Un dîner d’amis à la façon wine-dinners, chez Maxence, où il semble que nous soyons abonnés. L’énoncé du menu montrera aisément pourquoi : crème de langoustine à l’orange, gâteau de foie gras et caramel de Porto, asperges et morilles, oeufs sur le plat et mendiants, dos de bar, lie de vin et laitue braisée, pastilla d’agneau de lait, fromages, gelée d’agrumes et sorbet passion, douceur vanille et fraises des bois, mignardises. Etourdissant festival de saveurs réussies.
Pour commencer, un Bollinger 1992. Nous avons tous en tête le Bollinger 1990 qui est une pure merveille, mais pourquoi bouder son plaisir ? Ce Bollinger est excellent, et suffisant. Beaucoup de dégustateurs ne boivent que les grandes années, qui atteignent des prix très démarqués des années discrètes. Notre démarche est d’explorer toutes les versions d’un même vin. Si nous n’avions pas suivi cette voie, nous n’aurions jamais connu ce sublime Cheval Blanc 1941 qui valait bien des 1947 ! Un ami à qui je racontais cette bouteille me dit en souriant : en fait, tu as effacé la barre du « 7 » pour que cela fasse « 1 », pour faire une surprise. Ce serait d’une ruse extrême.
Un Chablis Grand Cru Grenouilles William Fèvre 1976. Belle couleur jaune, avec des petites traces de vert cuivré. Un nez de pierre, de terre, assez minéral comme aussi Meursault en offre parfois. Ce qui frappe immédiatement en bouche, c’est le gras de ce vin. Il remplit merveilleusement la bouche et n’a pas d’âge : il est intemporel. Le foie gras a légèrement raccourci ce vin, alors que l’asperge de cuisson parfaite l’élargit de façon charmante. Un grand Chablis.
Le magnum de Lafite 1919 est beau. Vieux flacon, peut-être beaucoup plus vieux que l’année. Avec une étiquette illisible, c’est le bouchon (parfait) qui a donné l’année : 1919. Un nez invraisemblable. Tout en douceur veloutée, mais enivrant. On ne se lasse pas de sentir ce vin, ouvert plusieurs heures avant le dîner. Ce qui m’a donné l’occasion de faire une constatation : il y a des vins qui ont un nez tellement exceptionnel qu’on ne peut s’empêcher de les sentir. Mais, fait encore plus intéressant : l’odeur est telle qu’elle dispense de l’envie de boire. On est tellement ébloui qu’on ne voudrait pas quitter ce stade accompli du plaisir. Ce Lafite 1919 fait partie de ces rares vins là, au nez aussi envoûtant que par exemple Margaux 1900 le plus beau nez de Bordeaux, ou Haut-Brion 1961 en magnum, le plus beau nez récent. J’ai senti la paralysie, voire l’anesthésie qui me prenait : il fallait prolonger ce moment de bonheur unique. Mais lorsque le plat arrive, il faut bien boire. Le plaisir est aussi grand, mais encore une fois, le nez suffisait.
Une gentille acidité, une élégance unique. Un des convives n’a pas « mordu » à ce vin. Nous avions bu auparavant ensemble Lafite 1986, et je comprends parfaitement que certains dégustateurs préfèrent les vins jeunes. Il faut en effet admettre que le goût est subjectif et culturel. La première moitié de la bouteille a été sublime. Puis l’acidité a été d’une présence croissante, éteignant progressivement la rondeur. Seul le fonds de bouteille a réveillé la richesse incroyable de ce grand vin. J’en déduis que si le magnum est une bonne taille pour faire vieillir un vin, ce n’est pas la taille idéale quand on ouvre un vin ancien : la deuxième partie a pris trop d’oxygène. A vérifier à nouveau, car ce pourrait être un cas particulier. A suivre.
