Archives de catégorie : dîners ou repas privés

un dîner de canicule au Lavandou jeudi, 20 juillet 2006

Sur la route de Saint-Tropez, en ayant dépassé le Lavandou, le restaurant « Le Sud » est sur le bord de la route. D’amples plantes tropicales marquent la façade. A l’entrée une belle femme brune accueille d’un sourire composé. Sa beauté évite de s’attarder sur une décoration qui n’existe pas. Christophe Petra, chef auteur de « Ma Provence Gourmande », affiche un large sourire heureux et satisfait. On nous propose du champagne en prononçant deux noms qui ciblent l’endroit. Nous choisissons champagne Besserat de Bellefon rosé NM de bien agréable fraîcheur expressive. Ce champagne fait partie du tout petit groupe des bons rosés. Le maître des lieux vient nous réciter son menu, excluant que nous perdions notre temps à lire une carte. C’est une pratique que je n’apprécie pas. La carte des vins en revanche est fort intelligente, car elle a eu la sagesse de ne pas actualiser les prix fous de l’époque présente. J’y détecte des bonnes pioches qu’il faudrait venir exploiter. Comme je suis invité avec mon épouse, je fais un choix mesuré, car le choix pour compte d’autrui est un exercice délicat.

Nous allons être submergés par une cuisine multiforme, où les amuse-bouche s’ajoutent aux pré-entrées, entrées et autres plats, sans que l’impression d’excès n’apparaisse. C’est goûteux, fort goûteux parfois, au point que l’on se demande comment les goûts si prononcés ne sont pas dopés comme cela existe dans un sport qui visite la France sur une selle. Le toast aux truffes d’été ressemble à un toast aux truffes d’hiver, la crème de cèpes et truffes a une intensité rare, le bar est délicieux. Le seul plat qui a joué un peu en dedans c’est le lapin confit de quatre heures, plat fort difficile à exécuter que j’avais pris pour jauger sur un exercice de voltige le talent de Christophe Petra dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Sur ce festin, le Corton Charlemagne Louis Latour 2000 est extrêmement agréable. On est loin de la puissance de certains Corton Charlemagne, mais en ce temps de canicule, c’est plutôt un avantage. Les évocations sont discrètes mais subtiles. Ce vin demande qu’on aille chercher en lui toutes les subtilités qu’il recèle. Et le plaisir vient de cette découverte attentive.

L’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 2002 est confortable. C’est un vin rassurant, sans complication excessive, à la trame juste qui n’en fait pas trop. C’est le vin que l’on est content de boire, mais qui ne suscite aucune énigme. Mes amis l’aimèrent pour sa franchise et son confort. Le temps lui donnera sans doute plus de complexité.

Parler du réchauffement de la planète, ça donne soif. Le champagne Louis Roederer, manifestement recommandé par la maison, apaise une dernière soif sans entraîner de bravos d’une foule peu conquise par ce champagne trop gentil et trop bien élevé.

Cette table mérite qu’on s’y intéresse car il y a de l’intelligence et du savoir faire dans cette cuisine généreuse. Le service est un peu conventionnel, la sommellerie plus que discrète, mais c’est un endroit où nous ne sommes pas connus, ce qui change l’atmosphère. La carte des vins vaut le détour. En vacances, n’est-ce pas ce qui convient ?

Yquem en hommage à ma mère mardi, 27 juin 2006

Funérarium, messe, enterrement. Pleurs, embrassades, cohésion familiale. Grands sentiments. Ma mère s’est éteinte à 93 ans. Elle n’a ni souffert ni décliné. Voulait-elle partir sur une mort "idéale", nous prenant par surprise alors qu’on la croyait taillée pour l’éternité ? L’esprit était donc à positiver l’événement et à dégager un bonheur familial.

J’avais prévu champagne petits fours. J’ai senti qu’un repas plairait à tous. A l’Ecu de France, à Chènevières, les tables se préparent sur l’instant pour 26 personnes, parents ou amis proches.

Le menu : cassolette de champignons, bar, fromage et tarte abricot. Délicatement préparé, goûteux.

Le champagne Pommery 1998 est facile à boire, expressif sans l’être trop. Un champagne qui se boit bien pour effacer les larmes.

Le Châteauneuf du Pape Vieux Télégraphe 1998 est un vin facile à comprendre par tous, car il y a dans la famille beaucoup de cousins pour qui le vin n’est pas un sujet de réflexion. Magnifique vin généreux, très agréable, ressenti par tous comme un cadeau.

Le Châteauneuf du Pape Beaucastel rouge 1990 partagé avec quelques amateurs est d’une grande perfection. Comme c’est une découverte, j’ai profité de l’occasion pour montrer à mes nièces comment on profite de ces vins rares.

Le Château d’Yquem 1981 est déjà d’un or brun, fort en bouche, très révélé par l’abricot. Une immense longueur d’un Yquem que je n’attendais pas à ce niveau là. Une cousine de 84 ans vint me voir et me dit : "tu sais, c’est mon premier Yquem".

Rires, joies, anecdotes. Ma mère a vécu en positivant toutes choses. Faire un repas de joie, c’était l’honorer.

DRC les pieds dans l’eau vendredi, 23 juin 2006

Nous avons pris nos quartiers d’été avec l’apparente intention de faire diète. Mais il faut se ménager des espaces de liberté, excuses à la gourmandise.

Mathias Dandine avait obtenu une étoile dans un joli petit restaurant coincé dans une étroite et escarpée rue piétonne de Bormes-les-Mimosas. Ambition, goût du challenge, voici qu’il décide en décembre dernier de reprendre la restauration de l’hôtel des Roches au Lavandou. Il devenait indispensable que nous allions vérifier si la greffe avait pris.

L’hôtel des Roches jouit d’une implantation unique sur l’eau, un peu comme Eden Roc, et l’on a une jolie vue sur les îles du Levant et Port Cros. Voulant jouer tropézien, le lieu accueille façon plutôt branchée. C’est plus Dior Haute Couture que Raimu accoudé à son comptoir. La décoration s’améliore, et le site incite au farniente. A l’étage du restaurant, on est tout sourire. Mathias et son frère sont prévenants. Sébastien, l’agréable et facétieux sommelier se souvient de nos habitudes ou manies.

Nous commençons par un champagne Amour de Deutz 1995 de belle couleur dans son flacon transparent. Assez expressif, à la bulle forte, il est plutôt joli en bouche, mais je trouve qu’il joue un peu en dedans, comme l’équipe de France de football, qui à l’heure où j’écris ces lignes, juste après les matches du premier tour, n’est pas encore éliminée, sans un but de trop. Plus le temps passe, plus le champagne s’ouvre et devient joyeux. Comme je suis marqué par des champagnes très expressifs, je ne mords pas trop, mais cet Amour mérite de l’intérêt.

J’ai suggéré à notre table que l’on commence par un risotto de truffes d’été pour accompagner le vin que j’ai choisi : Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1987. Le plat est délicieux, le toast de truffe étant d’une justesse absolue. Et avec ces saveurs, le Corton-Charlemagne chante. C’est un vin immense. Et mes amis comprennent pourquoi je disais que le champagne était un peu coincé, car ce vin blanc est totalement débridé. Une exubérance rare, qui renvoie toute réserve sur l’année 1987 dans ses dix-huit mètres. Des notes citronnées mêlées de miel, des évocations d’amandes et de noix, et cette élégance propre à ce domaine délicat. Un vin résolument grand, où la subtilité se dévoile d’autant plus que la puissance est retenue.

