fruits d’automne discrètement caramélisés. Je lui trouve du thé que mon fils ne trouve pas. Sur la chair blanche de la poularde d’une tendresse rare, c’est un régal. Sur la profusion de desserts aux goûts kaléidoscopiques, il est moins à l’aise car il n’est pas Fregoli.

La vedette de la soirée, c’est le Château Chalon 1959. Mais la cuisine d’une sensibilité extrême est un grand bonheur. La truffe était explosive sur la brioche, ce que la truffe doit être. J’aurais sans doute prévu un plat de plus où la truffe serait vedette et non Monsieur Loyal. Car même lorsqu’elle fut abondante, elle fut discrète. Le velouté de céleri est éblouissant car il y a un goût, la poularde est magique car il y a une chair. Contrairement aux habitués du lieu, je ne mords pas à la sauce de homard car j’aime la brandade dans sa pureté originelle. La palme de l’accord revient à la feuille de chou avec le vin jaune. C’est à se pâmer. Mon inclination pour les vins anciens me pousserait à simplifier encore certains plats, car je jouis plus des goûts purs que des petites faveurs. Mais je suis en symbiose totale avec les choix de Pascal Barbot, dont les orientations, la sensibilité, la subtilité me plaisent depuis le premier jour où j’y suis allé, à l’époque où l’on disait encore : « l’Astrance ? C’est quoi ? ». Nous avons passé une magnifique soirée dans une ambiance amicale que savent créer Christophe, Pascal et Alexandre. Ce Château Chalon, quelle grandeur !

dégustation de Châteauneuf-du-Pape à Mechelen (Belgique) mardi, 30 janvier 2007

Voici les photos de l’un des participants de ce dîner :

https://www.pixagogo.be/7870934100

Voici mon compte rendu :

Un habitué du forum de Robert Parker lance l’idée d’un dîner avec de vieux Châteauneuf-du-Pape. L’idée m’excite. Nous échangeons des mails. Je sais que je vais rencontrer deux ou trois personnes qui assistaient au très agréable dîner organisé à Anvers où j’avais apporté un Chypre 1845. Les mails s’échangent. Je ne lis pas beaucoup toutes ces mises au point. Je capte au passage un mail où l’un des participants annonce un vin du 19ème siècle dont il ne veut pas dévoiler le nom. Tout cela sent bon.

En fait, la notion de « vieux » n’est pas la même pour tout le monde, et celui qui avait proposé une bouteille du 19ème siècle ne vint pas. La définition n’était plus la même. Ce qui n’empêcha pas que je passe une bien agréable soirée avec des passionnés.

Arrivant en avance, j’ouvre les vins dans le restaurant Folliez à Mechelen au nord de Bruxelles, restaurant à la délicieuse décoration comme seuls les belges savent le faire, et doté d’une étoile Michelin qui sera confirmée dans l’assiette intelligente.

Nous démarrons par le champagne Dom Pérignon 1998 qui est parfait, fait de fleurs et fruits frais. Le Condrieu La Bonnette Rostaing 2005 est fait d’épices, de bacon, de litchi et de légume vert sec comme l’artichaut. Le Condrieu Les Terrasses de l’Empire de Georges Vernay 2005 est plus souple, doté d’une fin poivrée. Il est très différent, et sent la fleur d’oranger. Le Rostaing est plus brutal, le Vernay plus fluide. Je préfère le plus brutal mais le fluide est joli. Le Vernay s’ouvre sur le thon presque cru, s’épanouit. Ce sont deux grands vins à qui un peu d’âge ira bien.

Nous avons ensuite des rouges par séries de trois. Un Châteauneuf-du-Pape Arthur Barolet négociant à Beaune 1979, un Châteauneuf-du-Pape Raymond Usseglio 1986 et un Châteauneuf-du-Pape Château de la Gardine 1973. Le 1986 a un nez de pétrole. Le 1979 fait bourguignon ancien, avec des pruneaux, des fruits rouges brûlés. Son alcool est fort. Le 1973 que j’ai apporté est déjà un vin ancien. Je l’aime beaucoup sur le flétan. Je classe en tête le 1979, puis le 1973 et enfin le 1986 dans cette série peu convaincante.