Le Gilette crème de tête 1949 ouvert cette fois fut nettement meilleur que celui ouvert au Pré Catelan. Couleur dorée avec des touches d’orange et de cuivre, un nez de fruits confits, d’épices, de fruits tropicaux. Et ensuite un goût de Sauternes accompli, équilibré de « juste ce qu’il faut » pour avoir un grand Sauternes de plaisir. Bel exercice de style que de le confronter à des agrumes et à une crème légère aux fraises, qui développent certains de ses aspects.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
Un dîner à la façon wine-dinners dimanche, 14 avril 2002
Un dîner qui ressemble à un dîner de wine-dinners. C’est en famille, donc on essaie d’autres types de vin, dont certains plus risqués. Un champagne Taillevent non millésimé (Deutz en fait) vers 1990. Champagne comme j’aime, très classique, sec, de grande finesse. La légèreté du Deutz. Puis un Charles Heidsieck mis en cave en 1996. Beaucoup plus de fruit, de plaisir. Meilleur en bouche, mais moins fin. Un Pouilly Fuissé Charles Debaix 1961 que j’avais sorti à cause d’un niveau bas était franchement mort. Comme pour un parchemin, on distingue quelques lettres, mais le message n’est plus là. Un autre ouvert il y a quelques mois m’avait enchanté. A essayer une autre fois. Un Meursault Comte de la Rochefoucauld 1962 était beaucoup plus intéressant, mais quand même assez fatigué. Intéressant à lire, il fallait de grosses lunettes pour y trouver du plaisir. Après deux vins blancs plutôt faibles, risques assumés, un Figeac 1983. Quel vin adorable ! Nez complexe fait de terre, de cuir et de fruits de forêt (on voit le coté « expert »), ce vin épanoui et équilibré a ravi tous les palais. Figeac est un vrai grand Saint-Emilion. Et l’année 1983 est maintenant très agréable à boire. Après le charme du Figeac, beaucoup de convives avaient du mal avec le magnum de Rauzan-Gassies 1975. J’ai demandé d’attendre un peu avant de juger, et le vin s’est progressivement élevé à une belle hauteur. Un vin typé, agressif pour un Margaux, d’une belle acidité, et qui montre une nette personnalité de bon Bordeaux. Méfiez-vous des magnums. Il y a pour chacun un moment optimal. Un Nuits-Saint-Georges la Richemone Pernin Rossin 1982 se révéla en rondeur et épanouissement largement au dessus de ce que j’attendais : plaisir simple d’un vin souvent ignoré. Il se plaçait très bien à ce moment là. Et l’année 1982, qui est une des plus belles années de Bordeaux, et plus faible en Bourgogne, ne me déplait pas du tout en ce moment.
Conclusion provisoire avec Monbazillac Monbouché Domaine Marsallet 1921. Couleur de séquoia géant. Une odeur de café torréfié, de sucre caramélisé. Un goût de grand Sauternes (mais oui !), un peu plus alcoolisé sans doute. C’est très beau, chaleureux. Il y a manifestement un certain manque de complexité par rapport aux grands Sauternes, mais ces vins anciens méritent objectivement un intérêt car ils sont chaleureux et chatoyants. Ce producteur sympathique distille (si l’on peut dire) quelques trésors à l’occasion de rencontres. De tels plaisirs donnent l’envie de « s’abonner ».
Une liqueur de « Mézenc » du 19ème siècle (vers 1880) apportée par un ami a montré des saveurs étranges. Très sucrée, sentant les herbes aromatiques, la menthe et le poivre. Cet alcool a le même niveau de charme que ce qu’on trouve dans un vin de Chypre 1845. On a le même plaisir que si l’on trouvait une amphore dans un sarcophage égyptien datant de 2000 avant notre ère. Un alcool énigmatique qui mériterait un repas avec des alcools et apéritifs aux goûts étranges. J’en parlerai avec des amis cuisiniers : créer un repas où l’on présenterait des plats avec des apéritifs et alcools de près d’un siècle. J’aimerais travailler sur ce thème. Il y a certainement matière à créer un étonnement extrême.