Le homard thermidor est goûteux mais doit pouvoir encore se travailler. J’ai décidé de lui associer un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1997. Là aussi, c’est la délicatesse qui prime sur la force. Toutes les caractéristiques d’un grand vin expressif sont réunies. Un léger voile qui écorne une partie du message ne gênera pas suffisamment pour qu’on éprouve moins de plaisir. Ce vin joyeusement juteux est d’un plaisir franc et sincère. Et le homard lui va bien. Le cochon de lait d’une autre partie de la table fut jugé fort approprié à ce grand bourgogne.

On nous offrit un Comtes de Champagne Taittinger 1997 fort agréable en fin de repas, après des mignardises qui demanderont au moins un marathon pour retrouver le tour de taille que l’on avait en entrant. Ce champagne n’est pas très compliqué, mais de belle soif.

Matthias Dandine a un magnifique outil de travail pour développer son élégante cuisine. Sébastien est souriant, le service est attentionné. C’est une adresse dont on reparlera.

de grands vins pour des fiançailles dimanche, 18 juin 2006

Ma fille cadette se fiance. Occasion de se rencontrer pour deux familles, et occasion de sortir de bons vins. Mon futur gendre et ma fille reçoivent le premier soir. Nous recevons le lendemain midi. La motivation de Guillaume et Agathe est assez visible, car nous serons reçus de façon royale.

Voici le menu : Toasts au foie gras / Foie de lotte et coulis d’orange / Carpaccio de gambas, gelée de riesling pamplemousse / Ravioli langoustine ricotta et épinard / Crumble d’agneau aux fèves / Comté et gruyère de Savoie / Macarons Pierre Hermé rose, pamplemousse américano, chocolat passion / 2000 feuilles Pierre Hermé. Les services d’un chef ont été loués pour la circonstance.

Le champagne Laurent-Perrier en magnum est très agréable. Très équilibré, joyeux, il me surprend positivement, car je n’attendais pas le non millésimé à ce niveau. Le champagne Krug 1990 en magnum se présente en un flacon d’une rare beauté. Cet écrin renferme un champagne qui est un vrai bijou. Je l’avais goûté dans des dégustations comparatives où il avait montré son talent. En situation de repas, avec le foie de lotte, ce champagne est éblouissant. Il est tellement complexe que je suis obligé de choisir parmi toutes les images qui me viennent. Je retiens les fleurs blanches et roses, les fruits délicats comme des cerises jaunes. Ce champagne floral et fruité est romantique. Il forme un vrai contraste avec le champagne Salon 1985 que nous avions bu aussi en famille il y a moins d’une semaine. Le Salon me semble plus viril, plus conquérant, quand le Krug me paraît plus féminin, charmeur. Ces deux champagnes sont deux expressions assez opposées qui me plaisent tout autant. Je suis sûr que demain, le Krug pourrait me montrer un autre visage, tant il a de facettes à sa séduction.

Le Riesling "Hengst" Josmeyer cuvée de la St martin 1998 est extrêmement agréable et bien construit. Vin facile à boire. Mais le Chablis Grand Cru les Clos de René et Vincent Dauvissat 1998 a trop d’intelligence. Ce Chablis est magique. Il a tous les bons côtés du Chablis, sans n’en avoir aucun qui soit mauvais. Toute la table de onze parents de deux familles a été émerveillée par la qualité de ce grand Chablis. C’est son expressivité tranquille qui m’a marqué.

Le Château Ausone 1975 est un grand Ausone. Etions-nous de bonne humeur pour juger autant de vins à de tels niveaux ? Non, je crois que cet Ausone est particulièrement réussi. Subtilité, charme, distinction. Il fallait avoir le palais disposé à analyser les détails pour aimer l’Ausone, car à côté de lui, c’est un empereur qui entre en scène. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est spectaculaire. Que c’est bon, que c’est simple, que c’est naturellement délicieux. On dirait Jean Marais à vingt ans quand il sourit : c’est un ange si naturellement beau. La Mouline, c’est ça : il lui suffit de sourire, et l’on dit : c’est beau.

Ce qui me fait plaisir, c’est qu’en quittant un instant la Mouline pour revenir à Ausone, le bordeaux n’est pas écrasé. Il montre toute sa fragile beauté, fragile étant ici comme la beauté d’Anne, l’héroïne des Visiteurs du soir, qui brûle d’amour pour Gilles. La Mouline, c’est plutôt Jean-Paul Belmondo et sa gouaille de chouchou des dames. Deux grands vins, La Mouline immédiatement porteur de plaisir pur, et Ausone, conteur de madrigal, d’une séduction raffinée.

Le Vin jaune Château d’Arlay 1987 vit son bonheur avec le Comté. Découverte pour certains membres de « l’autre » famille. Le Château d’Yquem 1991 est assez effacé. Mais il le devient encore plus avec les desserts de Pierre Hermé qui sont des concentrés de plomb fondu. De ses macarons, ce qui impressionne le plus, c’est la texture. Elle est divine. Les parfums sont assez forts, ce qui gêne un peu. Le 2000 feuilles est « immangeable » tant il est riche. Personne n’a pu finir sa portion prédécoupée. Il a fallu prendre un rhum pour balancer la lourdeur de ce dessert, pendant que l’Yquem 1991 se taisait.

Mon futur gendre a manifestement mis la barre très haut en ce qui concerne les vins, dont émergent pour moi d’abord le Krug 1990, ensuite la Mouline 2000 et le Chablis Dauvissat. Mais j’hésite entre les deux vins, la position du Krug n’étant pas discutable.

Le lendemain midi, nous remettons le couvert, cette fois-ci chez nous. Certains veulent éviter de boire, car il fait une chaleur de milieu d’été, alors que nous n’y sommes pas. Le menu de mon épouse est le suivant : Toasts au foie gras / Crème de foie gras en pot / Joue de porc confite et sa sauce au thé, pomme de terre duchesse / Stilton / Tarte Tatin.

Le champagne Dom Pérignon 1996 servi sous le catalpa est absolument brillant. Participant à un jury de champagnes pour un magazine connu, j’avais, comme mes collègues, classé ce Dom Pérignon en premier des 1996. Il est magique. Beaucoup moins complexe que le Krug 1990, il étonne par sa générosité, sa facilité de langage. C’est un champagne qui a un goût de revenez-y.

Ma fille aînée ayant un fort penchant pour les vins faciles, boudant les Pétrus pour leur préférer le Languedoc, nous avons commencé, pour qu’elle ait à boire, par un double magnum de Saint-Chinian, les vignerons de Roueïre 1998. La bouteille dissymétrique, pour faire antique, est décorée d’une étiquette en étain, ceinte de rubans rouges. Et, pour qu’il n’y ait aucune méprise, il est inscrit « étain véritable », sur une contre-étiquette elle-même en étain. J’avais ouvert le vin 20 heures à l’avance, et carafé plus de quatre heures. Le résultat est un vin extrêmement agréable qui a plu au clan qui s’est créé autour de ma fille aînée des adorateurs des vins de pays. C’est un vin très agréable, auquel il manque bien sûr un vrai final. Mais ça se boit avec plaisir.

Le magnum de Château Margaux 1970 est évidemment d’une autre trempe et mon fils aura apprécié son extrême personnalité. Il a du charme, et l’âge lui va bien. Très élégant, subtil, assez flatteur, il plait à ceux qui ne sont pas de la secte de Saint-Chinian, mais je sens des transfuges, qui apparaissent, sans même que je sois obligé de donner des primes de match. J’avais choisi 1970 pour mon futur gendre. Au tour de l’année de ma fille.

Le choc que me fait Pétrus 1974 est fort. Je savais que Pétrus avait réussi cette année difficile, mais j’ai l’impression que c’est le plus grand Pétrus 1974 de tous ceux que j’ai bus. Et quelle structure ! Il est intense. Quand Margaux est galant, poussant l’escarpolette d’une demoiselle délurée de Fragonard, Pétrus occupe le terrain du palais, selon une stratégie à la Masséna, l’enfant chéri de la victoire. Mon fils adore la subtilité du Margaux. J’adore la franchise gavée de complexité du Pétrus. Deux grands vins très complémentaires.

