Je ne consulte pas toujours les messages sur mon portable. Aussi, sourire aux lèvres j’arrive aux Caves Legrand pour une dégustation de vins d’Alsace, où j’apprends qu’elle est annulée. Il y avait là le propriétaire de Château de Myrat qui faisait goûter son Château de Myrat 2003. Quel contraste avec l’Yquem 2002. On sent ici le poids des grains surmaturés, fous de soleil. Cette année riche a fait un vin lourd comme un sirop. Il m’a fait penser à Lafaurie Peyraguey. Nous avons longuement parlé avec ce propriétaire sympathique. Son vin m’a plu.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
une forêt de verres vendredi, 15 décembre 2006
Sur la table, les vins disposés pour la dégustation des vins de Léoville Barton et de Langoa Barton font penser à des armées en ordre de bataille.
champagnes et vins du Rhône en bord de mer samedi, 2 décembre 2006
Dans le Sud, qui commençait à me manquer, il est « indispensable » d’aller dîner chez Yvan Roux avec des amis. Ils arrivent à la maison et un champagne « R » de Ruinart qui a environ huit à dix ans est particulièrement délicieux. L’âge va décidément bien aux champagnes non millésimés. Le dosage un peu appuyé convient parfaitement aux petits toasts aux anchois, olives, saumon à l’aneth et foie gras. Arrivant à la table d’hôte qui devient presque une halte obligatoire, une montagne d’oursins bien pleins requiert un champagne Laurent Perrier Grand Siècle. Ce champagne a une structure d’une élégance rare, et convient parfaitement aux oursins ainsi qu’aux anémones de mer panées. Sur des crevettes roses à profusion, certaines poêlées d’autres frites, un Côtes du Rhône Cuvée du Président, Rochegude 1976 vin qui a obtenu une médaille d’or dans je ne sais quel concours me surprend totalement. Comment est-il possible que ce vin très ordinaire puisse être aussi bon. Il possède un équilibre, une rondeur et une cohérence que l’on comprendrait d’un grand vin. Je suis ravi, car ce vin que j’avais acheté d’une cave approximative s’ajoute à une série de bonnes surprises. En revanche, le vin dont j’attendais plus de pétulance, un Châteauneuf-du-Pape Les Olivets Domaine Roger Sabon 1971, me déçoit au premier contact. Mais le temps fait son office et progressivement le charme du Châteauneuf-du-Pape s’installe sur des supions cuits à l’encre, tandis que des œufs brouillés aux oursins échappent à sa sphère de compétence. Un carpaccio de dorade coryphène à la coriandre et au gingembre et un filet de Saint-pierre finissent d’assembler les pièces manquantes de cet agréable et puissant Châteauneuf-du-Pape. Sachant l’amour que l’épouse d’Yvan voue au Maury, j’ai apporté un Mas Amiel Cuvée Charles Dupuy 1998 qui conclut ce repas sur un accord diabolique avec un moelleux au chocolat. La griotte, le pruneau, l’impression de bois exotique donnent au chocolat fondant une personnalité rare. Ah, que le Sud est beau même par temps gris.
Je retrouve l’univers de Joël Robuchon lundi, 20 novembre 2006
Il y a des jours sans. Un ami veut que nous déjeunions ensemble et suggère que nous apportions chacun une bouteille à La Table de Joël Robuchon. Je n’étais jamais revenu dans l’univers de ce chef que je vénère, car lorsqu’il a quitté l’avenue Raymond Poincaré où j’étais assidu, c’est un fil qui s’était cassé. Quand le Tout-paris gourmet s’est précipité à l’Atelier, je n’ai pas suivi.
Cela fait tout drôle de retrouver Antoine grâce auquel j’ai pu vivre certaines de mes plus belles expériences gastronomiques et de voir ces tables sans nappe, avec une jolie jeune fille qui vient ramasser le rond de serviette en carton de peur que je l’écorne. La cuisine est fort belle. Le foie gras poêlé aux lentilles est bien exécuté. Je ne tombe pas en admiration devant l’interprétation de la paella car le calamar est fort résistant et la langoustine joue un peu à contre-emploi. Le ris de veau au laurier est superbe et le dessert au chocolat d’une maîtrise parfaite. Mais l’émotion Robuchon s’est émoussée. Faut-il aller à Las Vegas, New York, Macao ou Tokyo pour retrouver le talent de ce génie ? Ce serait si simple que ce soit à Paris.
Les vins que nous avons apportés n’ayant pas l’oxygène nécessaire, nous prenons un vin au verre : Château Brane-Cantenac 2003.
