Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Repas de Noël samedi, 25 décembre 2004

Noël se poursuit le lendemain avec Bollinger Grande Année rosé 1990. Belle couleur saumon, bulle active, et une délicatesse de ton appréciable. C’est un champagne qui accompagnerait bien un repas, ce qu’il fit avec un remake du caviar et Saint-Jacques. A l’apéritif, c’est un gentil compagnon, montrant selon la saveur qui lui est opposée des goûts de sucre ou d’iode. Champagne adaptatif de très grande séduction.

Nous allons abondamment user des restes de la veille qui ont, grâce à l’oxygène supplémentaire, encore accru leur talent. Le Corton Charlemagne Bouchard 1997 est de venu plus rond. Le Cheval Blanc 1981 a gagné en intensité et en chaleur humaine, et les dernières gouttes du Petit Faurie de Soutard 1947 sont porteuses d’une émotion rare : ce vin a une densité, une jeunesse épanouie d’une immense qualité. Comme on ne pouvait pas vivre que de « restes », la fondante noisette de chevreuil fut décorée par Pétrus 1994. D’une éclosion lente, comme l’ouverture d’un Opéra qui annonce les mélodies à venir, le Pétrus déploya ses antennes pour que l’on soit réceptif à son message. Et progressivement on entrevit ce qu’il avait à dire, le langage d’un Pomerol d’abord austère puis jouant sur les saveurs avec les claquettes d’un  Sammy Davis Junior. Pétrus, petit bijou de séduction progressive.

Nous rejouâmes le dessert avec les mêmes acteurs, Tarte Tatin et Sauternes 1929, et crème au chocolat et caramel avec la Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti. Comme le savent les bons entraîneurs de football, on ne change pas une équipe qui gagne (en ce moment, c’est plutôt d’entraîneurs que l’on change !).

Repas de Noël vendredi, 24 décembre 2004

Noël va cette année se fêter en deux fois, nos enfants devant se répartir sur deux jours entre famille et belle-famille. Le sapin revêtu de boules très anciennes, dont les bougies jettent des flammes de gaieté, abrite les cadeaux pour la troisième génération. Après tous ces déballages, il faut réparer une soif avec un champagne Dom Pérignon 1975. La couleur est magiquement dorée, d’un or antique. La bulle est active dans la coupe. Et le goût de ce champagne est profond, envoûtant, impressionnant. C’est un champagne d’une grande personnalité. Comme on a du temps, on va pouvoir le confronter à de nombreuses saveurs de canapés variés et constater qu’il révèle à chaque fois des aspects nouveaux. Nous l’essayons sur un très bon Jésus ce qui l’excite bien. C’est incontestablement un champagne de grande classe.

Sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar, le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 se positionne bien : nez expressif, belle amertume sur une suffisante puissance. Mais j’ai l’intuition du Jésus. Et avec cette délicieuse charcuterie, le Corton Charlemagne prend une longueur rare. Il fuse en bouche et devient brillant. N’était cet apport typiquement lyonnais, je le trouve objectivement un peu moins bon que quand je le déguste dans la cave de Bouchard.

Le foie gras en terrine accueille Cheval Blanc 1981. Ce vin est d’une jeunesse particulière. Niveau parfait, bouchon comme d’hier, couleur noire d’encre, et des sensations envoûtantes de complexité : il change d’aspect en bouche à chaque instant. Ce  n’est pas le Cheval Blanc rassurant habituel des années solides. Mais ce vin énigmatique à vastes facettes me conquiert.

Arrive alors sur une très pulpeuse volaille de Bresse une de ces surprises qui valorise tous les vins anciens : Château Petit Faurie de Soutard 1947. Très beau niveau aussi, bouchon de belle structure, nez d’ouverture rassurant, et présentation parfaite après six heures d’oxygénation. Ce qui frappe, c’est l’insolente sérénité de l’année 1947. Ce vin est simple, à l’aise, tranquille, sûr de lui. Il respire le bon vin. On sait que 1947 a fait des immenses Saint-Émilion, comme le légendaire Cheval Blanc (il y avait un petit clin d’œil de mettre un Cheval Blanc d’un coté et un Saint-Émilion 1947 de l’autre) et le magistral Clos Fourtet. Et là, ce Petit Faurie de Soutard affichait une élégance de Brumell. Très beau vin qui n’a évidemment pas la densité des plus grands vins, mais montre parfaitement la pertinence de 1947.