Une Bénédictine des années 30 a été ouverte pour comparer les deux alcools. La Bénédictine a plus d’herbes, la liqueur d’angélique ( ?) a plus de sucre. Mais les deux ont des saveurs inimitables, aux irisations infinies.
dîner annuel des sommeliers de l’Ile de France jeudi, 11 avril 2002
dîner annuel des sommeliers de l’Ile de France, sous la présidence de Philippe Faure-Brac, avec Olivier Poussier, David Biraud, deux sommeliers français récemment titrés au plus haut niveau, et la voix si rare de Georges Lepré, le sommelier du Ritz, qui doit faire éclater toute la cristallerie de l’hôtel s’il donne toute la puissance de sa belle voix. Avant dîner, une très heureuse présentation de Pessac Léognan. Mes chouchous, Haut-Bailly et Carbonnieux, des vins charmants comme Pape Clément, La Louvière, Malartic Lagravière et d’autres que je n’ai pas eu le temps de goûter. Une tablée de 500 personnes et la cuisine d’Alain Dutournier. Comment fait-on des cuissons parfaites pour tant de tables ? Alain Dutournier a fort élégamment annoncé qu’il avait mis sa cuisine, sa façon, au service des vins. Les sommeliers, que l’on connaît si stricts dans leur difficile travail avaient ce soir là l’esprit mutin. Me trouvant placé à table à coté d’un responsable de la maison Riedel, je lui signalai la contre publicité de ses verres, fournis par milliers, mais lavés mécaniquement, ce qui donnait un goût fâcheux aux vins ce soir là. C’est dommage, car Riedel fait des verres magiques, qui améliorent les arômes, ce qui ce conçoit, mais aussi le goût, ce qui s’explique plus difficilement. Mon autre voisin était de la maison Louis Max qui vient de racheter Jaboulet Verchère. J’aurais dû l’interroger sur le Clos xx 1960 signalé dans le bulletin 30.
Champagne Jacqueson et Philipponat à retenter, car je n’ai pas vibré. Un très honnête Chablis Grand Cru Bougros Cote de Bouguerots 1998 Domaine William Fèvre : très typé sans être flamboyant. Comme pour le vin de paille cité tout à l’heure, apparaissait alors un vin impossible à boire pour moi : Château de Beaucastel blanc 2000. On sent la merveilleuse structure, mais c’est tellement puissant qu’il faudra bien quatre ans pour qu’il se civilise. Un énorme potentiel, mais quel infanticide. Fruit d’une grande générosité des propriétaires, Palmer 96 et Palmer 81. Le plus récent est un élégant jeune homme. De la force, de l’affirmation. Le plaisir de ne pas trouver trop de tanins. Belle promesse, mais ce gamin ne peut rivaliser avec son aîné, qui est une des plus belles réussites de l’année 1981. Bel équilibre, belle affirmation, il remplit entièrement la bouche et se conserve longtemps au palais. Un grand vin. Difficile pour un Ormes de Pez 96 de s’affirmer après cela, alors qu’il aurait une autre carrière s’il apparaissait lors d’un autre repas. Merveilleuse initiative que de nous faire goûter une Munster fermier de Poutroie avec du miel et du cumin, sur une bière blonde de l’abbaye des Flandres. Cela fait fonctionner merveilleusement bien les papilles, et ne brise pas le déroulement du repas. Olivier Poussier a fait remarquer que c’est la première fois qu’une bière se buvait à un dîner de sommeliers. Très bon choix. J’ai goûté sans savoir quel était ce merveilleux Porto 1985 au dépôt très lourd et abondant. Une vente aux enchères de vins offerts par divers donateurs a permis de mêler des prix stratosphériques avec de bonnes oeuvres. Philippe Faure-Brac a animé le dîner de façon remarquable. Un grand moment avec de grands professionnels que l’on voit d’habitude beaucoup plus sérieux et qui ont profité avec bonheur de cette grande soirée.