Mon Dieu que c’est raide ! Je demande à Antoine pourquoi avoir choisi ce vin à proposer au verre. Il me répond : « il faut des vins qui aient de la tenue, s’ils dépassent un certain temps d’ouverture ». Pour de la tenue, c’est de la tenue. Le Château Haut-Brion 1970 que j’ai apporté deviendra progressivement meilleur, mais il est quand même assez cuit. Il ne donne pas le plaisir qu’on peut en attendre. Le Volnay Taillepieds Bouchard Père & Fils 1985 s’est fait immédiatement condamner par Antoine à l’ouverture. Irrécupérable selon lui. Il est vrai qu’il est particulièrement fatigué, et nous n’en boirons que peu. Mais on sentait au fil du temps le retour en grâce. Je ne parierais pas, mais je crois que si l’on avait attendu jusqu’au dîner, ce vin serait sans doute revenu proche de sa définition. Il est probable que seul l’évier l’aura connu. Retrouver un restaurant de Robuchon qui n’est plus dans la Golden League et en plus ouvrir deux vins qui ne sont pas au rendez-vous. Comme dirait Laurent Gerra imitant l’abbé Pierre : « y a des jours… ».
champagne Salon et caviar samedi, 4 novembre 2006
Je vais le raconter de façon « people » pour m’en amuser (1). Ma fille cadette m’a donné en cadeau d’anniversaire un « bon pour… ». Très souvent, ces « bon pour » se perdent dans l’oubli. Celui-ci ne sera pas perdu car il s’agit d’une paire de chaussures de chez Berluti. Rendez-vous est pris au magasin, avec promesse d’un déjeuner. Création exubérante, travail de bottier, je prends deux paires dont une est mon cadeau. J’ai retenu une table. Ce sera au restaurant Pétrossian où j’ai évidemment retenu ma boîte de caviar. Nous profiterons d’une montagne de caviar Malossol, special réserve Persicus. Le caviar n’est bon que quand on en a trop. Le grain est gros, bien délié, d’un gris clair, et son attaque en bouche est d’une précision extrême. Le sel est élégant, l’iode enjôleuse. C’est un très grand caviar. Le lecteur attentif se demande sur quel vin ou quel champagne nous allons croquer ces précieux grains. Question facile ! Sur le champagne Salon 1988 bien sûr. Une cave trop chaude sans doute a fait vieillir plus vite ce grand champagne et ce n’en est que mieux. Son vineux affirmé est absolument parfait sur le caviar. L’un et l’autre se prolongent. L’accord sera encore plus beau avec un plat que j’expérimente pour la première fois, un tartare de bœuf avec du caviar Sévruga. Car la tendresse de la viande apaise le choc de confrontation du Salon et du caviar. Pendant le repas je regardais mes pieds chaussés d’un cuir à la patine inimitable. Il est des samedis matin qui ne sont pas chagrin.
(1) si j’évoque ce sujet « people », c’est que sur un forum français de vins, dès que je parle de mes aventures, c’est considéré comme de la provocation si je cite un nom prestigieux ou un vin inaccessible. Ce sujet serait considéré comme odieusement people. D’où l’allusion.
Pour le caviar regardez cet article en tapant sur "slate"
Pétrus 1990 et autres folies amicales mercredi, 1 novembre 2006
C’est un pavillon de banlieue à l’orée d’une forêt. Le terrain est en friche car on y refait l’allée. Dans la maison, tout respire le vin. Les cartons de vins s’amoncèlent et attendent d’être descendus en cave. Un peintre a fait de nombreux portraits de toute la famille et sur presque tous les tableaux, le sujet tient en mains un verre de vin. La cuisine étroite bruisse de mille mouvements car Laurent, qui nous invite, exécute avec minutie les recettes de son gros livre. Les effluves sont sympathiques. Laurent est cet ami que j’ai rencontré chez Marc Veyrat et que j’ai vu pleurer quand il a constaté que son vin était splendide. Un tel homme nous fera forcément une cuisine sensible.
On m’avait suggéré de ne pas apporter de vins « car il y a ce qu’il faut ». Mais j’en ai apporté, « pour le cas où ». J’ouvre mes bouteilles pendant que l’on nous sert un champagne Pol Roger 1989. La couleur est d’un jaune pur, sans trace d’ambre, la bulle est presque éteinte. On sent en le goûtant qu’il a beaucoup vieilli, sans avoir pour autant accroché ce qui fait le charme des champagnes anciens. C’est cependant un excellent champagne.
D’une bouteille de Pol Roger 1934, il ne reste que moins de la moitié. Que va donner ce champagne qui est au-delà de tout seuil de vidange ? Le champagne a une couleur de thé austère. La bulle n’existe plus et pourtant la langue est titillée par un perlant de bon aloi. Le nez est expressif et je trouve ce champagne extrêmement passionnant. Il est un témoignage encore très vivant d’un beau champagne.
