Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner au Carré des Feuillants mardi, 29 avril 2003

Dîner au Carré des Feuillants, juste au moment où un article de presse élogieux lui prédit de belles promotions. L’avenue est prestigieuse, les arcades cossues, le voiturier gentiment dilettante.

La cour intérieure est énigmatique, l’entrée est comme un paravent. Dans le restaurant, j’adore la petite courette où jadis une profusion de champagnes faisaient de la balnéothérapie sous les yeux d’une Vénus bleue – à bras celle-là – fort complaisante. On s’assied dans un cadre agréable à la décoration qui ne laisse pas indifférent. Il se trouve que j’aime. Les espaces sont confortables. Le personnel est souriant motivé et attentionné, le sommelier est judicieux. Toutes les conditions sont remplies pour un repas de fête. On sent que ce lieu bouillonne de recherche. Difficile d’aller vers une cuisine sophistiquée au graphisme zen et de garder l’authenticité du terroir de la cuisine régionale qui lui va si bien. On devine la démarche et l’on se dit que la troisième étoile doit couronnerun jour sa passion et sa joie de créer. Il y a eu des plats brillants, et d’autres à travailler. Laissons du temps au temps. Nous sommes nombreux à aimer le talent d’AlainDutournier, laissons le toréer sans nécessairement exiger tout de suite l’instant de vérité qui lui vaudrait les trois oreilles. La carte des vins est une des plus intelligentes de Paris, et on peut y chiner en étant sûr de faire une bonne pioche.

Début sur un champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1986. Je l’ai choisi car c’est la passion d’un ami américain. Ce champagne a un vineux discret à l’affirmation atténuée. Assez belle onctuosité. Ce qui me gène sans doute le plus, c’est que c’est un bon élève qui rafle les bonnes notes, bien sûr, mais il n’a pas assez de coté canaille. Je constate qu’il se boit bien, glisse aimablement dans le gosier, et s’éclate divinement sur une délicieuse lamelle de coquille Saint-Jacques. Accord qui lui fait du bien.

Le vin choisi est Château Lafleur, Pomerol 1993. Ce vin a une puissance étonnante pour l’année – c’est d’ailleurs pour cela que je l’avais choisi avec le sommelier – et il a une jeunesse inattendue. Je n’ai pas bu de vins de 1999 rouges en situation de repas, mais j’imagine bien que ce Lafleur est aussi jeune qu’un 1999, alors qu’il a près de dix ans. Le fruit est surpuissant, et c’est presque du jus. Malgré une année qui généralement ne vieillira pas, on sent que ce jeunet s’épanouira dans plus de 20 ans. Il ne fait pas de doute que j’aurais adoré ce vin de belle race si je n’avais pas encore les marques laissées par le vin de la veille : Mouton 1990. Qu’il est difficile pour un vin, même doué comme celui là, de se présenter après un éblouissant Mouton.Ce Lafleur a toutefois très honorablement accompagné un repas agréable dans cette maison que j’aime pour le talent généreux de son chef.

Je ne sais pas si je serais capable d’être un graphologue des chefs en lisant l’écriture de leurs plats. Il faut dire que j’aime retrouver ce que je perçois de leurs personnalités dans leur façon de traiter la cuisine. Ce soir là, il y avait un beau texte à lire, tant les pistes explorées montrent le foisonnement de l’esprit de recherche.

 

 

REPAS A DOMICILE lundi, 28 avril 2003

A domicile, repas de fête. En début de repas, Haut-Brion 1998 blanc. Extrême sensibilité à la température, il se présente froid, puis, quand il atteint son spectre d’excellence, quel vin ! Tout en lui est énigmatique. Des saveurs variées, complexes, insaisissables.

Il sert d’abord d’excellent apéritif, et on sait que la suite est un plat d’asperges. Le Haut-Brion se marie parfaitement avec la queue des premières asperges (surtout sans sauce), c’est à dire la partie la plus amère. Pas avec la tête plus doucereuse. Puis l’accord se fatigue et il faudra attendre le fromage et le dessert pour finir sur les tonalités si excitantes et intrigantes de ce si grand vin.

Sur un carré d’agneau aux petits légumes délicieux, presque comme les légumes divins d’Ambroisie, Mouton-Rothschild 1990. Ouvert trois heures avant, un nez magnifique, immédiat. Dans de larges verres Riedel, le Mouton apparaît à un degré de majesté invraisemblable. Je suis toujours perplexe quand des experts donnent des notes de 96, 98 ou 100 sur 100 à des vins que je connais et qui sont fort loin d’égaler certains vins sublimes que j’ai goûtés. J’ai compris que l’on donne à Montrose 1990 une belle note, il le mérite. Mais Mouton 1990 est d’une autre dimension. Ce vin est incroyablement bon. Si une note de 100 devait être décernée, ce serait à lui. Il la partagerait avec Mouton 2000 encore plus exubérant, mais ce 1990 est étonnant. Chacun d’entre nous, dans sa jeunesse, a choisi des cailloux calibrés pour faire des ricochets. Quand on en fait sept, on est heureux. A treize, on jubile. A dix-sept, cela devient irréel, comme le passage en bouche de ce Mouton, passage qui ne finit jamais. Mouton réalise dix-sept ricochets sur la langue ! Ce vin a tout pour lui, et aujourd’hui, il délivrait un message quasi impossible à atteindre. Il y a l’équilibre, il y a le fruit, il y a la bonne dose de bois, et surtout, il y a une longueur inenvisageable. L’image du ricochet est bonne : ça ne finit pas, ça rebondit, il y a des échos partout. Voilà : c’est cela l’image qui convient : une chambre à échos. Les goûts sublimes de ce vin miraculeux (mal noté par certains experts) se perpétuent à jamais. Du début à la fin de la bouteille l’impression d’une transcendance persiste. C’est un des plus grands vins que l’on puisse imaginer. C’est un cadeau du ciel. Il lui faut une viande affirmée comme ce carré d’agneau. Seule la viande lui convient.

