Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner au restaurant Laurent avec un Cros Parantoux Henri Jayer jeudi, 29 septembre 2005

Déjeuner au restaurant Laurent. On le sait, c’est ma « cantine », donc il n’est plus question de juger. J’y ai un rond de serviette virtuel. Un manzanilla léger, c’est un agréable apéritif, mettant en ordre les papilles pour une belle aventure gustative. J’avais l’intuition que le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1976 serait le compagnon du pied de cochon, et ce fut le cas. Intéressant quand il est seul, il vibre avec émotion quand il est associé au plat. Toute évocation descriptive serait restrictive. Avec le pied de porc, c’est un bonheur de soleil, de gouleyant, d’expressivité intelligente.
Le pigeon est un beau pigeon. La chair est traitée comme elle doit l’être. Je pense au responsable des monuments historiques de la capitale, conscient des dégâts de ce diarrhéique volatile. Il a sans doute décidé que l’éradication de l’espèce passerait chez Laurent. Alors, on a le pigeon le plus pur, qui a décapé les statues de Charlemagne ou de Saint-Louis, qui exprime son authenticité historique dans notre assiette. Et là, le Vosne-Romanée Cros Parantoux de Henri Jayer 1994 est la démonstration du pouvoir de l’homme sur cette liane rebelle qui se pare à l’automne naissant de pulpeuses grappes juteuses. Ce vin est grand sans être éblouissant, fine démonstration d’un savoir faire unique. Tout est subtil dans ce vin. Le navet est d’un charme extrême, mais c’est le cèpe, croustillant comme un cèpe puceau qui donne au Cros Parantoux un accent bourguignon incommensurable.
Après le Clos Sainte Hune Trimbach 1976 et le Cros Parantoux Henri Jayer 1994, solides institutions, les judicieux conseils de Patrick Lair et Philippe Bourguignon vont permettre de finir le repas sur de jolies notes. Un champagne de Montgueux, à l’extrême sud de l’appellation, champagne Alexandre brut nature de Jacques Lassaigne 1999, et un Banyuls du docteur Parcé 1996, « la Coume » comme on dit aussi à Maury, bois de cèdre, pruneau, tout ce qui embellit la bouche en fin de repas. Laurent est une grande table de pur confort.

Le jury de champagnes du Spectacle du Monde dine au Cinq avec Billecart-Salmon jeudi, 29 septembre 2005

Le jury qui analyse les plus grands champagnes pour l’étude annuelle que publie « Le Spectacle du Monde » m’a gentiment invité à me joindre à nouveau à ses travaux (les bulletins 120 et 121 parlent des sélections de 2004). Il a procédé aux premières éliminations sans moi, car j’étais retenu ailleurs. Je les rejoins au restaurant le Cinq pour un dîner consacré aux champagnes de Billecart-Salmon.
Le menu est extrêmement élaboré : langoustines bretonnes au cédrat et au caviar Osciètre, turbot rôti au caramel d’algue, homard mi-fumé aux châtaignes, canard croisé aux épices, macaron glacé au fromage blanc et citron vert, framboise à l’hibiscus, autour du chocolat. Une dextérité exceptionnelle, surtout pour le canard à la chair lourde et intense. La châtaigne du homard est un petit prodige de dosage et de goût.
Le Billecart Salmon 1989 est extrêmement imprégnant, lourd, puissant, mais il est relativement court en bouche. Le 1986 est provocant, ce que j’adore. Très aromatisé et complexe, puissant et long. Les champagnes qui suivent vont faire apparaître d’extrêmes variations entre la première gorgée peu amicale et la dernière toute en charme, quand le vin s’est épanoui dans le verre. Le 1982 est un peu amer au premier contact, puis devient très floral, fraise des bois, fruits blancs. Il est d’une subtilité rare et l’iode du turbot ne l’avantage pas.
Le 1966 est passionnant, sauvage, viril, s’imposant en force. A coté, le 1961 qu’Eric Beaumard annonce voilé démarre par un goût un peu déstructuré, imparfait. Puis tout s’assemble, et si l’on a la patience de bien lire son message, c’est le plus grand de tous, fait d’une noblesse de corps invraisemblable. Richard Juhlin sera de mon avis ou plutôt je serai du sien. Le champagne rosé Billecart-Salmon 1988 ne parle pas beaucoup à mon palais. Les délicats desserts l’excitent, mais la magie du 1961 reste en ma mémoire.
Le plus bel accord, celui qui émerveille, est celui du homard au goût délicieux avec le Billecart Salmon 1966. Le plus beau plat intrinsèquement, du fait de son originalité, est le canard.
A notre table le plus grand expert en champagnes, Richard Juhlin, et son compatriote de Stockholm Andreas Larsson, meilleur sommelier d’Europe 2004, Denis Garret, organisateur des événements et des travaux du jury, deux dirigeants de la maison Billecart Salmon. Une belle tablée où les souvenirs de grandes bouteilles fusent avec passion. Une grande soirée.
A la fin du repas, visite de la cave du Cinq, presque en même temps sans doute qu’on la voit sur Envoyé Spécial de France 2 consacré à Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004, membre de la prestigieuse équipe du Cinq. En prenant l’ascenseur, j’ai la surprise de voir que les parois sont ornées de photos de bouteilles de ma collection. Ce clin d’œil me fait évidemment plaisir.

