Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner d’Alexandre Lazareff au Dauphin vendredi, 17 mai 2002

Un dîner de vins de Provence dans ce si délicat petit restaurant le Dauphin. D’une profusion de vins auxquels il manquait les cigales, la chaleur moite, le vent d’iode et le bruit de la mer, j’ai retenu quelques noms : Domaine La Courtade, propriété de Porquerolles qui fait de beaux vins authentiques. Domaine Richeaume, qui travaille peut-être un peu trop ses vins, mais fait de belles choses. Son Columelle 2000 est une agréable confiture de fruits, à l’australienne. Et bien sûr Pibarnon 1996, valeur sûre du Bandol. Belle brochette de vins du Sud, et la présence de mon ami Pierre Hermé (qui note sur de petits carnets tout ce qu’il goûte) dont les propos discrets et pertinents réchauffaient comme un soleil de Provence.

Dîner à l’Ecu de France dimanche, 12 mai 2002

Dans un de mes repaires secrets, un Krug 1988. Après le magnum de Krug 88 bu au Château d’Yquem, il s’agit d’une bouteille. Très grand champagne d’expression, qui laisse apparaître le vin si intense dès que la température du champagne augmente. A boire plutôt tiède pour les arômes. Il accompagnait très bien des asperges blanches mangées sans sauce, pour le goût – comme les huîtres, qui sont tellement meilleures sans aucun adjuvant. Un Chassagne Montrachet les Caillerets 1998 de Jean Marc Morey était fort agréable. Beau nez de métal, de pétrole, très intense, et une belle rondeur fruitée en bouche sur un homard de Bretagne (Lorient venait de gagner la Coupe) à l’exacte cuisson. Le Calon Ségur 1970 qui suivait s’accordait bien lui aussi à ce homard. Un nez extrêmement distingué, et une maturité parfaite. Elégant, racé, délicat et subtil. Un Bordeaux que l’on aime, car tout y est authentique, orthodoxe, sans aucune exagération. Une très belle réussite de l’année 1970, et une bonne conservation en cave.

Déjeuner au restaurant Faugeron samedi, 27 avril 2002

Un déjeuner où je rencontre deux correspondants d’un forum sur internet. J’essaie de convaincre des amateurs, américains principalement, que les vins anciens représentent un stade de l’évolution des trésors de nos terroirs qui mérite attention et entraîne la passion. Ce forum m’avait permis de rencontrer un amateur raffiné. Je lui ai proposé de partager la dernière bouteille du Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1995 de la cave de Faugeron, bouteille que j’avais réservée après l’avoir tant appréciée tout récemment (voir bulletin 30). Je retrouvai cet ami qui avait déjà participé à un dîner de wine-dinners où nous avions ouvert Haut-Brion 1945, Margaux 1900 et Yquem 1908 notamment (bulletin 12). Je connais sa science et son amour des grands vins. Il était accompagné par un américain francophone, contributeur assidu du même forum.
Sur une cuisine talentueuse, dans un cadre raffiné aux tables espacées (quel agrément !), nous avons commencé par un Clos de la Roche Vieilles Vignes, Domaine Jean-Marie Ponsot 1985. C’est un immense Bourgogne. Extrêmement complexe, mais en même temps très pur. Une profondeur, un vin qui remplit largement la bouche et se prolonge d’une belle longueur. On sent le travail attentif du vigneron de talent. Rare bouteille de grande qualité. Les discussions sur les vins allaient bon train, lorsque arriva le deuxième essai pour moi de ce Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1995. A ce niveau de qualité, comment différencier deux vins d’une si belle tenue. Incontestablement le Vosne-Romanée est plus raffiné, plus plein, encore plus complexe. Mais il est assez compréhensible que l’on soit sous un charme anesthésiant ou inhibant l’analyse, tant ces deux vins apportent charme et satisfaction. On est à des niveaux de rareté, donc de prix, qui sont des freins rédhibitoires à la consommation de ces valeurs gustatives extrêmes. Nous avons conclu le repas sur Les Clos des Paulilles, Banyuls Rimage 1996. Après deux trésors, la chute était un peu amère, car ce jeune Banyuls manquait de race. Mais le plaisir d’avoir bu en commun deux merveilles l’emportait.