Un autre champagne Pol Roger 1934 d’un meilleur niveau, d’une couleur plus claire, va accompagner un foie gras poêlé et des tranches de pomme. On ne peut pas juger du nez quand l’assiette est servie. Le champagne devient doucereux avec la pomme au goût très pur. Ce champagne élégant, civilisé, plait plus à mes convives alors que je préfère le plus blessé, plus sauvage, plus excitant.
Un magnum sans étiquette ni capsule est posé sur la table. Le vin est joyeusement doré. Le nez est expressif, dense, minéral et fruité. C’est un grand vin. En bouche, beaucoup de charme, d’expressivité, d’intensité. Personne ne trouvera qu’il s’agit d’un magnum de Chablis Grand Cru Les Clos François Raveneau 1975. Je m’en veux, car je l’ai déjà souvent bu. Une lotte au riz basmati a une sauce faite de fenouil, de réglisse et de gingembre. C’est avec cette sauce divine que le Chablis s’exprime le mieux.
La générosité de notre ami est sans borne, car arrive maintenant Pétrus 1990. La robe est belle, très dense, foncée. Le nez est assez discret mais annonciateur. En bouche, c’est comme l’hostie d’une première communion. J’avais déjà bu Pétrus 1990 au sein d’une prestigieuse verticale où il avait brillé. Ici, en situation de repas, c’est le vin tel qu’on doit le boire. La finesse d’un tapis d’orient se mesure au nombre de nœuds par mètre carré. Ici, c’est le tapis au grain le plus fin qui puisse s’imaginer. La trame de ce vin, sa consistance, sont exceptionnelles. On sent le sérieux du merlot, la rigueur du Pomerol, mais c’est tellement élégant que je suis, comme toute la table, frappé par la grâce et la longueur de ce vin de légende. Bien sûr, en le buvant, on est fortement influencé par le fait que c’est Pétrus. Et alors ! Pourquoi pas, si cela augmente le plaisir. Le poulet de Bresse fort bon laisse la vedette au vin, car ce n’est pas tous les jours qu’on boit un tel trésor.
J’avais apporté un Chambolle-Musigny de Chonion négociant 1973, parce que je crois beaucoup à ce vin au niveau parfait dans la bouteille. Il y a autour de la table de très grands amateurs. Je voulais qu’ils partagent mes coups de cœur. Je suis ravi que le vin ait été compris. Tout le charme de la Bourgogne est là. Il y a des évocations de confiture de rose que je trouve ravissantes. Je me plais avec ces petits vins agréables, chantant un air bourguignon. Ce vin est un de mes petits régals.
Sur une côtelette d’agneau, un Beaujolais Choix de Pasquier-Desvignes 1967 est une joyeuse surprise. L’un de nos amis, un scientifique (il y en a beaucoup autour de la table), qui a donné à une époque de sa vie des cours d’œnologie, a trouvé beaujolais quand nous nous égarions en Bourgogne. C’est une belle prouesse car ce vin pinotait allégrement.
Le Chambolle-Musigny les Charmes Grivelet 1934 est d’une sensualité exceptionnelle. C’est un grand et fringant bourgogne. Sur un filet de biche aux choux le Pommard Charles Viénot 1947 que j’avais apporté fait un peu cuit, torréfié. Ce défaut est atténué par le gibier qui se plait à son contact. Mais ce vin qui avait fait un long périple jusqu’ici avait souffert du voyage après avoir, sans doute, un peu gémi en cave.
A partir de ce vin, mon attention va se brouiller, même si je suis attentif, car la profusion de bonnes choses est extrême. Le Pommard Rugiens de Bouchard Père & Fils 1966 est absolument superbe. Sa jeunesse est rassurante et ne sera pas contredite par le bambin qui suit. Le Gevrey-Chambertin Claude Dugat 1999 est joyeux mais je serais bien en peine d’en dire plus. Il accompagne les fromages, comme le Chablis Montée de Tonnerre Verget 1995.
Sachant que ces amis ont tout bu, tout connu, pour les étonner, il me fallait du gros calibre. J’avais dans ma besace un vin dont je suis amoureux fou : Côtes du Jura blanc Jean Bourdy 1942, l’année d’une des plus grandes réussites de ce vin. J’ai évidemment vibré à sa perfection excitante, car ce vin fait partie de mes recherches gustatives. Je perds toute objectivité quand je bois ce vin aux évocations sans limite.