déjeuner d’amis au bistrot du sommelier mercredi, 21 septembre 2005

Avec un petit groupe de conscrits, pas copains de régiment mais c’est tout comme, nous soignons périodiquement nos cholestérols dans d’appétissantes ripailles. Comme j’invite, je fais appel à mon ami Philippe Faure-Brac pour concocter un moment de bonheur au bistrot du sommelier.
Le champagne Pol Roger 1993 pur Chardonnay est une leçon de choses. On ne se lasse pas de ces saveurs aux accents sépia. La calligraphie chinoise se lit dans chaque gorgée précise, florale, romantique. Le tartare de saumon et de haddock est justement adapté car le saumon adoucit un haddock qui fouette la bulle pour la rendre encore plus active. L’émulsion caresse le tout.
Le magnum de Mission Haut-Brion 1972 est mis en valeur par un maquereau dont j’ai fait enlever tout accompagnement. La chair exquise et brutale fait ressortir toute la valeur de ce vin au nez bourguignon, à la fatigue de façade, mais qui révèle une personnalité immense. Ce vin ne laisse pas indifférent, bouscule tous les repères que l’on a sur l’année, et donne un velouté qui ferait pâlir quelques Chambertin.
Le magnum de Château Margaux 1970 court après un col vert fort goûteux et le rattrape. Ils copinent avec le sourire. Le Margaux annonce tout de suite le message : il veut que l’on reconnaisse qu’il est Château Margaux Et on le reconnaît. En légèreté, en subtilité élégante mais jouant un peu en dedans, son charme conquiert mes amis.
Le comté de dix mois, sage choix, propulse un passionnant Côtes du Jura blanc Jean Bourdy 1967 dans des dimensions canailles. Ce vin a des saveurs d’après match, quand on a gagné, et qu’on lance au patron « fais péter tes truffes ». C’est ça ce vin du Jura, l’appel à la folie gastronomique, quand on se laisse aller au goût pur. Chaque fois, cet appel purement ésotérique me ravit l’âme.
Philippe Faure-Brac, dont nous étrennions la carte d’automne qu’il lance aujourd’hui a un dessert au chocolat parfaitement calibré. C’est tellement léger qu’on jouit des cèpes mariés au chocolat avec un à propos certain. Le Rivesaltes Pierre Granger 1959 qui titre 16,5° fait la balance avec la légèreté du chocolat. Expressif mais manquant d’exubérance, il a quand même ponctué par un sourire un repas au raffinement amical. Toute l’équipe de Philippe veut bien faire, et c’est un plaisir de construire avec un personnel souriant un repas de belle et heureuse gastronomie.
Un expert en vins venu me rejoindre sur place pour préparer les abondantes ventes aux enchères actuelles goûta avec moi les fonds de Mission et le Margaux. Malgré la petitesse de l’année, le Mission est redoutablement intéressant et racé quand le Margaux pétule de charme.

