Chez des amis, un champagne Bollinger RD 1975. La première bouteille est un peu fatiguée. La deuxième est immense, témoignage d’un savoir-faire rare. Sur des joues de porc au pain d’épices, jus au thé, accompagnées de légumes oubliés, je suis incapable de reconnaître à l’aveugle un Hermitage la Chapelle Jaboulet 1985 alors que je l’ai souvent bu. Une Côte Rôtie La Turque 1997 Guigal est toujours aussi agréable, car l’année calme lui va bien.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
Un Richebourg DRC à multiples facettes vendredi, 13 janvier 2006
Une réunion d
Une réunion de banque au Jockey Club. On apprend des choses définitives sur l’évolution financière du monde. Un participant semble sympathique : « on devrait déjeuner ensemble / on partage /j’apporte une bouteille ». On se retrouve au restaurant Laurent.
J’arrive en avance
J’arrive en avance pour ouvrir une bouteille de Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1956. Décidément, certaines années sont propices aux niveaux bas. Je m’attends à sentir l’odeur de terre de la cave de la Romanée Conti. Nenni. Le haut du bouchon est sec et sent la poussière. Le corps du bouchon est gras, et sent atrocement le vinaigre. Le vin senti au goulot exhale des senteurs qui promettent d’intéressantes perspectives, complètement opposées au message du bouchon. Nous verrons.
Mon convive commande tête de veau et pied de porc, la tête et les jambes, je commande escargots et pieds de porc, tout cela est particulièrement français. J’appelle à la barre, puisqu’il faut un témoin de poids un Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1976. L’odeur est magnifique, d’une classe folle. La couleur est d’un or jaune réjouissant. Je suis un peu étonné qu’en bouche, la trace citronnée appuyée occulte le message de Riesling. Je n’en dis rien, mais le vin est effectivement un peu limité, loin des perfections que ce millésime m’a déjà réservées. Le cromesquis servi en amuse-bouche est absolument délicieux.
Quand apparaissent les pieds de porcs, il serait peut-être temps de penserau Richebourg, mais je voudrais que le Riesling ait l’occasion de briller, car je le sens – rien qu’en voyant l’assiette – fait pour le plat. Et c’est un accord de rêve. Sur le dernier quart du plat (un porc a toujours quatre pattes), je verse le Richebourg. Un nez assez envoûtant de bourgogne ceint d’une tenture lourde. Le vin est objectivement fatigué, mais il raconte des histoires de Bourgogne. Il y a de la poussière, surtout du sel, mais on sent en filigrane l’autiste qui voudrait parler. Il y a un message qui ne demande qu’à être lu. Alors, selon que l’on sera rigoriste ou bienveillant, on aura un bourgogne fatigué ou un parchemin qui guide vers un trésor. Ce message balbutié m’a plu.
J’avais promis à Patrick Lair de lui faire goûter, mais le service n’attend pas. Aussi, après le service, nous voilà, Philippe Bourguignon, Patrick, Guislain, devant le dernier vestige, le plus concentré, et Olivier Poussier, qui était de passage, nous rejoint. J’avais pris la précaution de dire : « voici le témoignage d’un vin en fin de vie ». Or à ma grande surprise, chacun de ces grands palais va vanter les mérites de ce vin, l’un lui trouvant un beau fruit, l’autre s’extasiant devant la pureté du message. Philippe est manifestement surpris de le voir si beau. Le vin avait survécu, et bien. Il faut bien se méfier des impressions hâtives.
J’avais donné rendez-vous à un ami expert en vins après ce déjeuner. Je lui fais goûter le Riesling. Comme moi, il trouve le parfum d’une race immense, mais le palais un peu court, pas assez à l’image de cette icône. Et l’odeur du Richebourg, puisqu’il ne restait plus que ça, l’a subjugué. Ce vin, en dégustation comparative, serait mis au placard. Seul, on l’écoute, et l’on voit qu’il raconte de belles histoires bourguignonnes. N’est-ce pas le principal ?
le déjeuner du 1er janvier. La fête continue ! dimanche, 1 janvier 2006
La cuisine légère, suivant certaines inspirations de Marc Veyrat, allait permettre que dès le déjeuner du 1er janvier, affecté d’un petit décalage horaire, la fête reprît de plus belle.
