Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner au restaurant les Berceaux à Epernay mercredi, 20 avril 2005

Apres la dégustation extrêmement rare de champagnes Diebolt-Vallois, où nous fûmes rejoints par une vigneronne de la famille Gonet, un déjeuner nous attendait au restaurant les Berceaux à Epernay. A propos de berceaux, nous avions gardé dans des paniers une douzaine de bouteilles dégustées ce matin (voir bulletin 138), et nous avions envisagé que nos hôtes, qui nous attendaient sur place, en bénéficient. Hélas, des agents de la répression des fraudes postés en embuscade ne l’entendaient pas de cette oreille. Les magiques bouteilles restèrent dans leurs paniers.
La table était fort originale puisque deux vignerons qui font de la haute couture à petite diffusion étaient invités par l’un des grands directeurs d’une immense maison de renommée mondiale à forte diffusion. Le partage de fabuleux flacons allait-il rapprocher les philosophies opposées ? J’ai essayé de faire comprendre que les deux approches se soutiennent au profit de toute la Champagne. Difficile de conjuguer ce qui ne le veut pas. Les délicieux champagnes aidèrent malgré tout à améliorer les compréhensions mutuelles.
Le tout nouveau Moët & Chandon 1999, que l’on boit juste après avoir eu en bouche le Diebolt 1953 a du mal à faire surface. Un peu amer, il est manifestement buvable et le sera de plus en plus. Des entrées aux variations japonisantes faisaient craindre des oppositions gustatives. Ce ne fut pas le cas. Le champagne Egly-Ouriet 1999 se présente avec une légère couleur printanière de tulipe rose. Rare couleur. Le nez est élégant. Quel grand champagne ! Le Dom Pérignon 1985 est d’un or généreux. Le nez est beau. Et le champagne occupe la bouche avec une séduction de fort bon aloi. Il était tentant de le critiquer, mais le résultat est là. C’est solidement bon, même si c’est plus dosé que la fine fleur de la Côte des Blancs. Champagne de table, expressif, on le déguste sans bouder son plaisir. Il est même suffisamment amène pour faire briller le Egly-Ouriet quand on en reprend une gorgée. Le Ambonnay rouge, vin rouge de Egly-Ouriet de 2002 vieilles vignes a vécu plus de vingt mois en fût neuf. Je renonce à compter combien de mois sont de trop.
Sur une rhubarbe l’un des convives suggéra un Jacques Sélosse non millésimé « Exquise » que j’ai trouvé hors sujet. La joue de bœuf fut ratée, une galimafrée, les plats trop compliqués pour les champagnes. La table de Patrick Michelon, est honorée d’une étoile. J’espère trouver une autre occasion pour le vérifier.

déjeuner au restaurant Laurent avec un Cros Parantoux Henri Jayer mardi, 19 avril 2005

Chacun d’entre nous a forcément quelques tics verbaux. Vous en connaissez un quand je dis : champagne Salon suivi de « mon chouchou ». En voici un autre : restaurant Laurent, « ma cantine ». Je me retrouve à déjeuner au restaurant Laurent, où la gentillesse de Philippe Bourguignon, de Patrick Lair, de toutes les équipes, et la cuisine sereine de Alain Pégouret participent à cette impression de se sentir chez soi et créent l’envie d’y revenir. Une coupe de champagne Jacquesson extra brut 1995, d’une bouteille sans doute déjà bien aérée me ravit, plaçant ce cru au dessus de la mémoire que j’en avais. Le liquide est vineux, expressif et sensible. Au chapitre des vins, c’est « forcément », et les guillemets ont toute leur importance, un Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1994. Ce qui m’agace, c’est que nous fumes trois lors de ce même déjeuner à trois tables différentes, à avoir eu le même choix. Ce restaurant Laurent, repaire d’habitués, compte trop de connaisseurs. Mon invité est un écrivain du vin, et plus particulièrement des vins de Bordeaux. C’est son premier Henri Jayer. Je l’encanaille avec cette splendeur, vin pénétrant dont l’alcool s’impose d’emblée. Son charme, son brio, sa vivacité strient le palais comme une botte de Nevers. Tout dans ce vin fleure la perfection. La tête de veau caramélisée est brillante, mais plus encore avec le vin. Le pigeon à la chair tendre et émouvante a le lexique d’Henri Jayer : leurs saveurs se confondent dans un esperanto parfait. Pour profiter de ces saveurs, il faut absolument avoir l’envie de les déchiffrer. Cela décuple le plaisir.
La cuisine bourgeoise est ici poussée à son paroxysme de sécurité. On est bien, et on le reconnaît aux habitués, gens opulents ou célèbres qui ne veulent pas que la cuisine les interpelle. On doit être bien. C’est le cas.