déjeuner dans l’historique salle à manger du siège d’AXA vendredi, 16 septembre 2005

Une société indépendante de gestion de capitaux reçoit à déjeuner, avec la complicité d’une grande maison française d’assurance, dans le siège mondial de cet immense groupe. Un hôtel particulier chargé d’histoire possède des salles d’une richesse inimaginable, de pur 18ème siècle, avec des meubles, des objets qu’ont dû jalouser jadis les rois de France et aujourd’hui les grands musées. Dans la salle à manger d’apparat, un déjeuner d’une douzaine de clients de marque permettra le service de vins de la maison ce qui fait que nul lecteur n’aura de difficulté pour trouver où je suis.
L’apéritif est un Furmint 2001 de Disnoko, propriété de Tokaji du groupe. Ce vin combine le sec et le doucereux en un vin canaille, assez énigmatique et dérangeant. Titrant 13,5°, il faut s’en méfier. Le foie gras marié à la figue supporte très bien un Suduiraut 1996 bien jeune, aux senteurs rebelles, lourd en bouche comme du plomb, annonçant un beau futur si on sait attendre avant de le boire. J’applaudis plutôt deux fois qu’une quand le Pichon Baron 1996 est servi sur un délicat rouget. Oui, c’est le poisson qui met en valeur ce vin incroyablement jeune au palais, qui a très élégamment intégré ses composantes de fruits et de tannin.
C’est un très joli porto Noval 1994 qui accompagna un élégant dessert. Le charme des lieux est unique, marquant une rupture définitive entre une époque où chaque centimètre carré de tenture ou de panneau devait être beau, dans une composition d’ensemble répondant à des critères esthétiques définitivement inaccessibles.

dîner au Petit Verdot, pour préparer le concours du meilleur caviste indépendant mondial mercredi, 14 septembre 2005

On a eu la gentillesse de m’inscrire comme membre du jury qui doit consacrer les meilleurs cavistes du monde. Le concours est parrainé par une grande marque de champagne, Laurent-Perrier. Le jury doit « forcément » préparer les critères de sélection. Est-ce une excuse pour se retrouver ? Oui. Cela se fera dans le restaurant Le Petit Verdot, rue du Cherche-Midi, que Hidé vient de reprendre. Hidé, ex-sommelier de Cordeilhan Bages, était l’âme d’Hiramatsu dont j’ai abondamment vanté les mérites. Injustement privé de la concrétisation de son installation dans l’ex-Faugeron, il a racheté ce petit local où il fera, j’en suis sûr, une immense cuisine. Nous nous retrouvons, avec Didier Depond, l’âme (lui aussi) de Salon (mâtin quel champagne comme dirait Gotlib dans Pilote), avec un sommelier historique et talentueux, avec le président de l’association des cavistes indépendants, avec quelques autres membres du jury, et nous travaillons. Les arrivées des jurés s’étalant sur une plage extrêmement longue, nous attendons les tardifs avec un nombre coquet de Laurent Perrier Grand Siècle. Ça coule tellement bien ! Celui-ci doit être un assemblage de 1995, 1997 et 2000. Une attaque résolument champagne, avec une densité en bouche magistrale. Le final est un peu plus discret, mais cette expression de champagne est d’une sincérité extrême. Le menu n’est pas fait, je regarde la carte des vins où Hidé a encore un peu trop le souvenir des prix des grands étoilés, et j’ai un déclic. Il nous faut le Laurent-Perrier sur l’andouillette AAA et peut-être plus de A, et un Chambertin Armand Rousseau sur la lotte. Comme Hidé n’a qu’une seule bouteille de 1992, on prendra 1995 et 1992.
L’andouillette est malheureusement associée à une sauce vinaigrée aux oignons. Il eût fallu une andouillette dans sa pureté, car le Laurent Perrier Grand Siècle ne demande que cela.
Avec la lotte, le Chambertin Armand Rousseau 1995 brille de façon exceptionnelle. Ce vin prend aux tripes. Sensuel, charmeur, intense, il trouve un écho dans la chair lourde du poisson qui est purement transcendantale. Peu des participants, grands experts devant l’éternel, auraient osé ce mariage qui s’est révélé de rêve. J’avais peur que le 1992, nettement plus mûr, ne rebute mes collègues du jury. Or en fait tout le monde suivit avec bonheur ce vin déjà plus affirmé, sans marquer la moindre réticence. Le vin avait une telle trace lourde et magique en bouche qu’aucun dessert ne s’imposait. Une ravissante convive ayant réclamé du sucré, du chocolat accueillit un Porto Taylor 1999 de charme évident. Fut-on studieux ? Je ne sais pas, car les occasions de se dissiper par des anecdotes passionnantes étaient nombreuses. Mais on se souviendra de ce dîner chez Hidé, au petit Verdot, table qui sera demain (elle l’est déjà) une table incontournable.