Voilà que j’en viens à aimer les vins récents ! Je crois qu’on peut aimer les vins jeunes et les vins vieux (quand je dis vieux, c’est d’avant 1945 bien sûr), chaque famille étant appréciée pour ce qu’elle apporte.

 

 

Dîner à l’Ambroisie dimanche, 27 avril 2003

Dîner à l’Ambroisie est un privilège. Inaccessible comme l’Olympe où l’on goûte l’ambroisie. Il est en effet quasi impossible d’obtenir une table en ce temple joliment décoré. Nous entrons dans la pièce du milieu, ornée de six belles tapisseries du 18ème siècle aux motifs de légumes et de fruits. Une atmosphère de château au bord de la place la plus magique de Paris. J’ai mauvaise grâce à citer des choses négatives. Comme l’impression finale fut sublime, je me sens autorisé, car nos grandes tables parisiennes doivent rester comme la femme de César, irréprochables.

Dès l’abord, le personnel entretient l’idée de secte dont nous ne devons sans doute pas faire partie. Explications minimalistes de la carte, pas le moindre dialogue. Même minimalisme dans le choix du vin, le sommelier n’émettant pas la moindre suggestion d’idées nouvelles devant l’alternative que je lui soumets, excluant juste un des termes du choix. Un autre serveur ou sommelier vient avec la bouteille que j’ai choisie. Il verse un bon demi verre dans la carafe, remue et humecte les parois pour tapisser le verre, verse le contenu du « rinçage » dans un verre qu’il emporte avec lui. La carafe est là. Pas un mot, pas un essai proposé. L’homme a fait son ouvrage et je suis là face à cette carafe qu’on ne me propose même pas de goûter.

Je la rapproche, je me sers, et comme pour m’excuser, je dis que je tiens à contrôler la température du vin, tant quelques degrés en changent le message. Ce qui me vaut cette remarque surréaliste : « mais moi aussi j’ai bu du Montrachet ». Fort heureusement, et comme par enchantement le personnel est peu après devenu d’une extrême amabilité, et a complètement corrigé l’impression première d’une froideur inhospitalière. Avec un service redevenant ce qu’il doit être, un vin de rêve et desmets exquis, on entrait de plain pied dans la réputation justifiée de l’endroit.

Le vin que j’avais choisi, puisqu’il faut bien le nommer était un Montrachet Louis Jadot 1995. Un nez envoûtant pénétrant comme les grands Bourgognes blancs en offrent si généreusement. En bouche, le bel accomplissement d’un travail bien fait et d’une année bien posée. Quel grand vin. La cuisine de Bernard Pacaud est d’une grande justesse. Le produit de base est respecté, les légumes sont une symphonie fantastique, et les sauces de petits bijoux. D’un extrême classicisme, rassurant, d’une exécution parfaite. C’est assez réjouissant que Paris possède des chefs si différents qui expriment leurs personnalités de façon aussi marquée dans l’exécution des plats. Le jeune et prometteur Astrance suggère en subtilité, l’Ambroisie traite le sujet en pleine maîtrise et maturité, et Guy Savoy possède le sujet par des évocations poétiques d’une imagination extrême. Il faut des trois pour faire de Paris le temple de la gastronomie. Je pourrais évidemment citer beaucoup d’autres chefs de grand talent. Mais cette typologie de trois extrêmes éclaire bien le propos.

Sur une langoustine très agréable le Montrachet se sent bien. Les arômes se développent comme il faut. L’explosion gustative de génie, c’est le premier contact, la première confrontation du Montrachet avec un délicieux pigeon charnel à souhait.Montrachet n’est pas le choix naturel sur un pigeon, mais le choc gustatif est le plus brillant qui soit. Le Montrachet atteint des sommets rares, développant plus de saveurs que sur n’importe quel autre plat. Et c’est surtout cette sauce si puissante qui fait chanter le Montrachet. Fort curieusement, et cette expérience est intéressante, on se lasse assez vite de l’accord. Il est généreux, brillantissime, mais pour quelques gorgées seulement. Je pense qu’une Landonne aurait été moins foudroyante au premier contact, mais se serait plus inscrite dans la durée. C’est à retenir, car cette sensation conforte celle que j’avais eue à l’Astrance avec le Montrachet Marquis de Laguiche. Montrachet doit rester une fulgurance.

Globalement, Ambroisie est un temple, une institution qui excite l’envie d’y festoyer. Le petit accident de service que l’on me pardonnera d’avoir relaté a été vite effacé. Il reste la justesse d’une cuisine d’une grande maturité, et un très grand Montrachet. Une belle soirée.