dîner chez des amis samedi, 9 avril 2005

Peu de temps après, dîner chez des amis partageant le même sport, le squash. Il est bien loin le temps où j’étais capitaine d’une équipe de squash, plus pour mes qualités d’organisateur des repas d’après match que pour mes exploits sportifs. Un magnum de champagne Deutz non millésimé, aimable champagne facile à apprécier. Le Meursault du Château de Meursault 2000 se présente très nettement comme un vin moderne. Travaillé pour plaire ou pour concurrencer la Californie ou le Chili, il a oublié d’être Meursault. Je lui préfère, c’est mon goût, le Chasse-Spleen blanc 1997 floral, léger, qui respecte beaucoup mieux son terroir d’origine. Le Lynch Bages 1998 sera sans doute un grand vin un jour. Mais plus tard. Pour l’instant, c’est le labrador tout fou qui vient de courser un canard jusque sur l’étang et vient essorer près de vous son pelage pour vous rappeler qu’il existe. Le Monbazillac Theulet-Marsallet 1924 du truculent René Monbouché que j’avais apporté, au nez d’agrumes et à l’empreinte gustative d’une immense durée subjugue cette sportive assemblée. Mon hôte s’émerveilla tant il savourait le plaisir de jouir de ces vins antiques aux sensations inimitables. La cuisine de son épouse mérite de grands compliments. Nous étions comme la France profonde moitié-moitié pour le oui et pour le non. Prétexte à de belles joutes en une très belle soirée d’amis.

dîner à Cordeilhan Bages mardi, 5 avril 2005

Je croyais, en accostant à Cordeillan-Bages avoir enfin trouvé le repos : un dîner à l’eau. Je m’installe à table. Je demande la carte des vins pour me prouver que je saurai résister à la tentation, et les prix des vins m’y incitent. Mais mon ange gardien, qui a mis devant chacun de mes pas dans la région bordelaise une nouvelle aventure, avait décidé que mon parcours ne serait pas fini. Je vois entrer Hidé, l’âme du restaurant parisien de Hiramatsu pour tout ce qui touche à l’accueil et aux vins, qui a quitté cette maison alors qu’il a organisé son installation dans les locaux de Faugeron. Il est accompagné de deux amies japonaises, une journaliste et une propriétaire de « bars à vins » japonais. Instinctivement je lance : « on dîne ensemble ». Hidé était le sommelier de Cordeillan-Bages quand s’est tenu l’un des volets d’une fabuleuse dégustation de trente millésimes mythiques d’Yquem. C’est Bipin Desai, l’organisateur de l’événement en 1999, qui m’a fait connaître peu après Hiramatsu et Hidé. Une coupe de Cristal Roederer 1997, élégant champagne mais un peu limité est posée avec autorité devant moi. Les barrières d’une sobriété espérée tombent, et nous associons une goûteuse anguille et un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1991 absolument délicieux qui continue de briller sur un magistral agneau de Pauillac. Le chef nous ayant préparé un œuf transparent dans un intense bouillon, c’est l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2001 qui s’impose à mon envie. Justesse absolue de l’accord. Quel magistral vin du Domaine ! Eblouissant, et largement au dessus – à mon sens – de ce qu’on pourrait imaginer d’un Echézeaux de la Romanée Conti. Un vin immense. Ce vin m’a ébloui par sa pétulante sérénité. C’est un boutonneux de quinze ans qui vous lirait du Saint-John Perse, ce gourmet de mots. Une constatation intéressante d’un essai que l’on fait rarement : je suis passé plusieurs fois du blanc au rouge puis du rouge au blanc, car l’œuf imposait – surtout par son bouillon – le vin rouge, quand certains morceaux de l’agneau cuit de trois façons attendaient le blanc. J’ai remarqué que le passage de l’un à l’autre se faisait avec une facilité rare, sans le moindre heurt. Et même, la transition du rouge vers le blanc embellissait le Corton Charlemagne, lui extirpant de nouvelles subtilités.
La cuisine de Thierry Marx est d’une maturité qui fait plaisir. L’homme est sportif. Avec Philippe Etchebest, on aurait le début d’une ligne d’avant de belle solidité. La recherche esthétique est à mon sens un peu poussée. On perd le coté roboratif pour une sophistication pas forcément nécessaire, ce qu’on retrouve dans le service, un peu gênant de vouloir être trop parfait. Mais il y a une telle volonté de bien faire qu’on applaudit des deux mains à cette étape de belle gastronomie. Le lecteur se demandera certainement pourquoi boire deux bourgognes dans le bordelais ? Il y a à cela deux raisons. La première est qu’après trois jours d’immersion avec d’immenses vins antiques et de rugueux embryons de vins, une pause gustative était nécessaire. La seconde, d’expérience, est que dans les régions viticoles, les coefficients multiplicateurs sur les cartes des vins sont moins tonitruants pour les vins des autres régions.
A l’heure où j’écris ces lignes, sur mon chemin de retour, mon ange gardien semble en train de dormir. Je vous en prie, ne le réveillez pas.