Le Château Suduiraut 1990 est une façon certaine de bien conclure un tel repas d’anthologie, mais on n’allait pas s’arrêter là, car un thé de Brassempouy de 1989 (à Brassempouy, je ne connais que le Dame), constituait pour moi une découverte étonnante, un Bas Armagnac Cépages Nobles Boingnères 1977 rappelle que les alcools d’Armagnac comptent parmi les plus fins. Un alcool de poire fut le dernier drap qui bordera le sommeil d’une future nuit impénétrable. Tant de générosité, d’érudition sur le vin et le goût, ravissent l’âme. Il faut vite une revanche tant le feu de la passion de ces esthètes mérite d’être attisé.
déjeuner de famille avec Salon 1969 dimanche, 22 octobre 2006
C’est l’anniversaire de ma fille cadette. Décidément, les occasions de boire en famille sont fréquentes. Au lieu de prendre les classiques symboles qui sont les vins de son année, je choisis d’autres pistes, en prenant un champagne de l’année de mon fils et des vins rouges dans la tendance parkérienne des goûts de ma fille aînée. Mais, ne soyons pas hypocrite, tous ces vins correspondent à mes envies.
Le champagne Salon 1969 représente une extrême rareté. Il faut savoir que la maison de champagne Salon n’avait, tout au début du 20ème siècle, qu’un seul client, Monsieur Salon, puisqu’il avait acheté cette parcelle miraculeuse pour sa consommation personnelle. Plus tard, tout a été vendu, et ce qui reste en cave des millésimes d’avant 1976 est microscopique. Boire un Salon 1969 est vraiment rare. Avec des coquilles Saint-jacques et du caviar d’Aquitaine absolument délicieux car non marqué par une amertume ou une salinité excessive, c’est un régal. Et sur le sucré de la coquille et la marque iodée du caviar, le Salon joue à son aise, montrant l’immense variété de ses qualités. L’âge lui a apporté une longueur sans équivalent. Le 1966 a été pour moi une émotion unique. Ce 1969 est d’une sérénité fantastique.
Le Château Pavie 2001 est l’enfant chéri des juges officiels des vins actuels. C’est le bon élève de la génération moderne. Le premier contact avec ce vin me fait un choc, car on est dans des tendances très éloignées de mes recherches. Mais lorsqu’on analyse, on voit bien que c’est un Saint-émilion et non pas un vin de nulle part. C’est sans doute un peu trop pour moi, mais je comprends que l’on puisse l’aimer.
Le Vega Sicilia Unico 1989, vin de la Ribera Del Douero, qui, comme on le sait, n’est pas en Sicile mais en Espagne, est complètement dans ma démarche. Le nez était de loin le plus élégant à l’ouverture à dix heures ce matin et confirme cette impression sur le porcelet rôti sur un lit de pommes de terre. Il a un joli bois, et je mets à imaginer un séquoia géant. Le plus important caractère de ce vin est l’équilibre entre toutes ses composantes de fruit et de bois. Ce vin très racé est d’un plaisir absolu.
Le Penfolds Grange Bin 95 de 1989 est aussi déroutant et éloigné de mon palais que l’est son pays, l’Australie. Il démarre comme un jus de mûres qui serait mélangé à un bouquet de fleurs. J’ai beaucoup de difficultés à entrer dans le monde de ce vin au sirop prononcé. Lorsqu’il s’anime dans le verre et lorsque l’on s’habitue, on comprend sa célébrité, car il a de belles qualités. Mais je ne suis pas très motivé à apprendre plus sur ce type de vins.
Ce qui est assez intéressant, c’est que les trois vins annoncent 13,5° ce qui me parait d’une modestie évidente pour le Pavie et le Penfolds. Je tenais à faire cette comparaison intercontinentale, et j’en suis satisfait. J’aimerais bien faire un autre essai où le Vega Sicilia côtoierait un Beaucastel et des Côtes Rôties de Guigal. Pourquoi pas ? La réunion familiale fut marquée d’un rare Salon, d’un bel espagnol, d’une cuisine dominicale parfaite (je protège ma paix future), de rires et d’affection.
un beau Chambertin chez Jacques Le Divellec mercredi, 18 octobre 2006
J’invite à déjeuner un journaliste gastronomique pour le simple plaisir de parler de gastronomie. Je réserve chez Jacques Le Divellec, car l’assassin revient toujours sur le lieu de ses crimes : j’y ai fait un des plus mémorables de mes dîners. Subodorant que notre expert en restauration, auteur d’un guide connu, n’est pas forcément un accro des vins anciens, je fais déposer une bouteille ancienne, mais pas trop, pour que ma persuasion soit efficace.
