Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Préparation d’un dîner au George V jeudi, 12 juin 2003

J’envisageais de faire un dîner différent de ceux développés par wine-dinners, pour un plus grand nombre de personnes que je voulais honorer. Le George V ayant une belle capacité d’accueil, avec un service irréprochable, Philippe Legendre ayant réussi tous les dîners que nous avons élaborés ensemble avec Eric Beaumard, le choix se porta naturellement sur ce bel endroit.

Quand nous avons réfléchi à l’événement que nous créerions, Philippe me dit : je pourrais vous préparer de ces volatiles que l’on mange avec les doigts en croquant les os, mais ne soyez pas plus de soixante. Ce chiffre me convenait bien, et conduisait immédiatement à l’idée générale du dîner : n’ouvrir que des impériales et uniquement de premiers grands crus classés. L’idée avait pris consistance. Philippe Legendre et Eric Beaumard pouvaient élaborer un repas de rêve. Bien sûr, comme avec Alain Senderens j’ai changé les vins une ou deux fois, ce qui est normalement assez surprenant, car il est difficile de se tromper sur des impériales, mais j’ai quand même réussi à le faire.

Je livre les vins quelques jours avant, avec d’infinies précautions tant les flacons sont rares, et j’ajoute quatre doubles magnums de Château Meyney 1967, pour le cas où il y aurait un problème sur un flacon, ou une soif mal estimée. Pour que l’événement soit une réussite, je prévois d’affecter l’après-midi aux derniers préparatifs, et je réserve une table au Cinq pour le midi du fameux dîner. Eric Beaumard est un être exquis, mais tant sollicité et aimant tant faire plaisir à tous qu’on traite un sujet avec lui en s’y reprenant à plusieurs fois. Il est tellement enthousiaste qu’on se laisse gagner par ses élans, ce qui passe très bien. J’avais prévu que l’on ouvre les impériales la veille en cave, mais, faute d’instruction, les sommeliers ont ouvert trois des quatre doubles magnums de Meyney prévus seulement par sécurité. Je ne l’ai appris que le soir même. On en verra les conséquences, forçats que nous fumes, devant finir les fonds d’impériales.

 

 

Déjeuner chez Lavinia mercredi, 11 juin 2003

Déjeuner chez Lavinia, ce grand magasin du vin où l’on trouve de tout et où j’ai l’impression d’être riche, tant les prix explosent par rapport à mes prix d’achat. Belle surprise, la cuisine existe. C’est plus qu’honnête et mérite un encouragement.

Je suis invité, et l’on commence par un vin du stock du lieu : Puligny Montrachet les Folatières 1998 Domaine d’Auvenay mise en bouteille par Lalou Bize-Leroy. Disons le tout de suite, ce Puligny est un des plus grands que j’aie jamais goûté. On est au niveau d’un Bâtard, excusez du peu. C’est beau comme un Chevalier Montrachet. Ce vin me fait penser à un concours de tee-shirts mouillés (j’imagine, bien sûr). On sent que tout ce qu’il y a sous cette robe dorée ne demande qu’à exploser. J’aime particulièrement ce fumé métallique qui vient balancer la générosité spontanée et permet ainsi un goût énigmatique du plus beau raffinement. Le vin apporté par mon hôte est un Grands Echézeaux Grand Cru Remoissenet Père & Fils 1949. Je me retrouve sur mes terres d’élection. Le nez est discret au premier contact mais va s’affirmant. En bouche, cette spontanéité rassurante et complice, la quiétude qu’offre une pâte de fruit, et puis des longueurs qui se dessinent progressivement. Du beau travail de bourguignon. Le dessert au chocolat accueille un Nostalgia d’Arenberg rare Tawny Mc Laren Vale. Des saveurs complexes mêlant le Porto, le Muscat, la Malvoisie, et on lit sur l’étiquette que ce vin australien est un travail de potard : il y a de tout. Même si c’est facile à faire si on n’a aucune contrainte de cépage ou de mélange, il faut reconnaître que ça existe. Et c’est bon, sorte de Muscat trempé dans du thé. Belle brochette de vins fort intéressants, et l’agréable découverte d’un restaurant sensible, ce qui est bien. Peu de temps après je partais vers la région de Bordeaux écrasée de chaleur. Tout dans la gare Montparnasse évoque la laideur extrême. Cette architecture contribue à l’abaissement de l’âme là où les cathédrales montrent une foi en l’être humain embelli par sa piété.