 

Déjeuner d’amis lundi, 14 avril 2003

Dans un club parisien réputé dont je suis membre, je choisis d’offrir Château Margaux 1990. Quand une bouteille est ouverte au moment de la commande des plats, on est presque sûr de perdre la moitié du message. On sent ce vin comme une fleur non encore éclose. On ne peut pas dire que c’est un bambin. C’est déjà un bel adolescent. Mais le message est contenu quand on le boit juste après l’ouverture. Je referai un essai dans d’autres conditions plus propices à ce qui est une belle promesse.

Voyage aux USA JOUR 6 mercredi, 26 mars 2003

Journée qui s’annonce ensoleillée, contrariée par le service incroyablement défaillant de l’hôtel Plaza. Je rejoins le groupe des plus mordus des membres du BWE. Ils sont déjà à table, car je ne savais pas qu’il y avait eu un changement d’heure le jour même.

Restaurant chinois dans China Town, Mr Tang’s. Restaurant sans la moindre décoration, mais des vitrines montrent qu’ici on aime le vin. Sur la table, un amoncellement invraisemblable de vins. Je m’étais promis de ne pas boire, promesse d’ivrogne. On comprendra que je cède quand on me met devant les yeux : Haut Brion 1988 rouge, bon, assez tannique, bien ouvert de la veille. Un bon vin.

Vouvray moelleux Aigle Blanc Prince Poniatowski 1990, magnifique, intéressant, à peine doux, s’adaptant merveilleusement à la chair blanche d’un turbot. Une subtilité rare.

Puligny Montrachet les Folatières Sauzet 1995. Bien fait, très caractéristique. Joyeux.

Chablis 1er Cru Fourchaumes Verget 1999 très caractéristique d’un beau Chablis

Lingenfelder Scheurebe 1994 trockenbeerenauslese 9° une bombe de sucre, presque imbuvable tant il est concentré

1971er Forster Stift Riesling Auslese bouchon tombé, un peu madérisé, mais assez plaisant

Guiraud 1983 très joli et facile à boire avec du homard traité à la façon chinoise

Wiltinger Hölle Riesling Eiswein sanctus Jacobus 1983 – 9,5° encore un joli vin, très caractéristique des vins de glace. Très agréable. Il y a dans ces vins de l’énigme qui interpelle.

Graacher Himmelsreich Spätlese Joh. Jos. Prüm 8° – 1990 sucré surtout. Un vrai nez de pétrole. Magnifique réalisation toute en subtilité

Erdener Treppchen Riesling Beerenauslese Joh.Jos. Christoffel Erben 10° – 1976 très adouci, fatigué, mais avec de belles réminiscences

Numanthia Toro 1999 – 14,5° Dominio de Eguren trop moderne, trop fort. C’est de l’espagnol moderne pour l’export.

Chablis-Les Clos Grand Cru Joseph Drouhin 1996 magnifique. Rond, gras, pas très long, mais très gratifiant..

Cette profusion de générosité est invraisemblable. Pendant que nous mangions et buvions des trésors, le personnel du restaurant écossait des petits pois et étêtait des haricots verts. Bonne cuisine. Café et pâtisserie dans un bar italien de Little Italy. Le café à moitié sans âme où l’on entend de la musique italienne tout en regardant le match de base ball du jour.

On se sépare après s’être promis de se retrouver au plus vite.

Un voyage assez fou avec des rencontres de passionnés. J’ai pu comprendre comment certains amoureux du vin vivent leur passion, au delà de ce qu’on pourrait imaginer à Paris.

Je retrouve mon hôtel avec son invraisemblable absence de service.

Réveil difficile à 3h45. Je quitte à 5h00 un New York déjà actif, traversé par d’immenses camions de livraison. Le Concorde attend à son terminal. Quelle magnifique et pure beauté. A une vitesse de Mach 2 je vais dans le poste de pilotage où l’un des pilotes me dit que croiser le Concorde de British Airways, c’est comme croiser un missile : ça va tellement vite qu’aucune procédure d’évitement ne fonctionnerait.

Ray Charles était dans l’avion.

J’ai boudé le Dom Pérignon 1993. Je l’ai même refusé trois fois. Il fallait vraiment que ce forum d’amoureux du vin américains fût une réussite !

 

 

Voyage aux USA JOUR 5 mardi, 25 mars 2003

Samedi légèrement pluvieux. Shopping dans des magasins plutôt peu fréquentés. Chez Saks, gigantesque magasin, des milliers de jolies femmes se font maquiller par des vendeuses aseptisées qui exercent ainsi leur talent.

Déjeuner de nouveau à La Goulue, brasserie efficace et bien calibrée, remarquablement tenue. Je bois de l’eau en pensant à ce qui m’attend. En sortant du restaurant je croise Sylvester Stallone, pas bien grand, cheveux teints, flanqué d’une jolie blonde plus grande que lui, et sans garde du corps. Bien sûr, toutes les têtes, comme la mienne, se retournent sur son passage.

Arrivée au restaurant « Amuse » au Sud de Manhattan. Il faut prendre une sorte de monte-charge pour accéder au salon qui nous est réservé, au plafond beaucoup trop bas. Champagne Pol Roger 1990 pour se mettre en bouche. Bien agréable, mais je trempe à peine mes lèvres, tant je redoute la suite.