Après de délicieuses crevettes grises (la crevette grise partage avec quelques produits, dont le saucisson une propriété : « quand c’est pas bon, c’est pas bon, mais quand c’est bon, qu’est-ce que c’est bon ») et deux petits amuse-bouche marins, de belles huîtres fines de claires d’Oléron d’un petit calibre vont cohabiter avec champagne Bollinger Grande Année 1997. Ceux qui ont de l’année 1997 une image de tendresse délicate vont devoir réviser leur calendrier. Ce champagne est impérieux, puissant, vineux. Son année lui donne effectivement une caresse particulière. Mais c’est imposant. Avec l’huître, la cohabitation est parmi les plus pacifiques.
Nous goûtons ensuite un des plus classiques de Jacques Le Divellec, le foie gras en terrine fourré de langoustine. Cette ajoute ne s’impose pas, car le mariage avec le Bollinger, qui marche agréablement, n’est pas nécessaire à ce stade.
Pour mon vin, Jacques a adapté la recette de son bar en créant une sauce légère au bourgogne (un Marsannay). Le Chambertin Clos de Bèzes Pierre Damoy 1961 ouvert depuis quatre heures, au niveau parfait, au bouchon exceptionnel d’homogénéité, à l’étiquette de vin à deux sous, est absolument phénoménal. Son nez est impérial. Il attaque sur un fruit de bambin, s’impose par sa puissance, et montre, comme par magie, combien les vins anciens ont un structure inégalable. Ce vin a un équilibre, un fruité qui sont inimaginables. Olivier, le sommelier et Jacques, le chef, le boiront avec un plaisir indicible. Notre journaliste aura senti que les certitudes des sceptiques des vins anciens sont à remettre en cause. Ai-je réussi ma démonstration ? J’ai pris avec ce vin à l’aspect roturier un plaisir de première grandeur.
Le dîner avec les vins de Massandra lundi, 16 octobre 2006
Sur le forum de Robert Parker, des affinités se nouent, poussant à des rencontres où le vin qui réchauffe nos veines n’a rien de virtuel. On me propose de déguster des vins de Massandra, rarissimes vins de Crimée. Je n’hésite pas une seconde.
J’arrive dans un petit patelin près de Namur au restaurant l’Air du temps, où un jeune asiatique (mais est-il si jeune que cela) compose une cuisine d’un raffinement délicat. Ayant une bonne connaissance des vins, comme j’ai pu le vérifier en échangeant quelques mots avec lui, il avait décidé de composer sa cuisine au dernier moment, lorsqu’il pourrait sentir les vins ouverts. Sa cuisine se veut zen. Elle fut d’une subtilité rare.
Le menu : Les mises en bouche apéritives (nombreuses et variées) / Queue de Langoustine bretonne sur une mousseline de choux fleur et caviar / Filet de Saint pierre, gel de palourdes et Meijiki, hollandaise mousseuse / Bar de ligne cuit sur peau, jus d’olives noires, chair de pamplemousse rose / Noix de saint jacques, une raidie, l’autre saisie, foie gras poêlé, mousse de châtaignes, fenouil croquant / Du ris de veau, sur une purée citronnée, voile de poivron / Aiguillette de pigeonneau de Waret, deux textures de consommé, pois frais et girolles / Composition de poire et fourme d’Ambert, balsamique de cassis / Figues rôtie à la menthe, compote de coing, pain d’épices et réduction de porto. Tout ceci fut d’un raffinement aérien et d’une sensibilité extrême. L’épouse du chef, une femme dont la douce beauté vient d’une paix intérieure, nous a présenté les énoncés des plats. Bien souvent, un serveur peu attentif et soucieux de sa mémoire ânonne un texte quasi inaudible. Ici, je me plais à écouter le discours mélodieux ressemblant à un chant d’amour, tant cette femme semble éperdument amoureuse du talent de son mari.
Etant arrivé avant tout le monde j’ai eu le temps d’ouvrir presque tous les vins pour qu’ils prennent une oxygénation suffisante. Je ne connaissais personne, je n’y avais aucune autorité, mais je l’ai prise.
Le champagne Jacquesson 1996 en magnum est un extra brut dégorgé au premier trimestre 2006. Sa couleur est déjà très ambrée. Un amuse-bouche au fruit de la passion et soja permet de découvrir sa belle bulle. Trois tomates traitées comme en un tableau villageois de Jérôme Bosch mettent en valeur son goût très pur. Potiron et huître font apparaître comme il est peu dosé Un œuf et confit de courge finissent d’exposer la finesse de ce champagne.
Le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1985 a depuis longtemps cessé de m’étonner tant je me plais à le déguster. Une magnifique combinaison d’acidité et de gras excite le palais quand on sait donner au vin la température qui le met en valeur. Ce vin puissant, de caractère, dispose d’une persistance aromatique peu commune.