 

 

Dîner à la maison mardi, 10 juin 2003

Un Vosne Romanée Méo Camuzet 1996 choisi en cave pour montrer à des visiteurs de passage que des vins d’un certain niveau ont des choses à raconter. Il s’ouvre lentement, montrant beau fruit et légère amertume. Belle structure de vin qui aurait aimé un plat car trop brutal en pré apéritif.

L’apéritif véritable se prend dans mon restaurant secret, dont je vais bien finir par révéler le nom. Krug Grande Cuvée est la définition du champagne de race, bien vineux et expressif.

Le Corton Charlemagne Grand Cru Bonneau du Martray 1993 qui le suit a un délicieux nez parfumé, et une forte densité en bouche. Vin de présence et de belle rondeur. Un grand blanc de plaisir juteux. Je vais faire un compliment sur le Beaucastel 1990 : c’est un vin qui a un tel potentiel de bonheur qu’il ne faudrait jamais le commander en début de repas. C’est un vin à faire ouvrir quatre heures avant pour que l’oxygénation permette de révéler ses immenses qualités. Massif, imposant, imprégnant, il s’installe délicieusement en bouche. Un grand vin comme nous l’avons bu, mais qui aurait été si grand avec quelques heures de respiration de plus.

A déjeuner, nouvel essai de Lynch Bages 1989 décidément bien séduisant, travail très subtil, un grand vin qui peut séduire un palais exigeant, et qui trouve aujourd’hui une jolie maturité.

 

 

Dîner au restaurant la Pibale à Saint-Maurice et autres mercredi, 4 juin 2003

Dîner au restaurant la Pibale à Saint-Maurice, dans un environnement urbain moderne, propre, et qui donne envie de flâner, quand le soir est accueillant en ce printemps qui ressemble à l’été. La terrasse est sur le trottoir et comme il y a quarante ans peut-être, les voitures se montrent avant de se garer, extériorisation impossible aujourd’hui à Paris, alors que lorsque j’étais jeune, on aimait montrer son Austin Healey, sa MG ou sa Triumph au vroum vroum très « nouvelle vague ».

Le lieu est tenu par un homme enjoué, Jean-Charles Diehl qui traite les produits basques de bien élégante façon. C’est un restaurant modeste, sans le moindre chichi, qui ne manque pas d’intérêt. Son foie gras a une âme. Goûté avec un vin espagnol blanc Cuvée Esméralda de chez Torrès, on a les papilles qui s’amusent, car ce vin blanc ordinaire mais fruité et qui passe bien dans le gosier ondoie avec ce foie goûteux. Le canard qui suit mérite le respect, car l’ « hombre » qui torée avec les épices a su gérer les cuissons et l’apparition des épices en un feu d’artifice réglé comme du Ruggieri. C’est si élégant qu’un simple Gaillac Château Lastours 1999 se pousse du col pour paraître même élégant. Voilà un restaurant qui mérite d’être encouragé, tant on sent l’effort de bien utiliser le talent naturel d’un chef au savoir certain. Il lui faudrait peut-être une carte des vins pour exciter encore plus l’intérêt.

A l’occasion d’un dîner impromptu j’ouvre Mouton-Rothschild 1989. Un nez extrêmement intéressant dévoilant la riche structure de ce chef d’œuvre. En bouche une agréable incertitude : est-il jeune, est-il mûr ? Il a un peu des deux, et une longueur brillante. Moins émouvant que le 1990, mais un grand vin qui va s’enrichir avec le temps. On vérifie ensuite que le Tokaji Escenzia Aszu 1988 est délicieusement expressif de raisins secs caramélisés, brillant sur des mangues poêlées au poivre, et que Laberdolive 1946 est un Bas Armagnac de grande classe.

Paris est un petit village où il y a toujours quelqu’un pour vous proposer de partager un Branaire 1947.

 

 

Dîner impromptu chez Laurent dimanche, 1 juin 2003

Je quitte le lieu et célibataire d’un soir, je m’apprête à dîner chez Laurent. Au moment où j’arrive deux hommes descendent d’une voiture neuve dont je viens d’acheter un modèle. J’échange deux phrases car j’avais un prétexte et l’un d’eux me dit : « vous n’allez quand même pas dîner seul ! ». Je réponds: « chiche ». Comme avec mon taxi New-yorkais (voir bulletin n° 72) il semble que j’ai l’allure de quelqu’un que l’on veut prendre en charge. Me voilà parti pour les suivre.