La crème au chocolat et caramel de mon épouse est un moment de séduction qui avait conquis Pierre Hermé, ce Satan de la pâtisserie, tant il achète facilement nos âmes avec ses saveurs diaboliques. J’eus une idée Dalinienne, transcendantale pour tout dire, de lui adjoindre une Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979. Un orgasme culinaire total. Absolument redoutable. La tarte Tatin quant à elle se maria avec une ravissante bouteille (voir photo ci-dessus) que j’avais prélevée au hasard en cave : la capsule est dorée comme un beau cuivre. Le bouchon est sain, le niveau est particulièrement plein, l’étiquette passe-partout est d’une beauté ancillaire : « Grand Vin d’Origine », suivi de « Sauternes ». Et en petit : « appellation contrôlée ». Seul un lourd blason emprisonnant un puissant lion rouge toutes griffes dehors veut faire oublier l’origine roturière. Le détail qui a de l’importance, c’est l’année : 1929. Et la couleur magiquement dorée de ce Sauternes 1929, mis en bouteille en négoce ou chez un caviste, m’avait incité à retenir ce vin pour Noël.

A l’ouverture des arômes d’agrumes. En bouche, agrumes, caramel, coing, pâtes confites. Un certain manque d’ampleur. Mais un témoignage  supplémentaire d’un thème d’évidence : ce qui vient de 1947 est bon, ce qui vient de 1929 est bon. De ce premier dîner de Noël j’ai préféré et de loin le Dom Pérignon 1975, suivi du Petit Faurie de Soutard 1947.

Déjeuner d’amis au restaurant Laurent jeudi, 16 décembre 2004

Déjeuner d’amis au restaurant Laurent. Qu’est-ce qui fait que je me sens si bien ? Une atmosphère, un site ? Forcément un charme. Un Chablis Grand cru « les Clos » Raveneau 1998, ça rafraîchit l’esprit. Petite touche acidulée quand le vin est frais. Puis les arômes se découvrent comme dans un ballet où les danseurs se présentent d’une inclinaison de courtoisie. Sur les grenouilles, le Chablis respire de bonheur. Et comme me fait remarquer mon hôte avide de bons mots, ce n’était pas un Chablis Grenouille. Belle consistance, peu de gras, mais expression de Chablis. Sur un pigeon que l’on déguste rosé un Hermitage Chave 1992 apparaît trop acide. Manque de temps pour s’exprimer et je repense au Margaux 1900 : me voilà qui écarte un Chave 1992 quand je reproche à Joël Robuchon d’avoir écarté un Margaux 1900. Bonne leçon d’humilité. Un Hermitage Chave 1998 montra une différence tellement nette qu’il n’y avait pas de question à se poser. Bel Hermitage tout en rondeur qui m’a fait penser qu’un 1961 aurait de cet équilibre, ce jeunet ayant déjà belle prestance. Bonne cuisine, propos échangés dans la bonne humeur, confort de chaude sympathie : une agréable respiration parisienne.

Repas de famille vendredi, 10 décembre 2004

Je me rends le lendemain de ce dîner chez ma fille cadette et mon épouse et moi sommes comme le petit chaperon rouge : notre panier est rempli de provisions. Je fais goûter un reste de Saint-Raphaël avec le comté de quatre ans, ce bijou de Bernard Antony. L’association est tout simplement prodigieuse. Le Saint-Raphaël s’est encore plus oxygéné, et comme le comté est parfait, sans cette trace insistante que l’on trouve dans quelques vieux comtés, on a un mariage gustatif élégant. Mon gendre ouvre, pour l’agneau au curry que nous avions apporté, un Vosne Romanée Domaine du Clos Frantin Albert Bichot 1999. Un vin ouvert à la dernière minute, et si jeune, est bien loin des saveurs de la veille. Mais dans son registre, c’est agréable, bien fait et discrètement distingué. Et ça fonctionne bien avec l’évocation du curry. Nous reprenons un peu de comté pour un Vouvray Albert Moreau que je situe avant 1929. Est-il des années dix ? Je n’en serais pas étonné. Inscrivons le circa 1920. Ce Vouvray a une couleur d’ambre tendant vers le thé. Le nez est extrêmement chaleureux, de thé, d’infusion, et de fruits compotés. En bouche, le vin va se livrer à une opération de mimétisme invraisemblable. Je serais heureux que des lecteurs me disent s’il existe une bibliographie de ces mimétismes de goûts. Le Vouvray montra une face de sa personnalité sur le Comté. Ayant près de moi une corbeille de fruit, je lorgnais sur une mandarine et ne pus résister. Et sur la mandarine, le Vouvray est devenu mandarine. De même que le bouchon de La Tâche 1957 de la veille (voir n° 125 à venir) était la terre de la cave de la Romanée Conti et n’était que cela, de même le Vouvray était devenu mandarine, et n’était plus que cela. Une fois le goût du fruit estompé en bouche, le Vouvray redevint multiple, avec des évocations de fruits dorés. Et le mimétisme reprit avec le Fargues 1989 rescapé de la veille, et à qui plusieurs heures d’oxygène supplémentaires firent un bien énorme. Sur les œufs au lait préparés par ma femme, le Fargues devint du même caramel que le jus, l’un ne pouvant se dissocier de l’autre. Fargues était caramel. Et seulement caramel. Et quand le plat s’éloigna, le Fargues reprit son opulente générosité de saveurs multiples.