Le Château Grillet cuvée renaissance 1976 est très fumé. On sent la pierre à fusil. Ce vin très typé m’envoûte. J’écris sur mon petit carnet de notes : « c’est soufflant de perfection ». Il est immense sur le Saint-pierre. Longueur, concentration, équilibre, tout y est.
Le Montrachet « réserve du château » Bouchard Père & Fils 1988 a une étonnante couleur ambrée pour son âge. Après le remarquable 1985 que j’ai bu il y a seulement trois jours, on ne peut pas être laudatif pour ce Montrachet manquant de souffle et de faible longueur.
J’avais proposé de venir avec une bouteille. En fait, j’en avais cinq, ce qui autorise à en prendre d’incertaines. Je déclare un peu trop vite que le Chassagne Montrachet blanc Soualle & Baillencourt vers 1930 est abîmé et qu’il faut le laisser de côté. Je vide même mon verre dans un seau. Quand un convive plus patient me dit de réessayer, je me sers au plus vite. Décidément, il m’arrive à moi aussi de condamner trop vite ! Le vin avait perdu cette désagréable trace glycérinée et devenait propret. J’avais trouvé du madère, du sherry, de la noix, de l’amontillado, et voilà qu’il y avait du Chassagne ! Et je me mets à fondre de bonheur sur l’accord de ce vin blanc avec une mousse de châtaigne de pur raffinement.
A propos de Chassagne, mais rouge cette fois, le Chassagne Montrachet rouge « réserve » Jean Lamy vers 1959/1961 présente sur la coquille Saint-jacques tout le talent de ce que peut-être la Bourgogne absolue. Je suis aux anges quand je reconnais ce message.
Le Château Beychevelle 1931 avait un bas niveau dans la bouteille. Il paraît acide mais surtout salé, ce qui affadit son message. Le Château Petit Gravet Saint-émilion 1934 sur le ris de veau est magnifique de velouté. Très doux, très équilibré, c’est un vin de grande maîtrise sur le ris, que le contraste avec le 1931 met largement en valeur. Mes convives s’extasient. Est-ce pour me faire plaisir de l’avoir apporté ? J’ai cru déceler que le vin leur plaisait.
Le Château Lafite Rothschild 1955 au beau niveau dans la bouteille a une très jolie robe et un nez bien dessiné. Le Château La Conseillante 1955 a un nez magique. Le Lafite est possible sur le pigeon mais c’est La Conseillante qui ramasse la mise, tant il est brillant.
Il n’en va pas de même du Château Latour 1967 qui a un goût de civette selon mes voisins. Il est plutôt tout simplement bouchonné pour moi. Il est âcre en bouche. Le Lafite ne tourne pas à plein régime, le Latour est au ralenti avec un final qui me dérange. Seul La Conseillante offre ce qu’on peut attendre d’un grand Bordeaux d’une année que j’adore.
Le Picardon vin de liqueur 17° distillé à Saint-Céré dans le Lot vers 1950 fait partie de ces curiosités que j’ai amassées au fil des âges. Le définir précisément, je ne sais pas le faire. Il est assez sec, exprime son alcool et ressemble à un cognac léger plutôt qu’à un vin doucereux. C’est une plaisante expérience car on découvre toujours des saveurs inconnues. Et c’était une bonne introduction pour affronter des saveurs infiniment plus énigmatiques.
Il faut d’abord expliquer en en faisant une version courte, qu’un tsar a voulu reconstituer sur les terres de Crimée tous les vins qu’il aimait, implantant les cépages et cherchant à recréer les plus beaux vins du monde. Après cela, l’histoire se romance. Qu’en est-il de ces vins versés dans la mer Noire qui la colorèrent d’un rouge sang révolutionnaire, de ces vins murés dans des caves pour ne pas être pillés par de méchants barbares ? Et la découverte impromptue de ces bouteilles rares qu’on retrouve identifiées, datées, reconnues et mises en vente par Sotheby’s à Londres. Il faut aux vins mystérieux une pincée de rêve. Lorsqu’en plus les goûts sont ceux des mille et une nuits, sur son tapis volant, on est prêt à tout croire.
Le Massandra muscat rose Gurzuf 1939 a un nez invraisemblable de plantes médicinales et de macaron à la framboise. Ajoutons à cela un nez de thé au fruit. En bouche, c’est très troublant. Il y a des évocations de confitures de mûres raffinées.
Le Massandra Tokaj Al Danil 1923 est un Pinot gris. Il a le nez exact d’un tokay. En bouche, c’est du rêve. Je plane. Ces deux vins sont totalement exceptionnels. Dans le tokay, il y a du litchi, de la poire. Le muscat rose a un équilibre inouï. Il est rond, sucré. Le tokay fait plus muté, plus déstructuré, mais il bouge tellement en bouche qu’il fascine.