Bouteilles diverses mercredi, 10 avril 2002
De nombreuses occasions de boire des flacons très variés, en âges et en provenances. C’est l’intérêt de la démarche qui est poursuivie, qui est de n’ignorer aucun producteur, et de les découvrir ou mettre en valeur à tout âge.
En petit comité, j’ouvre – façon de parler, car dès que je sectionne la capsule, le bouchon tombe – un Barsac Latrille 1926. Couleur ambrée, voire encrée, tant l’âge a fait son effet. Mais, joli paradoxe, le vin renaît, et offre un onctueux un peu usé, en douceur, qui accompagne parfaitement un foie gras au pain d’épices. Un vin rouge de Louis Max. Sur l’étiquette on lit clairement 1960, puis Clos ??? Bizot ou Binot ? Ouverture très terreuse. Çà sent le terroir. Puis le vin se domestique et l’on a un fort plaisant Bourgogne, légèrement fatigué mais sans déplaisir. Un Malartic Lagravière 1982 bien rassurant de jeunesse prouve que l’année 1982 est toujours pleine de promesses et de bonheur. On n’a pas les interrogations des années 70 et 75. C’est la grande année, après 61 et avant 90, et peut-être aussi avant le phénomène 2000 (comme 1900 ?).
Quelques expériences mercredi, 10 avril 2002
Ouverture dominicale d’un Ruchottes-Chambertin Grand Cru Domaine Mugneret 1990. Presque aussi long d’écrire ce vin que de le boire, tant il est gouleyant. Une belle expression de Bourgogne, et un léger début d’acidité qui est signe de longévité. Mon hôte me demande si ce vin mérite de vieillir. Et je réponds : « non ». Ce vin va rester dans cet état accompli pendant de longues années, mais pour au moins vingt ans, il ne va rien gagner. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il va prendre cette rondeur qui va estomper toutes les rugosités et donner ces Bourgognes vieux si attachants et si différents. Or, aujourd’hui, qui a la patience de garder un vin plus de vingt ans ? Dans tout horizon visible ce vin sera aussi bon. Autant en profiter à son gré, et boire les vins anciens avec wine-dinners.
A la Grande Cascade, ce restaurant si attachant, au charme Belle Epoque, un vin jaune Domaine de la Pinte 1976. Sur une crème aux morilles, c’est classique, mais quel plaisir. J’ai fait découper quelques tranches de Comté de deux ans de leur si merveilleux plateau pour finir ce vin jaune sur les notes qui l’embellissent. Je suis réellement amoureux de ces vins qui sont si étranges, lunaires, dérangeants de beauté énigmatique. Domaine de Chevalier rouge 1996. C’est évidemment jeune, donc dans le fruit, mais quel beau vin, fait avec les méthodes ancestrales et authentiques. J’aime ces vrais Bordeaux, même quand ils sont jeunes.
Chez Laurent, où se tiendra le 2 mai le prochain dîner de wine-dinners, un Collioure, Domaine du Mas Blanc Docteur Parcé et Fils 1994. C’est du pur grenache. Lorsqu’on le découvre seul, c’est une explosion de fruit, mais dans un strict habillage. Puis le plat le transcende. Sur de merveilleux pieds de porc, ce vin prend une générosité extrême. Un vrai vin de plaisir. Patrick Lair, le sommelier que j’ai déjà vanté dans un précédent bulletin m’a apporté un verre de vin. Il ne m’a pas laissé chercher longtemps : Latour 1988. Vin d’une très grande complexité au nez, et malgré dix heures d’oxygénation, il est encore fermé. Il a un potentiel de garde extraordinaire, et contrairement au Ruchottes cité ci-dessus, il va gagner en génie année après année. Intéressant de voir qu’un Collioure peut ravir le palais, mais quand on côtoie le summum du vin, on aperçoit les trésors de richesse et de complexité qu’offrent les plus grands crus. Une petite remarque. Lorsque des experts s’ingénient à trouver des goûts ou des saveurs bizarroïdes, cela me fait sourire, même si j’en comprends la nécessité : il faut savoir décrire un vin. Dans ce bulletin, je ne décris que la musique. Je n’éprouve pas le besoin de solfier. Mais sur ce Latour 88, je dois dire que j’ai été ébloui par les senteurs de fleurs de printemps. « Flower power » chez Latour.