dîner d’été avec de bien beaux champagnes jeudi, 1 septembre 2005

Des amis ayant la riche idée d’ouvrir un Salon 1995 au talent naissant, je réciproquai quelques semaines plus tard en ouvrant un Salon 1985. Quel champagne ! Immédiatement, c’est le pamplemousse rose qui entre en scène au milieu de fleurs blanches. Ce champagne, d’abord floral, virginal et fruité de fruits délicats se structure ensuite en bouche. Les fruits plus lourds comme la mangue apparaissent. Le vineux fumé se montre et le kaléidoscope de saveurs intenses ravit mon palais déjà conquis. Nous nous rendons ensuite sur une belle plage où du sable blanc et fin rajouté au sable usuellement rugueux donne des idées tahitiennes. Là, dans un petit restaurant à l’ambiance jeune et mode, une jeune serveuse à la langue piercée, dont la jupe ne contribuera pas à alourdir le déficit du textile importé, nous sert de beaux poissons. J’ai pris un chapon. Le Dom Pérignon 1996, à la première gorgée, parait léger après le Salon, mais le palais s’adapte, et ce champagne dont j’ai vanté les abondants mérites s’installe, se met en place. C’est plus champagne, avec du charme mais moins de complexité. Le Cristal Roederer 1999 est encore trop bambin pour qu’il puisse se comparer. Fluide et délicat, il lui faudra vieillir.

nouveau dîner à l’Escundudo de Bormes les Mimosas lundi, 29 août 2005

Nous fîmes deux expériences en un restaurant fort sympathique, agréablement doté d’une étoile, l’Escoundudo à Bormes-les-Mimosas. Un jeune chef enthousiaste qui veut bien faire, Matthias Dandine, au talent incontestable, mais qui veut trop prouver. Alors, on complique sans que ce soit nécessaire et bien sûr, les plats que l’on apprécie le plus sont les plus simples, les poissons notamment, qu’il traite avec délicatesse. Par un temps très lourd, un Corton Charlemagne Louis Jadot 1999 est trop fort. Le Corton Charlemagne n’est pas à sortir en cette saison. Alors qu’un Clos Saint-Denis Grand Cru 2001 domaine Dujac brilla d’une élégance remarquable. Table à suivre, à essayer encore, car ces jeunes motivés, les deux frères épaulés par leurs parents, vont encore progresser. Une belle table dans une bien jolie ville. J’ai beaucoup aimé la deuxième fois le Laurent Perrier Grand Siècle 1995 au message bien franc. Un Château Baillon « Oppidum » 1989 m’a époustouflé, car ce Côtes de Provence était ce soir là en habit de lumière, mieux qu’un Pibarnon 1990 qui sentait déjà la mise à la retraite anticipée.