Le Massandra Pedro Ximenez 1945 a un nez de caoutchouc. Il n’est pas très net en bouche et son message s’estompe. Il ressemble à un porto assez amer marqué par l’alcool. La sucrosité n’est pas très élégante. Ce n’est pas assez structuré à mon goût.
Le Massandra Cahors (cabots) Ayu Dag 1933 est de couleur rouge. Son nez fait penser au tokay, mais en plus sec. Ce vin déroutant est sublime.
Sachant qu’il y aurait des Massandra et un Beychevelle 1931, j’ai voulu faire un petit clin d’œil avec ce Malaga Scholtz Hermanos réserve Lagrima 1931. Il est de la même race que le Pedro Ximenez. Son nez de café est très dense. J’aime beaucoup ce vin plus lourd que les Massandra.
Le Cahors 1933 est très grand, fruité de fruits frais, le muscat rose sent la mûre, le Malaga plus viril évoque le caramel et le café.
Chose fort rare, la moitié de ces gens, dont je ne connaissais aucun, avaient apporté mon livre pour que je le dédicace. Ils connaissaient mes aventures, mes théories et se réjouissaient de mes anecdotes. Je quittai ce groupe de solides buveurs, joyeux, plaisantins, en me demandant quels vins j’avais préférés sur cette cuisine si subtile. Je me risquai pour moi-même à un classement : 1 – Massandra muscat rose Gurzuf 1939 – 2 – Chassagne Montrachet rouge « réserve »
La Belgique est un pays où l’on aime le bon vin.
des Krug magistraux chez Marc Veyrat samedi, 14 octobre 2006
Le but de notre voyage commencé il y a deux jours, c’est le déjeuner chez Marc Veyrat à Veyrier du Lac. Notre groupe de douze ne comporte que des aficionados. Embrassades, joie de se revoir. L’absence de Samuel, le sommelier guide de nos précédentes aventures est mal vécue, mais Jérôme va s’acquitter de sa tâche fort élégamment. J’apprends que le Krug 1973 est bouchonné. Le remplacement par un beau champagne sera fait.
Nous nous installons sous la haute bienveillance d’Hervé, l’homme qui est l’âme du lieu à côté du maître. Marc Veyrat vient nous saluer. On sent la souffrance, sous un masque de bonne humeur, d’un homme handicapé par son vilain accident de ski. La table se constitue d’abord en terrasse, par une journée ensoleillée qui donne au lac, aux herbiers, à la belle montagne une vraie joie de vivre. L’entrée sur une palette de peintre donne des saveurs charmantes, dont ce carpaccio étonnant et se ponctue – après le Krug – sur le soda Veyrat, classique boisson d’introduction à de féériques agapes. Le champagne Krug 1988 en magnum me parait trop jeune, trop vert, trop coincé. J’entends autour de moi des louanges qui me paraissent excessives. Peu importe. A table, c’est sur un yaourt de foie gras, escalope de foie, mikado de myrrhe odorante que l’on commence à aborder le champagne. Il reste pour moi toujours coincé et la preuve de ce que j’avance sera donnée une heure plus tard. Libéré, aéré, ce champagne dira tout ce qu’il a en lui. Il lui fallait prendre de l’air pour réciter son texte. L’œuf au plat virtuel, cumin des bois d’ici, lait de coco est un plat nouveau, dont nous explorons une version inédite. Le plat n’a pas l’assise des recettes mille fois interprétées. Je suis sous le charme, car cette créativité spontanée, qui se cherche et essaie ses dosages, c’est comme une épreuve d’artiste, parfois plus émouvante qu’un tableau définitif. Je suis très sensible à sa recherche.
L’habitude aidant, on comprend de mieux en mieux l’art de Marc Veyrat. Comme tout grand créateur, il est unique. Je vois en lui du Léonard de Vinci, tant certaines voies explorées sont en avance sur son temps. Bien sûr, comme pour un grand vin, chacun y voit ce que sa culture et son histoire lui permettent de déchiffrer. Jean Philippe, l’ami qui nous cornaque, y voit certainement beaucoup plus de choses que moi. Mais je me sens assez proche de ce que chaque plat évoque. Il y a les rêves de l’enfant, le respect de la terre et des herbes que l’on a cueillies quand le père apprenait les saveurs que la terre nous donne. Il y a du rebelle dans certaines sauces, avec des cris lancés dans l’espace qui attendent un écho, retour de compréhension. Il y a la souffrance du moment. Mais il y a aussi le profond respect des produits comme le montrera tout à l’heure l’exécution magistrale de l’omble chevalier. Alors, en mangeant, on a Marc Veyrat sur un divan, exposant sa volonté de faire comprendre tout ce qu’il ressent, qui transcende largement le cercle parfois brisé de l’assiette posée devant chaque convive. Et l’on comprend mieux que sur les dix dîners organisés par Jean-Philippe en cet univers, il y en a eu trois avec le champagne Krug. Car quel autre vin aurait la faculté de s’adapter aussi complètement à ce monde créatif infini ? Je n’en vois pas. Chacun des Krug a servi la cuisine, a su montrer sa personnalité, a su rebondir sur un goût sur une invite lancée à nos papilles.