Le foie gras poêlé au vinaigre d’agrume va permettre de constater à quel point le fendant Ravanay 1959 est un grand vin. Il a perdu tout défaut. Sur une trame dense, il déploie une belle palette aromatique, et devient vraiment un vin respectable. Il est évidemment plus fait pour le foie gras. Je lui avais trouvé un aspect beurré qui le rend gras aujourd’hui. Je suis fier d’avoir donné une chance à ce vin de devenir grand. Nous gérons évidemment les restes de vins de la veille, mais quand Jean Philippe annonce un ris de veau aux truffes blanches d’Alba, sauce vanillée à la poire, je me demande ce que l’on pourrait boire. Mon beau-frère dégaine plus vite que moi et ouvre Château de la Gardine, cuvée des générations Marie-Léoncie, Châteauneuf du Pape vieilles vignes 2000. Ce joli vin encore bien jeune va parfaitement accompagner la truffe blanche et le ris à la texture délicieuse. Une nouvelle version de la pomme de terre et truffe noire, sauce crémeuse à la truffe va me faire pousser un ouf de soulagement. L’Hermitage Chave 1998 a bien profité d’une nuit d’oxygène. Il est maintenant devenu ce qu’il doit être. Ce vin que j’adore, que j’avais trouvé très en dedans, est devenu viril, épicé, excité par la truffe, avec quelques notes discrètes de fruits rouges, et de belles expressions de poivre. Il s’est ossifié et a gagné en longueur de façon spectaculaire. Sur le Stilton, le Tokay Pinot Gris Hugel Sélection de Grains Nobles 1990 confirme l’impression de la veille : c’est le dandy sûr de lui, qui en a tellement à raconter qu’il faudrait vingt plats pour explorer tout le potentiel qu’il a. Un ravioli de mangue à la pulpe de pamplemousse rose va mettre divinement en valeur le Château Gilette crème de tête 1949 qui a encore gagné en assise. Ce vin est immense, et le dessert lui va bien. De délicates tuiles au miel d’acacia finissaient en douceur la suite du réveillon. Naïvement, je pourrais penser me reposer. J’ai cru entendre au détour de propos de cuisine qu’il est question d’un risotto de truffes blanches pour ce soir. Je suis prisonnier comme dans l’émission du Loft, ne pouvant plus m’échapper de cette haute gastronomie.
deux vins du Sud et un grand champagne samedi, 31 décembre 2005
Le soir, veille du réveillon, des envies culinaires se débrident. Un foie gras cru sur du simple pain se grignote sur les premières gouttes d’un champagne Salon 1995 en magnum. Le champagne, juste ouvert, est un jeune homme bien poli. Très BCBG, le foie gras le rassure, sans le faire sortir de son conformisme ouaté.
Nous passons à table et des huîtres n°2 de Quiberon de pleine mer font éclater le Salon. Je deviens fou, tant l’iode et le sel propulsent le Salon dans des séductions de première grandeur. Que cette association est grande ! Le Salon 1995 est évidemment un gamin, mais la taille magnum le rend accessible. Et cette huître ! Quel accord incomparable. Les mêmes huîtres, mariées à un sabayon de camembert à la cardamome ont fait surgir de nouvelles saveurs d’un champagne prêt aux accords les plus compliqués. La cardamome donne au Salon une longueur rare. Le dos de chevreuil de Sologne, sauce aux olives noires et groseille, purée de céleri rave, d’une incomparable dextérité, va côtoyer deux vins. Le Rimauresq, Côtes de Provence 1993 est un vin au fruité expressif. C’est la chair d’une perfection rare qu’il adore. Et le Bandol, Moulin des Costes 1983, d’une animalité affolante, et d’une justesse rare, a épousé la groseille. L’olive noire est évidemment son compagnon naturel. On le sent vibrer sur la viande délicieuse. Et la folie vient de la groseille. Quelle jouvence culinaire ! Et ces deux vins du Sud, si complémentaires, ont chacun capté une composante du plat. La chair pour l’un, la groseille pour l’autre. Et le céleri adoucit tout cela. Des fromages font appel à d’autres caractéristiques de ces grands vins du Sud, et le dessert arrive. Poêlée de coings, caramel d’absinthe, tuiles au miel d’acacia. Le champagne Salon 1995 va s’imposer lentement, car il faut que nos palais s’adaptent. Et quand on a compris que c’est l’absinthe qui sublime le Salon, alors on nage en pleine perfection. Ce soir ce n’était pas les vins qui avaient la vedette, mais les vins par les accords. L’huître sur le Salon est un choc total, un coup de poing dans le cœur. La groseille sur le Bandol 1983, c’est un instant de bonheur pur. Et l’absinthe qui révèle le Salon, c’est l’atteinte d’un nirvana culinaire. Ce soir, les vins avaient besoin d’un partenaire. Mon ami était là.