dîner chez un ami américain de Bordeaux dimanche, 3 avril 2005

J’allai retrouver à dîner un ami américain avec qui je corresponds sur un forum virtuel dont le vin est le thème. Un journaliste danois qui participait aussi à l’examen des primeurs est de ce même dîner, ainsi qu’un sympathique vigneron de la Napa Valley et son épouse, dont nous goûterons le vin.
Nous commençons par un Bloomsbury Sparkling wine cuvée Merret 2000, un vin pétillant anglais. C’est une première pour moi. Ce « champagne » anglais m’a permis des plaisanteries faciles du style : « les anglais aiment tellement la France que, pour ne pas la froisser, ils ont fait un champagne qu’on est sûr d’oublier ». C’est facile et plein de tact vis-à-vis d’anglo-saxons.
Sur des asperges nous avons comparé deux vins : le château Talbot Caillou blanc 2000, délicat Bordeaux blanc de belle réussite et un Château La Carrière 1950, vin liquoreux qui était ma contribution à ce dîner, sans étiquette, les informations étant lues sur le bouchon. Je le situerais, sauf avis d’expert, dans les premières Côtes de Bordeaux. Délicat accord entre l’amertume agréable d’asperges blanches et ce liquoreux subtil, discret, presque timide, ce qui va bien avec le végétal ligneux.
Le Amici, Cabenert Sauvignon, Napa Valley 2001, fruit du travail de John Harris et sa charmante épouse Sharon donna lieu à un moment dont j’observai avec intérêt le déroulement et l’intensité. Le vin nous est servi, et immédiatement l’épouse se lance, relayée par son mari, dans des descriptions techniques, l’exposé de choix, les moyens et méthodes, et ça dure, et ça dure. A un moment, oubliant la patience que je m’étais promis d’observer, j’interromps ce monologue de couple pour dire : « est-ce que vous m’autorisez à donner mon avis, pour vous dire que c’est bon ». Et j’ai ressenti que la peur d’être jugés par des gens qu’ils supposent spécialistes avait poussé ces deux charmants convives à occuper le terrain. Sous le discours urbain se sentait une émotion, un trac certains. Ce vin californien a une attaque absolument charmante aidée par près de 14° et son final est un peu mince. Mais c’est un vin de réel plaisir.
Les autres rouges se boivent à l’aveugle, et ce fut l’occasion pour beaucoup, dont moi, de faire étalage de la difficulté d’être perspicace. Un Château Dubraud, Blaye 2000 est tellement boisé que j’ai affirmé de façon péremptoire qu’il n’est pas français. En fait je n’ai pas tort. Car faire un Blaye à 13,5° avec tant de bois, cela n’a pas de signification historique. C’est charmeur, c’est bon au premier contact, mais c’est en dehors de mes terrains de chasse. L’Argentin Alta Vista Alto 1999 fut situé par moi géographiquement à moins de 10.000 milles d’écart. Vin puissant lui aussi dont je ne goûte pas trop la démarche. J’ai eu une meilleure précision géographique pour trouver le Château d’Arche, cru bourgeois Haut-Médoc 1996 que j’ai moins aimé, mais la fatigue jouait. Cette lassitude s’estompa quand on me servit un vin que je reconnus à coup sûr comme un Bordeaux : Dominus, Napa Valley de Christian Moueix 1994. Ce californien a tout d’un grand bordeaux. Une petite merveille. Mon ami américain nous a bien trompés et son choix de vins est remarquable. Il dénote une direction de goût, intéressante à explorer, qui n’est pas toujours la mienne.