On ne me laisse pas choisir les vins et tant mieux, car on joue très fort sur un Chevalier Montrachet 1997 Michel Niellon qui accompagne un crabe délicieusement crémeux. Le nez du vin est absolument remarquable. Une distinction rare, avec cette rondeur, cette acidité, cette invasion enivrante d’une puissance extrême. Ce qui fait qu’au premier contact, le goût déçoit un peu, tant le nez était grand. Mais le crabe le réveille, et c’est un grand vin qui chatouille les papilles agréablement. Une petite amertume raccourcit le vin, mais l’impression reste grande. Le Château Branaire 1947 qui suit a un bouchon magnifique, signe d’un stockage irréprochable. Du fait de l’ouverture tardive, il y a une acidité qui ne demande qu’un peu de temps pour disparaître. Le nez est un peu austère, mais, par une de ces magies culinaires rares, lorsque l’assiette du flanchet de veau est posée, veau cuit pendant 12 heures, le nez du vin devient un miracle : l’odeur de l’assiette et l’odeur du vin se confondent, comme si chacun était fait de l’autre. Instant magique où l’on pense aux Correspondances de Charles Baudelaire, quand comme ici « les parfums les couleurs et les sons se répondent ». Le vin qui n’a pas encore eu le temps de respirer porte encore les traces de son acidité. Mais en fin de bouteille, quand on mâche la lie, on a la pureté de ce grand 1947. Le dessert se tient sur un Cazes Rivesaltes 1986 dont j’ai influencé le choix. Etranges saveurs de bois exotiques d’un vin prêt à accueillir les accords les plus brutaux sur les desserts, dans mon cas une rhubarbe fort verte.

Il est ainsi montré que des hommes sérieux et responsables peuvent se conduire en gamins, car ce fut gaminerie que de me proposer ce dîner, folie que de m’inviter, et enfantillage de ma part que d’accepter. Sans cet esprit ludique commun je n’aurais pas rencontré de charmantes personnes et partagé ce Branaire 1947. En sortant de table, je salue un grand chef, un grand sommelier et des personnalités du vin qui tenaient conclave après l’inauguration qu’ils venaient de faire du site de Lenôtre. Heureusement ils n’avaient pas lu ma critique sur la prestation de la veille.

 

 

Dîner au restaurant Pic à Valence mardi, 27 mai 2003

Halte non programmée chez Anne-Sophie Pic. Je dis Anne-Sophie, car même si la maison porte le nom de la famille, sans mettre en avant une génération particulière, je trouve un accomplissement qui mériterait de personnaliser le nom. C’est évidemment un compliment.

Je retrouve Anne Sophie que j’avais croisée récemment quand je déjeunais chez Hélène Darroze – elles étaient trois à représenter la cuisine féminine pour Paris-Match – et je lui demande de confectionner le menu pour moi. Je retrouve aussi Denis Bertrand avec plaisir : c’est le Hagège du vin de Rhône. Hagège est ce philologue qui parle près de 200 langues. Denis Bertrand parle tous les dialectes des grappes du Rhône. Tout dans cette maison respire l’accueil. On se sent bien. La cuisine a une maturité qui met Anne-Sophie dans le clan des grands. Dans peu d’années, attendons nous à quelques miracles. Essai d’un Côtes du Rhone Villages Domaine Chaume Arnaud 2002 de Vinsobres (quel nom de village !) qui sent le pétale de rose, et joue de gaieté avec le concombre, discret compagnon d’un crabe. Bel accord, et belle trouvaille d’un sommelier expert. Le thon est une petite merveille, qu’un sorbet à la roquette agresse de façon étonnante. Le turbot nage avec un Ermitage « de l’orée » Chapoutier 1991 qui a des arômes fumés, des esquisses de Xérès. C’est avec le lard, si bien traité puisqu’il ne brutalise pas le turbot que l’Ermitage trouve sa plus belle longueur. Une mangue délicate confirme s’il en était besoin le talent héréditaire de ce grand chef. Tout parisien qui descend dans le Sud et ne s’arrête pas chez Pic perd une année de paradis.