Nous accueillons des invités à la maison. Lorsque j’avais participé à un jury de champagnes, j’avais été impressionné par la qualité d’une maison : Egly Ouriet. Nom inconnu, mais l’un des membres du jury me dit : « tu peux oublier Salon, la vérité est à Ambonnay ». Ouvert à toutes les expériences je repérai dans un catalogue de vente des Egly-Ouriet 1990. Il fallait en ouvrir un. Ce fut fait. Le champagne Egly-Ouriet grand cru 100% 1990 a une belle couleur légèrement fumée. La bulle est active mais de discrète densité. Le nez est profond, intense. Et en bouche, c’est un rayon de soleil qui éclaire le palais. Beau champagne qui coule de source, marquant la langue de belles saveurs complexes. Il raconte de jolies choses. On aura du mal à me faire oublier Salon, mais on pourra au moins me faire retenir ce nom difficilement prononçable : Egly Ouriet.

L’entrée consiste en une crème d’anchois et compote de betterave rouge. L’Arbois, chardonnay André et Mireille Tissot, « la Mailloche » 2000 a le cran de soutenir ces saveurs là. Il n’a pas l’empreinte des Jura forts mais une délicatesse rare. Il s’adapte sans jamais s’imposer.

On me raconte ici et là (le sais-je ?) qu’il existe des chefs qui ont trois étoiles dans un guide renommé. Mais combien de milliers de millions d’étoiles, de galaxies, d’amas galactiques faudrait-il pour couronner mon épouse et sa potée au chou ? Bien sûr, la potée n’est pas franchement incitative pour un vin et ma première idée était du coté de la bière. Mais je pris en cave un Saint-Nicolas de Bourgueil cave M. Allouin, « les vins de la mariée » 1979. A l’ouverture, on se dit que la nature ne peut pas être provoquée trop longtemps après les dates limites décentes, mais quelques heures d’oxygène lui donnèrent un semblant de restructuration. Et avec de l’imagination, on pouvait croire que les deux s’accordaient. Et en jouant le jeu, ça marchait. Mais c’est en fait l’Arbois qui fut suffisamment flexible pour s’adapter à la potée. Et il montra de bien belles évocations.

Le dessert consistait en un granité de mandarine et une tarte aux abricots. Malgré l’expérience de la veille, la froideur du granité empêcha le Vouvray de renouveler sa performance sur l’impression de mandarine. Il se vengea sur les abricots qu’il apprivoisa.

Le soir même je découvris un gentil champagne premier cru Fabrice Roualet non millésimé. Sur une belle tranche de foie gras, un Gewurztraminer vendanges tardives Edmond Rentz 1999 est fort acceptable. Belle présence subtile. Je repensai à Jean Frédéric Hugel qui déconseille vivement de commencer par le foie gras. Il n’a pas tort. Sur un plat au saumon fumé le Chablis Premier Cru Montée de Tonnerre François Raveneau 1974 a une jeunesse qu’on ne peut pas imaginer. Beau Chablis de charme. La viande rouge accueillit un Léoville Poyferré 1988 bien dense et sans histoire, quand la tarte au citron nécessitait un Besserat de Bellefon.