Le Krug grande cuvée en magnum apporte une démonstration supplémentaire, si elle était nécessaire, de la timidité du 1988. Car on a ici la vraie définition du Krug. Relativement récent, ce champagne gagnerait des galons avec des années de plus. Mais il est là, serein, joyeux, prêt à combattre avec beaucoup de saveurs aventureuses comme celles de ce merveilleux univers culinaire. La flûte inversée, pois cassés tièdes, mélisse, citronnelle, humus, c’est tout l’univers d’enfance du savoyard. Le ravioli velouté, carottes, céleri, concombre, gelée de pommes, c’est toute sa dextérité créatrice.
Krug Collection 1981 en magnum est éblouissant de rondeur, d’accomplissement, et dépasse de très loin tout ce qu’on pourrait imaginer de cette année. Mais on est avec Krug ! Dans un repas comme celui-ci la description pure du champagne est impossible. C’est la souplesse d’échine qu’il faut signaler, car le champagne a fait bonne figure pendant toutes les combinaisons qu’il a suscitées. Et ça ne manquait pas : œufs de caille au caramel clair, polypode, cornet d’oxalis. Puis hostie virtuelle du 21ème siècle, jus de cannette, sorbet safrané. Ce qui est éblouissant, c’est qu’une branche de pin a été fortement imprégnée de la fumée d’un feu de cheminée. Et l’on remue le jus avec cette branche, qui donne un parfum inoubliable au plat.
Le
Le Krug Clos du Mesnil en magnum 1988 est évidemment une première, car le Clos du Mesnil est déjà rare. Mais en magnum, il l’est infiniment plus. Ce champagne est l’enfant chéri de la victoire, le vin béni des dieux. L’omble chevalier des lacs alpins, filandre de citronnelle, épicéa est un grand classique de Marc Veyrat, avec une cuisson immortelle. Avec ce Clos du Mesnil, ce ne sont que des saveurs d’une pureté cristalline qui s’offrent à nos papilles. Une darne de homard breton, vin jaune, bonbon d’herbe de maggy (acha) est une forme aboutie du goût du homard.
Le Krug Clos du Mesnil 1982 est magistral. Avec la crème brûlée à la reine des prés et la confiture d’écrevisses nous comprenons deux choses : que Krug s’adapte à toutes ces difficultés gustatives et que nous n’avons aucune lassitude. Un champagne de ce niveau, sur une cuisine de ce niveau, c’est un plaisir rare. Le ris de veau poêlé, beignet de pommes génépi, démontre si c’était nécessaire, que Marc Veyrat est aussi à l’aise sur une cuisine plus classique où la chair principale est mise en valeur dans son orthodoxie.
Le Krug collection 1964 en magnum nous fait entrer dans un univers d’exception. Ce champagne dépasse tous les autres. Je suis évidemment plus sensible que d’autres à l’apport de l’âge au goût de ce champagne. Mais il n’est nul besoin d’entasser les expériences pour saisir la perfection de ce champagne sensuel, accompli, totalement arrondi, expressif, vivant. L’ercheu des fromages de nos talentueux paysans (ce n’est pas moi qui parle) rencontrait nos appétits encore présents. « L’avalanche de délicatesse de ma fille Carine » rencontra une demi-bouteille de château d’Yquem 1989 que j’avais apportée pour l’anniversaire d’une des convives. Cet Yquem est d’une perfection exemplaire, d’une profondeur inégalable qui surclasse nettement le 1976 de la veille.
Un reste de faim fut comblé le soir par un spaghetti virtuel plaisant, par un pigeon traité de façon classique avec talent et par un « macaron raté » dont j’adore le clin d’œil.
Quand on est plongé comme ici dans l’univers créatif d’un homme de ce talent, on est embarqué dans une aventure où tous les goûts se justifient. On découvre, on retrouve, on comprend. Parfois c’est un peu plus dur, tant le chef a une imagination qui nous dépasse. C’est magique. On est comme Alice au-delà du miroir. Et l’on est heureux. Le champagne Krug, dans des expressions très différentes, a montré son adaptabilité et sa classe. Nous sommes prêts à remettre le couvert.