Le dîner commence par une dégustation à l’aveugle de Vins de 1982, offerts par un généreux membre du forum. Dans l’ordre croissant les votes furent : en 6 Château Léoville las Cazes, en 5 Cos d’Estournel, en 4 Ducru Beaucaillou, en 3 La Dominique en 2 Branaire Ducru et en 1 Mouton-Rothschild. Je ne suis pas sûr de mon vote. Etait-il conforme au consensus ? Je ne le sais plus, mais j’ai trouvé ces vins très agréables, très typés et très différents. Le Mouton était splendide, ainsi que le Branaire Ducru, remarquable en tous points. Le généreux donateur de 36 bouteilles de 1982, présent dans la salle, a su résister et ne s’est jamais nommé, gardant son anonymat.

Nous avons eu droit ensuite à la plus invraisemblable profusion de vins de haut niveau, car chacun avait apporté ce qu’il avait de mieux. Ainsi, Margaux 83 d’une construction remarquable, Haut Brion 88 déjà si magnifique, Pétrus 97 bien agréable bambin de grande lignée, Lagrange 90 superbe, Lynch Bages 61 d’une maturité parfaite, Montrose 66 particulièrement réussi, plusieurs vins californiens dont un magnifique 78 William Hill Cabernet, splendide, Palmer 85 très beau, Mouton 82 de nouveau splendide, Trotanoy 93 en impériale exubérant, et tant d’autres. Puis, Vin Jaune d’Arbois Félix Anthonioz 1945 que j’avais apporté. Difficile de l’appréhender pour beaucoup d’américains. Etrange de toutes façons, et excitant pour beaucoup. Je l’ai adoré sur un fromage faisant partie d’une assiette de fromages américains d’une qualité exceptionnelle, composée par l’un des membres du forum, grand spécialiste de fromages.

Ensuite Yquem 1990 très agréable, juteux et déjà accompli etMuscat Mas d’Eu 1889 exceptionnel. Vin à la longueur unique, et pour beaucoup, sinon tous, le premier essai d’un vin du 19ème siècle. C’est le cadeau que j’avais prévu.

Ce que je n’ai pas bu : Pétrus 67, Mission 85 et 86, Montrose 90 et tant d’autres si grands vins offerts avec tant de largesse.

Atmosphère de grande générosité et de convivialité. Les américains de ce groupe ont en général une grande culture, ont essayé beaucoup de vins de qualité. Le propos est toujours aimable et attentionné à mon égard.

 

 

Voyage aux USA JOUR 4 lundi, 24 mars 2003

Rencontre de plusieurs amis du forum comme en savane au point d’eau : chez Sherry Lehman, invraisemblable boutique de vins qui compte 7.000 références, ce qui est énorme. Pour la première fois de ma vie, je vois une impériale de Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 2000. A 8.500 dollars, il vaut mieux avoir de bons amis pour partager. Cette impériale porte le numéro 3, sur une production de 2000 bouteilles. D’autres flacons rares s’étalent sous nos yeux. Une boutique rare, avec la profusion américaine qui met en valeur le talent de producteurs français.

Déjeuner dans un petit restaurant français à la cuisine lyonnaise, à base d’omelettes. Bien agréable et sans prétention. Dîner à l’une des brasseries de l’hôtel, où tout est faux : service qui ressemble à un guichet de la Sécurité Sociale, toasts tenant du pain d’épices, coquilles Saint-Jacques trop salées, surcuites, au caviar incertain, et tenant de l’éponge. L’adresse où l’on ne va que si l’on est forcé. Ou, comme moi, ignorant.

Réveil sur un New York pluvieux, et déjeuner avec le fondateur du forum, Jim Howaniec au restaurant La Goulue, à l’atmosphère de brasserie française, comme ont été Bofinger ou Flo, du temps de leur vraie période brasserie. Personnel très sympathique, composé de français qui sentent avec intérêt la bouteille de Château Chalon 1921 (le reste de l’autre soir) que je partage avec Jim.  Les discussions se font à un rythme lent, car Jim a eu une soirée où 10 personnes ont partagé un menu de 15 plats et 30 bouteilles jusqu’à 3 heures du matin. Ils ont goûté Lynch Bages 1989, Haut-Brion 1989, très bon mais encore jeune, et Grands Echézeaux DRC 1996 déjà bien ouvert. Jim a donc bu très peu de ce 1921 qui est son plus vieux vin. Il a pu mesurer la longueur invraisemblable de ce Château Chalon. Il a ri abondamment quand j’ai bloqué un serveur qui voulait enlever son verre vide : je voulais qu’il sente le verre vide et prenne conscience de la persistance aromatique de ce vin.

Réunion dans la grande salle à manger de l’Union League Club, un club privé très select. La dégustation est conduite par Allen Meadows, un expert en vins de Bourgogne. Il parle avec une justesse extrême, mais le propos se perd parfois dans une technique qui éloigne trop des désirs simples du palais.

Chablis les Vaillons 1er Cru René et Vincent Dauvissat 1995 – très parfumé, mais peut-être trop parfumé au début. Après s’être réchauffé dans le verre, il dégage des parfums larges et envoûtants. Pas trop caractéristique de Chablis, mais vraiment intéressant.

Puligny Montrachet Folatières Domaine Leflaive 1992 très gras, très caractéristique beau et rond, mais assez facile. Mais quand même une belle réussite

Chassagne Montrachet Ramonet 1992 1er cru Boudriotte. Quelle finesse, tout en subtilité quand le Puligny explose de sa générosité. Un très bon vin. Celui que je préfère des trois blancs.

Hautes Cotes de Nuits Jayer-Gilles 1993. Très désagréable à ce moment, et avec les fromages accompagnant, même si on imagine que provoqué par une viande, il serait agréable, du fait de son coté animal. Amertume pas assez contrôlée. Et trop moderne.

