Le lendemain de mon retour de Perpignan, on m’ouvre un Maury Mas Amiel 1985 du temps de Charles Dupuy. Et on dira que les coïncidences n’existent pas ! Un Clos l’Eglise 1990 bien aimable Pomerol de Jean Pierre Moueix confirme que 1990 va bien aux Pomerols. Un délicieux pied de porc (eh oui encore) lui convenait parfaitement, la délicate astringence du vin collant au gras du plat.
Au détour de repas, un Château Haut Sarpe 1989 a montré des qualités que je n’attendais pas, alors qu’un Giscours 1990 laisse apparaître quelques limites malgré l’année. Un Château Coustolle Canon Fronsac 1982 montre, s’il en était besoin, la justesse de confection de ce vin exemplaire, et parfaitement rond à cet âge. Un Beaune Premier Cru Bressandes Chanson 1991 confirme que cette année est vraiment agréable, discrète mais intense en même temps. Vin de soif qui coule en bouche.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
Déjeuner chez Laurent mardi, 14 janvier 2003
Déjeuner chez Laurent, toujours aussi plaisant. Un Chablis Premier Cru Butteaux 1995 est extrêmement bien fait. Accompli et bien rond. Le Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1991 est une institution. Mais je l’ai trouvé nettement moins à mon goût que les précédents. Pourtant, un délicieux pied de porc lui allait comme un gant.
Déjeuner chez Patrick Pignol vendredi, 10 janvier 2003
Devant organiser un dîner dont le cadre serait le restaurant de Patrick Pignol, je décide de lui rendre visite pour mettre au point le menu. Chef toujours souriant, mais dont le sérieux s’est révélé dans tous les compartiments du jeu. A la tête d’une cave respectable, c’est un amoureux du vin. Sur un plat d’aubergine et tourteau, un Vouvray sec Domaine Huet 1998. C’est extrêmement intéressant. C’est une forme de vin très monolithique, mais en même temps d’une précision comme une sculpture antique : les veines ressortent sous la peau. Pour voir notre réaction Patrick Pignol nous a fait goûter des truffes sur ce vin. Cela donne le même plaisir entraînant que lors d’un essai avec un Vin Jaune. On est transporté. Sur un ris de veau, une bouteille d’un ravissement sans retenue : Côte Rôtie La Mouline Guigal 1991. Ce qui est étrange, c’est que ce vin est simplifié comme une épure, mais donne un sentiment d’accomplissement rare. Si je devais être exilé à Sainte Hélène, j’emporterais des caisses de ces Côte Rôtie si facilement parfaits.
Dîner d’amis au restaurant le Cinq vendredi, 10 janvier 2003
Ce bulletin raconte un dîner merveilleux au souvenir indélébile. L’organisateur est Jean Luc Barré, expert en vins, qui m’a formé à la découverte des vins anciens. Eric Beaumard, directeur et sommelier du Cinq a imaginé comment créer de beaux accords sur la liste de vins, et Philippe Legendre a produit une cuisine d’un niveau hors du commun. Joël Robuchon a été le seul chef auquel je n’ai jamais trouvé le moindre défaut (à un certain niveau, plus rien ne se discute. Qui oserait dire que Michel Ange aurait dû adopter une autre disposition des personnages sur sa toile ? Il est un niveau de génie que la critique ne doit pas troubler). On avait, ce soir là, un Philippe Legendre qui entrait dans la même légende.
Il ne faudrait pas oublier un quatrième personnage complétant ces trois Mousquetaires : l’hôtel George V. Car la majesté du lieu a ajouté au bonheur parfait : une entrée d’hôtel que des fleurs innombrables rendent magique, un salon impressionnant, lambrissé, de hauteur immense, orné d’une magnifique tapisserie et d’une cheminée monumentale, où un buffet délicatement champêtre offrait un champagne Henriot, réserve du Baron Philippe de Rothschild 1975. Et la table parsemée d’évocations de vignes et d’orchidées blanches et rouge sang du même sang que les pétales de roses jetées comme en semailles. Tout frémissait de plaisir parfait. Rajoutez à cela un service d’une précision chirurgicale, et le tableau est dressé. Le Henriot 75 glisse en bouche comme un champagne de soif. L’âge n’a pas de prise. Il a bien fallu deux bouteilles pour attendre des convives bloqués dans les embarras parisiens.