Rien ne volera la vedette à Château d’Yquem 1988, car la tarte Tatin a décidé de l’épouser, de le mettre en valeur. C’est un grand Yquem, comme je le vérifie à chaque fois.

Bagues, cadeaux, anecdotes enfantines, rien ne manquait à la réussite d’une fête familiale ponctuée de vins exemplaires.

Three DRC wines for a familial lunch dimanche, 11 juin 2006

As in my family the agendas are very busy, it was decided to celebrate several birthdays, including mine, on the same day. As I consider that my cellar is mainly devoted to my children, I wanted to make of this familial lunch something to remember for long. My collection has a value if it lives, which means if it “disappears” by being drunk. I go early in the morning to open the wines in the cellar as it is very warm around us. The La Tache 1943 has a rather low level, but seems very possible. La Tache 1943 has been one of the greatest wines of DRC that I have drunk. I put away the capsule, and the smell is of awful vinegar. The cork is black and greasy. The smell of the wine is very bad. If the wine comes back to life it will come back from a very low level.

I open the Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954 and the capsule astonishes me. It is the capsule of a négociant. The label indicates « Monopole » and Leroy. Is it the Leroy capsule ? The capsule had been slightly destroyed by the decomposition of the cork, and the cork is as black and greasy as the one of the La Tache. I am a little furious, because wines of 1954 should never show such an evolution of their cork? Why does it happen so often with wines of Romanée Conti?

The wine smells badly. So, here are two wines that any sommelier or any wine maker would throw away. I am so upset that I would decide to never buy again old wines of DRC if I have so many bad surprises. But I will keep quiet, as it has probably happened that I have bought more risky bottles from DRC than from any other domaine, just because I wanted to have DRC wines. But anyway, I am upset.

I tell myself that one thing is sure : the monster that I will open now is a wine without any problem. I put away the capsule, and what do I see : the top of the cork is black. And there is already some signs of the earth that stays in the top of cork with DRC wines. Oh my God! Incredible for a Montrachet DRC 2000. How is it possible ? A bad evil is probably chasing me.

Children and grandchildren arrive, the new generation has lunch, and on small cakes with cheese and Patanegra ham comes a champagne Salon 1985. It shines in a very unique way. I had had Salon 1983 which was good, but the 1985 is several stairs above. This champagne justifies why I love Salon. The bubble is very active, the colour is of a young champagne. In mouth it is a rare pleasure. I see white and pink flowers, pictures of David Hamilton suggesting the beauty of teen girls. But this is a mask. Because behind that, the personality of this champagne is extremely strong. In westerns, the hero is never standing where the killers shoot. This champagne is in the same situation : it delivers a taste which is not the one you would expect. The whole family adored this champagne.

On a foie gras just grilled, very simple, the Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 is unbelievable. For my son, it is the greatest white wine of his life. I must say that I have adored it. Because the wine controls completely its strength. For example, the wine does not dominate the foie gras. They cooperate on a mutual agreement. The nose is impressive, exposing an incredible complexity. In mouth, one would expect a bomb, but it is not the case. If it is a space invader, it is a pacifist one. What is amazing is the spectrum of all the complex tastes that are shown by this wine. Green citrus, liquorice, and all what one can imagine. Its set of suggestions is infinite.

On a beef filet in a pastry with truffles and potatoes, three reds. The La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 comes first. I had examined its smell hour after hour, and I concluded that the wine would be ready for dinner. There are still some wounds, but let us examine also its brother : Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954. I have drunk twice La Tache 1943 which belong to my favourite DRC wines. I had never had the RC 1954. I had not been very convinced by the RC 1952 (too young vines) but the RC 1956 initially judged as a weak RC was for me very romantic. So, to see that these wines have wounds today makes me unhappy.

I say it. And my wife, who does not drink, ask me the good question : if the label would not indicate DRC, what would you say about these wines? And I said honestly that if the wines were not DRC, I would praise and describe their real qualities, as they are good wines. And my son interrupted me by saying : you say the contrary of what you want to teach other people : just like what you have in the glass, without being influenced by the label. I agreed on his comment but I must say that to open three DRC wines for the same lunch is not very usual for me, and I would have liked that it would be 100% what I wanted. It explains why I am so severe. Because the wines were truly nice. I have had by a few moments an image of the perfection of Romanée Conti, but is was only by a few moments.

My children were like the corner of a boxer who has put three times one knee on the floor during the last round. As the corner manager says, trying to be convincing : “you have it in your gloves. Go, you will win”, my children said to me : « look, Daddy, it’s  a great wine ! ».

As we were talking and as I was drinking, we arrived at the last drops. And then, a flash. One single flash, but worth everything : I had the flash of a great Romanée Conti. My sad face turned to a happy smile. Is it self persuasion? I do not care, I had it. It was like the green ray when the sun sets, that I see many times and that my wife has never seen. You have it or not. I had my flash of Romanée Conti. Is it real or invented, I had it as the green ray.

The La Tache had also some moments when it woke up. But, having the memory of great 1943, it was not enough to please me. The end of the bottle had nice expressions.

And here is the magic of wine. The Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959 had given me not any problem by opening, with a very straightforward smell. Immediately, it gives in the glass a wonderful Burgundy. For my daughter and my daughter in law who do not share our necrophilia obsessions, this wine is very pleasant. And it is. It is charming, well built, nicely representative of this great year. But objectively, this successful wine seems absolutely simple when compared to the complexity of the two DRC wines. So, even if wounded, the DRC wines were above a very nice 1959 wine. The messages of the two DRC wines were largely greater than what I said, due to my anger to have not the perfection.

On a Tarte Tatin that my wife makes in a perfect way, the Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929 created a pure moment of gastronomic ecstasy. The wine is ambered as caramail. The nose is intense as it happens with “crème de tete”. In mouth, it is a sun shining on a great day. The length is infinite. The wine is absolutely magnificent, and could compete with many of the greatest Sauternes.

I wanted to create for my children an event which they would remember for long. Seeing their reactions, I think that this has been done, as they were largely more tolerant that I was. My only satisfaction, apart from the familial satisfaction, is to have given a chance to two DRC wines that 99.99% of people would have thrown away after the first smell. I was obstinate, and the wines have had a chance to deliver their message, even if it was with a too low voice. If, as I have noticed, my children have been pleased to try these wines, I am happy to have insisted.

In a whole, when wine is concerned, am I happy or am I unhappy ? It is very difficult to say.

I am probably happy, as the important thing is to share, and the success of a wine is an additional reward. The Montrachet, the Caillou and the Salon have given to all of us a sufficient pleasure. The rest is a plus.

Repas de famille avec 3 vins de la Romanée Conti dimanche, 11 juin 2006

Les vins de ce repas sont : Champagne Salon 1985, Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943, Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954, Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959, Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929.

Avec les emplois du temps des uns et des autres, les occasions où nos trois enfants viennent à la maison se font rares. Alors, si ma cave doit avoir un sens, c’est bien pour eux. Une collection de vins ne vaut que si elle vit. Et si c’est pour mes enfants, c’est encore mieux. Je descends à la cave ouvrir les bouteilles ce matin, puisque nous nous réunissons pour déjeuner. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 a un niveau assez bas, mais possible. J’ouvre la capsule et le haut du bouchon sent un sale vinaigre. Le bouchon est noir, sale, gras. Les traces sur le goulot sont graisseuses. Le vin sent très mauvais. S’il revit, il part vraiment de très bas.