Gevrey Chambertin 1er Cru Clos St Jacques Louis Jadot 1993. Plus agréable, bien construit et bien complexe.

Musigny Joseph Drouhin 1993. Vin pas encore accompli, rugueux. Mais prometteur. Une belle structure qui apparaîtra dans quelques années.

Musigny Louis Jadot 1993. A l’inverse, remarquable, rond, accompli, généreux et extrêmement agréable. Un vin qui fait plaisir. Très beau. Le meilleur des quatre rouges.

L’assemblée se disjoint. Certains se joignent à des dîners organisés. Je me joins au groupe créé par l’initiateur de la dégustation, dans un appartement privé.

Echézeaux F & A Gros 1991. Si beau, si bien fait, si différent des vins précédents par une rondeur extrême, plus sensible au nez qu’en bouche. Un vin magnifique.

Beaucastel 1983 : ouvert trop vite et servi trop tôt. Un nez animal de gibier fatigué. Agréable sans doute, mais il faut ouvrir ces vins longtemps avant. On n’en profite pas comme il faudrait.

Richebourg DRC 1973 : un bouchon qui pue. Stockage trop chaud. Le vin renaît. L’odeur disparaît. Les qualités extrêmes se montrent, mais la blessure reste. C’est toutefois un intéressant témoignage que je garde longtemps dans mon verre.

Le généreux donateur de ces vins ayant une diction qui s’empâtait de plus en plus avait sans doute précipité le service de ses vins, pour pouvoir opérer une retraite nécessaire.

1989 Maximin BrunHauser Abstberg Auslese 133 von Schubert Mosel Riesling citronné et pas assez accompli. J’ai eu un peu de mal.

1998 Haut Brion blanc magnifique mais gâché, car présenté trop chaud, et sans la nourriture qu’il nécessiterait. Alors qu’il a le potentiel du 1994 bu peu avant, il se révèle à peine. Je n’ai même pas goûté le 1995 proposé en même temps.

1971 Wiltinger Kupp Beeren auslese Graf zu Hiensbroech très chaleureux vin bien rond. Un intéressant passage, particulièrement plein de subtilités, à la couleur déjà orangée.

Vouvray le Haut Lieu 1924 Huet était la vedette attendue. Belle bouteille ancienne et mise en bouteille récente. Le message est trop monolithique. C’est citronné, assez flatteur, mais trop simple. On n’en profite pas vraiment. Il y a même une certaine déception, tant un 1921 récent m’avait enthousiasmé.

Je reviens sur un Bonnes Mares Comte de Vogüé 1988 absolument accompli, au nez superbe et à la bouche ronde. Je reste longtemps à seulement le sentir. Grand.

Je finis sur La Conseillante 1994 que j’aime tant. Un vin délicieux.

Profusion de vins, générosité extrême, mais quel désordre dans la présentation. Les vins sont deux fois moins bons que si on s’en occupait comme il convient. On sent que c’est la profusion et la générosité qui sont surtout encouragées. On ne peut que les en remercier.

Voyage aux USA JOUR 3 dimanche, 23 mars 2003

Départ à Greenwich Village. C’est un autre New York. Qu’on le veuille ou non, même en n’étant pas un natif de cette capitale, l’absence des deux tours se sent. On erre dans ces dédales de rues aux immeubles si typés. Boutiques aux moeurs particulières, adaptées à la faune locale, invraisemblables bric-à-brac. On est dans un autre New York. Créatif et interlope à la fois.

Dans un Blue Ribbon Bakery où déjeunent des jeunes branchés, une table d’où je peux voir l’extérieur et l’intérieur. Dans la salle, une table de quatre jeunes et jolies américaines, purs produits du standard américain. Deux jolies femmes qui se glacent dès qu’arrive une somptueuse jeune fille qui pourrait être top model. Elle ne l’est sûrement pas, car elle a un sourire aux dents blanches permanent. Pas une once de snobisme mais une aura rare. Mélange de racines eurasiennes et mexicaines, elle a la beauté d’une femme que l’on a l’impression d’avoir vue sur tous les magazines. Le téléphone portable remplaçant l’éventail des belles, à cette table de trois, chacun téléphone au dehors. Près de moi un clone de Woody Allen mais de moins de trente ans raconte ses thérapies à une jolie blonde attentive. Tout fleure bon cette jeunesse cosmopolite si actuelle. A l’extérieur, c’est mieux qu’une galerie. Si le « upper Manhattan » a une faune d’une rare diversité, là, c’est encore multiplié par dix. Tous les archétypes de marginaux se sont rencontrés. Comment peut-on trouver sa personnalité dans la caricature de son propre type ? Ce New York a quelque chose de sympathique dans l’exagération de lui-même. Une mention spéciale au vieux barbu qui se promène avec un caddie où il n’y a que des boîtes boisson métalliques vides.

Nourriture très correcte. Le serveur à queue de cheval me signale que les plats marqués en rouge sont des spécialités du chef. Quand j’ai vu en cuisine un groupe de jeunes chinois sous-payés sans doute, voire clandestins, je m’interroge sur la notion de chef.

Dîner chez Véritas, à l’initiative de membres du forum. Un show à l’américaine impossible à imaginer en France.

Dîner de 12 personnes qui ne se connaissent pas dans le temple créé par deux amateurs de vins.