le réveillon du 31 décembre samedi, 31 décembre 2005
Après toutes ces prouesses, le réveillon allait-il nous surprendre encore ? La réponse est oui, clairement oui. J’ouvre tous les vins vers 16h30, et dès 17 heures, notre médecin ami, chef à ses heures mais ses heures sont larges, a réalisé une cuisine d’un éblouissement absolu. Tchaïkovski a présenté au Bolchoï des ballets célèbres. A coté de ce médecin bondissant, sentant le col d’un flacon, soupesant une chair, la lardant de thermomètre, créant des fumets dont il faut vérifier l’acuité en bondissant de nouveau, le Lac des Cygnes est une réjouissance de pensionnat. Chaque geste est précis, chaque épice est soupesée au trébuchet des parfums de mes vins. Ce ballet dura jusqu’à quatre heures du matin de la nouvelle année tant les sauces devaient s’actualiser à l’épanouissement des odeurs.
Nous passons à table. J’avais choisi un Fendant Pétillant Ravanay Les fils Maye SA Riddes 1959 pour plusieurs raisons. D’abord, la beauté diabolique de la bouteille et ensuite pour envoyer un signe : si l’on ouvre Krug Clos du Mesnil, il faut aussi mettre à l’honneur des vins moins recherchés. Le fendant annoncé pétillant n’a pas la moindre bulle. Son bouchon est le bouchon d’un vin et non d’un mousseux, aussi ai-je l’impression que la bulle est absente plutôt que disparue. On peut penser qu’elle n’a jamais existé. Le vin aux tonalités citronnées est extrêmement expressif. Inclassable, énigmatique, il révèle toutefois une belle identité jurassienne. Vin intéressant comme le fut le Côtes du Jura de Noël, il épouse exactement un caviar osciètre d’Iran sur coussin d’artichaut. Le caviar est dur au goût et salé, l’artichaut le canalise, et le fendant enveloppe le tout pour procurer une belle exactitude de saveur. L’ouverture d’un Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 est un moment rare. Nez intense d’une race immense. La noix de Saint-Jacques juste saisie sur un coussinet de radis noir et lait virtuel de pomme acide fait ressortir toute la transcendance du Krug. Je me disais que je ne vois aucun vin qui pourrait combiner avec une telle justesse une puissance imposante, une élégance impressionnante et une expressivité de contenu rare. Mêler ces trois composantes en les poussant à ce paroxysme me paraissait impossible à égaler. La suite allait me donner tort. La Mission Haut-Brion 1926 est le seul vin ancien que j’aie apporté dans le Sud pour les réveillons. Ne pouvant lire la date tant l’étiquette a été lacérée, c’est le bouchon qui l’a indiquée avec une certitude absolue. Le bouchon très noir et gras sur un tiers de sa hauteur est beau, souple sur le reste, ayant bien fait son office, même si le niveau avait un peu baissé. La merveilleuse et capiteuse odeur à l’ouverture m’avait conduit à reboucher. J’ai eu tort d’être peureux, car une aération complémentaire aurait atténué l’acidité qui gêne un peu le plaisir. Le plat est un ris de veau aux truffes du Piémont. Le vin est étonnamment jeune et il a encore du fruit. Si l’on sait oublier un instant l’acidité, on trouve un message éblouissant. J’ai pour 1926 un amour particulier car c’est l’année de la plus belle réussite de Haut-Brion. C’est la première fois que je goûtais son cousin dans cette année qui me séduit tant. Il n’a pas trahi la famille, car les cotés capiteux, onctueux, veloutés signent un très grand vin. Un plaisir rare, et une mise en valeur sublime par une truffe et un ris de confort rassurant. Les uppercuts et crochets pleuvent sur nos papilles. Car La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992 est invraisemblable. A l’ouverture, les émanations de ce vin étaient incompatibles avec l’année 1992. Elles annonçaient une année de grande puissance. Et là, dans nos verres, c’est l’expression d’une puissance sans limite, d’un charme redoutablement vénéneux. Ce vin est diabolique. Sur le