 

 

Dîner d’amis au restaurant Dauphin dimanche, 25 mai 2003

Un ami a l’habitude de faire des dîners mensuels de dégustation de vins. L’esprit est généralement pédagogique. On parcourt une région et ce brillant orateur replace chaque région dans son environnement, dans l’usage des cépages, et chacun comprend mieux les choix historiques qui ont été faits. Le budget faible qui est requis impose de rester sur le seuil des vins de la région, sans entrer dans la nef inaccessible de ses plus belles réalisations.

Je participe de temps en temps car les convives sont charmants et l’hôte particulièrement compétent. Sortant pour une fois de ses sentiers, il m’annonce une dégustation où il y aurait de grands Bourgognes de 1947, 1945, 1937 et 1934. Il me demande de venir aider à présenter ces vins. Immédiatement je prends peur, car cet exercice peut être contre productif, si on présente des vins à une trop vaste assemblée sans les avoir bien préparés. Au lieu de faire adhérer les convives à la vertu des vins anciens, on risque de les rebuter. Mon ami me demanda de contribuer à l’apport de vieux vins blancs, ce que je fis.

Lorsque j’arrivai au restaurant, anxieux de cette dangereuse expérience, je faillis trépasser. Les bouteilles de rouge étaient de niveaux plus que vidange, et le débouchage tenait de la boucherie : des bouchons flottaient en surface, des lambeaux collaient aux parois. On avait l’impression d’un champ de bataille où des guerriers blessés sans béquilles titubaient sur leurs moignons. Vision d’horreur. Des serveurs impubères avaient massacré les bouchons de mes blancs. Cela promettait de rendre difficile l’exercice consistant à convaincre que les vins anciens sont bons. Fort heureusement le généreux donateur de ces 26 antiquités a eu la gentillesse de préciser qu’ayant hérité d’une cave, ces bouteilles étaient celles qui avaient été refusées par l’expert chargé de les vendre. Le fait de les partager promettait une expérience sympathique. La clarification du contexte aidait beaucoup. Mon ami m’avait demandé de classer les bouteilles en ordre de valeur. Je l’ai fait tout en sachant que le classement à une heure donnée ne serait pas le même au moment du service. Mais ce n’était pas grave.

On commença par Bollinger Grande Année 1995, bon champagne que je trouvai particulièrement vert, contrairement au jugement de mon ami. Des Côtes du Jura 1964 et 1966 en surprirent plus d’un. Quels vins agréables et comme j’aime la brutalité de ces cépages. Le 1964 était délicieux et très alcoolique comparativement au 1966 plus léger. Une crème à l’asperge qui était prévue pour les Bourgognes blancs faisait chanter le Côtes du Jura 1964. Les Chassagne-Montrachet 1983 Gabriel Jouard que j’avais apportés étaient tous trois très différents, au nez assez discret, certains avec une belle rondeur, mais tous d’une longueur extrême. Commentaires très disparates de ces amateurs attentifs sur les vertus de ces Chassagne de 20 ans. Il est intéressant de constater que le silence se fit quand on servit mon Meursault Debaix 1963. Deux bouteilles splendides d’égale qualité. Une intensité, une typicité de Meursault, un envahissement de la bouche par des saveurs si multiples. Chacun commençait à comprendre qu’il existe dans les vins anciens des saveurs qu’on ne peut pas trouver dans les vins actuels. J’ai fait partager à quelques voisins l’envie d’essayer le Meursault sur un lapin prévu pour les rouges. Le Meursault devenait gigantesque.

Arrive alors la dégustation des 26 bouteilles si fatiguées. Il est à noter que pratiquement toutes les odeurs désagréables avaient disparu, alors que plus de la moitié étaient encore terreuses ou putrides quand je suis arrivé. De grandes inégalités dans les vins. Un bon tiers était complètement imbuvable, un autre tiers rappelait qu’il y avait eu du vin un jour dans la bouteille, et dans le meilleur tiers des vins buvables et de véritables splendeurs. Il y a au moins cinq vins que j’ai trouvés envoûtants de plaisir, dont deux, ceux que j’avais prédits avant même de voir les bouteilles, à un niveau de réelle perfection : deux Richebourg 1934 Charles Noëllat blessés mais indestructibles qui ont confirmé la solidité extrême du Richebourg d’un bon producteur. Les autres vins, généralement de Charles Noëllat étaient des Vosne Romanée 1947, des Clos de Vougeot, des Nuits Saint-Georges 1945 ou 1947. Parfois quelques belles convalescences des 1947, un Richebourg 1937, bien que plus faible que les 1934 était encore vivant. J’avais suffisamment prévenu l’assemblée pour que l’essai soit vécu positivement, alors qu’en d’autres circonstances, une telle profusion de bouteilles mortes eut entraîné un compréhensible rejet. Tout le monde a bien compris l’origine de ces bouteilles, et a donc accepté de ne retenir que le positif. Et il y en eut.