J’ouvre la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954 dont la capsule m’étonne car je n’avais pas remarqué : c’est une capsule de négoce, avec un numéro dans le département 21 qui finit par 66. Or l’étiquette indique Monopole et Leroy. Que s’est-il passé ? Est-ce la capsule de Leroy ? La capsule est éclatée par un vice pervers, le bouchon est encore plus noir et plus gras que celui de La Tâche. Ça sent aussi mauvais, à peine un peu moins. Voilà deux bouteilles qu’un sommelier ou le vigneron élimineraient immédiatement, dans cet état d’odeurs insupportables. Je suis assez agacé, car je trouve dans les vins de la Romanée Conti une plus grande vulnérabilité que celle que je trouve ailleurs. N’en tirons pas de conclusions hâtives, car en salles des ventes, il a dû m’arriver d’accepter d’acheter des bouteilles à risque, plus pour le DRC que pour tout autre domaine. Mais quand même ça m’agace.

Je me dis qu’au moins, le monstre que je vais ouvrir, lui, sera sans surprise. Je décapsule le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 qu’il me tentait d’ouvrir pour mes enfants. Et là, chose incroyable, le haut du bouchon est noir, et à déjà cette poussière terreuse que j’ai vue pour les vins du Domaine. C’en est trop pour mon cœur fragile. Je me jure de ne plus acheter de vins anciens du Domaine. Cette colère me passera. L’important, puisque j’écris ces lignes avant le repas, c’est ce qui va se passer ensuite.

Les enfants et petits enfants arrivent, on fait manger la petite génération, et sur des gougères et un Pata Negra bien gras un champagne Salon 1985 brille de façon unique. Ce champagne est magistral. C’est lui qui justifie mon amour pour ce grand cru. Sa bulle est active, vivante, sa couleur est pleine de jeunesse. Il donne en bouche un plaisir rare. Des roses, des fleurs blanches, des photos de David Hamilton donnent le change, car ce champagne est fort d’une personnalité extrême. Il réunit un ensemble de qualités déroutantes, car comme dans les bons westerns où le héros échappe à toutes les embuscades, il n’est jamais là où l’on attendrait son goût. Toute la famille a adoré cet extraordinaire champagne.

Sur un foie gras poêlé tout simple, le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 est absolument inimaginable de perfection. Et, qui l’eût cru, ce n’est ni le vin ni le foie qui prennent le dessus. Il semble que l’accord délicat se forme sans négociation. La robe est jaune citron. Le nez est imposant. Il envahit l’espace. En bouche, on attendrait une bombe. Mais pas du tout. C’est une invasion pacifique. Le vin s’installe dans le palais, et décline des saveurs à l’envi. C’est le citron vert, c’est la réglisse, mais c’est aussi tout ce que l’on désire. Mon fils dit que c’est son plus grand blanc. Je fronce le sourcil et il précise : c’est mon plus grand blanc jeune. Là, je le rejoins volontiers, car ce vin qui ne joue pas sur le registre de la puissance – tant mieux – est d’une palette gustative infinie.

Un filet de bœuf en croûte à la purée de pommes de terre aux truffes va accueillir trois rouges. Nous commençons par La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943. J’avais suivi son nez depuis quatre heures, et je m’étais dit que ce vin serait en fait suffisamment ouvert pour le dîner. Il manque encore quelques pansements à ses blessures. Parlons de lui comme du suivant, qui est : Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954. Disons le tout de suite, ce sont des vins que je ne bois pas fréquemment. J’ai déjà bu deux fois La Tâche 1943, et les deux précédentes sont à cent coudées au dessus de celle-ci, et en Romanée Conti, de l’après guerre, les 1952 et 1956 que j’ai bues ne figurent pas forcément à mon Panthéon. Aussi, voir ces bouteilles qui ont survécu, mais ne peuvent pas cacher leurs blessures, ça m’agace. Je suis un peu excédé de toutes ces bouteilles imparfaites. Et ma femme eut la bonne question sur la Romanée Conti. Elle me dit : si c’était un autre vin, comment en parlerais-tu ? Et je répondis, au sujet de la Romanée Conti : si le même contenu était sous un autre nom, j’en parlerais en vantant ses mérites. Car il est bon. Je dirais même qu’il est excellent. Mais justement, comme c’est Romanée Conti, et comme je sais qu’il pourrait être tellement au dessus, je suis plus agacé, frustré, et je ne me contente pas de ses qualités. Mon fils me fit remarquer que je dis ainsi le contraire de ce que je prône, à savoir de recevoir un vin tel qu’il est. A quoi je répondis que le fait d’ouvrir la Romanée Conti ne ressemble à rien d’autre. Je suis content de l’avoir ouverte. Mais je sais qu’elle pourrait donner mieux, et je suis impatient d’en boire une aussi parfaite que ce que nous a donné le Montrachet 2000 sans aucun défaut.

Alors, comme le monsieur Ramirez du coin d’un boxeur, qui rassure son poulain qui vient de mettre trois fois le genou à terre, et lui dit en fin de round : « tu le tiens, il est à toi », mes enfants me dirent : « allez, il est sacrément bon, c’est un grand vin ».

Comme la conversation se prolonge, on arrive de plus en plus vers la fin de bouteille, où les arômes sont les plus concentrés. Et là, est-ce de l’auto-persuasion, alors que je venais d’être plus critique, pour ce vin, que je ne le serais pour un autre, j’ai trois gorgées, les dernières, où j’ai enfin, sans l’ombre d’un défaut, la perfection de ce qui fait l’inégalable de la Romanée Conti. Mon cœur s’est arrêté, comme quand je côtoie la perfection, et je me suis empressé de saisir cette idéalité éphémère. Si je dois me contenter de ces trois gorgées, je les prends, car c’est mon retour d’affection. Oui, la Romanée Conti est inégalable. Oui cette bouteille jouait avec un bras cassé. Mais quel grand vin !

Et La Tâche dans tout cela. Si je la compare aux précédentes 1943, il n’y a pas photo, on est trois étages plus bas. Nous avons donc cherché à lui trouver du charme. Il est arrivé qu’on y réussisse. Je bougonnais trop fort pour m’être laissé aller. La fin de bouteille comme pour La Romanée Conti avait beaucoup de charme.

Et c’est là qu’on voit la magie du vin. Le Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959 que j’avais ouvert quand j’avais constaté les blessures des vins du DRC montrait à l’ouverture un parfum de bonheur. Servi à ma fille et belle-fille qui ne partagent pas nos nécrophilies, il était applaudi. Bu après les deux DRC (plutôt les trois DRC), il est charmant et bien construit. Et c’est là que l’on voit la magie du vin (bis), ce vin chaleureux d’une couleur de bambin, d’une réussite totale est à des hectomètres de la complexité de La Tâche et de La Romanée Conti. Donc, même blessés, ces vins prestigieux du DRC ont des messages merveilleux.

Une délicieuse tarte Tatin a formé avec un Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929 un accord de jouissance gastronomique. Le vin fort ambré caramel a le nez dense d’une crème de tête. En bouche, une fois que s’est estompée une légère trace glycérinée, c’est un pur soleil à la longueur infinie. Vin absolument magnifique, d’une rondeur, d’une élégance doucereuse bien affirmée.

Je voulais honorer mes enfants avec des vins rares. Je crois que ce fut fait. Le Montrachet, le Salon 1985 sont des vins d’un goût magistral. J’avouerai que j’ai eu par instants des fulgurances de génie dans La Tâche et dans la Romanée-Conti qui justifient que je continue à les aimer. Mais l’agacement de voir ces si grands vins en berne a été trop fort. Je n’ai qu’une satisfaction, une seule. Je pense que 99,99 % des gens qui seraient en situation d’ouvrir de telles bouteilles les auraient jetées. Mon obstination les a sauvées. Si elles ont donné à mes enfants et leurs conjoints des moments de grand plaisir, comme ils n’ont cessé de me le dire, je suis content d’avoir été persévérant.