La France a cette chance immense, c’est qu’il existe toujours un plat pour aller sur un vin et toujours un vin pour aller sur un plat. Et quand on a l’esprit à s’enrichir de toute expérience nouvelle, chaque repas est un grand moment de bonheur.

Déjeuner d’amis mercredi, 8 décembre 2004

Déjeuner d’amis. Un Mumm 1982 est particulièrement brillant, un léger fumé accompagnant une intensité rare. C’est un champagne joyeux, beaucoup plus accompli que le beau 1985 prélevè sur la même cachette. Le Château Montrose 1986 est un bon Bordeaux. Un tannin bien équilibré, une structure très tramée. Il est assez ascète, et ne cherche pas à en faire trop. Son passage en bouche est assez court (tout est relatif), et l’on retient surtout la véracité de la construction et sa bonne éducation. Mais aussi une certaine absence d’émotion.

Dîner au restaurant Hiramatsu mardi, 16 novembre 2004

Le restaurant Hiramatsu a changé d’adresse. Il reprend le site de Faugeron où des authentiques passionnés ont écrit de belles pages de la gastronomie française. Je ne peux pas ne pas penser à eux, alors qu’ils se sont retirés. C’est en ce lieu qu’un ami m’a fait découvrir les vins de Henri Jayer, s’étonnant que j’ignore les prouesses de ce vigneron légendaire. J’ai rattrapé mon retard depuis. C’est pour cela que j’ai inséré la photo de quelques bouteilles bues de cette icône de la vinification que je n’ai pas l’honneur de connaître. La décoration du lieu est résolument virile, et ne doit pas détourner de l’intérêt pour la cuisine. Les tables sont bien espacées, ce qui donne un sentiment de luxe précieux. L’accueil de Hide est toujours aussi chaleureux, son français égrené à la mitraillette n’étant compréhensible que par une secte dont je fais partie. La brigade est toute neuve mais remarquablement motivée. J’ai eu l’honneur et le plaisir avec mes convives de saluer le chef qui nous a délivré un copieux menu de belle exécution. Cette cuisine correspond à un tendance que j’apprécie : les saveurs sont simples, voire simplifiées. Il n’y a aucune fioriture inutile, pas de chemin de traverse. On explore la sensation que doit donner l’élément principal du plat. Et pour le vin, c’est évidemment ce que je recherche.

Le parcours est imposant : un petit amuse bouche où est incluse de la chair de pigeon fondante comme un bonbon, une marinade de la mer fumée aux épices, mousse de fenouil et caviar Osciètre Royal, foie gras au chou frisé, jus de truffe, soufflé de homard breton, risotto de truffes blanches, noisette de chevreuil au genièvre, pommes acidulées et gnocchis de marron, vacherin Mont d’Or truffé, barbe à papa caramélisée sur gelée de poire william au champagne. C’est d’un classicisme de bon aloi, c’est le menu d’une installation nouvelle où l’on veut montrer courage et tradition. Si je devais donner un ordre à ces saveurs, je mettrais en un la barbe à papa, car ce sont des souvenirs qui reviennent quand on se colle les lèvres et les doigts, en deux le chou frisé, en trois la noisette de chevreuil et en quatre le risotto de truffe blanche.

Nous partagions ce dîner avec l’un des plus grands experts mondiaux en vin que j’avais rencontrée lors du dîner de Beaune (bulletin n° 121), Jancis Robinson. Elle est, comme son mari, journaliste et les deux ont sorti leur petit carnet de notes, consignant ce qu’ils mangeaient et buvaient mais aussi ce que je disais. Je suis tombé dans le piège, me mettant à raconter mes aventures, alors que j’aurais dû écouter, tant j’avais à apprendre. Stupide orgueil. Il faudra refaire ce dîner et je sortirai mon carnet.