je reçois, dans ma maison du Sud, un des plus grands critiques gastronomiques mardi, 9 août 2005

J’avais conversé par e-mail ou au téléphone avec un grand critique gastronomique, écrivain de surcroît, qui officie sur de vastes et nombreux médias. L’idée d’une rencontre était apparue naturelle. J’ouvre le portail de ma maison du Sud pour accueillir un personnage au visage inconnu. La sensation est étrange et fait place instantanément à l’envie de se connaître. Ses bagages sont rangés dans sa chambre, nous arpentons le jardin face à la mer, et naturellement, assis autour d’une table surplombant la mer et donnant l’impression d’être en bateau, nous devisons sur l’état de la gastronomie française, ses chefs, ses habitudes, ses manies, ses tics de mode, ses voies à ignorer ou à éliminer. Nous nous rassurons par des analyses le plus souvent communes et nous nous expliquons quand nos avis s’opposent. Aucune volonté de briller, de montrer que l’on sait, mais plutôt la joie de deux philatélistes qui se montrent le timbre de la pêche au marlin à l’île Maurice ou le timbre d’un milliard de marks quand cette monnaie ne valait rien.
La préparation d’un dîner en l’honneur d’un homme de plume prompt à crucifier le moindre défaut a quelque chose d’excitant. Le menu sera le suivant : terrine de courgettes, poulet aux tomates confites, fromages du Var, salade de pêche, crème fraîche et confiture de pêche. Des choses simples, aux goûts précis, sans chercher à compliquer, ce qui exposerait à la critique. Pour les vins, j’avais prévu de commencer par un Saint-Véran Bichot 1989, pour mettre en valeur une appellation trop souvent ignorée, mais dans ma précipitation j’ai pris une bouteille aux couleurs identiques qui me força à changer les ordres de service.
A l’apéritif, j’ai prévu de délicieuses petites sardines qui appellent un vin rouge, car ce qui me paraissait possible au Saint-Véran ne me le parait pas au Chablis. C’est donc le Domaine de Barbeiranne Cuvée Charlotte 1999 Côtes de Provence. Vin délicieux qui part avec bonheur caresser la sardine. La chair goûteuse apprivoise ce vin délicieux. Ma pioche d’olives était à éviter pour le vin.
Sur la terrine, le vin que j’ai pris par erreur est un Chablis Premier Cru les Vaucoupins Bichot (Long Dépaquit) 1988. La couleur s’est déjà ambrée. Le vin accuse un peu son âge, même si la prestation gustative est honorable. Je savais que mon hôte aime les vins blancs très frais. Le froid anesthésia le Chablis, fort justifié sur l’aubergine.
De dodus et copieux poulets accueillirent des bouteilles qu’on ne trouve que rarement, tant la région n’a pas la patience de les conserver, ce qui est un tort. Le Terrebrune rouge Bandol 1987 est beau, noble, racé comme un fier espagnol qui vous foudroie du regard. Ce vin vous nargue de sa rudesse. Il est d’un beau plaisir. Le Rimauresq rouge 1983 Côtes de Provence monte encore d’un cran. Complexe, multiforme, chatoyant comme un beau Rhône, il chatouille les papilles avec un charme consommé. C’est manifestement un vin de grande classe.
La salade de pêche trouve sur sa route un Pommery 1987 magnifique d’énigme, de distinction et d’une personnalité folle. C’est le visage d’un Klaus Kinski avec la voix d’un Sinatra. Il joue sur plusieurs registres, voulant ne pas être catalogué. Tout le monde se moque de moi pace que j’aime les cigarettes russes, quand ces pédants (ma femme et ce nouvel ami) croient plus distingué de s’extasier sur des gavottes. Le champagne est délicieusement adapté aux deux desserts. Lorsque, tard dans la nuit, je fermai les lumières d’un repas amical, j’étais assez fier que nous ayons pu montrer, ma femme et moi, une parcelle de notre personnalité dans les choix que nous avions faits. Je classai d’instinct les vins dans l’ordre suivant : Pommery 1987, Rimauresq 1983, Barbeiranne 1999, Terrebrune 1987 et Chablis 1988. Les discussions reprirent au petit déjeuner comme si nous nous connaissions depuis vingt ans, avec, au seuil de se séparer, l’envie que tout ceci ait rapidement une suite.