Suis-je heureux, suis-je malheureux ? Très difficile à dire.

rencontre de forums, jour 2 avec un éventail de bons vins samedi, 10 juin 2006

Il fait une chaleur anormale dans le délicieux jardin du restaurant Laurent. Les bouteilles que j’ouvre sont immédiatement portées en chambre semi-froide, pour éviter des évanouissements d’arômes. Deux phénomènes se sont conjugués pour me pousser à élargir mon apport de vins. Le premier est qu’une participante ayant déclaré ne pas aimer les bourgognes, et ayant apprécié mon Richebourg 1973, la tentation était grande d’enfoncer le clou. La seconde est qu’un photographe est venu photographier ma cave pour une revue de gastronomie. J’ai erré dans la cave pendant les réglages. J’ai repéré une bouteille intéressante et une en dessous du niveau de vidange. L’envie de faire de la pédagogie s’offrait. Je l’ai suivie.

Pendant l’ouverture des bouteilles, j’ai composé avec Philippe Bourguignon un menu tenant compte de la chaleur et des vins. Le voici : volaille de Bresse et foie gras en gelée au vin d’Arbois / filet de saint-pierre, moelle, rôtie, sauce matelote / agneau de lait des Pyrénées, épaule confite aux épices d’un tajine, côtes caramélisées et bayaldi d’aubergines / bleu de Sassenage / clafoutis aux cerises. Ce fut délicat, sain, adapté comme il convient à un éventail de vins très large.

Le Vieux Château Chauvin 1998 ne me parle pas au premier abord, tant je sens la structure moderne qui crée chez moi comme une allergie. En laissant le vin s’ébrouer on sent une certaine intelligence, mais ce n’est pas pour moi. Au contraire, le Château Léoville Las Cases 1997 me plait, et encore plus, du fait de cette association avec le 1998. Léger, frêle, tout en suggestion, j’adore sa distinction. Pourquoi faudrait-il que les vins fassent boum-boum ? Très agréable vin tout droit sorti de mon imaginaire des salons littéraires du XVIIIème siècle. J’avais tenté de mettre sur l’entrée en troisième vin le Château Ducru-Beaucaillou 1978 et ce fut un bon choix. Même si sa couleur est déjà marquée, le vin chante d’équilibre et ne paraît pas « vieux » à côté des bambins. Très belle réussite de l’année 1978 d’un vin que je sais solide, sérieux et constant. Son 1961 est légendaire.

La Mission Haut-Brion 1985 en magnum a été carafé. L’image qui me vient est celle de l’étudiant qui pendant l’année scolaire a les carnets de notes les plus brillants, faisant la joie de ses professeurs, et qui, paniquant le jour de l’examen, perd le bénéfice de son travail. Ce Mission que l’on sent bien structuré n’est pas présent au moment où il le faudrait. Trop tard, c’est trop tard. A l’inverse, l’équilibre éblouissant de Château La Lagune 1982 impose le respect. Ce vin est la définition de ce que devrait être le bordeaux. Il est en ce moment à un point d’équilibre parfait. C’est tellement bon qu’on ne peut même pas imaginer le moindre petit défaut. Mais le Château L’Eglise Clinet 1964 parle à mon goût des vins anciens. Ce vin est chaleureux, joyeux, chantant, très peu conforme au schéma classique des Pomerols. J’adore ce vin plein de vie, qui emplit la bouche avec bonheur. La Lagune est plus construit, L’Eglise Clinet est plus séducteur et charmant.

Viennent ensuite pour notre assemblée de onze dont la composition avait un peu changé, sans réduire son cosmopolitisme, mes trois bourgognes. Le Chambertin caves Nicolas 1953 arrive trop froid de la chambre froide. Il faut lui laisser le temps de s’ouvrir. Et quand il s’ouvre, quel gentil bonheur. Il est bourguignon, un peu coincé, n’a pas la noblesse d’un Chambertin des plus hauts niveaux, mais c’est vraiment adorable. Ma voisine que je cherchais à convaincre commence à se poser des questions. C’est bon signe. Le Volnay Santenots Lucien Chouet 1966 se présente à l’ouverture beaucoup plus civilisé que le Chambertin. Il tient la corde pendant quelques minutes, mais dès que le Chambertin a changé de braquet, l’aimable Volnay à la complexité folle et à l’énigme intéressante n’a plus suivi le sillage de son aîné.

La surprise que je voulais didactique, vint du Beaune Marconnets Remoissenet 1937. Nettement sous la vidange, il était à jeter. J’ai donc annoncé à cette noble assemblée que je ne me battrais pas pour le défendre, mais pourquoi ne pas l’essayer ? Déjà, le nez annonce que ce vin est buvable. A la première gorgée, il y a du caramel, du torréfié qui trahit la fatigue du vin. Mais dans le verre, par un phénomène aussi impressionnant que lorsqu’un honnête garçon de bureau se transforme en superman pour sauver la planète ou en Hulk pour effrayer les foules, nous avons assisté à l’éclosion d’un vin que je qualifierais volontiers d’immense. Bien sûr, ne rêvons pas, il n’a pas repris l’intégralité de sa forme. Mais c’est sans doute le plus racé des bourgognes de ce soir. Je ne le mettrai pas dans mon classement, mais avec quelques convives nous nous faisions la réflexion que les dernières gouttes de ce vin étaient éblouissantes.

Le retour sur terre se fit beaucoup plus facilement que ce que l’on pouvait craindre. Le Clos Vougeot Henri Rebourseau 1998 plut à beaucoup de convives, car il est facilement compréhensible. En dégustant ses notes de cassis, de poivre, et ce goût juteux fort plaisant, je mesurais à quel point la complexité est chez les vins anciens. Je suis heureux d’explorer les vins anciens. Car quelles que soient les blessures que l’on rencontre, il y a un monde de complexité qui vaut la démarche.

Note ami ayant récidivé avec le Clos de Papes Châteauneuf du Pape 2003, je ne rajouterai pas au commentaire d’hier, sauf à dire que celui-ci me paraissait plus civilisé (si c’est possible) que le même de la veille.

Le Château Filhot crème de tête 1990 est une curiosité, car Filhot ne fait jamais, en dehors de ce millésime, de crème de tête. Aussi, l’étonnante couleur ambrée s’explique par la concentration. C’est prodigieusement étonnant. C’est tellement sucré et concentré qu’on pense à un Essencia de Tokaji. L’accord avec le délicieux bleu est magique. Mon goût va plutôt vers des sauternes moins lourds. Mais c’est un très grand vin.

Je suis très heureux d’avoir suggéré à Philippe Bourguignon de faire des clafoutis. Car avec le Porto Taylors Flagdate Vintage 1977, l’accord est fusionnel. Ce Porto est lourd comme le plomb, flatteur, rassurant, et je comprends pourquoi je n’en mets quasiment jamais dans mes dîners : ça plombe la bouche et le cœur pour l’éternité de la nuit. Mais quel plaisir !

Voter pour des vins aussi disparates est un exercice difficile. Je m’y risquerai pour le fun. Je mets en premier l’Eglise Clinet 1964, car trouver un Pomerol aussi joyeux est un grand plaisir. En deux, ce sera le Chambertin 1953, car son émotion est belle. En trois le Filhot 1990, car son goût est d’une rare séduction. Et en quatre La Lagune 1982 pour la précision de sa définition. Donc : 1- L’Eglise Clinet 1964, 2 – Chambertin caves Nicolas 1953, 3- Château Filhot crème de tête 1990, 4- Château La Lagune 1982.