Sur une « tarte d’artichaut et de truffe au Périgord », nous avons eu un Corton Charlemagne Louis Latour 1945 et deux bouteilles successives de Montrachet Diard 1949. Le Corton Charlemagne a un nez immense, d’une grande complexité. Le nez d’un des Montrachet était fermé, mais l’autre est certainement l’un des plus grands blancs que j’ai bus. Un poids, une intensité, et surtout une longueur immenses. Un vin à ne jamais oublier.
Sur un « homard en coque rôti, fumé aux châtaignes de Corrèze », nous avons eu un magnifique Gruaud Larose 1921 qui créait un accord parfait avec les châtaignes, et nous avons découvert le vin le plus surprenant du dîner : Malartic Lagravière 1916 qui dansait avec la chair du homard. Ce Malartic a la couleur d’un vin des années 80. En bouche, il a la jeunesse d’un vin des années 70, comme si le temps avait décidé de s’arrêter pendant plus d’un demi-siècle. Un vin de fruit et de générosité que beaucoup de convives ont placé en numéro un.
Sur un « bar au poireau et vin rouge », nous avons eu un Cheval Blanc 1934 et un Cheval Blanc 1945. La combinaison avec le poisson a été éblouissante. Qui le penserait ? Je considère que ce 1934 est une des plus grandes émotions que j’ai eues avec des vins de Bordeaux. Ce vin me parlait. Il me questionnait. Il me disait : « est-ce que vous m’aimez ? » Et je suis tout simplement tombé dans ses rets. Il me submergeait d’émotion, la légère acidité étant là pour prouver qu’il s’agissait d’un vin réel. Bien sûr, le 1945, si parfaitement fait, si authentiquement Cheval Blanc aurait été la star absolue de plus d’un repas. Mais ce soir là, c’était ce 1934 qui me parlait, m’envoûtait, me prenait en otage consentant. Je ne pense pas avoir eu dans les derniers six mois un Bordeaux de cette qualité. Comme Margaux 1934 a été l’éblouissement d’un autre repas (voir prochain bulletin), cela constitue un signe sur la valeur actuelle des 1934.
Sur un « carré de chevreuil rôti, dragées au chocolat sauce poivrade », nous attendions la star de ce dîner : Château Ausone 1900, que devait accompagner un magnum de Carbonnieux 1928. L’Ausone avait un mauvais nez de bouchon et malgré une décantation longue, ne l’avait pas perdu. En bouche, très acceptable, mais nous n’avions pas le mythe que nous attendions. L’accord avec la dragée au chocolat améliorait l’Ausone, et nous avons déchiffré religieusement ce qui était lisible du message. Avec la chair du chevreuil, le Carbonnieux brillait. La couleur était presque aussi jeune que celle du Malartic 1916, et le vin, sûr de lui, équilibré comme chacun des Carbonnieux 28 que j’ai bus, donnait l’impression à chaque convive qu’il s’agissait presque d’un vin familier, “ami de la famille”. S’il n’était si rare, on en ferait son ordinaire de perfection.
Sur une « truffe au chou en cocotte lutée » nous avons bu mon Haut-Brion chéri : Haut-Brion 1926, associé avec un partenaire redoutable : La Mission Haut-Brion 1961. Ce 1926 montrait quelques signes d’âge, mais on pouvait aisément reconnaître sa magique perfection, de velours et de rondeur. Alors qu’avec La Mission on aurait attendu une rupture de goût due à l’écart d’âge, pas du tout : le jeune athlète n’écrasait pas les seniors. On restait dans les mêmes registres de très haute qualité. Ces deux vins ont accompagné aussi un « Saint-nectaire » et une « Mimolette » de trois ans.
Sur un « blanc manger au lait d’amande et à la confiture d’oranges amères », deux bijoux, Climens 1928 et Climens 1929. Le premier est doré, le second est brun. Le premier est la représentation ultime du Sauternes idéal, le second est plus caramélisé. Mais l’un comme l’autre sont des expressions rares des Sauternes que l’on adore, inimitables lorsqu’il y a cette maturité.
Nous avons fini sur une Fine Champagne 1830 qui me rappelait presque exactement l’un de mes cognacs des années 1880. Les deux ont la même expression du cognac de pleine intensité et de densité hors norme.
Les convives ont eu des classements très concentrés sur six vins. Mon choix partagé par un seul convive a été : Cheval Blanc 1934 / Montrachet 1949 / Malartic 1916.
Un lieu de rêve, un chef au sommet de la création, des accords justes et des vins légendaires. Un nouveau dictionnaire devrait donner cela comme définition du paradis.