Un Cros Parantoux chez Faugeron jeudi, 25 avril 2002

Un autre événement – et c’en est un – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1995. Un mythe, et une bouteille introuvable. Une merveille bue sur la délicieuse cuisine aux truffes de Faugeron, ce si aimable grand restaurant. Un nez distingué et envahissant; un goût de fruits variés, juteux à souhait; c’est un très grand Bourgogne dont l’excellence explique la rareté. Ces bouteilles rarissimes sont intouchables en salles des ventes tant des fanatiques poussent les enchères au delà de toute raison (mais ils ont raison).

Bouteilles ouvertes à domicile lundi, 22 avril 2002

En petit comité j’ai ouvert un magnum de Grands Echézeaux 1971 Bernard Château. Un bouchon au nez de terre. Un intense besoin de respirer. Puis quand c’est fait, ce vin délivre de la chaleur et de l’humanité. Présence et persistance. Un bel adulte chaleureux. D’humeur ensoleillée, je n’ai pas résisté au plaisir d’ouvrir un Clos de Vougeot Méo-Camuzet 1992. Il est certain que je ne peux pas être objectif, tant j’adore. Quand on ouvre ce vin, les premières gorgées sont comme un tour de chauffe en Formule 1. On se dit : « quand la puissance va parler, ce sera le spectacle ». Et effectivement, quand l’oxygène a nourri le vin, on a une des plus belles expressions de la Bourgogne.
Un armagnac Dupuy 1961 présente une belle orthodoxie et un bois fort élégant. Mais le Laberdolive 1946 montre qu’on peut ouvrir encore des perspectives supérieures de belle complexité et de noblesse. Cette maison si connue fait de belles choses.
Un Chambolle Musigny Veuve Aubert 1982, fort agréable, mais avec une petite pointe de « fumé », attribuable à l’âge. Un Puligny Montrachet 1979 Marcel Amance, jeune, rond, fruité, juteux, tout de plaisir. Un Ridge Californian Zinfandel Lytton Estate 1993 offert par un américain lors d’une récente visite. C’est très flatteur, très épicé, un bouquet de fruits qui fait penser à une sangria. A ceux qui veulent comparer Californie et Bordeaux, il convient de signaler que si un vin titre 15°1, on ne peut pas le comparer avec un vin de 12°5. Ce n’est plus la même chose.