Nous avons fini sur des Vosne Romanée 1997 d’un producteur que je n’ai pas noté, sans véritable intérêt.

Que retenir de cet essai ? D’abord que c’était jouer avec le feu. On aurait pu entraîner un refus là où l’on voulait séduire. Ensuite que l’idée de l’ami donateur était bien sympathique, de faire partager ces flacons. On en conclut que sur ce lot qui ne trouverait pas preneur, il restait si on avait comme ce soir l’envie de chercher quelques bouteilles donnant de grands frissons et de grandes émotions, et suggérant comme il convient que certains vins anciens peuvent être immenses, et surtout, et c’est là la leçon, inapprochables par aucun goût moderne. J’ai préféré ce soir les Meursault impeccables qui offraient les meilleures sensations de la soirée, même si des indestructibles Richebourg1934 brillaient de mille feux. Et petite mention pour ces Côtes du Jura si énigmatiques mais plaisants quand on les a adoptés.

L’amitié a fait le reste, chacun gardant le positif, et passant les bouteilles mortes par profits et pertes, puisque cela n’avait pas d’importance. Voilà ce groupe de jeunes amateurs qui entre dans mon domaine d’affection. Tant mieux, même si j’ai eu très peur.

 

 

REPAS DIVERS mercredi, 21 mai 2003

Des repas au hasard m’ont mis en contact avec un Saumur Champigny Clos Forgeard 1996 qui n’avait pas grand chose à raconter, alors qu’un modeste Lussac Saint-Emilion 2000 m’a fort agréablement chatouillé par la révélation de belles aptitudes futures.

Déjeuner d’amis qui démarre par un Mumm Cordon Rouge 1985. Comme pour le champagne Moët évoqué ci-dessus, l’âge apporte vraiment beaucoup à ces champagnes qui gagnent en intensité, et se burinent comme le visage des anciens bergers des Andes. Dans le cas du Mumm un équilibre qui fait penser que le vin a atteint une plénitude idéale. Sur une modeste cuisine, deux bouteilles de Beychevelle 1986, très proches de goût. Ce vin est accompli, et lui aussi n’a pas d’âge tant il apparaît qu’il a trouvé sa structure à long terme, comme on dirait dans un conseil d’administration. Elégant, bien équilibré dans un fruit mûr et un bois raisonnablement discret, il m’a fort agréablement surpris.

 

 

dîner à l’Astrance mardi, 20 mai 2003

Nouveau dîner à l’Astrance. Même accueil joyeux, même envie de bien faire. Il faut souhaiter que ce restaurant garde cette spontanéité et cette fraîcheur si apaisantes.

On prend de nouveau le menu surprise. Des cuissons d’une précision extrême qui mettent en valeur la qualité des produits. On en viendrait presque à préférer rester dans l’ascétisme du produit pur, si bien mis en valeur, et négliger les petites touches personnelles, essais sautillants qui se comprendraient mieux si l’on dînait à l’eau, car là on pourrait tout faire. Belle maîtrise, beau talent et surtout le parti pris de la discrète évocation qui honore la palais. Se sentir honoré, voire respecté ajoute au plaisir.