Sur deux jours, avec des amis de tous pays qui échangent des anecdotes et avis sur les vins dans plusieurs forums, nous avons approché de très grands vins de tous âges et de toutes régions. Un grand succès de l’amitié internationale que crée l’internet.

rencontre de forums – un immense La Tour Milon 1926 vendredi, 9 juin 2006

Sur des forums internet, des liens se sont créés, et des rencontres de moins en moins virtuelles nous réunissent. Ce soir, c’est un dîner à la brasserie Dauphin qui rassemble onze passionnés de vins, dont un couple d’allemands, un couple de texans, un couple de suisses, un hollandais et le reste de français. L’idée est de partager nos vins et nos impressions.

Faute de temps, je n’ai pas pu me concerter avec le chef sur le menu. Aussi, la cuisine, que j’apprécie souvent, va ici jouer son numéro sans se soucier de ce qui se passe du côté des vins. Cela permet de prendre conscience du fait que les beaux accords ne sont pas le fruit du hasard. Voici le menu : langoustines rôties, vinaigrette de pomelos et melon / raviole de crabe au jus de bouchot / gâteau de cèpes de printemps au foie gras grillé / suprême de pigeonneau rôti au jésus de Morteau, jus simple / la tomme de chèvre au raisiné / le cakaille pistache aux fruits rouges. Rien ne fut mauvais, rien ne fut bon. Mais c’est ma faute : pas de concertation suffisante. Regardons du côté des vins.

Un champagne Salon « S » 1983 dégorgé le matin même et non dosé, voilà un beau début. Champagne à la forte personnalité,  original, typé, vineux, dense, présent en bouche, il forme un contraste absolument intéressant avec le champagne Bollinger R.D. 1982 dégorgé en 2000 et très faiblement dosé. Le Bollinger est un vrai champagne, à la bulle active et puissante. Si l’on devait désigner des deux lequel est du champagne, c’est sans hésiter le Bollinger, magnifique de jeunesse, de rayonnement et de pureté. Le Salon, c’est autre chose. C’est du vin. C’est un vin qui appelle une cuisine, pour se frotter avec des saveurs étranges qui vont le mettre en valeur. Faut-il en préférer un ? Bien sûr que non. Il faut aimer les deux.

Ayant ouvert toutes les bouteilles (ça devient une habitude) qui avaient été apportées à ma demande en avance, j’avais ouvert le Montrachet Bouchard 1980 vers 19 heures. Sa couleur fort ambrée et son nez fatigué m’avaient poussé à annoncer aux convives de se méfier de ce vin là, et de l’approcher avec précaution : tout jugement hâtif prononcé sur l’instant empêcherait  de comprendre ce vin. A ma grande surprise, le vin existe. Et non seulement il existe, mais il parle. Ce n’est évidemment pas un Montrachet flamboyant et fougueux. Mais il est élégant, centré sur ses valeurs de base, et il joue sur un registre de finesse qui le rend plaisant. On ne joue pas à plein régime, on suggère en délicatesse.

Le Château L’Evangile, Pomerol 1998 plait instantanément à cette assemblée qui ne vit que de vins jeunes. Beau nez épicé, belle structure joyeuse en bouche. C’est un vin serein, dans la plénitude absolue de ses moyens. Vin très bon. A côté de lui, le Château Magdeleine 2001 fait plus sénateur, bourgeois. Il est confortable. Ah, il ne va pas faire l’école buissonnière ! Mais comme il est, déjà accompli, propre sur lui, c’est un agréable compagnon de jeu.

Le Gruaud-Larose 1986 est trompeur. Car il joue en sourdine en début de verre. Et quand il s’installe, quelle merveille de joie de vivre. C’est un vin sans défaut. Il ne brille pas par des risques insensés. Il fait son devoir. Servi en même temps, le Château Ausone 1983 éclipse le beau Gruaud-Laroze. Car cet Ausone est immense. Est-ce cette bouteille qui est particulièrement brillante ? Toujours est-il que l’amoureux d’Ausone que je suis prend un plaisir incontrôlable. C’est immense, je le redis une nouvelle fois. Comment décrire cette petite merveille de précision ? Un vin qui chante, qui s’installe en bouche comme en un canapé profond. Si Saint-Emilion a un type, ce n’est pas avec ce vin étonnamment charmeur qu’on le reconnaîtra. Je le désignerais volontiers comme vin de la soirée si n’apparaissait le Château La Tour Milon Pauillac 1926. D’un niveau dans le goulot, d’une couleur irréellement jeune, au nez fruité et joyeux, ce vin, s’il était bu à l’aveugle ferait se tromper tout dégustateur de plus de vingt ans. On me dirait 1964, voire 1961, je ne dirais pas non. Toute la table est estomaquée. Et ce d’autant plus que nous parlions de la courbe de la vie du vin. Je défends un parcours sinusoïdal à périodes irrégulières, alors que le schéma traditionnel commande un plateau de maturité et un déclin. Quand on voit ce 1926, quand était son pic de maturité ? Aucun schéma politiquement correct ne s’applique à ce vin. J’avoue qu’il constitue pour moi une énigme, car il est grandiose. Décidément, l’année 1926 que j’adore ne m’apporte que des surprises extrêmes.

Je suis servi en premier du Richebourg Charles Noëllat 1973. Ce sont donc des gouttes très légères et pâles qui se déversent dans mon verre. J’annonce donc un grand danger (je préfère toujours commencer par un discours pessimiste pour que mes convives aient de bonnes surprises. Et le Richebourg, objectivement fatigué, séduit par son message bourguignon authentique. Il joue manifestement à 80% de sa valeur, comme une équipe de France sans Djibril Cissé, mais ce qu’il raconte est loin d’être sans intérêt. Il aurait dû être bu il y a au moins dix ans. Mais il est là, écoutons-le.

Alors, quand arrive le Clos des Papes Châteauneuf du Pape 2003, ça décoiffe. Car là, ce n’est plus pareil. C’est Monsieur Robert Parker en smoking. Tout y est. C’est le kit complet du petit Parker illustré. Vous voulez du poivre ? Il y en a. Vous voulez du jus de cassis, ça baigne. Vous voulez du copeau, il infuse. Du clou de girofle, c’est une pleine moisson. On ne peut pas dire que c’est désagréable. Car ça flatte et excite la papille. Mais on est entré dans un monde du vin qui pourrait sortir d’un laboratoire et n’a plus aucun besoin de terroir. Je dis ça d’autant plus volontiers que j’adore les vins de Paul Avril quand ce sont des Châteauneuf du Pape.

Le nez du Christoffel WS Riesling Auslese 1976 est d’une promesse quasi irréelle. Magique. C’est le champion du Monde du nez. Hélas en bouche, on en est loin. Il y a de belles variations sur le thème du Riesling, avec des suggestions de complexités ravissantes. Mais c’est l’intégration du tout qui manque. Le nez et l’attaque en bouche annoncent un triomphe, et ça finit comme Clearstream.

Il faut aimer les vins de glace. J’en ai aimé la découverte. A l’usage, c’est comme avec les muscats de Beaumes de Venise, on en a un peu fait le tour. Alors, ce Karlsmühle Eiswein 2002 est amusant par ses évocations étranges où le litchi prend sa part. Mais ça s’arrête là.

Le Malaga Larios, solera 1780 a forcément quelques molécules du 18ème siècle. On s’amuse de cette datation généreuse. Mais ce vin mérite d’être pris au sérieux. Il y a assurément une part non négligeable de ce vin qui a plus de 150 ans, et certainement plus de cent ans de fût. On sent que cette date n’est pas qu’un baptême ambitieux. Il y a un charme qui ne peut provenir que d’un grand âge, et le rapprochement gustatif avec les Commandaria de Chypre indique l’authenticité de la vétusté respectable de ce grand vin doux de pur charme, que l’on siroterait pendant des heures si l’on avait encore une petite place dans son cœur, après tant de belles bouteilles.