Un dîner d’amis à la façon wine-dinners au Maxence jeudi, 18 avril 2002

Un dîner d’amis à la façon wine-dinners, chez Maxence, où il semble que nous soyons abonnés. L’énoncé du menu montrera aisément pourquoi : crème de langoustine à l’orange, gâteau de foie gras et caramel de Porto, asperges et morilles, oeufs sur le plat et mendiants, dos de bar, lie de vin et laitue braisée, pastilla d’agneau de lait, fromages, gelée d’agrumes et sorbet passion, douceur vanille et fraises des bois, mignardises. Etourdissant festival de saveurs réussies.
Pour commencer, un Bollinger 1992. Nous avons tous en tête le Bollinger 1990 qui est une pure merveille, mais pourquoi bouder son plaisir ? Ce Bollinger est excellent, et suffisant. Beaucoup de dégustateurs ne boivent que les grandes années, qui atteignent des prix très démarqués des années discrètes. Notre démarche est d’explorer toutes les versions d’un même vin. Si nous n’avions pas suivi cette voie, nous n’aurions jamais connu ce sublime Cheval Blanc 1941 qui valait bien des 1947 ! Un ami à qui je racontais cette bouteille me dit en souriant : en fait, tu as effacé la barre du « 7 » pour que cela fasse « 1 », pour faire une surprise. Ce serait d’une ruse extrême.
Un Chablis Grand Cru Grenouilles William Fèvre 1976. Belle couleur jaune, avec des petites traces de vert cuivré. Un nez de pierre, de terre, assez minéral comme aussi Meursault en offre parfois. Ce qui frappe immédiatement en bouche, c’est le gras de ce vin. Il remplit merveilleusement la bouche et n’a pas d’âge : il est intemporel. Le foie gras a légèrement raccourci ce vin, alors que l’asperge de cuisson parfaite l’élargit de façon charmante. Un grand Chablis.
Le magnum de Lafite 1919 est beau. Vieux flacon, peut-être beaucoup plus vieux que l’année. Avec une étiquette illisible, c’est le bouchon (parfait) qui a donné l’année : 1919. Un nez invraisemblable. Tout en douceur veloutée, mais enivrant. On ne se lasse pas de sentir ce vin, ouvert plusieurs heures avant le dîner. Ce qui m’a donné l’occasion de faire une constatation : il y a des vins qui ont un nez tellement exceptionnel qu’on ne peut s’empêcher de les sentir. Mais, fait encore plus intéressant : l’odeur est telle qu’elle dispense de l’envie de boire. On est tellement ébloui qu’on ne voudrait pas quitter ce stade accompli du plaisir. Ce Lafite 1919 fait partie de ces rares vins là, au nez aussi envoûtant que par exemple Margaux 1900 le plus beau nez de Bordeaux, ou Haut-Brion 1961 en magnum, le plus beau nez récent. J’ai senti la paralysie, voire l’anesthésie qui me prenait : il fallait prolonger ce moment de bonheur unique. Mais lorsque le plat arrive, il faut bien boire. Le plaisir est aussi grand, mais encore une fois, le nez suffisait.
Une gentille acidité, une élégance unique. Un des convives n’a pas « mordu » à ce vin. Nous avions bu auparavant ensemble Lafite 1986, et je comprends parfaitement que certains dégustateurs préfèrent les vins jeunes. Il faut en effet admettre que le goût est subjectif et culturel. La première moitié de la bouteille a été sublime. Puis l’acidité a été d’une présence croissante, éteignant progressivement la rondeur. Seul le fonds de bouteille a réveillé la richesse incroyable de ce grand vin. J’en déduis que si le magnum est une bonne taille pour faire vieillir un vin, ce n’est pas la taille idéale quand on ouvre un vin ancien : la deuxième partie a pris trop d’oxygène. A vérifier à nouveau, car ce pourrait être un cas particulier. A suivre.
Le Gilette crème de tête 1949 ouvert cette fois fut nettement meilleur que celui ouvert au Pré Catelan. Couleur dorée avec des touches d’orange et de cuivre, un nez de fruits confits, d’épices, de fruits tropicaux. Et ensuite un goût de Sauternes accompli, équilibré de « juste ce qu’il faut » pour avoir un grand Sauternes de plaisir. Bel exercice de style que de le confronter à des agrumes et à une crème légère aux fraises, qui développent certains de ses aspects.