La Bouillabaisse, petit restaurant de port mercredi, 20 juillet 2005

Au port de la Madrague de la presqu’île de Giens, il existe un petit bar restaurant qui n’a pas encore été touché par le tourisme. Les pêcheurs et pochtrons autochtones viennent siroter de répétitifs pastis. On y lit le journal et l’on y mange les poissons rapportés par des pointus locaux. Demandant à voir le plateau des poissons, je repère deux belles langoustes. Une anchoïade est le rituel démarrage qui nous installe dans l’atmosphère du bonheur estival. Rien ne vaut le chou-fleur cru que l’on trempe dans une sauce abondante et épaisse.
Le rosé de l’Aumérade 2003 a un joli nom, ce qui n’est déjà pas si mal. Rien n’inspire vraiment dans ce liquide qui a le même effet sur la soif que l’éponge sur un marathonien : c’est efficace, mais on ne va pas demander en plus que ça ait du goût. Le rouge de l’Aumérade 2003 joue dans la même ligue. La langouste au corail de plomb est tellement goûteuse qu’on ne se soucie pas de ces vins qui méritent bien évidemment d’exister, car je n’ai fondamentalement rien à leur reprocher. On est loin de la qualité de la cuisine du deux étoiles récent. Mais le plaisir est très grand car l’authenticité de cette table de pêcheurs est une récompense.