thon à la plancha, consommé de canette, poêlée de chanterelles, le vin danse la java la plus belle, celle qui ensorcèle. Le vin nous regardait les yeux dans les yeux, nous hypnotisait de bonheur. Transporté par le plat, il exultait. J’ai bu de nombreuses fois de très beaux La Tâche. Mais à ce point de séduction, même le gigantesque 1990 fait clergyman réservé, si c’est envisageable. Le pavé de filet de biche, jus court à la figue, poêlée de topinambour est un plat extraordinaire. Il y a à la fois la façon, mais aussi la qualité de la viande. L’Hermitage rouge Domaine Chave 1998 aurait dû s’en servir de propulseur. Mais si l’on trouvait bien tout ce qui fait la pertinence de ce bel Hermitage, je n’ai pas trouvé la pétulance que j’attendais. A cet instant, c’est le plat qui a la vedette et non pas leur union. Le Tokay Pinot Gris Hugel Sélection de Grains Nobles 1990 avait de loin à l’ouverture le nez le plus serein. Ici, il impressionne par sa décontraction. Il est comme ces champions de foire qui attendent de se faire défier et ont le sourire de la confiance absolue en leur suprématie. Le Tokay est là, et il le sait. Alors, sur le foie gras poêlé, compotée d’oignons à la cannelle, façon chutney, il trouve un partenaire justifié, et il donne un récital de saveurs complexes du plus haut niveau. Quel grand vin, sûr de lui et dominateur. Et quel accord d’une précision extrême. Les baisers de bonne année ont été échangés depuis bien longtemps, et mon chef ami virevolte toujours pour ajuster chaque composante des plats. Nous tricotons nos votes futurs pour les plus beaux vins de la soirée. Tous ces bulletins sont à mettre à la corbeille, car arrive le Château Gilette crème de tête 1949. Rien ne peut être plus beau que ce sauternes totalement équilibré, sculptural, archétypal. Il est la définition de la perfection du sauternes. Un équilibre comme on ne peut pas en imaginer, une longueur infinie, il ne manque pas un seul bouton de guêtre à ce valeureux soldat. Un délicieux stilton va lui permettre d’éclore. De nombreuses discussions avaient eu lieu au sujet de l’ananas victoria rôti coulis à la mandarine. Je persiste à vouloir l’agrume pur. Le dessert absolument sublime, certainement le meilleur ananas de ma vie, éteignait le Gilette. J’ai suggéré que l’on poêle quelques tranches de pamplemousse rose. Et là, perfection culinaire absolue, le Gilette chantait dans nos palais investis et conquis. Le classement des vins ne fut pas très difficile, même si tous les votes n’étaient pas identiques. Dans l’ordre : Gilette crème de tête 1949, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992, Krug Clos du Mesnil 1986 et La Mission Haut-Brion 1926. Jamais, dans aucun de nos réveillons en cercle familial ou amical, nous n’avons été confrontés à une cuisine d’une telle perfection. Cet ami médecin qui a élevé la cuisine au rang de la passion, a pu faire ce qu’aucun chef n’a réellement le temps de faire : chaque composante des plats a été vérifiée en fonction de l’évolution des parfums de son vin. Ce fut éblouissant. Des grands vins ont été ouverts ce soir. La cuisine leur a rendu hommage. Nous, nous le rendons au talent artistique de notre ami.
le Monbazillac brille à nouveau sur un foie gras vendredi, 30 décembre 2005
Nous avions précautionneusement gardé pour le déjeuner suivant la moitié du Monbazillac Louis Bert 1962. Le chef le sent pour se remettre en tête son organigramme. Il nous sert des foies gras poêlés et coings, émulsion à la mandarine qui sont la représentation la plus exhaustive d’un vin qui aurait pu être liquoreux mais avait laissé son sucre en chemin. L’accord est éblouissant. C’est sublime. Et l’on voit à quel point une cuisine exacte permet à un vin de devenir grandiose. Le plat l’a vêtu d’habits de lumière. Ce Monbazillac 1962 fut, sur une mangue et aujourd’hui sur un foie gras, un vin de bonheur.