Dîner chez Macéo mercredi, 8 janvier 2003
Chez un caviste local un Saumur 2001 qui s’inscrit dans la même démarche : la Loire a un potentiel très large. Mais les choses sérieuses commencent chez Macéo le restaurant de ce délicieux Mark Williamson qui use de son origine britannique comme Jane Birkin : l’accent est un accessoire de séduction.
Un Meursault-Charmes Comtes Lafon 1997 est la pleine représentation du Meursault, avec cette odeur si caractéristique. Rond, beau, et qui va s’élargir avec l’âge. On me sert un verre de Savennières La Roche aux Moines Madame Laroche 1991 et c’est joli comme tout, même si ça ne peut effacer la grandeur du Meursault.
Arrive Cos d’Estournel 1986. Ce vin a tout pour lui. Généreux, fruité, jeune, épanoui et remplissant la bouche de saveurs primaires. Je comprends fort bien que l’on aime les vins jeunes, et si l’on doit prendre un vin jeune, autant prendre celui-là, car il est doué comme pas un. Un vrai bonheur, complémentaire de l’amour des vins plus mûrs. On peut dire qu’il est un peu moins noble que Lafite 1986 si émouvant de précision, mais c’est un grand vin.
Je voulais un Vouvray sur le dessert, mais le sommelier a suggéré Suduiraut 1997. Comme j’aime Suduiraut, j’ai cédé, mais il est certain que si des vins rouges jeunes sont extrêmement plaisants, les Sauternes jeunes sont bien pâles comparés à leurs aînés. Manifestement heureux de trouver quelques palais agiles, le sommelier apporta successivement des verres de Coteaux du Layon Château Pierre Bize 1996. C’est remarquablement bien exécuté. Puis, Pedro de Ximenes 1972. C’est un vin fantastique qui a tout et laisse une empreinte quasi indélébile. Puis, Banyuls Marc Parcé 2001. J’aime ce jeune Banyuls, si sec malgré son sucre. Puis, Xerès (Jerez) Palo Cortado Viejo. Dès que j’ai en bouche des saveurs aussi complexes, je ressens une grande émotion. Ce sont des vins qui dérangent, et j’aime quand on travaille à ce point dans la complexité.
Un cadre fort agréable d’un restaurant qui va monter. Un sommelier qui ouvre ses secrets. Mon choix de ce soir fut : Cos 86 / Palo Cortado / Meursault 1997. De quoi faire, même juste avec ces trois, une belle soirée.
Divers vins mercredi, 8 janvier 2003
Petit flash back. Je vais acheter quelques vins chez un négociant qui m’est inconnu. On m’ouvre un Chablis Grand Cru les Clos de chez Dauvissat 1983. Il faut admettre qu’il existe de plus mauvais accueils. Belle expression de Chablis même s’il s’arrête assez vite, ce qui n’aurait pas été le cas de précédentes bouteilles. J’en profite pour suggérer un déjeuner en commun chez mon ami Jacques Fillot des Foudres de Bacchus à Gentilly, qui a une si jolie cave de vins actuels, et on ouvre Château Martet, Sainte-Foy Bordeaux 1999, magnifique merlot si bon sur des huîtres (mais oui), un Domaine Gauby vieilles vignes 2000 cotes de Roussillon Villages et un Roc d’Anglade 1999 Coteaux du Languedoc. Ces deux vins précédés d’adjectifs qualificatifs laudatifs me paraissent de bons essais, mais je préfère la fraîcheur d’un Sainte-Foy Bordeaux qui ne s’essouffle pas à des vins du Sud qui s’enflent un peu (le jugement est un peu sévère, mais j’aimerais voir ces vins talentueux exprimer plus de terroir). Ayant pris la précaution d’avoir dans ma musette les restes des vins du réveillon, j’ai constaté comme le Léoville Las Cases 1945 se tenait encore bien après trois jours, comme le Cotes de Beaune 1947 brillait encore, le Nuits Saint Georges 1926 s’étant évanoui. Ces sympathiques et compétents négociants les ont goûtés.
On ouvre un champagne Jacques Sélosse non millésimé, précédé d’une réputation largement diffusée. Je cherche vainement ce qui pourrait justifier ce battage médiatique. On ouvre ensuite un Coteaux du Layon 1998 dont j’ai oublié l’origine. C’est bon, suffisamment chatoyant, et bien adapté sans recherche surfaite.