dîner impromptu au restaurant de l’hotel Meurice jeudi, 24 mars 2005

Je vais livrer les vins pour un prochain dîner (le 50ème) à l’hôtel Meurice. Discussions toujours passionnantes avec Yannick Alléno. L’ambiance, l’atmosphère, les odeurs. Je ne peux pas quitter l’endroit. J’y reste. Alors qu’il est vingt heures, un coup de fil me permet de constituer une table de trois. Un repas impromptu va s’organiser. Le menu dégustation nous tend les bras. C’est parti. La cuisine de Yannick Alléno dégage une passion, une exploration de saveurs, qui force l’adhésion. On ne peut pas ne pas approuver cette démarche. Mais pensant aux vins que j’associerais à ces plats, qui sont dans un registre ancien, je ne peux pas avoir un enthousiasme aussi libéré. La sauce qui accompagne les asperges à la moelle et au parmesan me ravit l’âme, tant j’y vois de lourds Chambertin se pâmer dans une chaude étreinte érotique. Les morilles juste exprimées me font crier de joie. Alors que les langoustines à la cuisson exacte, orientalisées avec charme, sont trop complexes pour les vins que je côtoie. Et le pigeon à la chair voluptueuse, plat magnifique, est trop riche dans ses accompagnements. Beaux exercices de maîtrise avec une pointe d’intellectualisme qu’il va falloir encanailler si l’on veut les mettre dans l’orbite de mes vins. Je sais que Yannick Alléno le ressent. Vous en aurez la preuve absolue dans le dîner 50.
Sur ce magistral menu, j’avais choisi des vins de grande sérénité. Le champagne Dom Ruinart 1990 est un champagne de sécurité. C’est goûteux, mais c’est aérien. La bouche en garde une belle trace de plaisir. L’Hermitage blanc Chave 1993 a la plénitude inexorable du blanc solidement assis. C’est chaud, c’est viril, c’est simplifié, mais c’est efficace. Et sur les anchois si délicatement traités, le Chave démontre que lorsqu’on attend de la subtilité, il répond présent. En fait c’est Porthos, ce solide mousquetaire : rustaud apparemment, mais galant homme assurément.
Le Château Rayas, Chateauneuf du Pape rouge 1998 est prodigieux. Quelle maturité pour un cadet ! Je n’arrive pas à m’enlever de l’esprit que ce vin parle le langage de la Bourgogne. On a de ces amertumes, de ces complexités, de ces provocations gustatives qu’on ne retrouve qu’en Bourgogne. Mais c’est un Rhône. Un grand. Et sur le foie gras, territoire où il chasse peu, il se révèle magistral. Ce fut de loin le plus bel accord de ce grand repas (on verra qu’il m’a inspiré pour le 50ème dîner). La saveur instantanée la plus belle fut la sauce des asperges. On est avec Yannick Alléno sur le terrain de la gastronomie qui ira loin.
Eric Fréchon plus Yannick Alléno, c’est, à coup sûr, six étoiles pour bientôt.

Quelques repas dans le Sud dimanche, 20 mars 2005

Partant en diète dans ma maison du Sud, je brisai une cure nécessaire pour des amis, convives d’un dîner récent. Je revisite évidemment des vins, car la cave est ici fort ténue. Un champagne Pommery 1987 me ravit toujours autant. Ce champagne à la bulle fort active, au jaune d’or bien jeune, a un charme auquel je succombe. Ses dix-huit ans l’ont rendu séduisant, enjôleur. Un champagne typé de grand confort.

Le Château Mouton-Rothschild 1987 n’a pas la puissance du 1978 bu au dernier dîner. Il a un bois bien présent et une trame élégante. Il montre très clairement qu’il est bien fait. Voilà un vin qu’il faut boire avec plaisir si on n’ouvre pas à ses cotés des vins d’une grande année. Il souffrirait d’avoir un concurrent, alors qu’il joue bien quand c’est son nom qu’on lit en gras sur l’affiche. Lorsqu’il est servi seul, sans compétiteur, il donne un grand plaisir. Et c’est bien ainsi.

Le Côtes de Provence Rimauresq 1985 est une rareté, car on ne trouve plus ces années, depuis longtemps disparues de tout circuit commercial. C’est un tort. On sait que ce vin vieillit bien. Sans avoir la complexité ni la longueur des grands vins, c’est un petit bijou de rondeur bien comprise. Vin de bonne soif dans un Sud accueillant. Sur un agneau pascal, c’est une association de grand plaisir.