A l’Hôtel Raphaël, discrète étape parisienne très « cosy », un Rully Joseph Drouhin 1999. Mon hôte, comme moi, aime le Rully, cette discrète appellation qui réserve de bonnes surprises. Honnête vin un peu acide, mais qui accompagnait bien un homard fort bien préparé. Un Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus Bouchard 1997. J’ai choisi ce vin en pensant que nous allons déguster des Bouchard le 2 mai. Petit clin d’œil « d’avant match ». C’est un vin classique, mais un peu trop standard à mon goût. Il allait parfaitement avec un Saint-Pierre bien interprété. Juliette Gréco disait : « étonnez moi Benoît ». On dirait à ce vin : « étonnez moi Bouchard », car on aimerait un peu plus. Mais je n’ai pas boudé ce vin fort classique. Je dis cela car je suis un « fan » de Bouchard, qui sera à l’honneur le 2 mai.
Dîner d’amis américains au Carré des Feuillants mercredi, 27 mars 2002
Nous nous sommes revus quelques jours plus tard au Carré des Feuillants. Est-ce l’effet « Guy Savoy », mais j’ai trouvé qu’il y avait du trois étoiles dans le Carré de ce soir là. Des plats qui sont de vraies œuvres d’art, et des saveurs raffinées et rassurantes. Un champagne Pol Roger Winston Churchill 1986. Grand champagne, avec un début de madérisation que j’adore, un peu dosé à mon goût. Un Meursault les Genévrières Michelot 1992 avait ce nez caractéristique des Meursault : brutal, métallique, minéral. Un bon Meursault. Le Pommard Rugiens Battoult Rieusset 1964 n’avait pas le moindre défaut. Impossible de lui donner un âge, ou de dire quand il commencera à en montrer un. Grand vin très généreux et de belle longueur. J’ai toujours une petite hésitation à acheter des Bourgognes rouges des années après 1961 et avant 1980 (pour fixer les idées). Ce Pommard 1964 a prouvé qu’il y a des vins qui se tiennent merveilleusement sur cette période. Le magique repas s’est terminé sur un Anjou 1928 « Maison Prunier ». C’est sans doute un simple Anjou choisi par le restaurant Prunier du temps de sa splendeur (nous devons être nombreux à souhaiter son retour en gloire, comme nous avons attendu avec patience pour Ledoyen). Belle couleur ambrée légèrement orangée. Un goût très aérien, voire faiblement aqueux. Mais un tel plaisir sur un dessert aux agrumes. Deux grands dîners partagés avec des amateurs esthètes.
Dîner d’amis au restaurant Maxence mardi, 26 mars 2002
Une fois de plus Jean-Luc Barré, associé de cœur de wine-dinners, a pris l’initiative d’un de ces grands dîners d’amis où les vins les plus fous ravissent nos palais. David van Laer – eh oui, encore lui – a été d’une inventivité rare, et d’un grand talent : toast au foie gras et truffe italienne, morilles rôties, huile d’olive et parmesan, « minute » de Saint Pierre à la vanille, poivre de Penja, volaille poire et truffes, Parmentier de queue de boeuf, fromages, feuillantine de gariguette, réduction de balsamique. Un festival.
Un Champagne Crémant blanc de blanc de Bichat non millésimé vers 1959 avait ce délicieux madérisé qui prolonge la longueur. Mais un Champagne Eugène Cliquot 1945 avait une telle distinction et une telle subtilité qu’il confirmait combien 1945 est grand en champagne. Ces champagnes gagnent en longueur et se démarquent des jeunes champagnes, même les plus nobles.