Dîner au restaurant Taillevent lundi, 6 janvier 2003
S’il est une maison de sécurité absolue sur laquelle le doute n’existe pas, c’est bien Taillevent. Qu’on se le dise, Taillevent est à l’abri de toute déconvenue. Sur une cuisine toujours juste : un Meursault Genévrières Remoissenet 1992. Nez caractéristique de Meursault : ce coté métallique comme un bouclier du vin. L’annonce d’une belle texture. En bouche, un vin généreux et typique, mais une fin un peu courte. Le mariage avec une quenelle exquise est chatoyant.
Lafite 1987 : étonnement d’un nez très affirmé. En bouche une belle consistance, très au dessus des normes du millésime. Une petite astringence est la marque de l’année, mais ce Lafite 1987 surpasserait bien des vins d’une année plus flatteuse. Mais faut-il comparer ?
Dîner au restaurant de l’hotel Meurice dimanche, 5 janvier 2003
Dîner d’anniversaire quelques jours plus tard dans un grand hôtel parisien dont la salle à manger est merveilleusement belle. Choix judicieux de notre hôte d’un Bourgogne Hautes-Cotes de Nuits Clos Saint Philibert Monopole Domaine Méo Camuzet 1999 pour lequel je le confesse, je n’ai aucune objectivité, car je suis un inconditionnel, et un Domaine du Clos des Fées Vieilles Vignes Cotes de Roussillon Villages Hervé Bizeul 14° 1998 que j’appellerais le choix typique d’un sommelier : c’est un vin manifestement bien fait que l’alcool anime, ce qui emporte les suffrages. C’est l’archétype réussi de la démarche de toute une région qui progresse à pas de géant.
dîner de réveillon le 31 décembre 2002 mardi, 31 décembre 2002
Dîner de wine-dinners du 31 décembre 2002 au domicile de François Audouze
Bulletin 57
Jambon Jabugo et poutargue de Pau
Champagne Dry Monopole Heidsick 1952 en magnum
Terrine de foie gras mi-cuit
Château Filhot 1891
Château du Breuil Beaulieu Coteaux du Layon 1966
Pommes de terre à la crème et aux truffes à la Bruno
Château Chalon Auguste Pirou 1983
Epaule d’agneau de cinq heures sauce Gremolata
Château Léoville Las Cazes 1945
Château Margaux 1934
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956
Fromages
Côte de Beaune Villages Champy négociant 1947
Nuits Saint Georges Les Vaucrains Emile Michelot 1926
Desserts variés de chez Daloyau
Château Fayau Cadillac 1947
Château Filhot 1928
Fine champagne Domaine de la Romanée Conti 1979
Dîners de réveillon, Noël et fin d’année mardi, 31 décembre 2002
Ces deux réveillons différent des dîners habituels de wine-dinners : ici, moins de souci de heurter des goûts, on peut prendre plus de risques. Et mon plaisir est de surprendre, par la juxtaposition de vins vraiment disparates.
Noël : à l’apéritif, Dom Pérignon 1980. Un bouchon extrêmement difficile à ouvrir, très sec. Un vin amer. C’est évidemment un grand champagne, mais il faut se forcer pour le trouver bon.
Ma femme avait préparé des truffes « à la Bruno », ce restaurateur si généreux en truffes. Des pommes de terre inondées de crème et croulant sous la truffe. J’ouvre « les Terres Salées Christophe Barbier 2001, vin de pays des Cotes de Perpignan 14° ». Ce vin est servi dans des verres Riedel, comme « Château Grillet 1986, Neyret Gachet à Condrieu ». L’association de ces deux vins si différents avec un plat de truffes est un de mes plaisirs. Et le Château Grillet avec la truffe, ça se marie si bien ! Ce vin avait un goût de melon. Une vraie salade de fruits complexes. Et l’accord se faisait délicieusement. Et quelle générosité dans ce vin si rare !
Le plat suivant était des « canettes huppées de Bresse » avec des agrumes qui fourraient les canettes et délayaient la sauce. Quelques pommes cuites servies séparément. Là dessus brillèrent aussi bien Jurançon Château Jolys cuvée Jean 1989 petit manseng Domaine Latrille 12°5, qu’un Inniskillin Okanagan Riesling Icewine 1999, vin de 10°. C’était un bonheur que de juger ces deux vins sur le canard. Le Jurançon était brillant, aux saveurs infiniment variées, et il trônait sur chaque compartiment de douceurs. Le vin de glace canadien s’affichait comme un vin complexe et plaisant justifiant sa réputation. Les deux se mariaient parfaitement avec le plat et les deux s’épanouissaient, et mon sourire aussi, car je venais de réussir un essai de rêve, en confrontant deux vins si différents sans qu’ils se détruisent.