Hérault et Provence sur un boeuf de cinq semaines vendredi, 30 décembre 2005
Le matin, à J-2 du réveillon, j’organise un briefing pour définir les accords, les plats, les achats et les approvisionnements. Les bouteilles de ce dîner sont montrées, pour que l’on sente ce qui va leur convenir. La Mission Haut-Brion que je situe vers 1915 appelle obligatoirement une truffe, c’est le consensus unanime de notre conseil d’administration. Je suggère pour le Gilette crème de tête 1949 des mangues et des agrumes, pamplemousse rose par exemple. Notre chef ami a envie d’essayer ce soir un dessert. L’idée séduit. Je range les bouteilles, les plans sont faits. Nous voilà le soir.
Sur une pissaladière, tarte aux oignons agrémentée d’olives, anchois et autres goûts provençaux, le champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 glisse fort aimablement. Champagne agréable, sans histoire, qui se boit bien. Mieux que cela, c’est un grand champagne. Le faux-filet venu de Paris provient d’une limousine de l’Aveyron élevée en liberté. La viande a rassis cinq semaines. Des tagliatelles de courgettes au thym citronné et un jus provençal donnent à cette viande au goût intense une originalité rare. Le Mas de Daumas Gassac rouge 1999 est d’un fruit chantant. On sent le cassis et la mûre qui dansent en bouche. Mais c’est le thym citronné qui met en valeur le vin, le rendant d’une émotion qui se combine astucieusement au discours des fruits joyeux. En bouche le vin est beau. On ne peut pas imaginer à quel point le thym citronné l’a encouragé. C’eut été dommage d’essayer le vin suivant sur la viande. Des fromages dont certains étaient adaptés, mais surtout des restes de la pissaladière ont accompagné le Terrebrune, Bandol 1990, animal, intense. Le fruit n’est plus là. Le vin s’est développé, a pris une trace un peu austère. Mais quel grand vin. Il a simplifié son message, comme le graphisme d’un Gauguin qui résume la sensualité d’une femme, et il en est encore plus grand. Selon les circonstances, on jugerait l’un des rouges devant l’autre. Point n’en est besoin. En fait, le Terrebrune est plus majestueux. Mais la pétulance généreuse du vin de l’Héraut lui donne un charme rare. La mangue, qu’il fallait bien essayer avant le réveillon, tout prétexte est bon, se présente sous la forme d’un millefeuille de mangues poêlées et pamplemousses roses au miel d’acacia, coulis exotique amer. Et le Monbazillac Louis Bert 1962, bouteille d’une beauté absolue, par l’étiquette au design étonnant et la couleur intense de ce liquide doré trouve dans le plat la même exactitude que celle que l’on avait ressentie dans l’alliance du homard de Yannick Alléno avec un divin Duhart-Milon 1962. Tiens, c’est la même année ! Le Monbazillac, s’il était jugé dans des jurys froids et cliniques serait analysé comme léger, simple, limité en puissance et en trace. Là, avec ce dessert absolument divin, celui qui centré sur des goûts primaires, sait servir le message des vins, le Monbazillac devient sublime. Quand on a la bouche vide, si l’on siffle l’air avidement dans le palais, on est incapable de dire si le goût que l’on ressent est celui du dessert ou du vin, tant l’osmose est parfaite. Comme pour me narguer, comme pour afficher la fierté du créateur, mon ami déclara : je ne refais jamais deux fois le même plat. Tu auras autre chose dans deux jours sur le Gilette 1949. Je tenais une perfection. Je devrai donc attendre. Nous verrons.
un pavillon sec du château Guiraud 1964 brillant jeudi, 29 décembre 2005
Une idée avait pris corps. L’ami qui nous avait enseigné l’art de Marc Veyrat viendrait cuisiner dans notre maison du Sud pour le réveillon de la Saint-Sylvestre. Il arrive par avion, les bras chargés de cadeaux. Il est donc opportun d’ouvrir un champagne Salon 1998. Très différent du 1985, il est d’une rare élégance. Il est évidemment puissant, mais ne le montre pas. Il préfère décliner des parfums et des saveurs de pure distinction. Un très grand champagne floral, fruits frais, charmes orientaux. L’option de la poutargue va le typer, sans lui enlever une once de charme. Seule la longueur est à peine affectée.