Beaune du Château blanc Bouchard Père & Fils non millésimé estimé à 1947. C’est un de mes blancs préférés, à cause de ce coté délicatement fumé. Un Meursault Louis Latour 1959 avait ce nez si caractéristique de Meursault. Odeur que j’avais trouvée dans des Coche-Dury plus jeunes, et donc plus attaquants au nez. Goût fort agréable, mais largement distancé par un fabuleux Corton Charlemagne Louis Latour 1959. Une précision dans la perfection. A comparer avec les grands Montrachet, même s’il y a un peu moins de puissance. Quelle belle expression du Bourgogne blanc le plus pur ! Là aussi un exemple d’équilibre comme a pu l’être le Lafite 86 récent, à faire goûter dans les écoles d’oenologie !!
L’année 1943 produit des vins variables, car il y a d’immenses réussites et aussi de belles fatigues ! Le Canon Saint-Emilion 1943 et le Calon-Ségur 1943 servis ensemble étaient de vraies leçons de jeunesse. Couleur, odeur, saveur : tout était jeune, fringant. Difficile de choisir entre les deux. Mais pourquoi choisir, car arrivaient deux merveilles de 47. Un Clos des Jacobins 1947 a été jugé trop flatteur par certains. Trop clin d’œil. Je l’ai personnellement bien aimé pour ce coté chaleureux très « algérien », si vous voyez ce que je veux dire. Puis, recueillement total : Clos Fourtet 1947, un vin de perfection. Nous l’avions déjà bu avec Jean-Luc lors d’une dégustation des 1947. Ce fut la surprise la plus mémorable. J’avais le souvenir que Cheval Blanc était la vedette incontestée, Clos Fourtet étant sa dauphine. Jean-Luc avait le souvenir qu’ils étaient à égalité. Qu’importe car ce nouveau Clos Fourtet 1947 fut une pure merveille. A ce stade d’évolution, et à ce niveau, toutes les composantes du vin se rejoignent pour délivrer un plaisir total. On cherche un défaut et on ne peut en trouver. C’est de la perfection, avec ce coté intellectualisé que seul Bordeaux peut donner. Une bouteille de légende.
Il est évident qu’après ce vin de génie, le Beaune du Château rouge vers 1947 (je pense plus récent) Bouchard Père & Fils avait du mal à se placer : on revenait sur des expressions chaleureuses et terriennes, là où l’on quittait l’éther. C’était lire du Gérard de Nerval, fermer le livre et ouvrir du Frédéric Dard. Oui mais …. Oui mais Frédéric Dard, ça se déguste aussi, et assez rapidement on entrait avec plaisir dans le monde du Bourgogne, le Beaune du Château étant si agréable avec cette gentille puissance rassurante. Un vin que j’aime, à la limite du parti pris, tant j’ai un coup de cœur pour Bouchard. Un Beaune du Château 1929 a sans doute été l’un de mes plus grands Bourgognes rouges. Un Fixin Clos du Chapitre 1934 de Morin et Fils (belle maison) aussi très jeune et bien attachant nous a confirmé s’il en est besoin que les Bourgognes vieillissent bien, même dans ces appellations inhabituelles car peu bues de cet âge.
A ce stade de la dégustation l’apparition d’un Guiraud 1947 qui devrait être une merveille a touché une population dont certains (moi inclus) sentaient une certaine fatigue. Or Guiraud 1947 est grand. Grand comme tous les Sauternes des années anciennes qui sont de tels plaisirs gustatifs de miel de fruits bruns, d’agrumes et de saveurs dorées et pénétrantes. Guiraud méritera qu’on le goûte à nouveau, mais plus tôt dans le repas, ou après un nombre limité de merveilles.