Déjeuner d’un groupe d’amis mercredi, 16 mars 2005

Déjeuner bimestriel d’un groupe d’amis tous conscrits. Un des nouveaux membres de ce petit cercle, professeur de médecine et membre de l’Académie s’étonne que de balbutiants sexagénaires cherchent à traverser le XXIème siècle et font tout, par ces agapes, pour ne pas y arriver, en chargeant leurs artères de trop d’abondance. L’intérêt de ce propos sera certainement perçu, mais à retardement – à nos âges ! – car nous commençons par un champagne Laurent Perrier Grand Siècle d’un charme extrême. Aucune exagération d’aucun aspect. Ce champagne classique n’entraîne qu’un commentaire unanime : « c’est bon ». La première bouteille de Lynch Bages 1989, l’année de la plus belle réussite de ce Pauillac, est bouchonnée. Celle qui la remplace a curieusement un fruit que ne devrait pas avoir un 1989. Bien qu’on soit en Pauillac on avait des accents de jeune Côte Rôtie. C’est la troisième bouteille qui montre un vrai Lynch Bages 1989 taillé pour tracer la route de l’histoire, car son ingratitude apparente, où le bois amer marque, prépare les splendeurs d’un grand vin. Le Lynch Bages servit de tremplin à un magistral Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1986 superbe de construction subtile et épanouie. Un grand vin d’une année qui brille maintenant de tous ses feux. C’est sans doute au mois de juin que nous suivrons les conseils de retenue diététique de notre docte ami.

Déjeuner à l’Auberge des Saint-Pères à Aulnay sous Bois mercredi, 9 mars 2005

Le lendemain je retrouve un ami que je n’ai pas vu depuis longtemps qui me propose un plan qui ne se refuse pas : « j’apporte deux bouteilles de nos années de naissance, et tu m’invites à déjeuner ». Il est de pires propositions. Nous nous retrouvons à l’Auberge des Saint-Pères à Aulnay sous Bois qui porte vaillamment son étoile logiquement conquise. Nous commençons par un Givry Domaine Ragot 2002. Non, non, ce n’est pas celle là mon année de naissance. C’est gentil à l’apéritif et sur un délicieux foie gras. Simplement construit, linéaire, c’est un vin de soif.

Je bois à l’aveugle, sur un délicieux agneau du Limousin artistiquement traité un Mouton Rothschild 1951 que je fus incapable de reconnaître. J’en fus vexé car Mouton est un vin que je bois souvent. Très belle réussite de la petite année 1951, ce vin de belle couleur, de nez expressif  dégage de belles sensations. Nettement moins rond que le Corbin Michotte 1926 de la veille, il est plus sophistiqué et raconte beaucoup d’histoires. Un vin relativement peu puissant mais diablement intéressant. Je cite à ce propos une remarque de Monsieur Thierry Manoncourt, le brillant et vénérable propriétaire de Figeac qui dit qu’en 1951 aucun vin n’est bon. Mes expériences, comme celle d’un Cheval Blanc 1941 qui marque ma mémoire, montrent qu’il faut se méfier des a priori. Des laiderons pré-pubères seront parfois des femmes mûres particulièrement séduisantes.

Un verre d’un liquide jaune ambré, presque orangé, arrive sur la table. De loin je pense à un muscat tant le vin paraît dense. Mais je sais que c’est un sauternes que je trouve au troisième essai : La Tour blanche 1943. Magnifique. C’est la belle expression du Sauternes accompli et serein, sans le moindre défaut. Il est beaucoup plus doux et sucré que le Fargues tout en restant élégant. J’ai préféré le message énigmatique du Fargues, mais ce sauternes d’un grand classicisme est un modèle d’exécution. Le charme de ces vins est infini.

Déjeuner de famille jeudi, 17 février 2005

Déjeuner de famille. A l’apéritif, un Coteaux du Layon Village Domaine Lecomte 1990. Bu à ce moment précis, je ressens une émotion rare. Il y a du litchi, du fruit de la passion, de l’ananas, de la mangue dans ce nez délicat. En bouche, il a un équilibre qui préfigure la rondeur qu’il pourrait acquérir dans quarante ans, quand je le prédis splendide. Absolument ravissant. Sur un porcelet à la purée de pommes de terre et céleri, le Château Mouton Rothschild 1989 me ravit. A l’ouverture, très peu de temps avant le repas, le nez était celui d’un vin de l’année, vert et pétulant. En bouche, on a la fougue de la jeunesse d’un vin de 1998. Et tous les ingrédients de ce vin qui joue les jeunes premiers sont d’une délicatesse achevée. Ce n’est certainement pas le même vin que nous eussions goûté si je l’avais ouvert quatre heures auparavant. Là, dans l’éclosion de sa belle jeunesse, il est séduisant, étalant les qualités que l’on voit dans les photos de David Hamilton : tout y est délicatement et sensuellement suggéré. J’ai adoré. Le Coteaux du Layon Villages se marie ensuite à une tarte aux pommes clochard et sirop d’orgeat. Le miel du vin de Loire brille sur ce dessert. Comme dans des gymnopédies, on aura voyagé dans des accords simples et naturels de la plus aguichante façon.