Une omelette au foie gras et cèpes va se marier à ravir avec un Pavillon sec du Château Guiraud 1964. L’étiquette est amusante, car son design est assez primaire. Mais elle est aussi assez gravement mensongère, car on met en avant : « premier grand cru Sauternes », alors que ce vin sec ne l’est pas. C’est un peu comme si Mouton-Cadet mettait « premier grand cru classé ». En fait ça n’a pas d’importance, car ce vin est diablement bon. Très expressif, citronné, fruits jaunes, il montre une forte empreinte en bouche et une longueur rare. Vin de grand plaisir comme le fut le Côtes du Jura blanc 1969, il émerveille par son insistance en bouche. J’aime quand de tels petits vins brillent au moment opportun.
La Landonne 1996 au troisième soir de Noël mardi, 27 décembre 2005
Sur un chapon discrètement farci d’ail, La Landonne Côte Rôtie Guigal 1996 allait montrer toute l’intensité de son génie. Ce qui frappe, c’est l’extrême simplicité du message. Tout parait facile comme la voix précise de Frank Sinatra, qui charme sans que ce chanteur ait besoin de pousser la note. Le contraste avec les bourgognes est saisissant. On pourrait dire que certains grands bourgognes sont des Noureev quand les grandes Côte Rôtie sont des Fred Astaire. C’est simple, le message est compréhensible par tous, mais c’est parfait. J’ai reconnu la petite amertume de fin de bouche, marque d’un bois un peu austère, que j’avais ressentie comme une signature pendant la dégustation systématique lors de ma visite à Ampuis. Ce signe permet de penser que ce vin vieillira bien et sera encore plus redoutable dans une dizaine d’années.
Après trois soirs de célébrations de Noël nous n’avions toujours pas ouvert les liquoreux que j’avais prévus. La fatigue en est la cause. Il est temps de voter sur ces vins de Noël et les votes furent disparates mais concentrés surtout sur trois d’entre eux : le champagne Cristal Roederer 1993 dont l’élégance magistrale a ravi nos cœurs, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 car c’est du soleil généreux en bouche, vin de joie, et le Côtes du Jura blanc château La Muyre 1969 car c’est sans doute celui qui a la palette aromatique la plus complexe, appel d’une cuisine de folle création. Une mention spéciale mérite d’être faite de La Croix Saint-Jacques 1975 en demi-bouteille qui a étalé des sérénités de Pomerol d’une justesse rare. Si à ce stade on ne cite toujours pas Salon 1985, vin divin mais que je connais sur le bout des lèvres, c’est que les vins couronnés de votes étaient diablement bons.
le deuxième jour du réveillon de Noël lundi, 26 décembre 2005
Le deuxième dîner de Noël commence par un champagne immense. Je n’ai jamais été vraiment touché par la grâce de cette marque de champagne, mais là, ce fut vraiment une découverte. Le Cristal Roederer 1993 est d’un charme invraisemblable. Ce qui frappe immédiatement c’est l’équilibre gracieux entre toutes ses composantes. Il sait être floral, il sait être délicatement vineux, si ce concept peut exister, il a une longueur joliment mesurée. En fait, il a toutes les caractéristiques d’une Miss Monde, dont tous les attributs de la féminité sont présents, mais sans excès. Ce très grand champagne nous a ravis.
Une crème mêlant betterave et une évocation d’anchois a permis au Côtes du Jura 1969 de la veille de confirmer son insolente sérénité. Quel charme, quelle complexité gustative. On pourrait se satisfaire de ne boire que ce vin là. Les coquilles Saint-Jacques au caviar osciètre accueillent un Chablis Grand Cru Blanchot domaine Vocoret 1996 qui expose la parfaite définition du Chablis. Ce vin est précis comme un dictionnaire. Le beau Chablis, qui n’est beau que quand il est grand, est exprimé de façon généreuse, un peu sérieuse dans ce vin fort adapté au plat très expressif où se mêlent le sucré de la coquille crue et le salé intense du caviar.
Ma femme ayant copié chez Bruno sa recette de pommes de terre à la crème et à la truffe, nous dégustâmes un plat d’un charme fou. Le Petit Village Pomerol 1992 ne peut pas trahir qu’il vient d’une année assez faible. Mais Pomerol est Pomerol. Il a de la séduction à revendre. Il décochera quelques flèches de plaisir, sans vraiment créer une émotion durable.
J’avais ouvert quelque six heures avant une Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 mais nos fatigues étaient trop fortes. Nous trempâmes nos lèvres dans ce breuvage divin, sentant toutes les promesses de perfection. Mais l’heure de la retraite avait sonné. C’est demain que brillera cette icône.