Dönnhof Riesling Spätlese Oberhaüser Brücke 2001 et Robert Weil Riesling Spätlese Kiedrich Grafenberg 2001. Le premier mefait penser à des bonbons à la fraise aux arômes artificiels. Le second est plus rond, mais le coté déstructuré me déplait. Je ne me suis pas fait à ces deux Rieslings.

Haut Brion blanc 1994. Un nez invraisemblable de complexités exotiques, et en bouche, le coté rassurant et accompli du Haut-Brion que l’on aime. Un grand vin que j’aurais très vraisemblablement reconnu à l’aveugle en bouche, mais jamais au nez.

Haut Brion blanc 1979. Il a une fatigue qui décourage tous les palais américains, alors qu’il crée le meilleur accord avec le plat, un ris de veau très honnête. Je m’aperçois que les américains jugent vite, et excluent vite.

Hermitage Chave blanc 1989 : sa structure a plu à certains, mais son absence d’imagination m’a laissé à l’écart. C’est trop monolithique, sur un message trop aimable. C’est bon, mais la complexité de Haut-Brion laisse trop de traces.

Un client du restaurant qui est resté inconnu (incroyable) nous a offert Montrachet Comtes Lafon 1997. Vin absolument splendide, le meilleur de tous les blancs, même si pour certains, le Corton Charlemagne Coche Dury 2000 avait plus de race. Mais il ne se révélait pas assez pour entraîner mes suffrages. Trop de jeunesse non encore formée, même si c’est remarquablement construit. Ce Montrachet et ce Corton sont deux monuments quimériteraient une cuisine exacte.

Comment est-ce possible de faire le cadeau d’un tel vin sans se montrer ?

On passe aux rouges et un Beaune Grèves Tollot Beau 1985 est assez intéressant, alors qu’un Bonnes Mares Comte de Voguë 1991 fait l’étalage d’une magnifique maturité bien contrôlée. Quel bonheur simple en bouche : tout le coté gouleyant de la Bourgogne.

Arrivent ensemble trois vins : Barolo Sandrone Cannubi Boschis 1996, Barolo Sandrone Cannubi Boschis 1991, Barolo Sandrone Cannubi Boschis 1988. Le 1996 est juteux, le 1991 trop sec, et le 1988 un peu amer. C’est tellement sec et astringent qu’on oublie le message.

Ces trois vins allaient, sans le vouloir, servir de faire valoir idéal à un vin qui mérite le respect : Cheval Blanc 1986en magnum. C’est tout simplement grandiose, et la plus belle qualité de tous les vins bus ce soir. Malgré un âge encore faible, ce vin a une structure extraordinaire. La complexité est belle, et on a déjà une belle rondeur qui ravit, tant ce vin est grand. Même La Tache 1971 (cadeau du sommelier) au plaisir chaleureux immédiat ne peut inquiéter le Cheval. Le Troplong Mondot 1989 qui arrive alors n’est pas à sa place : on ne se pose pas de question, on l’oublie tout de suite. Le Vega Sicilia Unico 1962 est d’une autre trempe : c’est le vin que j’ai classé en second après le Cheval Blanc. Il y a en lui des saveurs complexes, inhabituelles envoûtantes. C’est magnifiquement excitant.

J’avais pris d’infinies précautions pour qu’on goûte comme il faut le Château Chalon Florin Cottez 1921. J’avais expliqué comment en profiter sur un fromage. Quelques uns l’ont compris. Mais le généreux donateur a remis le couvert et persisté dans ses dons, ce qui a limité l’effet en bouche que j’avais espéré de ce vin si rare. Griottes Chambertin Domaine Ponsot 1990 en magnum, magnifique bouteille, mais tellement jeune. Il mériterait dix à vingt ans de cave de plus, car il a un potentiel extraordinaire et La Tache 1985. Vin animal, si prometteur mais si jeune lui aussi. Mais quel talent.

Le mot d’ordre était à la profusion. Le plaisir suivait. Une soirée impossible à organiser en France. Si je devais noter cette invraisemblable profusion, mettant de coté le Château Chalon 21 qui est hors concours, l’ordre serait le suivant : Cheval Blanc 1986, Vega Sicilia Unico 1962, Montrachet Comtes Lafon 1997, Haut-Brion blanc 1994 et La Tache 1971.

La carte des vins est exceptionnelle, avec des raretés absolues. Elle couvre des domaines et des années difficiles à trouver. Une impériale d’un grand Bordeaux de 1947 cote $25.000, ce qui impose le respect. A deux heures du matin, les clients doivent oublier le dernier zéro de la liste de prix très excessive, car des flacons invraisemblables s’ouvrent à profusion. J’ai cru reconnaître le généreux donateur du Montrachet et des La Tache. Je lui ai fait goûter le Château Chalon. Après la condescendante attitude de l’homme qui n’accepte pas qu’on conteste son leadership, j’ai vu sa figure se transformer : il prenait conscience qu’il buvait un vin unique.

Les deux propriétaires du Veritas sont très différents : l’un très élégant et très détaché – apparemment – de l’affaire qu’il a créée puisqu’il n’est pas resté, quittant le lieu vers 20 heures. Le second, au look de bûcheron, me faisait penser à Hugh Heffner dans ses bars de Play Boy : adulé par une foule de groupies, et cherchant à s’extirper des bras qui veulent l’enlacer. Vedette solidement campée sur son Olympe.