Viennent ensuite un Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier vers 1960 (année illisible), le Châteauneuf-du-Pape J. Mommessin 1933 que j’ai apporté (il s’agit de la maison bourguignonne fondée en 1865, célèbre pour son Clos de Tart) et un Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel rouge 1954 dont la bouteille soufflée à la main et lourde est très ancienne. Le Chapoutier est très beau. Toute cette série est vraiment très belle. On attend très longtemps que le plat arrive, et le 1933 est éblouissant, nettement plus jeune que le 1954. Son niveau parfait et son bouchon remarquablement intact impressionnent mes convives.

Nous avons ensuite trois Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes, le 1988, le 1983 et le 1985. Le 1988 est un peu strict, limité, sévère. Le 1983 est brillant. Le 1985 est entre les deux, puis me plait plus. Les trois sont assez âpres, au goût de poivre et de tabac. Ils représentent le Châteauneuf-du-Pape dans sa maturité.

Nous suivons avec trois Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Cuvée Laurence, le 1983, le 1995 et le 2001. Ce Châteauneuf-du-Pape est extrêmement célèbre et à la mode sur tous les forums. J’avais eu extrêmement de mal avec son da Capo 2003, vraiment loin de tout vin habituel. La densité du 1983 est superbe. C’est beau, dense, franc, fait de poivre, de cassis, de tabac et de bois. Le 1995 est strictement identique avec simplement un peu plus de fruit rouge. Le 2001 est une promesse de grand vin, mais pour mon palais, c’est encore trop jeune. Le 1983 est éblouissant sur la viande de veau.

La dernière série est : Châteauneuf-du-Pape Bonneau 1996, Châteauneuf-du-Pape Beaucastel 1989 et Châteauneuf-du-Pape Clos du Caillou 1998. Le 1996 est un peu coincé, le 1989 n’est pas encore ouvert et le 1998 est magnifique, d’une structure précise. C’est un beau vin. Quand le 1989 s’ouvre, il prend le pas sur les deux autres. Je fais mon classement et l’un des convives demande qu’on fasse notre tiercé.

Le 1933 Mommessin obtient 3 places de premier, 2 places de second et 2 places de troisième. Le 2001 Pegau emporte 3 places de premier et 1 place de troisième. Le 1983 Pégau reçoit 1 place de premier, 2 places de second et 2 places de troisième. Le 1989 Beaucastel gagne 1 place de premier, 1 place de second et 1 place de troisième. Le classement final des huit convives dont deux britanniques, cinq belges et un français est : Mommessin 1933, 2001 Pégau et 1983 Pégau. Je suis assez content que mon vin, le plus ancien de la soirée, ait été apprécié par des palais plus enclins à boire des vins jeunes, et placé en vainqueur. Le plus ancien et le plus jeune ont été couronnés. Une belle prestation de vins de Châteauneuf-du-Pape de grand talent qui démentrent qu’ils savent braver le temps. On était loinde ma définition des vins « vieux ». L’ambiance fut amicale, décontractée, sans étalage d’érudition. Une soirée épuisante, car il me fallait rentrer à Paris, mais réussie, dans un restaurant qui mérite le détour.

J’ajouterai deux remarques : le Mommessin 1933 plaisait tellement à tous que nous avons dit, à titre de plaisanterie : "il doit y avoir du bourgogne dans ce Chateauneuf pour qu’il soit si bon !", ce qui est amusant, car à l’époque, les baptêmes se faisaient plutôt dans l’autre sens. Et la deuxième est que je pensais que dans l’engouement pour Pégau, il y avait un peu un effet de mode ou un effet Parker. Or, si un 1983 est aussi bon, c’est la preuve irréfutable que ce domaine a une grande valeur, au delà des effets de mode. Et ça m’a plu.