Un dîner à la façon wine-dinners dimanche, 14 avril 2002

Un dîner qui ressemble à un dîner de wine-dinners. C’est en famille, donc on essaie d’autres types de vin, dont certains plus risqués. Un champagne Taillevent non millésimé (Deutz en fait) vers 1990. Champagne comme j’aime, très classique, sec, de grande finesse. La légèreté du Deutz. Puis un Charles Heidsieck mis en cave en 1996. Beaucoup plus de fruit, de plaisir. Meilleur en bouche, mais moins fin. Un Pouilly Fuissé Charles Debaix 1961 que j’avais sorti à cause d’un niveau bas était franchement mort. Comme pour un parchemin, on distingue quelques lettres, mais le message n’est plus là. Un autre ouvert il y a quelques mois m’avait enchanté. A essayer une autre fois. Un Meursault Comte de la Rochefoucauld 1962 était beaucoup plus intéressant, mais quand même assez fatigué. Intéressant à lire, il fallait de grosses lunettes pour y trouver du plaisir. Après deux vins blancs plutôt faibles, risques assumés, un Figeac 1983. Quel vin adorable ! Nez complexe fait de terre, de cuir et de fruits de forêt (on voit le coté « expert »), ce vin épanoui et équilibré a ravi tous les palais. Figeac est un vrai grand Saint-Emilion. Et l’année 1983 est maintenant très agréable à boire. Après le charme du Figeac, beaucoup de convives avaient du mal avec le magnum de Rauzan-Gassies 1975. J’ai demandé d’attendre un peu avant de juger, et le vin s’est progressivement élevé à une belle hauteur. Un vin typé, agressif pour un Margaux, d’une belle acidité, et qui montre une nette personnalité de bon Bordeaux. Méfiez-vous des magnums. Il y a pour chacun un moment optimal. Un Nuits-Saint-Georges la Richemone Pernin Rossin 1982 se révéla en rondeur et épanouissement largement au dessus de ce que j’attendais : plaisir simple d’un vin souvent ignoré. Il se plaçait très bien à ce moment là. Et l’année 1982, qui est une des plus belles années de Bordeaux, et plus faible en Bourgogne, ne me déplait pas du tout en ce moment.
Conclusion provisoire avec Monbazillac Monbouché Domaine Marsallet 1921. Couleur de séquoia géant. Une odeur de café torréfié, de sucre caramélisé. Un goût de grand Sauternes (mais oui !), un peu plus alcoolisé sans doute. C’est très beau, chaleureux. Il y a manifestement un certain manque de complexité par rapport aux grands Sauternes, mais ces vins anciens méritent objectivement un intérêt car ils sont chaleureux et chatoyants. Ce producteur sympathique distille (si l’on peut dire) quelques trésors à l’occasion de rencontres. De tels plaisirs donnent l’envie de « s’abonner ».
Une liqueur de « Mézenc » du 19ème siècle (vers 1880) apportée par un ami a montré des saveurs étranges. Très sucrée, sentant les herbes aromatiques, la menthe et le poivre. Cet alcool a le même niveau de charme que ce qu’on trouve dans un vin de Chypre 1845. On a le même plaisir que si l’on trouvait une amphore dans un sarcophage égyptien datant de 2000 avant notre ère. Un alcool énigmatique qui mériterait un repas avec des alcools et apéritifs aux goûts étranges. J’en parlerai avec des amis cuisiniers : créer un repas où l’on présenterait des plats avec des apéritifs et alcools de près d’un siècle. J’aimerais travailler sur ce thème. Il y a certainement matière à créer un étonnement extrême.
Une Bénédictine des années 30 a été ouverte pour comparer les deux alcools. La Bénédictine a plus d’herbes, la liqueur d’angélique ( ?) a plus de sucre. Mais les deux ont des saveurs inimitables, aux irisations infinies.