Il faut toutefois reconnaître que leur formule de restaurant est bien construite.

Juste avant le dîner, j’avais fait la connaissance d’un grand amateur collectionneur de vins qui organise des grands dîners de vins relativement jeunes. Il m’a montré un énorme dossier de près de 300 pages où sont consignées ses notes sur les vins qu’il a servis. Notes d’expert plus que notes d’ambiance contrairement à mes bulletins. Intéressé par le concept de wine-dinners, il va constituer des groupes de convives pour mes dîners.

Après cet invraisemblable dîner à Veritas, retour à l’hôtel à 2h30, ce qui fait 9h30 à l’heure de Paris. Les paupières se ferment assez vite et imposent une journée sans vin, tant s’annoncent de rudes épreuves.

 

Voyage aux USA JOUR 2 samedi, 22 mars 2003

Journée de shopping sur la 5ème Avenue, car il y a des rites incontournables. Je regarde les gens. Si les faciès que l’on croise à Paris peuvent se résumer à un certain nombre de types, disons de 15 à 20, ce nombre doit être multiplié par au moins 5 lorsqu’on est à New York.

Jamais une foule ne peut donner, où qu’on soit dans le monde, une telle image de diversité. Magasins de luxe, avec juste ce qu’il faut de condescendance de la part des vendeurs, et magasins d’électronique, bazars invraisemblables, où le vendeur a l’attitude du requin qui vient de repérer son poisson préféré qui nage seul, loin des siens. Déjeuner rapide dans une sandwicherie qui étale sur les murs qu’avant elle, aucun autre concept de restauration n’a jamais existé. Le plaidoyer pro domo est étalé partout. Lorsque l’on a de la mayonnaise incongrue sur du jambon qui dégouline en permanence sur les mains, on aimerait un peu moins d’auto gratulation.

Dîner au Gramercy Tavern un très sympathique restaurant bien rodé avec des amis épistolaires d’un forum américain sur le vin que je rencontre pour la première fois. Un Meursault (Les Beaune) Leroy 1999 très honnête mais manquant un peu de caractère, assez faible sur des coquilles Saint-Jacques, mais qui se dégourdit les jambes et redevient lui-même sur un ris de veau.

Un Pichon Longueville 1981 au nez parfait, apporté par mon hôte, tout en plaisir, et qui démontre la justesse de ce vin dans cette année là, beaucoup plus accomplie qu’on ne le dit. Le vin a une attaque douce, puis l’amertume prend le pouvoir, pour finir de la plus élégante façon. Un vin magnifique, beaucoup plus doué que ce qui est dit, qui s’élargit sur la viande d’un gibier bien traité. Vin qui a servi de bel accompagnateur d’une soirée fort agréable avec des gens charmants. Belle soirée permise par ce forum qui est la raison de ce voyage à New York.

Retour en chambre. Pas de carton de petit déjeuner que je puisse remplir. Le service, c’est forcément une affaire de volonté.

 

Voyage aux USA vendredi, 21 mars 2003

Certains lecteurs me font l’aimable plaisir d’être sensibles à ce que j’écris. Je raconte ici par le menu mon voyage aux USA pour rencontrer un groupe d’amoureux du vin. Ils se connaissent au travers d’un forum sur le vin où j’écris. Certains amis étaient virtuels. Ils sont devenus réels. Pour ceux qui aiment New York, il y aura l’évocation de ce qu’ils aiment de cette ville si attachante. Pour d’autres il y aura l’évidence de l’invraisemblable générosité d’amateurs, mais aussi le gâchis de boire de si belles bouteilles dans des conditions qui ne sont pas dignes d’elles. J’ai retenu la générosité, et l’envie de perpétuer la stricte exigence de wine-dinners, où les plus belles bouteilles sont bues dans les conditions idéales.

Le voyage démarre à Roissy. Alerte à la bombe. Tout le monde est obligé d’attendre une demie heure avant que le bagage suspect ne soit neutralisé. Après l’enregistrement, attente de plus de trois quarts d’heure avant le passage en douane. On comprend que le plan Vigipirate impose des précautions. Il serait évidemment stupide de penser qu’on devrait en conséquence adapter les effectifs. Avec plus de 50% du PNB consacré à la fonction publique il est évident qu’on ne peut pas produire un douanier de plus. Ce délai me permit de faire la connaissance d’une jeune américaine d’Atlanta qui vit au Togo dans un village de 400 habitants, et les aide à organiser leur agriculture et leur éducation. Pas d’eau,de la viande quelques fois par an. On est loin du concept de wine-dinners. Beau dévouement, et brève rencontre d’une personne désintéressée. Bien sûr, dans l’avion, il faut attendre tous les passagers bloqués à la douane, ce qui fait une heure et demie de retard. Repas dans l’avion. Il faudrait comprendre pourquoi, sur la base de beaux produits, on mange si mal. C’est sans doute très lié au mode de cuisson à l’étouffé, qui étouffe tout. La coquille Saint Jacques semble sortie tout droit de Hollywood. Pas le studio, le chewing-gum. L’agneau a fait plusieurs guerres, et les légumes semblent passés par une essoreuse tant ils sont secs. Très agréable champagne Laurent Perrier, et honnête Aloxe Corton Remoissenet 2000 choisi par Philippe Faure Brac. Le plaisir vient en fait de Suduiraut 1995, bien jeune mais déjà prometteur. Service impeccable d’Air France. Quand des hôtesses ont le sourire, il faut le signaler. A l’arrivée à New York, les formalités de douane m’ont toujours donné l’impression d’un message subliminal : on préférerait que vous ne veniez pas chez nous. Tout est mis en oeuvre pour rebuter. Grand étonnement du nombre très important d’arabes qui viennent à New York. Dans cette période de guerre, cet afflux parait surprenant. Mon voisin d’avion, un entrepreneur américainqui construit des propriétés de luxe en Hongrie m’avait fort aimablement proposé de me conduire en ville. Devant les formalités si longues, différentes pour les étrangers, je l’ai libéré de sa proposition tant il aurait dû m’attendre. J’ai ainsi fait le bonheur d’un chauffeur de taxi mi-grec mi-égyptien qui a fait la recette de sa vie. J’ai la tête du gogo. Lorsque j’arrive, il y a toujours un type en quête d’un bon coup qui me repère. A peine ai-je émergé de la douane qu’on me dit : « taxi? ».J’ai le chic dans ces circonstances pour dire : « oui ». L’homme m’emmène dans un parking éloigné. Une voiture tenant de la poubelle est garée près d’une jolie Jaguar. Il me dit : « hier j’avais la même », ce qui prouve qu’il a un certain sens de l’humour.