Un Cordial Médoc conclut ce repas. Cette liqueur de vin de Médoc est si énigmatique, rare. Sur l’étiquette on indiquait que cette bouteille est la propriété de la Wehrmacht et qu’il est interdit de la vendre dans le commerce. Il est plutôt réconfortant que ce breuvage ait fini dans nos gosiers, en allusion à la phrase d’il y a 60 ans : « encore une que les allemands n’auront pas ! ».
Jean-Luc nous a une fois de plus ébloui par son érudition. Ces dîners prouvent encore, s’il en était besoin, que le monde des vins anciens est le plus merveilleux qui soit. Il ne dispense pas des vins jeunes. Mais quel paradis !
Dîner d’amis américains au restaurant Maxence lundi, 25 mars 2002
Réception d’un couple d’américains amateurs de vins. Une fois de plus au Maxence. Occasion d’ouvrir un Rivesaltes du Domaine Cazes 1976, la Cuvée Aimé Cazes, vin tant aimé de Bernard Cazes, qui a une si belle construction. Un signe qui ne trompe pas : plusieurs heures après, dans le verre vide, l’odeur était toujours aussi belle (amis gourmets, exigez de vos restaurateurs préférés que les verres vides restent sur table ! rien n’est plus plaisant que l’évolution des odeurs). Un Charmes Chambertin 1997 de Louis Max fut un agréable Bourgogne. Cette ancienne maison a toujours fait de bons vins. Celui-ci était agréable, mais bien jeune. La vraie star de ce dîner fut Château Coutet 1924. Comme chaque fois, mais vous le savez déjà, les Sauternes des années 20 se révèlent des vins merveilleux. Couleur ambrée, et cette senteur si imprégnante. Ces vins peuvent se sentir pendant des heures. Classique arôme d’agrumes, de fruits exotiques. Un grand Sauternes, doté d’une longueur exceptionnelle. Un grand vin.
déjeuner d’un groupe d’amis jeudi, 21 mars 2002
Un déjeuner d’un groupe d’amis qui se retrouvent périodiquement. Un champagne Mumm 85 annoncé madérisé par le sommelier, que nous prenons en connaissance de cause, et qui se révèle délicieux, si on accepte cet aspect du champagne. Il était plus madérisé que le 37 de la photo de ce bulletin. Ormes de Pez 1989. Agréable, mais sans véritable intérêt. Puis une vraie merveille : Lafite 1986. Vin grandiose, orthodoxe, parfaite représentation du grand vin de Bordeaux. Le 1955 du précédent bulletin m’avait apporté un peu plus sans doute, mais celui-ci est plus dans l’épanouissement du jeune adulte, plus fruité et déjà bien mûr. Deux expressions de Lafite, le 86 et le 55, qui se complètent très bien. Il ne faudrait pas en conclure que vérité en Lafite erreur au delà. C’est le hasard des « voyages » œnologiques qui permet de comparer deux vins magnifiques dans deux expressions particulièrement intéressantes à mettre en perspective : le 86 et le 55 de Lafite.
Un Saint-Joseph « le Grand Pompée » de Paul Jaboulet Aîné 1992. C’est toujours intéressant d’explorer ces appellations qui sont agréables quand le vin, comme ici est bien fait. Pourquoi l’avoir ouverte ? Sans doute parce que sur l’étiquette il y a trois vers de la Maison de Roland de Victor Hugo dont c’est le bicentenaire. C’est le charme des coïncidences inopinées.
Dîner au Grand Véfour lundi, 18 mars 2002
Soirée au Grand Véfour, ce site si beau qui abrite un cuisinier de talent et une merveilleuse équipe talentueuse où j’ai retrouvé un sommelier ami. Un Vieux Télégraphe 1995 m’a confirmé le charme des Chateauneuf du Pape. Fort curieusement, j’ai préféré le début de bouteille quand le vin était encore frais à la fin de bouteille, quand la température faisait ressortir l’alcool au détriment de ce si beau fruit. Belle soirée dans un cadre enchanteur et historiquement marqué.