Sur un fromage et bien sûr un vieux Comté, un Château Chalon Jean Bourdy 1982, vin de 13°. A l’ouverture des vins, c’était largement le plus généreux et grandiose au nez. Ce vin qui sent si fort la peau de noix fraîches est un petit bonheur pour moi. Je raconterai dans quelques numéros mes aventures à la Percée du Vin Jaune.
Une salade de fruits exotiques évitant les fruits trop acides a permis de découvrir un Sauternes inconnu de 1922 (mis en bouteilles et étiqueté par un marchand local). L’association est divine. Les fruits font apparaître toutes les subtilités du Sauternes. Comme je l’ai déjà fait remarquer, à un certain âge, les qualités se rejoignent, et si on m’avait dit qu’il s’agissait d’un embouteillage local de Suduiraut ou La Tour Blache, aurais-je dit non ?
J’ai servi ensuite un Maury Doré de Volontat 1870 belle expression colorée de cette région enchanteresse.
On a fini par une Fine Bourgogne Domaine de la Romanée Conti 1979. Cette forme d’alcool est un pur ravissement, fumé et énigmatique comme il convient. J’étais fier d’un dîner de fête sans aucun rouge.
Saint Sylvestre. Sur du Jabugo et de la poutargue, un Dry Monopole Heidsieck 1952 en magnum. Le vin est bien fait. Pas une trace d’âge. Rien ne heurte la sensibilité : c’est un très bon champagne profond.
Sur une terrine de foie gras mi cuit deux vins : un Filhot 1891, et un Château du Breuil Coteaux du Layon 1966. Le Filhot impressionna tout le monde (à deux ans près il a l’âge de la Tour Eiffel), et se révéla fantastique. Une expression d’un Sauternes sec, comme avait été le Yquem 1932. Et le Layon était un petit chef d’œuvre d’équilibre. A maturité et indestructible tant il avait assimilé toutes ses composantes. Il sera le même dans 50 ans. De nouveau les truffes à la Bruno (nous n’avions pas le même public et Noël avait été la répétition en famille), et là, l’accord osé qui se montre une forme d’art absolu : Château Chalon Auguste Pirou 1983. Un nez inondant. Une justesse sur la truffe très au dessus des accords qu’offrent les vins d’autres régions.
Le plat principal était une épaule d’agneau de cinq heures sauce Gremolata. D’abord un Léoville Las Cases 1945. A l’ouverture, j’avais peur qu’il soit fermé. Il fut meilleur, passant du fermé à l’ouvert puis à l’épanoui. Malgré sa valeur on l’oublia bien vite avec un Château Margaux 1934 époustouflant de qualité, rond, épanoui, long en bouche et d’une séduction extrême. Un vin sublime.
Arrive alors un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956. A l’ouverture cinq heures avant, une odeur désagréable. Quand j’ai servi, j’avais peur. Mon opinion est que ce vin était blessé, mais il a ravi mes amis. On ne boit pas si souvent des vins du Domaine ! Sur des fromages, un Cote de Beaune Villages Champy 1947 et un Nuits Saint Georges Les Vaucrains Michelot propriétaire 1926. A l’ouverture c’est le 47 qui avait été le plus généreux en bouquet. Et au dîner, il montra une chaleur rassurante. Le 1926 était plus fatigué, mais il avait suffisamment de force pour prouver à l’envi qu’il était de bonne naissance. Grand vin, sans doute un peu usé, surtout à coté d’un 1947 éclatant.
Des desserts variés accompagnaient un Château Fayau Cadillac 1947 et une star absolue, dans un état de fraîcheur juvénile : Filhot 1928. Impossible d’échapper au charme de ce Sauternes impressionnant et parfait.
Sur un dessert au chocolat, il “fallait” revenir à la Fine Bourgogne Domaine de la Romanée Conti 1979 (la même bien sûr que celle de Noël).
Les convives ont voté, et ce furent les raretés qui l’emportèrent : le Filhot 1891 et le Grands Echézeaux DRC 1956. Mon vote personnel a été Margaux 1934 / Filhot 1928 / Cotes de Beaune Villages 1947.
On comprendra ma fierté de mettre certains vins en situation de briller : un Sauternes générique, un Jurançon qui côtoie une star canadienne, un Cadillac qui côtoie une légende du Sauternais, un Cote de Beaune Villages qui brille après 52 ans. Mettre en valeur les oubliés de l’histoire et trouver l’accord juste est mon plaisir le plus grand. Que je veux partager. C’est l’objet, c’est le cœur de la philosophie de wine-dinners.