Un Chablis Grand Cru Moutonne, monopole Long Dépaquit 1959 est une bouteille d’un superbe niveau, d’une couleur d’un jaune encore vert, le doré ne prenant pas le dessus, et d’un nez d’une noblesse rare. Opulent, marqué d’une acidité sensible qui s’estompa avec la nourriture, il m’a fait peur l’espace d’un instant, car j’ai craint qu’il ne s’évanouisse, mais pas du tout. La belle cuisine lui a fait développer une palette de saveurs où le beurre la crème et le miel le rendaient chatoyant. Les dernières gouttes de ce breuvage divin se finissant quand arrivait le homard, il n’était pas question de passer au rouge. Un Château Chalon Domaine Henri Maire 1986 que j’avais goûté récemment convenait parfaitement, accompagnant aussi le risotto et sa truffe de la plus adéquate façon. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 me fit peur, car son nez, non bouchonné, était trop déstructuré. En bouche notoirement incomplet, nous le fîmes remplacer par une Landonne du même moule, et la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1993 se montra nettement plus fruitée chaleureuse et généreuse, facile compagnon du chevreuil. Ce n’est sans doute pas la meilleure année pour ces légendaires Côtes Rôties, mais c’est très grand quand même. L’ambiance fut amicale, enjouée. Nous avons profité de cette cuisine avec plaisir. Une belle expression d’une agréable gastronomie.

divers repas où je suis invité mardi, 9 novembre 2004

Dans divers repas où je suis invité, je trouve des vins assez intéressants. Un Daumas Gassac blanc 2002 malgré une belle structure ne m’inspire pas le soir où je le bois (ce sera passager car Daumas est grand), alors que le lendemain, un Fixin blanc de Louis Jadot 1999 me ravit l’âme, par son ingénuité, sa fraîcheur, et sa belle approche de discrétion sympathique. Un Hermitage La Chapelle 1999 me séduit beaucoup plus que lors d’expériences précédentes et ne rejoint pas les critiques que j’en ai entendues. Il n’y a pas la puissance et l’enthousiasme d’un Hermitage de Chave, mais il y a une belle typicité et une belle franchise. Un Coteau du Layon « la Seigneurie » domaine Leduc-Frouin 1990 est assez doucereux. A l’aveugle je le voyais dans la lignée des Pacherenc du Vic Bihl ou des Jurançon, car c’est plus monolithique que la Loire. Agréable sur un foie gras. A l’aveugle, un Château Ausone 1971 me fait penser à quelques Cheval Blanc solides, fumés, caramélisés. L’attaque est assez discrète en bouche, puis la structure superbe s’installe pour un final brillant, très Porto ou pruneaux. C’est un très bel exemple de Ausone. Un  Monbazillac Château Pion 1973 me séduit extrêmement. Il n’y a pas l’ampleur d’un Sauternes, il y a un coté plus ascétique, mais toute la gamme des épices, des fruits exotiques, de mangue, est au moins aussi subtile que celle d’un Sauternes car l’alcool plus discret laisse ces saveurs orientales s’exprimer de brillante façon. Sorti de lots divers que j’ai achetés au fil de ventes aux enchères, un vin italien de la côte de l’Adriatique, il Falcone Reserva Castel del Monte 1975 est plus que surprenant tant il est agréable. Qu’un vin aussi ordinaire se révèle aussi bon, légèrement poussiéreux mais agréablement gouleyant, me ravit, car il justifie ces petits coups de chance que l’on provoque dans les salles des ventes (je l’ai payé moins d’un euro). De ces essais de hasard, je retiens le Fixin blanc fort joli et le Ausone 1971 de belle prestance.

Dîner au au Bistrot du sommelier lundi, 8 novembre 2004

Mon livre est « nominé » pour un prix offert par une fondation prestigieuse. J’ai de bonnes chances, mais il y a de redoutables compétiteurs. Le jury hésite longtemps, jusqu’au dernier moment, et dans un des plus beaux hôtels particuliers parisiens, le suspense doit être levé. Philippe Faure Brac, meilleur sommelier du monde 1992 obtient le prix. Il apparaît alors assez évident qu’on doit fêter cela au Bistrot du sommelier. Un Dom Ruinart rosé 1990 est une splendeur qui convient pour saluer ce prix. Des arômes incroyablement flexibles, qui s’adaptent aux saveurs qui lui sont proposées. Un magnifique champagne de célébration, avec des variations extrêmement éclectiques. Un Chateauneuf du Pape Delas Frères 1955 a un nez de belle présentation. En bouche, l’alcool domine, mais il y a de belles subtilités, au-delà d’une fatigue perceptible. Sur une joue de bœuf, c’est un vrai bonheur. Je fais ouvrir un vin jaune de André et Mireille Tissot 1979, magnifique expression de ce Jura si envoûtant. Une fine champagne de cognac du château Jousson 1900, même si un peu éventée, donne des plaisirs d’une expressivité rare. Elle permet de confirmer à Philippe Faure Brac toute l’estime que l’on porte à sa démarche de mise en valeur didactique du patrimoine intelligent de la planète vins.