Le service de sommellerie mérite encore une fois une remarque. J’insiste car au delà de mon goût, je sens que c’est un problème général. Je n’aime pas que l’on ouvre la bouteille loin de moi. Et j’aime encore moins que le sommelier se serve un verre et le goûte loin de la table. Je suis assez opposé à cette mode du sommelier buveur. Il fut une époque où le sommelier ne buvait que s’il y avait un problème. S’il le fait maintenant, ce qui se discute, qu’il le fasse devant celui qui a commandé. En l’occurrence, cette procédure n’aura servi à rien puisque je me suis retrouvé devant une bouteille bouchonnée. Quelle gêne quand on doit le dire après le supposé verdict du lointain goûteur. Il me semble que la recherche de la perfection que l’on sent tellement dans l’assiette de tous les chefs doit s’appliquer aussi au cérémonial essentiel de la prise de contact avec un vin qui fera souvent la moitié du plaisir du repas. Ce petit sujet sur lequel j’insiste n’entame en rien le plaisir extrême de ce restaurant.

Nous avons bu : Château Rayas 1999 que j’ai choisi pour avoir une approche rugueuse, abrupte. Vin de grand talent, plus dans des tonalités bourguignonnes qu’avignonnaises. Belle amertume associée à une puissance alcoolique et au fruit presque crémeux. Le Château de la Nerthe 1990 Cuvée les Cadettes qui suivait se voyait propulsé par le Rayas. Car sa maturité s’installait majestueusement. On est à un niveau de perfection rare. On s’approche des Mouline, des plus grands Beaucastel. Une bouteille d’une qualité exceptionnelle à l’équilibre et la rondeurs parfaits. Le Cos d’Estournel 1988 avait un léger goût de bouchon, qui, fort curieusement, ne voulait pas partir. En bouche il se faisait discret parfois. On sentait la trame brillante, mais blessée. Un Gruaud Larose 1988 le remplaça. Beau Bordeaux au carnet de notes de bon élève, il a une orthodoxie charmante mais un évident manque de brio. On le boit avec plaisir, mais rien ne pouvait effacer l’empreinte d’un sublime la Nerthe. Décidemment le Rhône a du talent. Le meilleur traitement du produit est celui du saumon. Le plat le plus adapté au vin par son équilibre total est le pigeon. La belle surprise est la cuisse de grenouille, et la plus belle émotion, encore une fois, et ce sera un must, c’est le champignon de Paris au foie gras, si simple et si délicat.

 

 

Un dîner de famille dimanche, 18 mai 2003

Un dîner de famille. Il faut préparer les vins dans l’après-midi.

Comme il fait un peu soif, j’ouvre pour mon fils une demie bouteille de Château Lafite Rothschild 1969. Comment se fait-il que toutes les fois que je l’ai essayé, ce vin est constamment bon ? Il exprime toute la grâce de Lafite, sa densité, et ne se voit limité ni par l’âge, ni par la valeur de l’année. Avec des petites tartines de foie gras, on se plait à préparer les bouteilles du soir.

Le dîner commence sur Moët &ChandonBrut Impériale NM (non millésimé). Il a nettement plus de vingt ans, et cela lui va si bien : un fumé, une densité, une trace qui l’améliorent sensiblement. Un Chambolle Musigny les Amoureuses, P. Misserey et Frère 1981 se présente fort agréablement : typé, il a encore l’amertume de la jeunesse, cette caractéristique de râpeux si plaisante que l’on voit généralement sur des vins plus jeunes. Ici, la rondeur s’ajoutant au fruit donnaient une bien agréable titillation. Le menu prévoyant du melon et jambon, ce qui est le calvaire du vin, je décidai d’ouvrir un Banyuls soleira hors d’âge Parcé domaine du mas blanc NM, le même que celui que j’avais goûté chez Lucas Carton. Peut-être un peu plus vieux. A noter qu’il se mariait beaucoup mieux avec le melon qu’avec le jambon, ce qui est assez paradoxal. Le clou du dîner, c’était un magnum de Smith Haut Lafitte 1937 que j’aurais aimé boire avec la famille Cathiard qui a donné tant d’efforts pour ce grand vin, mais il fallait l’ouvrir, car le niveau venait de baisser. Sur l’étiquette il y a la mention « Martillac » et « appellation contrôlée ». A l’ouverture à 17 heures, un très beau nez. Au service, un nez charmant. Mais malgré de belles qualités, je fus un peu gêné par l’acidité. Bel accord sur un filet de bœuf en croûte. Sur les desserts chocolatés le Banyuls était à son aise, mais le Chambolle Musigny brillait au moins autant. Le lendemain, le Banyuls se mariait très bien, malgré sa force, avec un foie gras, ce que je n’aurais sans doute pas imaginé.