Si l’on parle de goût pur, c’est Ausone 1983 que je placerai en premier. Mais si l’on intègre d’autres dimensions de rareté, de surprise, d’étonnement, c’est le La Tour Milon 1926 qui ramasse la mise. Mon classement sera donc : 1- La Tour Milon 1926, 2 – Ausone 1983 3 – Malaga 1780, 4 – L’Evangile 1998.

Les forums gagnent en intérêt dès qu’ils cessent d’être virtuels. Cette assemblée qui n’est plus virtuelle se revoit ce soir pour de nouvelles agapes.

un Schlumberger 1945 dans un déjeuner d’amis lundi, 22 mai 2006

With some friends of the same age, we meet every two months. One of my friends asks me to find a pleasant restaurant, as he was the one whose turn was to invite the others. So, I make a reservation by the Bistrot du Sommelier. I arrive first in the restaurant, and I say that I would like to say hello to Philippe Faure-Brac, owner of the place, and former best World sommelier in 1992. The chief waiter, whom I know well says : “he is making a tasting in the private room, so he is busy”. I ask : which wines is he tasting? And the answer is : “Domaine Schlumberger”. So, I declare : “I will go there to say hello”.

I arrive in the room where I find many journalists that I know, and Philippe welcomes me by saying : “some people have a great nose : why did you reserve the precise day when Schlumberger presents its wines to the press?”. I shake the hand of a woman whose name is Schlumberger, and wanting to parade, I say : “in my cellar, I have some 1945 Schlumberger”. And the woman, with a smile, answers : “it’s a good thing as you will taste it today”. I was so amazed, and bluffed! A booklet was given to me, and I began to taste as the journalists around me, thinking anyway that I should hurry, as my friends should come. To be polite, I begin with the youngest wines.

Here are some notes made in a hurry :

The Kitterlé Riesling Schlumberger Grand Cru 2005, put in bottle for a few weeks only is really very drinkable, which is remarkable. It is classic that a very young wine is charming, then shuts itself before expanding again.

The Kitterlé Riesling Schlumberger Grand Cru 2002 is magnificent. Smoky, with a little taste of almond. I like it as it is round and pretty.

The Kitterlé Riesling Schlumberger Grand Cru 2001 is more strict, closed.

The Kitterlé Riesling Schlumberger 1979 has a superb nose, very friendly. It is mineral but joyful. The mouth is more closed than the nose. I feel it as a wine of great gastronomy, promising complex combinations.

The Kitterlé Riesling Schlumberger Grande sélection 1955 has a nose which is more discrete. The mouth pleases me. It is not a typical Riesling, a little evolved, but I like it. It is refreshing, easy in mouth, and a great wine for gastronomy. I know that I will surely love it more than the journalists around me as they will report on more conventional Rieslings as the 1971 that they adored and that I did not try.

The Kitterlé Riesling Schlumberger Grande sélection 1945 has a nice golden colour. The nose reminds me of someone who smokes a pipe. In my mouth, it is a nectar. It is round, fruity, expressive. The length is great. It is a great wine.

I rapidly join the table where my friends wait for me, and, as it happens, I am asked to order the wines.

I order champagne Lenoble, Grand Cru Blanc de Blancs 1995. I like this champagne, very expressive, well designed. It is pure and gives pleasure.

The Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1998 is powerful and generous. It is a bomb. It is very difficult to associate any meal, as the wine invades the palate. But on a foie gras in terrine that I had ordered, it went very well.

The La Mission Haut-Brion 1997 is absolutely passionate. The advantage of this year is double. First, it is less expensive on the wine lists. So, ordering for a friend, he forgives me. The second reason is that the supposed lightness of the year helps to reveal the real charm of the wine. And I adore such a tasting. This wine has a very dense structure which is the signature of a great wine. On a fish (bar), it was a nice combination. I ordered then Trotanoy 1997, chose by me to have another bank for the same year. The two wines are absolutely charming, full of grace. And while sipping the Trotanoy, I think that I would be unable to say which one is the best, as they are completely different, Mission being velvety and charming, and the Trotanoy winy, fruity. I would anyway vote for Mission due to the density of the structure.

Then, Philippe came to our table with for each of us a glass of Schlumberger 1945. More opened, more tasty, more fruity, this wine was a delight to conclude a nice friendly lunch.

un fabuleux Haut-Brion 1922 dans un dîner impromptu samedi, 20 mai 2006

Jean-Philippe Durand est cet ami qui avait réalisé trois jours de cuisine de rêve dans ma maison du Sud en fin d’année 2005, qui nous avait initiés à la magie de Marc Veyrat et qui avait fait la cuisine d’un repas où je voulais convaincre des membres d’un forum sur le vin de l’intérêt des vins anciens. Il me propose des dates de rencontres, toutes plus alléchantes les unes que les autres, mais ce sera pendant la longue trêve d’été que je compte prendre pour me reposer de toutes les aventures invraisemblables de cette première moitié de l’année. J’ai un défaut, je n’aime pas dire non. Alors, de façon impromptue, nous organisons un dîner chez lui pour le lendemain. Nous serons sept, dont des partenaires d’aventure à Megève, dans le monde créatif de Marc Veyrat. Je suis en cave, choisissant des bouteilles comme je le ferais pour mes enfants, c’est-à-dire vins à découvrir, bouteilles à niveaux incertains, curiosités. J’appelle Jean-Philippe pour lui faire part de mes choix. Je sens sa moue au bout de mon oreille. Il me demande des bordeaux, et dans le mail qu’il m’adresse, d’ajustement des apports, je sens qu’il veut du grand. Je n’aime pas qu’on empiète dans mon champ de liberté, mais pour Jean-Philippe, j’ai envie aussi que ce soit grand. Je n’ouvrirai les vins que vers 19 heures, car je ne veux pas déranger le chef chez lui.  

Il a beaucoup à faire, jugez-en par ce menu : Palourdes, filaments de navet, jus marin / Foie gras fondant, pommes à l’orientale / Grenadin et ris de veau, coulis aux cinq épices de Chine, poêlée de fèves / Homard breton, arômes de truffe blanche, asperges violettes, mousseline aux fanes de navet / Saumon mi-cuit à ma façon, morille d’Auvergne, goutte de framboises "Ardalya" / Foie gras vapeur, betterave et balsamique, jus sauvage à la truffe / Suprême de pigeon, truffe noire, sauce aux foies, petits pois à la coriandre / Stilton / Tarte aux poires et aux pamplemousses / Charlotte aux framboises.

Quand Jean-Philippe cuisine, ce n’est pas un vain mot. Chaque composante, chaque produit, chaque sauce sont dosés avec une précision horlogère. C’est du niveau des montres à complications. A l’ouverture, le bouchon du Haut-Brion 1922 se brise en mille morceaux, et dégage un parfum de truffes et de chocolat. D’autres bouteilles ont des souffrances. On le verra.

Le temps que l’on soit prêt pour le dîner, je suggère que l’on commence par Château Figeac 1967. Quand j’étais en cave, parlant à Jean-Philippe, j’ai saisi cette bouteille dans un casier. Belle étiquette, apparemment très beau niveau, trop beau niveau. J’ai le téléphone à l’oreille, je tiens la bouteille d’une main. Le niveau me parait irréel. Je monte la bouteille jusqu’à mes yeux : le bouchon était tombé dans la bouteille. Elle fut apportée (plutôt que de la jeter, autant vérifier). Décapsulée à 19 heures, d’odeur très acceptable, elle fut carafée. On sent que ce vin pourrait revivre. Mais le défaut, même minime, ne donne pas l’envie d’aller plus loin. Jean-Philippe aura peut-être demain à midi un retour de vie. Laissons ce vin.