dîner chez Jacques Maximin à Vence vendredi, 1 juillet 2005

J’ai réservé à la « table d’amis » de Jacques Maximin, dont le nom est une profession de foi : on veut faire plaisir, sans chichi. J’étais seul puisque mon épouse était retenue à Paris. Quand on est seul, on observe plus, et l’on passe sur moins de choses. Les remarques que je vais faire doivent être prises dans le contexte de mes bulletins. Je ne suis ni un guide, ni un juge. Ce qui est dit n’a pas prétention à être définitif.
J’entre dans un jardin où des tables sous des parasols donnent une agréable sensation d’été. Accueil par Madame Maximin souriante. Je demande la carte des vins car quand je suis seul, je mets généralement ma carte bleue en dangereux surrégime. Et là, le vide. Cette carte des vins, qui n’est pas sans intérêt, est chiche, sans domaine qui attire l’œil. Cette maison familiale ne voulant pas surinvestir dans la cave a décidé que l’on aurait une offre limitée. Ce fut une grande frustration. Ne trouvant pas d’objet de folie, je jette mon dévolu sur une bouteille que je n’aurais normalement pas commandée compte tenu d’un coefficient élevé. Je prends Mouton-Rothschild 1988. Non pas que ce vin soit sans intérêt, mais je n’ai pas l’habitude des bouteilles à cinq ou six fois mon prix de remplacement. On m’apporte la bouteille pour me la montrer et on va l’ouvrir à l’intérieur, loin de ma vue. Connaissant les prélèvements à la source qui sont parfois opérés par les sommeliers dans des restaurants, ce qui ne me plait pas, je me précipite pour vérifier ce qui se fait (vous imaginez la scène). Heureusement, Olivier Maximin, le fils du chef, souriant, sympathique, dynamique et diablement efficace n’a pas taxé ma bouteille. Je fais mon menu avec Madame Maximin, et me voilà embarqué dans un voyage puisque c’est la première fois que je viens, Christophe Colomb d’un soir lançant ses voiles folles.
Une petite soupe d’estragon à l’huile d’olive et crème au piment d’Espelette est absolument délicieuse. Elle me pose à nouveau la question : on doit repérer assez facilement les clients qui prennent des bouteilles de budgets respectables. On devrait toujours avoir sous le coude un amuse-bouche qui respecte le vin. Là c’est évidemment inadapté. Mais comme je suis têtu, j’ai attendu que ma bouche s’apaise et la mémoire de l’herbe et celle du piment sur la langue vont multiplier le charme du Mouton dont je parlerai dans un instant. C’est la rémanence du goût de cette petite entrée qui embellit le Mouton.
Le homard avec des truffes d’été est absolument goûteux et délicieux. Tout cela est de la bonne cuisine. Le Mouton est particulièrement à l’aise avec la truffe, et compagnonne bien avec le homard. Le plat absolument fabuleux, c’est la selle d’agneau. Pour réussir cette chair et surtout cette sauce, il faut du talent. Et il y en a à profusion. Bien évidemment le Mouton se sent bien. Il parade. Ce plat goûteux m’a ravi.
Je demande du fromage et une assiette toute prête arrive. Olivier m’explique que c’est composé avec les arrivages que son père a choisis. Je dis alors à Olivier quelque chose qui ressemble à ceci, en plus diplomatique bien sûr : « le menu que j’ai pris vaut deux fois le menu classique vins compris. La bouteille que j’ai prise vaut douze fois le menu. C’est donc comme si nous étions quatorze à table. Me donner du fromage sans avoir réfléchi à trouver ceux qui vont avec mon vin ne me parait pas convenable ». Je ne pense pas que cette assiette proposée sans penser au vin soit du niveau d’un deux étoiles. Je reconnais volontiers qu’en d’autres circonstances je n’aurais même pas réagi sur ce point. La solitude à table rend tatillon. Et la frustration de payer cher une bouteille par manque d’autres choix m’avait conditionné.
Pendant ce temps on entendait en cuisine Jacques Maximin pousser de graves coups de gueule contre son personnel. La carte des vins et cette assiette de fromage m’ont indisposé. Le talent du cuisinier n’est pas en cause car c’est un grand, et la sauce de sa selle d’agneau est une merveille. Mais je fus déçu. J’étais venu pour un deux étoiles. Je ne l’ai pas eu. La cuisine, oui, mais pas ce qui va autour. Rentrant en taxi à l’hôtel je fus accueilli par le directeur de la restauration. Nous parlâmes de mes constatations et il m’offrit un Bas Armagnac château Briat 1982 excellent, pour exprimer toute l’estime qu’il porte à Jacques Maximin qu’il ne considère pas comme un concurrent mais comme un grand. Beau geste d’une sympathique solidarité.
Et le Mouton dans tout cela. Il m’a fait sourire, car c’est le vin qui a tout, soit pour qu’on le dénigre, soit pour qu’on l’encense. Ce vin n’est pas complet. Si on veut le critiquer, on signalera ses absences. Si on veut l’encenser – et le budget que j’ai mis voulait que je l’adore – on a tout pour l’aimer. Il me suffit de dire que j’ai eu quelques fulgurances de grand vin. Mais honnêtement, il lui manque du génie.
Le lendemain matin, réveil, plongée matinale dans la piscine dont je suis le premier occupant, puis petit déjeuner dans une oliveraie fort accueillante. A cette époque, les seuls estivants sont étrangers. Le directeur me fait visiter sa cave creusée dans la falaise sous le château, où des bouteilles tentantes vaudront un autre séjour. C’est une cave qui est en devenir. J’ai senti que le directeur veut faire ce que Jacques Maximin n’a pas fait. Une étape où il fera bon revenir. Mais à deux.