dîner annuel des sommeliers de l’Ile de France jeudi, 11 avril 2002

dîner annuel des sommeliers de l’Ile de France, sous la présidence de Philippe Faure-Brac, avec Olivier Poussier, David Biraud, deux sommeliers français récemment titrés au plus haut niveau, et la voix si rare de Georges Lepré, le sommelier du Ritz, qui doit faire éclater toute la cristallerie de l’hôtel s’il donne toute la puissance de sa belle voix. Avant dîner, une très heureuse présentation de Pessac Léognan. Mes chouchous, Haut-Bailly et Carbonnieux, des vins charmants comme Pape Clément, La Louvière, Malartic Lagravière et d’autres que je n’ai pas eu le temps de goûter. Une tablée de 500 personnes et la cuisine d’Alain Dutournier. Comment fait-on des cuissons parfaites pour tant de tables ? Alain Dutournier a fort élégamment annoncé qu’il avait mis sa cuisine, sa façon, au service des vins. Les sommeliers, que l’on connaît si stricts dans leur difficile travail avaient ce soir là l’esprit mutin. Me trouvant placé à table à coté d’un responsable de la maison Riedel, je lui signalai la contre publicité de ses verres, fournis par milliers, mais lavés mécaniquement, ce qui donnait un goût fâcheux aux vins ce soir là. C’est dommage, car Riedel fait des verres magiques, qui améliorent les arômes, ce qui ce conçoit, mais aussi le goût, ce qui s’explique plus difficilement. Mon autre voisin était de la maison Louis Max qui vient de racheter Jaboulet Verchère. J’aurais dû l’interroger sur le Clos xx 1960 signalé dans le bulletin 30.
Champagne Jacqueson et Philipponat à retenter, car je n’ai pas vibré. Un très honnête Chablis Grand Cru Bougros Cote de Bouguerots 1998 Domaine William Fèvre : très typé sans être flamboyant. Comme pour le vin de paille cité tout à l’heure, apparaissait alors un vin impossible à boire pour moi : Château de Beaucastel blanc 2000. On sent la merveilleuse structure, mais c’est tellement puissant qu’il faudra bien quatre ans pour qu’il se civilise. Un énorme potentiel, mais quel infanticide. Fruit d’une grande générosité des propriétaires, Palmer 96 et Palmer 81. Le plus récent est un élégant jeune homme. De la force, de l’affirmation. Le plaisir de ne pas trouver trop de tanins. Belle promesse, mais ce gamin ne peut rivaliser avec son aîné, qui est une des plus belles réussites de l’année 1981. Bel équilibre, belle affirmation, il remplit entièrement la bouche et se conserve longtemps au palais. Un grand vin. Difficile pour un Ormes de Pez 96 de s’affirmer après cela, alors qu’il aurait une autre carrière s’il apparaissait lors d’un autre repas. Merveilleuse initiative que de nous faire goûter une Munster fermier de Poutroie avec du miel et du cumin, sur une bière blonde de l’abbaye des Flandres. Cela fait fonctionner merveilleusement bien les papilles, et ne brise pas le déroulement du repas. Olivier Poussier a fait remarquer que c’est la première fois qu’une bière se buvait à un dîner de sommeliers. Très bon choix. J’ai goûté sans savoir quel était ce merveilleux Porto 1985 au dépôt très lourd et abondant. Une vente aux enchères de vins offerts par divers donateurs a permis de mêler des prix stratosphériques avec de bonnes oeuvres. Philippe Faure-Brac a animé le dîner de façon remarquable. Un grand moment avec de grands professionnels que l’on voit d’habitude beaucoup plus sérieux et qui ont profité avec bonheur de cette grande soirée.

Bouteilles diverses mercredi, 10 avril 2002

De nombreuses occasions de boire des flacons très variés, en âges et en provenances. C’est l’intérêt de la démarche qui est poursuivie, qui est de n’ignorer aucun producteur, et de les découvrir ou mettre en valeur à tout âge.
En petit comité, j’ouvre – façon de parler, car dès que je sectionne la capsule, le bouchon tombe – un Barsac Latrille 1926. Couleur ambrée, voire encrée, tant l’âge a fait son effet. Mais, joli paradoxe, le vin renaît, et offre un onctueux un peu usé, en douceur, qui accompagne parfaitement un foie gras au pain d’épices. Un vin rouge de Louis Max. Sur l’étiquette on lit clairement 1960, puis Clos ??? Bizot ou Binot ? Ouverture très terreuse. Çà sent le terroir. Puis le vin se domestique et l’on a un fort plaisant Bourgogne, légèrement fatigué mais sans déplaisir. Un Malartic Lagravière 1982 bien rassurant de jeunesse prouve que l’année 1982 est toujours pleine de promesses et de bonheur. On n’a pas les interrogations des années 70 et 75. C’est la grande année, après 61 et avant 90, et peut-être aussi avant le phénomène 2000 (comme 1900 ?).