Je veux me ranger à l’arrière et me vois forcé de m’asseoir devant. Je me mettais à avoir peur, tant le concept de taxi avec compteur officiel agréé s’effondrait. Où avais-je posé mon séant ? La poubelle part, et mon chauffeur me dit : « on va éviter les bouchons ». Nous partons dans des ruelles obscures et il me dit : « ici, c’est mal famé ». Mon goût de l’aventure s’estompe. Il rend l’âme quand le taxi fait une embardée insensée que j’ai analysée comme une volontéde m’envoyer sur un arbre. J’ai tellement crié que je l’ai tétanisé. « You scared me » dit-il. Il avait voulu éviter un trou dans la chaussée, phénomène assez usuel à New York, de taille telle que sa voiture eut péri. Ce n’est qu’après ce cri – qui l’a traumatisé – que j’ai compris que ce faux chauffeur de taxi voulait réellement aller à destination.

Juste avant d’arriver, ayant sorti de lourds billets que je glisse dans sa main, je le vois sourire explicitement et me dire : « je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sourire ». Je savais : quand on donne à un chauffeur de taxi l’équivalent du budget d’Arianespace pour dix ans, on comprend aisément que le vieux papier peint en fausse toile de Jouy de sa chambre va se métamorphoser en chintz ! C’est écrit.

Le tarif du retour, en taxi normal, m’a fait comprendre le prix de son sourire.

Pendant tout le trajet, une idée me venait. Je pense souvent aux étrangers qui arrivent à Roissy et foncent vers la capitale sur une autoroute jonchée d’immondices. Quelle image donne la France, quand elle n’est pas capable de nettoyer le chemin qui mène à Paris ! D’autant que les visiteurs, le plus souvent en taxi, quand ils en trouvent un, ont le temps de regarder nos bas-côtés si sales. Mais que dire de New York, qui voudrait imposer sa vision au reste du monde, et qui offre une arrivée si laide sur la ville la plus cosmopolite et magique qui soit.

Arrivée à l’hôtel Plaza. Petits problèmes habituels de prise en main de ma chambre. Ces palaces sont des machines difficiles à remuer. Je demande un restaurant. Un concierge sans grande imagination me propose Smith & Wollenski que je connaissais et où j’avais bu des Opus One mémorables. Fatigué de chercher une nouveauté, je dis oui. A l’entrée, la même impression que dans des brasseries allemandes ou suisses : on fait nombre, il y a des salles partout, et il y a un bruit épouvantable. Une volière. Je commande Ridge Montebello 1997, en souvenir d’un cadeau magnifique d’un ami américain. Cette commande donne lieu à un joli dialogue de sourd : je commande un Ridge 1993. Le garçon revient et me dit : « est-ce que vous avez pris conscience du prix qui est marqué sur la carte des vins? », car on est évidemment en dehors des normes traditionnelles de l’endroit. Je dis oui. Il revient avec un Ridge 97 et je lui dis : j’ai commandé un 93. Or c’est moi qui faisais l’erreur. Le 93, c’est la note du Wine Spectator ! Il faudrait être obtus pour penser que ce Ridge n’est pas flatteur. Mais c’est typiquement le vin que je n’aime pas. C’est tout en chêne, comme cet Almaviva que j’ai tant éreinté, et c’est complètement fumé. Plaisant bien sûr, mais dans une direction qui n’est pas la mienne.

La nourriture de Smith & Wollenski (un nom d’armurier mâtiné de dessinateur) a quelque chose d’achevé : c’est calibré sur la base d’une belle qualité et d’une idée simple. La viande est bonne, goûteuse, et la pomme de terre existe. On comprend le succès de l’endroit. Le sommelier ou plutôt le serveur,intrigué par ce buveur de vins inhabituels, m’offre un cognac que seul un palais américain peut adorer (au nom de la loi sur la condamnation des propos racistes, j’admets être et responsable et coupable de ce propos injurieux). Dieu, dans sa sagesse si souvent peu évidente, a-t-il décidé de punir Napoléon en l’affublant de cognacs le plus souvent imbuvables. Mais pourquoi le faire subir aux américains ?