Déjeuner au restaurant Tan Dinh dimanche, 7 novembre 2004

Déjeuner au restaurant Tan Dinh avec des amis américains du forum où j’écris. La carte des vins est à elle seule une récompense. Mais la cuisine vaut l’intérêt car les plats sont traités avec subtilité : ravioli à l’oie fumée, rouleaux froid au bœuf et kumquats, triangles de homard pilé et noix de ginkgo, rouget à la citronnelle, filet de bœuf Tan Dinh, poulet à la cardamome, Thap cam de légumes, riz sauté, beignets de mangues. Mes amis étant surtout fanatiques de Bordeaux, je choisis un Meursault « les Rougeots » Coche-Dury 1997. Un nez de pierre et d’agrumes. En bouche, la délicate combinaison de l’agrume, de la trame végétale et un début de gras, d’oint, de baumes religieux. Pénétrant, mais pas trop, le vin n’est pas opulent, il est profond. Boire un Coche-Dury est toujours un privilège et une rareté. Le vin suivant, un Corton Grand Cru Bonneau du Martray 1999 qui titre 13,5° affirme un nez puissant, sur une couleur d’une densité rare. En bouche, on a tout ce qu’apportent les vins faits avec les techniques modernes mais avec une justesse extrême. Là où d’autres pays s’enlisent dans la rudesse et la rustrerie, ce Corton brille par une exactitude de ton, et une élégance magnifiques. Il montre que vingt ans de plus le rendront éblouissant, car malgré son soyeux et son velouté, c’est quand même un vraiment jeune bambin. Une promesse de sensualité extrême.

Ritz et Crillon lundi, 18 octobre 2004

Dans un salon du Ritz, remise de décoration rouge sang à un écrivain du vin et grand oenophile. Les chefs aux têtes les plus étoilées par un guide de la même couleur, voire chapeautées de noir, se retrouvaient avec plaisir pour l’honorer. Discours académique et documenté d’un Ministre, réponse émouvante d’un homme de la plus belle sincérité, dont chaque mot exsude la vibrante émotion du talent, de la poésie et du cœur. On toaste sur un Château Clarke 1999 astringent comme l’année mais vibrant ce soir d’être si gentiment, lui aussi, mis à l’honneur. Délicieux canapés de Michel Roth et parterre de personnalités dont les faits d’armes ou exploits rempliraient des encyclopédies.

Je retrouve cet ami le lendemain midi au restaurant de l’hôtel Crillon. Je commande à David Biraud un Dom Pérignon 1996, réussite incontestable de cette grande appellation, pour honorer le nouveau chevalier. Son ruban appelle un signal de fête. A l’ouverture, le nez est délicieusement floral, mais l’attaque est acide. Ce sont les délicates variations de Jean François Piège qui vont révéler tout le potentiel de ce champagne marmoréen comme les stucs de cette belle salle. Chaque nouvelle saveur des entrées inventives va dévoiler un degré de magnitude du champagne. Je reste en bouche sur les pétales de roses, les lilas printaniers, tant les subtilités frêles effleurent de sensualité contenue. Sur une mousse pétillante où le foie gras côtoie l’écrevisse, le Dom Pérignon est d’une justesse extrême. Sur des langoustines en papillotes au caviar osciètre, le Dom Pérignon explose de bonheur. On lui envoie un signal chic, il répond en étant chic. Mais c’est la crème plus que le caviar qui magnifie le champagne. Le bar de ligne aux cèpes en persillade et noix fraîches (ah ces cèpes !) est un compagnon idéal du Nuits Saint Georges Premier Cru les Bousselots de Jean Chauvenet 1993. Mon ami me fait goûter son canard, mais c’est sur le bar que le Nuits Saint Georges est éblouissant. Couleur de rubis charnu, nez délicieusement plein, et en bouche la rondeur opulente d’une odalisque d’Ingres. La longueur est un peu absente, mais qui s’en plaindrait quand on a tant de charme dans le verre. Le chef a incontestablement atteint la stature d’un « trois-étoilé ». Le nouveau guide, puisque les têtes et l’esprit changent, ne peut pas ne pas le consacrer. La maison est joyeuse, David Biraud est un être exquis. La capitale est heureuse de gastronomie.