Pour accueillir Jean-Philippe lors de son séjour dans le Sud, j’avais ouvert champagne Salon 1988. C’est lui que nous goûterons en début de repas, petit clin d’œil amical, délicate attention de notre hôte qui me fait plaisir. Le Salon et la palourde, c’est un plaisir subtil, que j’apprécierais sans doute plus sur un 1995. Mais sur le foie gras fondant, relevé par la pomme, l’accord est sublime. La chair juste poêlée du foie forme un accord brillant avec ce puissant champagne expressif, lourd d’évocations qui me ravissent.

Le grenadin de veau a un chair d’une émotion rare. J’épuise toutes les régions françaises pour essayer de découvrir le vin proposé à l’aveugle par Luc. Je commets l’erreur de ne pas dépasser les frontières, car c’est un Sforzato Di Spina, Valtellina 1968 vin ordinaire italien qui m’évoque assez bien un très ancien beaujolais. Très charmeur, lourdement alcoolisé, il est bien avantagé par la chair intense.

« Le Charlemagne » de Marc Rougeot-Dupin 1992 est exceptionnel de générosité. Ce vin de Luc, comme tous ceux qui vont suivre seront bus à découvert. Le nez minéral est intense. On sent l’ardoise mouillée. Mais il est floral, porteur de fruits jaunes, et il remplit la bouche comme le panache d’un paon. Sur le homard et la truffe blanche, tout cela est d’un naturel divin. Mais c’est la chair de l’asperge qui me fascine. Manger lentement cette chair consistante, ferme, avec quelques gouttes de cette perle de Charlemagne, c’est renversant de sophistication.

Vient ensuite un vin qui est dans ma philosophie. Il m’arrive d’ouvrir des bouteilles mythiques. Dans ce mois écoulé, j’ai ouvert Pétrus 1947 et Pétrus 1959, Pichon Comtesse 1945 et beaucoup d’autres fort titrés. Mais je ne veux pas, comme on dit aujourd’hui d’une expression particulièrement vilaine, me « prendre la tête ». Donc ce vin « Ardalya » (Marque Déposée) La Grand’ Cave Damoy 1959, je voulais absolument qu’il soit à ce dîner. Pourquoi ? Parce que je ne sais pas du tout ce que c’est. Sur Google, inconnu. Le niveau dans la bouteille est exceptionnel, l’odeur à l’ouverture sympathique, et là, voici ce qui se passe. Une couleur d’une jeunesse insolente. C’est 1990 en rubis. Un parfum qui est celui des bourgognes les plus nobles. En bouche, c’est plein comme un des plus grands de nos chambertins. Aucun de nous ne savait ce que c’est. Alors on cherche. C’est un vin de table assemblé par Damoy. Donc il peut y avoir du bourgogne, puisque c’est la trame générale. Qu’il y ait du Rhône et de l’algérien ne serait pas étonnant, si l’algérien s’ajoutait encore en 1959. Mais devant nos papilles interloquées, ce vin est de la plus belle race. Alors, l’attitude naturelle, c’est de se dire : cherchons l’erreur. Il y avait à notre table un solide dégustateur qui a donné naguère des cours d’œnologie. Nous nous sommes interrogés sur ce breuvage. Il ne fait aucun doute qu’à l’aveugle, ce vin que j’ai peut-être acheté moins de deux euros, tiendrait la comparaison avec la plupart des très grands bourgognes que je connais. Là au moins, on ne peut pas dire que nous avons été intoxiqués par l’étiquette. Ce vin est immense. Et nous n’étions pas abusés. Il n’avait aucun défaut. Un des miracles de ces fantassins qui s’assemblent comme par miracle quand ils évoluent bien. Et quelle longueur !

Avec le Grands Echézeaux Henry Lamarche 1976, Jean-philippe a commis le plus grand contresens que je lui connais. Le plat est à contremploi. Le foie de veau est délicieux, la betterave n’aurait jamais dû passer par là. Alors bien sûr, ce vin à la belle structure brille beaucoup moins que s’il était accompagné. Il faudra que Luc nous en apporte un autre ! Jean-Philippe est perfectionniste. Alors, il fut attristé. Ce désaccord ne me gêne pas, parce qu’il permet de mieux comprendre que les plus beaux accords ne sont jamais le fruit du hasard.

Le pigeon est magnifique, mais la vedette, sans compétition, est au sublimissime Château Haut-Brion 1922. Un niveau exceptionnel dans le goulot, un bouchon collé au verre qui se déchire en mille morceaux, un nez à l’origine qui prédit l’accord avec la truffe. Versé dans le verre, le parfum envoûte. Et mes convives vont voir ma transformation physique. Je m’installe dans l’apesanteur d’un vin parfait. C’est une jouissance orgasmique qui se crée comme en un film au ralenti. Je sens venir lentement la progression de mon extase. On est largement au niveau des Haut-Brion 1926 que je révère. Ce Haut-Brion est absolument parfait et peu de ceux que j’ai bus soutiendraient la comparaison, alors que l’année 1922 ne fait pas hurler les foules. Le vin est lourd, plein de truffes et de chocolat. Avec le pigeon et sa truffe, l’accord est magistral. Mais c’est la sauce, que Jean-Philippe a dosée avec amour, qui fait apparaître une juxtaposition de plaisirs à se pâmer. Sur un petit nuage, j’étais l’observateur de mon plaisir. Ce Haut-Brion 1922 est la justification absolue de ma passion des vins anciens, et Jean-Philippe est la preuve vivante que les plus grands vins appellent la cuisine d’exception. Ce moment pèsera lourd dans ma mémoire.

Oublions très vite le Meursault Patriarche 1942 au niveau trop bas que j’avais apporté en sachant que ce serait une loterie. Mort de chez mort, si l’on veut, une fois de plus, parler « actuel ».

Le Stilton brillant de crémeux contenu démarre avec un vin étrange que j’avais apporté, le Quarts de Chaume Beaulieu Reserve de la Société des Vins Fins à La Membrolle Sur Choisille 1929. Coiffé d’un muselet, mais sans capsule, le bouchon sorti de quelques millimètres, mais c’était voulu, d’un niveau très convenable, ce vin fut vite jugé plus approprié au dessert, aussi Jean-Philippe me fit ouvrir un vin que j’avais apporté aussi, Château Guiraud 1971. Ce sauternes est sans surprise, il est délicieusement bon, équilibré, facile à vivre. Avec le Stilton, il joue sur du velours.

Le Quarts de Chaume a des côtés sympathiques. Je peux plus facilement le critiquer puisque c’est le mien. Il fut apprécié. Mais sa longueur un peu courte me l’a fait juger en dedans de ce qu’il peut donner. Manque d’oxygène à mon avis. Le pâtissier de Jean-Philippe m’a moins ravi ce soir là.

J’adore ces dîners impromptus où l’on improvise dans la précipitation. C’est pour cela que sans réfléchir j’ai pris en cave ce Haut-Brion 1922. Il est tellement émouvant que j’aurais pu en pleurer. J’ai classé les vins ainsi : 1 – Haut-Brion 1922, 2- Ardalya Damoy 1959, 3- Le Charlemagne 1992, 4- Sforzata di Spina 1968. Alors que Salon est mon champagne adoré il n’est pas dans le quarté. Car la prime était aux inconnus, puisque je n’avais jamais bu aucun de ces quatre vins. Quelle belle soirée !