Quelques expériences mercredi, 10 avril 2002

Ouverture dominicale d’un Ruchottes-Chambertin Grand Cru Domaine Mugneret 1990. Presque aussi long d’écrire ce vin que de le boire, tant il est gouleyant. Une belle expression de Bourgogne, et un léger début d’acidité qui est signe de longévité. Mon hôte me demande si ce vin mérite de vieillir. Et je réponds : « non ». Ce vin va rester dans cet état accompli pendant de longues années, mais pour au moins vingt ans, il ne va rien gagner. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il va prendre cette rondeur qui va estomper toutes les rugosités et donner ces Bourgognes vieux si attachants et si différents. Or, aujourd’hui, qui a la patience de garder un vin plus de vingt ans ? Dans tout horizon visible ce vin sera aussi bon. Autant en profiter à son gré, et boire les vins anciens avec wine-dinners.
A la Grande Cascade, ce restaurant si attachant, au charme Belle Epoque, un vin jaune Domaine de la Pinte 1976. Sur une crème aux morilles, c’est classique, mais quel plaisir. J’ai fait découper quelques tranches de Comté de deux ans de leur si merveilleux plateau pour finir ce vin jaune sur les notes qui l’embellissent. Je suis réellement amoureux de ces vins qui sont si étranges, lunaires, dérangeants de beauté énigmatique. Domaine de Chevalier rouge 1996. C’est évidemment jeune, donc dans le fruit, mais quel beau vin, fait avec les méthodes ancestrales et authentiques. J’aime ces vrais Bordeaux, même quand ils sont jeunes.
Chez Laurent, où se tiendra le 2 mai le prochain dîner de wine-dinners, un Collioure, Domaine du Mas Blanc Docteur Parcé et Fils 1994. C’est du pur grenache. Lorsqu’on le découvre seul, c’est une explosion de fruit, mais dans un strict habillage. Puis le plat le transcende. Sur de merveilleux pieds de porc, ce vin prend une générosité extrême. Un vrai vin de plaisir. Patrick Lair, le sommelier que j’ai déjà vanté dans un précédent bulletin m’a apporté un verre de vin. Il ne m’a pas laissé chercher longtemps : Latour 1988. Vin d’une très grande complexité au nez, et malgré dix heures d’oxygénation, il est encore fermé. Il a un potentiel de garde extraordinaire, et contrairement au Ruchottes cité ci-dessus, il va gagner en génie année après année. Intéressant de voir qu’un Collioure peut ravir le palais, mais quand on côtoie le summum du vin, on aperçoit les trésors de richesse et de complexité qu’offrent les plus grands crus. Une petite remarque. Lorsque des experts s’ingénient à trouver des goûts ou des saveurs bizarroïdes, cela me fait sourire, même si j’en comprends la nécessité : il faut savoir décrire un vin. Dans ce bulletin, je ne décris que la musique. Je n’éprouve pas le besoin de solfier. Mais sur ce Latour 88, je dois dire que j’ai été ébloui par les senteurs de fleurs de printemps. « Flower power » chez Latour.
A l’Hôtel Raphaël, discrète étape parisienne très « cosy », un Rully Joseph Drouhin 1999. Mon hôte, comme moi, aime le Rully, cette discrète appellation qui réserve de bonnes surprises. Honnête vin un peu acide, mais qui accompagnait bien un homard fort bien préparé. Un Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus Bouchard 1997. J’ai choisi ce vin en pensant que nous allons déguster des Bouchard le 2 mai. Petit clin d’œil « d’avant match ». C’est un vin classique, mais un peu trop standard à mon goût. Il allait parfaitement avec un Saint-Pierre bien interprété. Juliette Gréco disait : « étonnez moi Benoît ». On dirait à ce vin : « étonnez moi Bouchard », car on aimerait un peu plus. Mais je n’ai pas boudé ce vin fort classique. Je dis cela car je suis un « fan » de Bouchard, qui sera à l’honneur le 2 mai.